2 - Témoins, témoignages et indices
Après avoir accepté ce travail pour le moins étrange, je suis rentrée chez moi. La tête embrumée tel les rues de Londres en un matin d'hiver. Mon esprit divaguait, se laissant porter sur la rivière des réflexions. Assise dans le canapé, mon bloc-note à la main, mon ordinateur posé à côté, je rassemblais des informations sur les victimes de cette affaire. Les presses à scandales, les forums visant à rassembler des hypothèses plus farfelues les unes que les autres, les discussions Twitter, j'avais tout passé au peigne fin. Toutes les informations me seraient utiles, aussi petites soient-elles. Je devais absolument réussir cette mission pour moi et ma propre réussite et pour les victimes de ces atrocités.
La nuit commençait à tomber, comparable à un voile noir tombant sur la ville. Les lampadaires s'allumaient petit à petit dans la rue. La lumière de ma lampe perçait l'obscurité présente chez moi, j'avais perdu la notion du temps, j'étais tout simplement là. Sans me rendre compte des choses qui m'entouraient. Les infos ne m'étaient pour l'instant d'aucune aide. Seules quelques informations dont je connaissais déjà l'existence s'avéraient vraies. Les autres n'étaient que mensonges sur mensonges. Mon téléphone sonna, un message de mon père, son contenu n'avait rien d'intéressant, mais cette sonnerie m'avait sorti d'une phase de transe étrange. Mon téléphone indiquait 00h56. Une heure bien tardive comparée à celle où je me lèverais demain matin.
Je me suis levée de mon canapé, mes muscles endoloris par des heures d'immobilité. La pièce était plongée dans une douce pénombre, éclairée seulement par la lueur de mon écran. J'ai éteint mon ordinateur, puis je me suis dirigée vers ma chambre, espérant trouver un semblant de repos. Cependant, même allongée sur mon lit, mon esprit ne cessait de travailler. Les visages des victimes défilaient devant mes yeux fermés, leurs sourires figés dans le temps.
Le lendemain, j'avais une détermination nouvelle. J'avais une mission claire : interroger les familles des victimes. Je devais comprendre ce qui les liait toutes, ce qui avait pu attirer ce psychopathe vers ces jeunes de 19 ans. Tous ces ados disparus, sans témoins, sans raisons particulières et tous le jour de leurs 19 ans.
J'avais fait une liste des familles à contacter, les adresses étaient dispersées mais toutes dans un rayon de 50 km. Toutes les maisons, Madysson avait raison, étaient situées aléatoirement, aucun ordre, pas de positions particulières, rien qui pouvait expliquer pourquoi ces ados et précisément eux avaient disparus dans ces quartiers. Je savais que chaque visite allait être un test pour mes émotions, mais je devais rester professionnelle. Armée de mon carnet et de mon enregistreur, j'étais prête à affronter les récits douloureux des proches des victimes.
La première famille habitait dans une petite maison en périphérie de la ville. La maison semblait avoir été figée dans le temps, la façade un peu décrépite mais pleine de charme. La mère, les yeux rougis par les larmes, m'accueillit avec une gentillesse déconcertante. Nous nous sommes assis dans le salon, entourés de photos de famille. Des cadres remplis de souvenirs heureux couvraient les murs, créant un contraste poignant avec la tristesse palpable de l'endroit. Elle a pris une profonde inspiration avant de commencer à parler de son fils.
- Matthieu était un garçon brillant, dit-elle, sa voix tremblant légèrement. Il adorait les sciences et rêvait de devenir ingénieur. Le jour de ses 19 ans, il était tellement heureux... nous avions organisé une petite fête avec quelques amis proches. Et puis, il a disparu. Juste comme ça.
Les détails qu'elle m'a donnés étaient poignants, mais ne m'avançaient pas dans mon enquête. Cependant, chaque petit détail pouvait être crucial.
- Avait-il des ennemis ? Quelqu'un qui aurait pu lui en vouloir ? lui ai-je demandé. Elle a secoué la tête.
- Non, Matthieu était aimé de tous. C'est ce qui rend sa disparition si incompréhensible.
Chaque jour, je me rendais chez une nouvelle famille. Chaque rencontre était un rappel cruel de la souffrance causée par ces disparitions. Les photos des adolescents ornaient les murs, sourires figés dans le temps. Les maisons variaient, certaines modernes et lumineuses, d'autres plus anciennes et remplies de l'histoire de plusieurs générations. J'écoutais attentivement, notant chaque détail. C'était épuisant émotionnellement, mais je ne pouvais pas abandonner.
J'ai visité 19 familles en tout. Chacune avait son histoire, mais un détail revenait systématiquement : tous les adolescents avaient disparu avant d'avoir pu achever la journée de leur 19e anniversaire. C'était leur dernier jour de joie, avant d'être arrachés à leur famille.
Un soir, alors que je relisais mes notes, un détail m'a frappé. Les disparitions avaient commencé il y a dix mois, et tous les jeunes habitaient à moins de 50 km d'un asile abandonné. Une ruine datant de plusieurs années. Ce lieu semblait être le centre névralgique de cette affaire. J'ai ressenti un frisson parcourir mon dos en réalisant que cet endroit pourrait détenir les réponses que je cherchais.
Je suis allée consulter les archives locales pour en savoir plus sur cet asile. C'était un bâtiment majestueux à son apogée, construit au début du XXe siècle pour accueillir des patients souffrant de troubles mentaux. Des photographies jaunies montraient une architecture imposante, des jardins soignés et des allées bordées de statues. Mais avec le temps, il était devenu un lieu de détention plus qu'un centre de soin. Les voisins de ce lieu entendaient apparemment des cris, pas ceux de personnes folles, ceux de quelqu'un qui souffre physiquement. Des rumeurs de mauvais traitements et d'expériences inhumaines circulaient parmi la population locale. Les témoignages des anciens employés et des résidents du voisinage peignaient un tableau sombre de ce lieu. L'asile avait été fermé dans les années 1980 après une série de scandales, et depuis, il était resté à l'abandon, devenant un lieu de légendes urbaines et de terreurs nocturnes pour les adolescents du coin.
Les histoires de patients disparus mystérieusement, de médecins aux méthodes douteuses, et de corridors hantés par des âmes torturées s'entrelaçaient, créant un récit à la fois fascinant et terrifiant. Je parcourais les documents, essayant de faire le lien entre les événements du passé et les disparitions actuelles.
J'ai passé des heures plongée dans les dossiers, les rapports de police, et les articles de journaux. L'asile semblait être un personnage central dans cette intrigue, un lieu imprégné de secrets et de souffrance. Les histoires de ce lieu étaient troublantes, mais elles ne fournissaient pas de preuves concrètes. Si ce lieu avait vraiment un lien avec l'enquête, il fallait que je m'y rende. J'irais seule ou accompagnée, peu importe mais j'irais. Ce fut avec horreur que je vis que moi aussi, mon anniversaire approchait. J'irais visiter cette ruine. Une ruine que je visiterais la nuit de mes 19 ans...
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Chapitre publié le ../12/2024
1107 mots
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