1.2
La sonnerie retentit, mais Paméla est assise depuis longtemps déjà, trouvant dans cette salle un abri qu'elle chérit tout bas. La salle de littérature anglaise, ornée de citations de Shakespeare et de Dickens écrites au feutre indélébile, sent le cuir des vieux fauteuils et le papier des livres usés. Les rayons des lampes de bureau se reflètent sur les piles de manuels éparpillés sur les bureaux. Paméla se sent chez elle dans ce lieu apaisant, où chaque recoin murmure des mots inspirants. Où chaque recoin semble résonner avec les voix des grands auteurs qu'elle admire. Monsieur Mickealson est vraiment un professeur génial. En plus d'être extrêmement cultivé sur tous les sujets de littérature, il est passionné et passionnant à écouter. Il laisse toujours libre cours à l'interprétation de ses élèves sans leur imposer celle du programme scolaire, et c'est ce qui fait que Pam l'admire autant.
— Pam, j'ai fait un rêve merveilleux cette nuit, la salue Arielle en s'asseyant derrière elle.
— Bonjour à toi aussi, ricane son amie en se tournant avec un sourire amusé. C'était avec qui cette fois ?
— John Travolta, et c'était vraiment incroyable.
— Il t'a appris à danser ? se moque Pam en se rappelant le fameux film qu'Arielle aime tant.
— Mieux que ça.
Paméla esquisse un sourire, touchée par l'enthousiasme de son amie. Ses rêves improbables illuminent toujours sa vie. Monsieur Mickealson entre dans la pièce et entame son cours.
— Je t'explique à la pause. Franchement, tu vas halluciner, assura Arielle avec un sourire mystérieux.
Ses yeux brillent d'excitation.
— Je n'en doute pas, rit-elle en se concentrant sur son professeur qui leur fait les gros yeux quant à leurs bavardages.
Le cours défile, fluide comme une rivière. Une évasion parfaite pour une âme rêveuse et légère. Les Grandes Espérances, de Charles Dickens, a toujours été un de ses livres préférés. Paméla savoure les avis qu'elle écoute avec passion, car chaque vécu éclaire une nouvelle direction. Il conditionne la vision que les gens ont des choses. C'est vraiment intéressant de comprendre ce qui se passe dans la tête des gens selon leur interprétation des choses.
Quand la sonnerie résonne sur les murs de la salle de cours, tout le monde se lève d'un bond. Tandis qu'elle range ses affaires, elle observe les élèves se heurter à la porte, tentant de capturer les derniers rayons d'automne, avant que l'hiver ne les emporte. Paméla sort un carnet qu'elle porte toujours sur elle. Il sert entre autres à marquer ses pensées en poèmes quand elle n'est pas chez elle. Mais aujourd'hui, il va servir à relater sa traduction d'un challenge que lui a lancé monsieur Mickealson.
— Je t'attends dehors. N'y passe pas trop de temps, mon rêve est long à expliquer.
Paméla rit joyeusement avant de hocher la tête. Ses rêves sont toujours longs à expliquer. Elle se rapproche du bureau de son professeur.
— Comment était le défi ? la questionne-t-il en levant son regard de son bureau avec un sourire.
— Plaisant, comme toujours. C'est la première fois que j'analyse les paroles d'une chanson.
— Les chansons sont des poèmes entourés de mélodies dont l'intonation de la voix donne le ton de l'interprétation des paroles. Ce qui est intéressant, c'est d'essayer d'aller au-delà de la mélodie et de creuser plus profond ce que peuvent signifier les mots et les phrases. Quelle est ton analyse ?
— Dancing with Myself, c'est plus qu'une chanson sur la solitude. À la première écoute, on pourrait croire que le garçon danse seul parce qu'il souffre de l'indifférence d'une fille. Mais en y réfléchissant plus, danser seul pourrait aussi être une façon de se libérer du regard des autres, surtout de la pression sociale qui impose de se conformer à des attentes, comme trouver quelqu'un avec qui être. La chanson parle peut-être aussi de l'évasion : on danse pour échapper à des regards vides, ceux qui nous ignorent ou qu'on aimerait combler, que ce soit un parent distant ou le monde extérieur. C'est une forme de liberté, même si ça ne veut pas dire qu'il n'y a pas de souffrance derrière.
Monsieur Mickealson, les bras croisés sur son bureau, écoute attentivement, son regard scrutant chaque nuance dans le visage de Paméla. Un léger sourire se dessine sur ses lèvres lorsqu'il entend ses réflexions, signe qu'il est touché par la profondeur de ses analyses. Il hoche la tête avec compréhension, son expression révélant à quel point il est fier d'elle. Rares sont les jeunes de son âge qui s'intéressent autant à l'importance des mots, et encore moins qui ont une ouverture d'esprit pareille.
— Et toi, que vois-tu dans cette chanson ?
Paméla prend une profonde inspiration, ses yeux se perdant dans la réflexion. L'enthousiasme qu'elle a affiché précédemment s'estompe lentement, remplacé par une tristesse palpable.
— Je m'imagine à la place de la fille et je vois Casey à la place du garçon. Casey qui essaie sans arrêt d'attirer mon regard. Et une fois qu'il l'a attrapé, il me montre la pire partie de sa personnalité.
Monsieur Mickealson semble compatir à cette interprétation. Il sait très bien que Paméla et sa famille en ont bavé dernièrement, surtout depuis le pétage de plomb de l'aîné, Casey. Et l'anniversaire de la mort du cadet, Brian, approche à grands pas.
— Tu veux me dire ce que tu ressens ? Je sais que c'est dans quelques jours.
Paméla secoue la tête, mais son cœur reste lourd, chargé d'un silence qu'elle porte chaque jour.
— Il n'y a rien à dire en particulier. L'absence de Brian se fait ressentir chaque année à la même période. Tessa s'enferme toujours dans sa chambre le jour de Thanksgiving et n'en ressort pas avant le lendemain. Papa fait toujours en sorte d'être au travail ce jour-là. Et moi, je me contente d'écrire des poèmes sur les murs de ma chambre en espérant que mettre des mots sur ce que je ressens m'aidera à faire disparaître ces sentiments.
— Si jamais tu as envie de changer de tradition, je reste disponible pour discuter ou étudier d'autres textes à Thanksgiving.
Paméla sourit.
— C'est gentil, mais je pense que vous aimeriez passer Thanksgiving avec votre famille plutôt qu'avec une adolescente qui essaie d'échapper à la réalité. Cela ne durera qu'un jour, tout ira mieux ensuite. Et comme dit cette chère Jane Austen : « ne songez au passé que lorsque vos souvenirs sont agréables ».
Pam glisse son carnet dans son sac et remercie son mentor, prête à écouter le rêve de son amie qui l'émerveille encore.
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