Chapitre 1
"Et donc, elle s'est retournée et une vague énorme, la plus énorme de ma vie - alors que je suis un Californien pure souche, pas comme toi, Sacha - l'a recouverte. C'était hilarant à voir ! Vous auriez dû venir ! Elle était trempée jusqu'aux os et je peux vous dire qu'elle avait bien fait de mettre un robe blanche !"
Matt part dans un rire tonitruant, la bouteille de bière à la main. Même si sa blague peut paraître drôle - surtout pour Jimmy, qui est allongé au sol et pris d'un fou rire - je n'en reste pas moins sa petite-amie. C'est donc en bonne actrice que je pince mes lèvres, comme si son histoire (et son côté un peu trop séducteur) me rendait verte de jalousie.
- Matthew, dois-je te rappeler que tu es en couple et que la plastique des autres filles n'est pas censée t'intéresser.
Mon ton est sévère, réprobateur. Je vois son rire s'arrêter subitement et ses yeux se poser sur moi. Je le fixe des miens, dont le brun chaleureux est devenu froid comme de la glace. J'ai toujours été bonne comédienne. Matt avance d'un pas vers moi, une main tendue devant lui, comme pour me prendre la main et s'excuser en même temps.
Je ne sais pas pourquoi j'avais osé espérer un peu de romantisme et de douceur pour une fois, mais il m'a démontré le contraire - comme à son habitude - en passant sauvagement son bras autour de mes épaules et en me serrant possessivement contre son torse. Comme quoi les heures passées à la salle de gym plutôt qu'avec moi avaient servi à quelque chose.
- Désolé, bébé. Tu sais que je n'aime que toi.
Il dépose un bref baiser sur mon front et me laisse retomber comme une lavette sur le canapé. Il sent la bière, rien à voir avec son eau de Cologne habituelle dont il se parfume matin et soir. Il a tenté de m'expliquer plusieurs fois pourquoi il devait aussi s'embaumer le soir mais rien à faire : je ne comprendrai jamais. Il cherche peut-être à séduire Mr Teddy, son ours en peluche. Quelle manque de virilité quand il veut !
Je le détaille brièvement du regard : cheveux blonds cendrés retombant sur son front (un brin ressemblant à la coupe de Justin Bieber à ses débuts, je lui avais d'ailleurs prié d'aller les couper mais c'était comme si je parlais à un mur), des yeux marrons qui ne reflètent presque aucune émotion si ce n'est le fait de briller après un match de son équipe de football. Non, il n'en est pas le capitaine. Il est même plutôt nul mais il aime croire le contraire, alors je ne brise pas ses rêves. J'essaie de me convaincre qu'en faisant ça, je n'accélère pas le processus naturel de l'éradication de la race humaine. Parce que Matt est, disons, maladroit. Très maladroit. Sur le coup, je le rejoins. Tomber : notre spécialité. Malheureusement, ce n'est pas un de ces trucs que les amoureux font pour explorer leur passion commune. Je ne me vois pas me casser la gueule dans les escaliers pour me sentir mieux.
Mon regard se tourne ensuite vers le grand brun dégingandé qui est avachi dans mon canapé. Enfin, plus précisément celui de ma mère.
- Jimmy, tu n'as pas intérêt à renverser cette bière sur le canapé blanc.
Il lève la tête de sa bouteille décapsulée pour me fixer. Après trois secondes où je pensais qu'il allait me provoquer, il me sourit.
- Merci, Sach' ! Grâce à toi, on a passé une super soirée !
Je lui souris en retour et passe une main dans mes larges boucles brunes pour lesquelles j'avais passé un temps infini à les préparer ce matin.
- Remercie plutôt ma mère, c'est grâce à son accord après tout.
J'avais ma tactique pour qu'elle accepte ma demande du premier coup. Un stratégie d'or. J'avais passé toute la matinée à l'observer et quand j'avais enfin remarqué qu'elle passait le plus clair de son temps à se dire qu'elle avait l'impression que mon beau-père se lassait d'elle, j'avais saisi l'occasion. C'est vrai : quoi de mieux qu'une nuit tous les deux, seuls à la maison, sans aucune adolescente bordélique dans les jambes, pour se réconcilier ? Elle m'avait souri, félicité et confié directement la clé de la petite maison du lac. Quand mon père est parti, elle ne l'a jamais vendue, maintenant on l'utilise quelque fois, lorsque j'en ai besoin comme pour aujourd'hui.
Jimmy rigole légèrement, juste assez pour produire un son à la limite d'un ricanement moqueur.
- Je la remercie aussi pour le pack de bière dans le frigo ?
Je lui lance ma propre bouteille - vide, heureusement - dessus. Elle ne rate pas sa cible.
Pour la bière, c'était encore plus simple. J'avais simplement glissé une caisse remplie de bière derrière un siège de l'auto de ma mère et avait disposé une couverture en plaid dessus. Connaissant ma mère et le fait qu'elle soit totalement distraite par un rien, je savais qu'elle n'allait même pas remarquer le pack, gigotant à chaque virage derrière son siège. Et j'avais eu raison.
- Mais non, idiot ! Ça, pas un mot !
Je place mon index en face de mes lèvres, mimant le silence. Puis, devant sa tête me défiant de l'obliger de se taire, je lui lance un coussin rouge sanguin qui se trouve à ma gauche.
- Tu te tairas ou sinon je me vengerai, dis-je, en essayant de me faire menaçante.
Jimmy hausse les deux sourcils.
- Toi ? Une petite chose frêle et sans défense ? Je frissonne de peur...
Je lui tire la langue et imite un rire démoniaque. Je sens le torse de Matt se coller à mon dos.
- Ma princesse démoniaque.
Je lui souris et lui fais un clin d'œil complice. Jimmy, lui, part plutôt dans un rire qui fait vibrer la maison en bois.
- Niveau princesse, tu ressemble plus à la Reine des Neiges si tu veux mon avis !
D'un trait, il termine sa bière et connecte son téléphone à la petite barre de son que j'ai amené pour l'occasion. Il met une musique heavy metal que je ne connais pas et monte le son à son maximum. Matthew monte sur la table et mime la guitare électrique à l'aide de ses doigts. Je lui dirais bien de descendre sur le champ mais en voyant sa bouille si heureuse, et la façon dont il profite du moment, la dernière chose que j'ai envie est de faire ma rabat-joie.
Je me rends à la cuisine et prends une canette de Coca que j'avais coincée derrière la caisse de bières. Je l'ouvre et prends une longue gorgée. Le liquide me picote le palais puis je le sens descendre par mon œsophage. Je n'ai jamais réellement été tournée vers la bière, un traditionnel Coca fait largement l'affaire.
J'entends le vent souffler dans mon dos et soulever les cheveux qui reposent sur mon épaule. Je ne peux m'empêcher de fermer les yeux.
"Sors."
Une voix résonne dans ma tête. Ma voix. Mon instinct.
Je resserre la prise que j'ai sur le meuble de la cuisine. Je ne dois pas m'écouter.
"Sors."
La voix est plus forte, plus insistante.
Mes pieds avancent d'eux-mêmes. Ils me conduisent dehors, sur les marches de l'escalier en bois.
Comme la première fois.
Je me revois encore, cinq ans plus tôt, les cheveux encore dorés par le soleil.
Puis je le revois, lui.
C'est plus fort que moi, c'est comme si mon corps a vaincu mon cerveau, celui qui dictait il y a encore quelques secondes mes moindres faits et gestes.
Je m'assieds sur la marche et regarde la neige tomber. C'est si rare, ici. Ces derniers jours, la température a chuté comme jamais. Avant, je n'avais jamais connu de telles températures. En ce moment, celles-ci avoisinent les -5 degrés Celsius. Elles n'étaient presque jamais descendues en dessous de 10 degrés Celsius.
Des flocons commencent tout doucement à recouvrir mon pull en laine. Certains se nichent dans mes cils, me brouillant la vue. Ma lèvre se met à trembler ainsi que le reste de mon corps.
J'entends le bourdonnement de la musique à l'intérieur. Si ça se trouve, ils ne se sont même pas rendus compte de mon absence.
Le vent me caresse de nouveau le visage, ravivant les souvenirs s'il y a cinq ans.
- Qui es-tu ?, murmuré-je, la voix déformée par mes tremblements.
J'ai l'air d'une idiote à parler à la neige. La maison se trouve dans un coin trop reculé pour que nous puissions avoir de la visite. Je suis seule. Pourtant, la voix qui résonne en moi n'en ai pas convaincue. C'est sûr, mon instinct me fait décidément chier.
- Qui es-tu ?, dis-je d'une voix plus forte et moins hésitante.
Sans que je ne m'y attende, les flocons se font plus drus. J'essaye de m'envelopper du mieux que je peux entre mes bras frêles pour éviter de mourir d'hypothermie.
Tout est blanc. Je ne vois plus rien. Alors je ferme les paupières, fort.
- Sacha ? Putain, t'es folle ! Tu fous quoi dehors et en plus, sous la neige ! Tu veux mourir de froid, c'est ça ?
J'entends Matthew derrière moi, il s'empresse de venir me prendre dans ses bras. Je souris, heureuse d'avoir plus chaud mais garde les yeux fermés.
- Sacha ? Tu m'entends ? Ouvre les yeux ! Sacha ?
Difficilement, je les ouvre. C'est avec surprise que je découvre qu'il ne neige plus. Plus du tout. Pourtant je ne peux m'empêcher d'ouvrir les yeux grands comme des soucoupes devant le spectacle qui s'offre à moi.
Je me remets à trembler, pas de froid cette fois, mais bien de peur. Je fixe, horrifiée, la lettre qui est écrite dans la neige d'une écriture élégante. Une lettre qui me confirme la seule chose que je craignais : je n'étais pas seule.
D.
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