Chapitre 3

Lui.

Je n'arrive pas à le croire.

Après tant d'années, je le vois enfin, à quelques mètres de moi.

Ça ne peut pas être possible. Pourtant son regard sur moi le prouve. J'ai l'impression que le temps s'est arrêté. J'observe ses traits fins et ses yeux aux iris si noirs. Aujourd'hui, encore plus que jamais, sa beauté m'ébranle.

- Mr Holden, si vous pouviez nous épargner vos commentaires inutiles, ce serait parfait.

La voix de Mr Hartman me ramène sur terre.

- Quant à vous, mademoiselle McLow, tâchez d'être attentive à mon cours. Ce n'est pas parce que votre moyenne est satisfaisante que vous pouvez vous permettre d'être distraite.

Dans la classe, des commentaires fusent tels que "Attention, l'intello se rebelle." ou encore "Elle va crever avec lui, cette année, fini la petite préférée !"
J'ai bien envie de leur dire de la fermer à ces crétins mais le fait que mon psychopathe soit derrière moi me perturbe.

Est-ce vraiment lui ?

La fin du cours passe en silence. Plus aucune de mes pensées n'est claire. Mon premier instinct me dit de lui parler. Mon deuxième de fuir. La sonnerie signale la fin du cours. Je dois lui parler. Ou pas.

Le temps que je me décide, toute la classe s'est déjà évaporée. Je ramasse alors pour sac et me sauve à mon deuxième cours.

Ce n'est pas lui. J'ai du me tromper.

Les couloirs commencent à se vider tandis que je file à mon casier pour récupérer mes livres. Je vais finir en retard, je le sens.

Alors que je m'apprête à courir à ma salle de classe, des voix résonnent du placard.

Du placard ?

- Tu sais très bien pourquoi je suis ici.

La voix est grave et rauque. Ce n'est qu'un chuchotement que je perçois difficilement. Quelle idée d'aller se cacher parmi les balais ! Je me colle contre un casier, rentrant instinctivement le ventre même si ça ne sert strictement à rien.

- Arrête tes conneries, Dimitri ! Qui te dit que tu ne te trompes pas ? Pourquoi elle ?

Dimitri. D. Dimitri. D.
Première lettre de son prénom. Si j'étais un psychopathe, quel indice je donnerais en premier ? Ça peut marcher. Mais je me fais surement des allusions. Ça ne peut pas être possible. Simplement, ces voix me semblent inconnues et leur sujet de discussion semble coller avec ma version des faits.

Un soupir agacé se fait entendre.

- Je le sais, c'est tout.

Son ton est tellement ferme et confiant qu'à la place de l'autre, je n'insisterai même pas.

- Si tu nous fais tous couler, Dim', on est mort. Tu veux la rallier à la cause mais tu vas sûrement tout perdre. Je ne serais peut-être plus là pour te lancer un "Je te l'avais bien dit.".

Je n'entends pas ce que l'autre riposte mais la porte se met à grincer, signe que je dois déguerpir. Et vite.

Je ne suis pas sûre de l'identité de la personne se trouvant à l'intérieur de ce placard mais quelque chose me dit qu'il s'agit de mon psychopathe. Rien que par la façon dont la douleur qui a fini par se loger au creux de mon ventre s'est ravivée à l'instant même où la voix de ce Dimitri s'est mise à vibrer.

C'est lui. Ça doit être lui.

À midi, je retrouve Lucy assise à une table, son manuel de chimie devant les yeux. Quand je pose mon plateau devant elle, elle lève les yeux vers moi.

- Alors ? Ça donne quoi, les cours ?

Je soupire et pose mon sac sur la chaise à mes côtés.

- Comme d'habitude.

Lucy regarde brièvement autour d'elle puis se penche vers moi.

- Il paraît qu'il y a un nouveau.

A ces mots, mon coeur bat plus vite et plus fort dans ma poitrine. Je feins cependant l'indifférence.

- Oui, il est avec moi en physique.

Lucy écarquille ses yeux bleus, ses boucles brunes retombant sur ses épaules.

- Et tu comptais me le dire quand, exactement ?

Je me mets en quête d'éplucher une banane.

- Généralement, tu n'es pas particulièrement friande de ces histoires de nouveau.

Lucy, c'est plutôt la fille qui préfère étudier plutôt que de sortir. Sur ce coup-là, je la rejoins. Les fêtes, l'alcool, la drogue, très peu pour moi. Quoi de mieux qu'un chocolat chaud devant des films clichés sur les vampires comme Twilight ?

Alors, ça m'étonne un peu de voir ce sourire carnassier sur son visage d'ordinaire si timide.

- Je sais mais, tu vois, depuis ce matin, toutes les filles de l'école racontent qu'il est atrocement beau.

J'arrête immédiatement d'éplucher ma banane et plante mon regard dans celui de Lucy. Je sais d'avance que le mien à perdu toute sa chaleur.

- Il est tout a fait normal. Ce n'est pas le plus bel homme du monde, non plus.

Faux. Je le sais. J'essaye simplement de calmer ce sentiment qui fait rage en moi et qui me donne presque envie de vomir. Mais voilà, ça fait cinq ans qu'il me suit chaque jour de ma vie, cinq ans que je m'offre le luxe de croire que cette beauté n'est rien que pour moi. Alors entendre Lucy, la plus innocente et douce, être atteinte par sa perfection, ça fait mal.

Tout à coup, je me sens égoïste. Et coupable. Et horriblement possessive envers un garçon que je ne connais même pas.

Je regarde la banane à moitié épluchée entre mes mains. Elle est pourrie à l'intérieur. Et c'est maintenant que je comprends : il y a quelque chose chez ce garçon qui n'est pas normal. Je me rends compte que je formule silencieusement la litote de l'année : comment quelqu'un qui ne semble pas vieillir pourrait même avoir un semblant de normalité ? Il est peut-être la huitième merveille du monde avec ses traits délicats mais à l'intérieur, il est peut-être comme cette banane, complètement pourri. Quelque chose chez lui ne va pas, n'est pas humain. Et voilà qu'il se met à agir comme un parfait lycéen. Qui est-il et que pourrait-il avoir à faire ici ? Il est temps pour moi de me mettre à chercher les réponses des questions qui se terrent dans un recoin de mon esprit depuis de si longues années et surtout, de ravaler la boule de peur qui menace de retourner mon estomac.

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