Chapitre 42 • Thanksgiving (2/3)

Les hommes installés à table, je suis Joséphine qui repart en cuisine. Aussitôt dans la pièce, je lâche dans un chuchotement réprobateur :

— Pourquoi tu ne m'as rien dit ? Tu aurais dû me prévenir que le fils de ton nouveau mec, c'était Tyler !

Elle se retourne brusquement vers moi, surprise par mon apparition et mon intonation accusatrice.

— Je ne savais pas que tu le côtoyais à Bayford, tu m'en as parlé une seule fois, à la rentrée comme Gabriel ! D'ailleurs, pourquoi toi tu ne m'as pas dit que tu sortais avec Gabriel Prescott, bon sang ?

Je perçois clairement l'excitation dans sa voix. Ça me fait rouler des yeux.

— Je ne sors pas avec lui. Il a... des histoires à régler. Avec Victoria. (Je balaye ce sujet avec un revers de la main.) Mais j'ai des sentiments pour lui, Joséphine, et s'il apprend par Tyler que je lui mens depuis toujours, je suis dans une merde noire !

Ses yeux deviennent ronds et son cerveau paraît buguer un instant, le temps que cette information monte.

Moi, ce qui me déconcerte, c'est la rapidité et la facilité avec lesquelles je viens de prononcer cela. Mon désespoir peut être tenu responsable. Je suis à la fois choquée et paniquée, je ne sais pas comment réagir ni quoi faire pour éviter l'apocalypse imminente. Andrew et Tyler McKinley, sérieux ? J'aurais préféré M. Kincaid, à ce stade !

— Tu as le béguin pour un garçon ? Et ce garçon là, en plus ? Oh mon Dieu !

Émue par ma confession, elle place une main devant sa bouche et ses iris commencent à briller. Une gêne immense s'empare de moi. Pitié...

— Tu en fais des caisses. Il est riche, beau et sportif, je suis loin d'être la première fille à craquer pour un mec avec ces trois qualités.

Je ne peux m'empêcher de baisser le regard, devenue timide, et de jouer la nonchalance. Elle tend alors la main pour me caresser la joue.

— Tu as tellement évolué depuis que tu es arrivée ici, tu sembles ne même pas t'en rendre compte. Tu t'ouvres de plus en plus aux gens, tu prends conscience qu'ils ne sont pas tous comme les deux personnes qui t'ont élevée.

Preuve supplémentaire à l'instant : je n'ai pas eu un mouvement de recul tandis que le bras de Joséphine se dirigeait vers ma joue.

Essayant de me calmer, je ferme les paupières quelques secondes, avant de prendre sa main en les rouvrant.

— À propos de ça, est-ce que Andrew connaît déjà la vérité sur moi ?

— Oui, j'ai préféré lui révéler. Je souhaitais l'informer de ta présence et surtout m'assurer que notre lien reste un secret bien gardé avant de faire les présentations.

Je hoche la tête à plusieurs reprises, me faisant doucement à l'idée. Face à mon silence, inquiète d'avoir fait une erreur, Joséphine reprend :

— Tu m'as dit que si je lui faisais confiance, toi aussi, et je l'ai vu comme une permission. J'espère que tu le sais mais je ne ferai rien qui te mettrait en danger. Jamais. Et c'est très cliché mais n'oublie pas que si tu tombes, je tombe aussi.

C'est tristement vrai et je culpabilise de mettre en péril son travail, voire sa carrière. Mais d'un autre côté, je lui en suis tellement reconnaissante. Sans elle, sa prise de risques et sa générosité, je croupirais encore au fond du Texas, sans aucune échappatoire.

— C'était bien une permission. Mais de ce que j'ai saisi, Tyler ne sait encore rien. Vu cette introduction tendue, il faut que j'avoue tout pendant le repas.

Et dire que je n'y suis pas prête serait un euphémisme. Je suis au pied du mur, ce n'est même pas une décision puisque je n'ai pas le moindre choix alternatif. Il ne me reste qu'à me confesser et prier. Je vais croiser les doigts, les orteils et tout ce qui peut l'être pour que Tyler ne dise rien, que ce soit à Gabriel ou à la doyenne bien sûr.

— Andrew fera en sorte qu'il reste bouche cousue, je te le garantis. Je pensais attendre, dévoiler notre compromis à son fils plus tard, mais étant donné qu'il te connaît et qu'il a entendu certaines versions de ton histoire...

— Il est temps d'assumer mes bobards.

Je pousse un soupir résigné et m'arme de courage, me répétant que je fais cela pour Joséphine. Je ferai tout pour elle, comme elle a déjà tout fait pour moi.

— Je suis désolée, Hailey. Tu sais... (Elle baisse les yeux à son tour et prend l'air gênée.) On sera bientôt une famille, tous ensemble, on va donc devoir être soudés et se soutenir les uns les autres. Si Tyler t'apprécie déjà maintenant, je suis certaine qu'il fera le nécessaire afin de te protéger.

— Il risque surtout de vouloir protéger Gabriel. De moi.

Cette possibilité me remplit de frissons. J'angoisse. Ça partirait d'une bonne intention, je le sais pertinemment, Tyler ne chercherait pas à me nuire volontairement et sans raison, mais putain... Pour Gabriel, cet aveu remettrait en question ma sincérité, et cela nous briserait le cœur à tous les deux.

— Tu es un bien moindre danger que la révélation de notre arrangement.

J'acquiesce. Elle a raison. Pourvu que Tyler le comprenne, lui aussi...

Pleine de culpabilité suite à ma réaction et ne voulant absolument pas gâcher le moment de Joséphine, je lui adresse un vrai sourire, plein d'encouragements et de bienveillance.

— En tout cas, je ferai le maximum pour ton couple. Je suis très heureuse pour toi. (Je le pense sincèrement.) Andrew McKinley, hein ? Toi aussi, tu as décroché le jackpot. Riche, beau et sportif. Félicitations !

Joséphine ne peut empêcher ses joues de rosir et pouffe de rire. Je l'imite aussitôt.

— Sérieusement, tu as vu cet homme ? Je suis plus que fière !

Nos gloussements redoublent. Une fois calmées, je presse ses doigts toujours entre les miens.

— Tu ne vaux pas moins.

Elle me sourit pour tout remerciement et je lâche sa main. Maintenant, place au combat. Contre mes mensonges, contre ma peur panique, contre les conséquences de mes actes et les répercussions que peut avoir mon passé sur mon présent.

— Allez, retournons mettre un peu d'œstrogène à cette table. La gente féminine se retrouve en infériorité numérique, M. O'Connor doit être content !

En rigolant, mon hôte récupère les deux entrées préparées avec soin, attendant sur le plan de travail.

— Et pas que pour ça, je lui ai quand même ramené une star pour gendre. Tu l'aurais entendu au téléphone quand je lui ai dit... Aussi euphorique que moi !

— Tu m'étonnes !

Prête à quitter la cuisine, j'avance vers la porte, un tire-bouchon dans les mains pour ouvrir le vin apporté par Andrew, lorsque Joséphine m'interpelle.

— Au fait, Hailey ? (Je me tourne et croise un regard presque solennel.) J'espère que Gabriel réglera ses histoires avec Victoria et que vous pourrez être ensemble.

Je déglutis péniblement. Avant d'entendre cela, je n'en avais même pas conscience, mais je l'espère aussi.

~~~

Le repas se passe étonnamment bien. Pour le moment, ma stratégie est le déni. Elle consiste à patienter indéfiniment, attendre le bon moment en sachant qu'il ne viendra pas. Je reste passive, écoute les conversations, laisse plusieurs thèmes s'enchaîner : la météo, la passion commune de M. O'Connor et sa fille pour les bouquins, les clichés du Texas, l'excellent classement de Bayford, la rencontre de Joséphine et Andrew, etc. Je réponds aux questions lorsqu'elles me concernent sans jamais ouvrir la bouche volontairement ni aborder le fâcheux sujet de ma présence. Je garde principalement la tête baissée dans mon assiette, appréciant chaque plat malgré le nœud qui sert mon estomac. La fusion O'Connor / McKinley risque de gâcher suffisamment de choses, je refuse que cette nourriture divine en fasse partie.

À cet instant, les discussions vont bon train entre M. O'Connor et Andrew qui évoquent la carrière NBA du second. Joséphine, quant à elle, tente de s'intéresser à Tyler. Sa vie entière passée à Wealthshire, la notoriété de son père ou encore ses propres ambitions. Il n'est pas malpoli, au contraire, il se montre très gentil avec elle, développe ses réponses et joue même de son charme légendaire, mais il est distrait. Régulièrement occupé à me jeter des regards, il lui demande quelques fois de se répéter ou met du temps à finir certaines phrases. La raison est simple : il se demande ce que je fous là. Et bon sang, je ne peux que le comprendre.

Alors que Joséphine mentionne le dernier Final Four — elle s'y connaît question basket, maintenant qu'elle sort avec un joueur de renommée internationale — Tyler est à bout de patience. Il a tenu longtemps mais voilà, sa curiosité a désormais besoin d'être assouvie.

— Désolée de vous interrompre mais... Vous qui êtes une femme de lettres, vous ne trouvez pas l'expression « éviter l'éléphant dans la pièce » très bien adaptée à la situation ?

J'en lâche ma fourchette et la discussion entre M. O'Connor et Andrew s'interrompt brutalement. Il lance immédiatement une œillade désapprobatrice à son fils tandis que Joséphine devient aussi blanche que la nappe.

— Excusez-moi Mademoiselle O'Connor, ou plutôt Joséphine. Vous êtes assurément magnifique, bourrée d'intelligence et pour que mon père me présente une femme, la première en vingt ans, c'est que vous devez avoir une personnalité incroyable. Je suis carrément pour votre idylle et je vous souhaite à tous les deux qu'elle dure un temps infini, mais s'il vous plaît... Arrêtez d'éviter l'éléphant dans la pièce.

Le silence qui accompagne sa déclaration est total, à part Joséphine qui bredouille un « Je... Euh... Merci ? » maladroit. Personne ne dit rien, tout le monde se regarde en chien de faïence. Le malaise est collectif.

Tyler souffle un bon coup, comme épuisé d'avoir tant pris sur lui, puis toisant aussi bien M. O'Connor que sa fille, il enchaîne sans détour :

— Pourquoi fêtez-vous Thanksgiving avec Hailey, ou Romane comme vous l'avez nommée plus tôt ? Vous êtes de sa famille ? Vous vous êtes attachée à elle depuis la rentrée et comme vous saviez que sa mère était partie en mission, vous l'avez invitée ? (Il me montre soudain du doigt.) Que fait-elle ici, bordel ?

Je n'entends que les battements de mon cœur et ne suis même plus certaine de respirer. Moi qui disais que le fameux « bon moment » n'arriverait jamais... Le voilà. Malheureusement, il me laisse sans voix, saisie par le trac.

M. O'Connor et Joséphine, deux personnes extrêmement loyales, ne répondent pas à Tyler. Au final, seul Andrew ose reprendre la parole :

— Fils, si nos hôtes préfèrent éviter l'éléphant dans la pièce, tu feras semblant de ne même pas le voir. D'accord ?

— J'ai essayé, papa. Vraiment essayé. Mais je ne vois que lui.

Judicieusement, il leur pose cette question à eux, pas à moi en toute discrétion. Il préfère être sûr d'obtenir la vérité, une version fiable émanant de personnes honnêtes. Après tant de mensonges, sa démarche est habile, bien qu'elle me gêne.

Dans les yeux que posent Andrew sur moi, je sens qu'il connaît mon histoire et mes difficultés pour la raconter. Ça me soulage que Joséphine lui ait relaté en privé, puis ça me rassure aussi, cette dernière s'étant assurée que le coach des Green Sharks était digne de confiance. Tyler, en revanche... Ça aurait pu être vrai si on ne se connaissait pas. Or je couche avec son meilleur pote et j'ai, pour ainsi dire, « infiltrer » son groupe. Que va-t-il penser de moi après ça ? Autant que ce qu'il va faire, son opinion compte beaucoup. À Bayford, il est le premier à m'avoir tendu la main, sans oublier qu'il a toujours été sympathique et compte parmi les rares élèves que je porte dans mon cœur. Son humour merdique, ses insinuations graveleuses et son sourire me manqueraient.

Quand il faut y aller... Pour le bien de Joséphine, ne souhaitant jamais, Ô grand jamais, représenter un frein pour elle, je me lance. Je me redresse, le dos bien droit, les épaules en arrière, le menton haut et mes yeux plantés dans les siens.

— Je n'ai aucun lien de parenté avec eux. Clark était mon professeur de littérature au Texas et un jour il a remarqué les bleus sur mon corps. Mon beau-père me frappait et ma génitrice était trop alcoolique pour réagir ou juste s'occuper de moi. (Je prends une grande inspiration et arrête ici le récit de ma vie pourrie, préférant évoquer comment je m'en suis tirée.) Il m'a proposé de fuir, de partir vivre chez sa fille et d'intégrer Bayford, fac dans laquelle elle travaillait aussi comme prof. Moi qui n'avais jamais eu un rond, je me suis arrachée pour obtenir des résultats excellents, à la hauteur de cette fameuse Ivy League, et pouvoir avoir une bourse. J'y suis parvenue et ai déménagé la rentrée suivante.

Cette fois, le silence général est ma faute. Les couverts de Tyler restent suspendus dans les airs et sa mâchoire en tombe. Pourtant, j'ai tenté une révélation en douceur. Enfin je crois ? Je veux dire, comment avouer « délicatement » que je ne suis pas qui je prétends être depuis septembre ? D'ailleurs...

— Ah oui, mon vrai prénom est Romane. Romane Clark. J'ai changé de nom pour éviter que mes problèmes viennent avec moi.

Sous le choc, il ferme la bouche, puis l'ouvre à nouveau, avant de la refermer. Tout à coup, il s'exclame :

— Putain ! T'es pas sérieuse ? Pourquoi n'avoir rien dit ? On s'en fout complet, que tu sois boursière !

Son poing frappe contre la table et il me fixe avec tout un panel d'émotions : surprise, ressentiment, incompréhension et... peine. Je lui inspire de la peine et j'ai horreur de ça. Mes poils se hérissent.

— Ça te semble légal, à toi ? Changer d'identité et se faire héberger par une enseignante ? Pour l'académie, ça signifierait avoir un traitement de faveur. Si ça revient aux oreilles des mauvaises personnes, c'est toute ma vie, ma nouvelle vie, qui s'écroule, Tyler.

Il se pince l'arrête du nez, retombe contre le dossier et enregistre à son rythme cette myriade d'informations. Brusquement, comme s'il venait de réaliser un truc, il se penche vers moi, manquant de renverser son verre et de tacher son pull avec la nourriture qui reste dans son assiette.

— Gabriel est au courant ? Je t'en prie, dis-moi que oui.

En vérité, il me supplie presque de répondre oui.

— Qui est ce Gabriel ? Tu as un petit copain ? me demande alors innocemment M. O'Connor.

— Pas vraiment... La situation est compliquée. (Je me reconcentre sur Tyler et soutiens avec difficulté son regard.) Non, il ne le sait pas, contrairement à Edward. Que ferait-il avec moi sinon ? On ne vient pas du même monde et Gabriel est l'archétype du vôtre.

— Tu devras tout me raconter après, intervient Joséphine avec une œillade remplie de sous-entendus.

Tyler me dévisage en secouant la tête et actuellement c'est une immense déception que contiennent ses iris.

— T'es en train de me dire qu'il est amoureux de quelqu'un qui n'existe pas ? Et que je dois lui mentir ? À mon meilleur ami ?

Entendre ces mots... Je ne peux décrire leur effet sur moi. Une fois de plus aujourd'hui, je suis rendue muette par les événements.

Andrew se charge de répliquer à ma place.

— C'est plus dur pour qui, à ton avis ? Pour elle ou pour toi ? (D'une voix sans appel, il entre sur le champ de bataille avec moi.) Arrête de jouer les égoïstes et fais ce qu'on te demande. Ne dévoile cela à personne, même Prescott.

Il transpire l'autorité. Dans sa posture, son expression, son aura... Tout en lui intimide. C'est un homme qui impose le respect, autant par sa carrure que par son comportement. Ses qualités doivent en faire le coach parfait et un partenaire de vie crédible, sur qui on peut compter et avec lequel se projeter. J'ai un bon pressentiment sur lui et pour que je vois le bon côté des gens... C'est une prouesse supplémentaire que réalise Andrew.

Tyler finit par céder, haussant ses épaules carrées, moulées dans un pull beige dont le col à fermeture est ouvert.

— Très bien. Mais je nierai avoir été informé si Gabriel apprend un jour la vérité. Il m'en voudrait trop. (Il semble repenser à quelque chose.) Mais attends, tu as parlé d'une bourse ? À Bayford, il y en a que pour le sport, pas au mérite.

Je fronce les sourcils.

— Si, puisque j'en ai obtenu une.

— Non, je t'ass... Aïe !

Il sursaute et je comprends sans mal au regard furieux que Tyler jette à son père ce qu'il vient de faire. Sous la table, Andrew lui a flanqué un coup de pied. En moi, une alerte rouge sonne.

— Pourquoi vous le faites taire ?

Andrew zieute Joséphine, je fais donc pareil. Cette dernière observe son père, je reproduis la même chose. M. O'Connor, de son côté, baisse subitement les yeux, et je refuse de l'imiter.

— Qu'est-ce que vous me cachez ?

— Papa... commence Joséphine d'une petite voix. Il fallait que tu lui avoues, à un moment donné. Et si c'était maintenant ?

Une vague d'effroi me traverse, glaçant mon corps entier. J'ai peur de comprendre. Mais non, c'est impossible. Il n'aurait pas fait ça...

— M'avouer quoi ?

Je tremble comme une feuille, ce que Joséphine remarque à ma gauche. Tandis que je suis pendue aux lèvres de M. O'Connor, attendant impatiemment ses explications, elle pose une main rassurante sur ma cuisse qui tressaute.

— Romane, je... (Il se gratte le front, réfléchissant à ses prochains mots.) Cette bourse, tu l'aurais eue... Si seulement elle existait. Tu étais brillante, tu avais un potentiel énorme et il allait être gâché parce que tu étais née dans la mauvaise famille. Tu étais jeune, seule et perdue, je ne pouvais pas rester inactif. Alors... J'ai payé tes frais de scolarité.

Wahou, il l'a vraiment fait... Je ferme les paupières, sentant des larmes arriver. Sa voix est rauque, il parle lentement, lui aussi est secoué et son émotion ne fait que décupler la mienne.

— Tu le méritais, continue-t-il péniblement. Je suis déjà propriétaire, je voyage quasiment pas, je n'apprécie pas spécialement les grosses voitures... Je mène une vie simple et cet argent, il n'aurait jamais pu être mieux dépensé. Tu es le plus beau des investissements et je t'en prie, ne me reproche pas ça. Pas le meilleur choix que j'ai fait.

Il pousse un soupir fébrile, extrêmement ému et craignant ma réaction. Je rouvre les yeux, bouleversée comme je l'ai rarement été, et réussis à parler malgré des cordes vocales tremblotantes.

— J'ai reçu une lettre. D'admission. Il y avait le mot bourse dedans. Je m'en rappelle. J'ai encore ce document. Il a changé ma vie. Je...

— C'est Joséphine qui a tapé et rendu faussement officielle cette lettre avec un tampon de Bayford. (Je secoue la tête, peinant à y croire.) Pardonne-nous, Romane. Encore une fois, tu méritais cette opportunité, et le système universitaire actuel... Il ne te l'aurait jamais donné. On se devait de le faire.

Un sanglot bruyant m'échappe. Je leur étais déjà si reconnaissante... Là, c'est plus que sûr, jamais je ne le serai assez.

— Pourquoi ? Pourquoi m'avoir rendu un tel service ? Pourquoi une aussi grande faveur ? Pourquoi...

Je me sens obligée de poser cette question. Néanmoins, la réponse qu'il va me donner, je la connais déjà. Cette dernière est gravée sur ma peau.

— Les gens bons n'ont pas besoin d'avoir une raison pour faire une bonne action.

Une phrase que j'aime énormément, au point de me l'être fait tatouer...

Mes larmes coulent pour de bon, dévalant mes joues à toute vitesse, dans un torrent qui paraît sans fin. C'est la première fois depuis... des années. Si je pleure, c'est de joie et par gratitude, parce que je réalise ma chance. Moi, la gamine maltraitée qui n'y a jamais eu droit, j'en ai tellement que ça déborde et voilà que je me retrouve à chialer.

La vue brouillée, je quitte ma chaise et me dirige vers M. O'Connor. Devinant mes intentions, même si elles le déconcertent, il se lève également. Je fonds illico contre son torse.

— Oh, Romane...

Instantanément, il referme ses bras autour de moi et me serre contre lui avec une tendresse infinie. Il me berce presque, cherchant à faire refluer mes pleurs intarissables, et je marmonne contre sa veste trempée :

— Merci, Clark. Pour tout. Avec Joséphine, vous êtes ma famille et je vous aime inconditionnellement.

Il m'a sauvé la vie, littéralement, et je tiens à ce qu'il le sache. Je prononce donc ces trois mots, ce qui est une première, et sa réponse vaut tout l'or du monde.

— On t'aime, nous aussi.

Heureuse, en paix, légère, je prolonge cette étreinte, me surprenant à aimer les câlins. Quand un « détail » me revient à l'esprit, je ne peux toutefois me retenir de clarifier :

— Bien entendu, je vous rembourserai chaque dollar, jusqu'au dernier cent.

Il ricane dans mes cheveux et je ressens les petites secousses dans ma cage thoracique.

— Bien entendu...

~~~~~~

Oui, je suis toujours là ! Avec mon rythme de publication irrégulier et ma motivation sortie de nulle part 🤣

J'espère que ce long chapitre vous aura plu. C'est un moment important du livre et il me tient vraiment à cœur...

Charleen,
🖤

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