Chapitre 4 • La rentrée des classes
C'est le grand jour. Le mois de septembre a démarré et la rentrée est par conséquent arrivée. Je suis encore dans ma chambre, en train de me regarder dans le miroir pour la millième fois depuis que j'ai enfilé mon uniforme. Qu'est-ce qu'ils sont vieux jeu, à Bayford...
Je ne me rappelle même plus quand est-ce que j'ai mis une jupe pour la dernière fois. Je me sens toute nue, là-dedans. Pourtant, elle m'arrive aux genoux et le blazer qui l'accompagne est tout aussi respectable. C'est juste que je ne suis pas habituée à assumer ma part de féminité et que cette tenue me donne une sorte de prestige, d'importance et de responsabilité que je ne m'étais pas préparée à porter sur les épaules, littéralement.
— Hailey ! Tu vas être en retard si tu ne décolles pas d'ici tout de suite !
Au rez-de-chaussée, Joséphine me signale que l'heure tourne. Elle a déjà fait sa rentrée il y a quelques jours, avec tout le corps professoral de l'université, mais elle est tout de même stressée. Elle tient à ce que mon premier jour se déroule sans le moindre incident, bien sûr, mais sa nervosité est aussi due au fait que c'est elle mon professeur de littérature et que Joséphine n'a appris cette nouvelle que récemment.
Elle prend un risque en hébergeant l'une de ses élèves car si cette information arrivait aux oreilles de ses supérieurs hiérarchiques, ils me soupçonneraient de tricheries et ils l'accuseraient de remonter mes notes. Les conséquences seraient irrémédiables, elle perdrait son travail et je me ferais renvoyer au Texas comme une mal propre. Nous sommes toutes les deux paniquées à l'idée de faire une gaffe qui nous coûterait notre avenir mais je suis plus douée qu'elle pour cacher mes émotions.
— C'est la troisième fois que tu me dis ça !
— Et bien c'est de plus en plus vrai !
Je m'empare du sac à main que je me suis achetée pour les cours avec mon tout premier salaire et je descends les escaliers afin de rejoindre Joséphine dans le salon. À la suite de mon essai pourtant laborieux, j'ai signé un contrat avec M. Shapiro. J'ai travaillé pour lui tout l'été et à partir de maintenant, c'est-à-dire la rentrée des classes, je ne bosserai que les week-ends ainsi que quelques soirs par semaine en fonction de l'affluence à son café. Malgré son air bourru, le grand-père de Daniel est aussi serviable que lui, avec qui je suis devenue complice au fil du temps et des clients pénibles. Je n'aurais pas pu trouver un meilleur patron, ni un meilleur collègue d'ailleurs, et je suis un peu nostalgique car entre mes études et les siennes, nous n'allons que très rarement avoir les mêmes horaires.
— Ça me fait bizarre de te voir dans l'uniforme que portent les élèves de Bayford.
Joséphine me regarde de la tête aux pieds, étendue sur la méridienne, en train de lire un magazine féminin et de siroter son jus de fruits matinal.
— J'en fais partie, maintenant. Mais je suis plus à l'aise dans mon tablier floqué The French Coffee Shop que le cul moulé dans cette jupe ringarde.
Elle se marre tandis que je mets l'une de ses paires de chaussures, restées dans l'entrée. À force, elle a pris l'habitude que je lui emprunte des affaires.
— Évite d'employer un langage aussi familier dans les couloirs. Leurs murs ont vraiment des oreilles, ce n'est pas une légende.
Je quitte la maison en gueulant un « À ce soir ! », une demi-heure avant que les professeurs ne commencent à donner cours. Il fait encore beau et chaud à cette période de l'année, donc je pars en avance pour faire le trajet à pieds. Ainsi, je ne suis pas vue dans la même voiture que Joséphine et j'évite de prendre les transports en commun, un moyen de locomotion qui n'est pas envisageable pour mes camarades fortunés.
Lorsque je mets enfin les pieds sur le campus, je reste bouche bée par son étendue. Il y a des jardins à perte de vue, jonchés de bancs et d'arbres aussi verts que la pelouse qui est en train d'être arrosée. Le soleil se reflète dans les fenêtres des grands bâtiments aux allures de châteaux et des voitures circulent entre ces derniers, sur les chemins gravillonnés. En réalité, les qualifier de voitures est presque une insulte tellement elles sont luxueuses. Sportives ou conduites par des chauffeurs, j'assiste à un balai de Ferrari, de Lamborghini, de Mercedes, de Bentley et même de quelques limousines qui me laisse sans voix. Bordel. Je suis entrée dans un univers parallèle, coupé du monde réel où le commun des mortels évolue. Ici, l'argent est la seule religion admise.
— Ferme la bouche, tu vas gober des insectes. Et peut-être des queues, aussi.
Une voix masculine se fait entendre juste à côté de moi et, sous l'effet de la surprise, je bondis sur place. J'étais tellement fascinée par le spectacle qui se jouait devant moi que je n'ai même pas remarqué son arrivée soudaine.
— Un millionnaire avec un humour de beauf... Insolite.
Je suis à la fois éblouie par les rayons du soleil qui m'arrivent en pleine figure lorsque je lève le menton pour le regarder et par la beauté rare du garçon aux cheveux blonds qui s'est arrêté de marcher pour me faire une remarque salace.
— Pour ta gouverne, je suis l'un des seuls élèves de cette université à être milliardaire.
Sa réplique est d'une telle prétention que je suis impressionnée par le cran qu'il a. Je suis habillée de la version féminine de son uniforme, noir avec une cravate à rayures vertes accordée aux couleurs de Bayford, et le même écusson que lui est cousu sur ma poitrine. Ici et maintenant, il n'est donc pas supérieur à moi.
— Tu veux dire que tes parents le sont ? À moins que ton père soit le seul à l'être et que ta mère vive à son crochet, tout comme toi ?
Ses mâchoires se contractent et il fait un pas en arrière. Touché. Ce n'est pas vraiment de ma faute si son ego en prend un coup. Les films, les séries et les livres que je regarde depuis l'enfance décrivent ainsi les familles qui habitent dans les beaux quartiers.
— Si tu oses me parler comme ça, c'est soit que tu es suicidaire, soit que tu es nouvelle et que tu ne sais donc pas qui je suis.
Sûr de lui, il me fixe de ses yeux bleus et le charme qu'il dégage à cet instant précis me trouble. Il y a cette lueur presque autoritaire dans son regard qui m'empêche de rompre le contact visuel.
Par chance, je reprends vite mes esprits. Qu'est-ce que j'en ai à faire moi, de son identité et de son livret de famille ? Il ne m'intimide pas, avec son baratin à propos de son statut social.
— Exact, je n'ai pas fait mes deux premières années à Bayford. Mais connaître ta réputation ne m'empêcherait pas de te parler comme tu le mérites. Alors qui que tu sois, va te faire foutre.
Aussitôt, je lui tourne le dos pour me diriger vers le bâtiment A. Je vais être en retard si je n'arrête pas tout de suite de me prendre la tête avec cet inconnu orgueilleux.
Je sors mon emploi du temps, qui est arrivé dans la boîte aux lettres en même temps que ma tenue d'écolière, et je pars à la recherche de la salle dans laquelle se déroule mon premier cours.
Les couloirs sont tellement larges que les voitures hors de prix des élèves circuleraient à l'intérieur sans difficulté. Je ne repère pas la moindre tache ou fissure sur le carrelage et la hauteur sous plafond me donne le vertige. La devise de Bayford, « Fierté et Exemplarité depuis 1864 », écrite sur les uniformes, est aussi placardée sur chaque mur. Visiblement, ils en font trop à tous les niveaux.
— Nouvelle ?
Saisie par le côté too much de cette université, je n'avais même pas vu le mec au sourire ravageur qui me regarde en fermant la porte de son casier. Tous les élèves masculins sont à tomber, ou c'est comment ?
— Et perdue, oui.
Je baisse les bras, au sens littéral et figuré du terme, en me dirigeant vers le grand brun pour lui tendre mon emploi du temps. Amusé par mon air blasé et attendri par mon absence totale de repères, il accepte de me servir de guide.
— J'ai une bonne nouvelle pour toi. Tu suis les mêmes cours que moi chaque lundi matin.
— Quelle chance ! Mais tu es qui, au juste ?
Je fronce les sourcils avec exagération pour le charrier et il se présente sur le ton de la rigolade. Miracle. Il y a un étudiant à Bayford qui pratique l'autodérision.
— Tyler McKinley. Mon père est le coach de l'équipe de basket et moi j'en suis le capitaine cette année. Avant que tu ne me lances un deuxième pique, saches que je n'ai pas obtenu mon titre grâce à lui mais parce que je l'ai mérité. Assiste à l'un de mes matchs et tu en auras la preuve en image.
Il anticipe ma réaction et prend les devants, ce qui me fait rire. En plus d'être beau, il est gentil, sportif et drôle. Je paris que toutes les filles collent aux basques de Tyler, voire sont à genoux devant lui.
— Le capitaine de l'équipe de basket m'invite personnellement à venir l'admirer sur le terrain... Je vais me faire des ennemies dès mon premier jour de cours, à cause de toi.
— À Bayford, il suffit d'être mignonne et bien foutue pour en avoir des tas. Tu n'as donc pas besoin de moi pour ça.
Il me fait un clin d'œil. La formulation de ses compliments est tellement douteuse que je suis obligée de rigoler. Heureusement pour lui, son physique avantageux fait oublier sa technique de drague pourrie.
— Tu connais le dicton, femme qui rit...
— Tu ne sais pas encore comment je m'appelle et tu penses déjà à me mettre dans ton lit ?
Tyler est relou mais sa lourdeur ne me met pas mal à l'aise, au contraire même. Je le suis quand il traverse le couloir et monte les escaliers jusqu'au premier étage.
— J'ai une réputation à tenir. Et ce n'est pas contre toi, j'oublie le prénom d'une meuf avant même qu'elle me l'ait dit. Mais si ça te fait plaisir, tu n'as qu'à tester ma mémoire.
— Je m'appelle Hailey Clark. Tu as intérêt à retenir mon prénom étant donné que je suis complètement paumée et que je vais de nouveau avoir besoin de ton sens de l'orientation dans les jours à venir.
C'est justement à ce moment-là que le brun s'arrête devant une porte ouverte, sur laquelle est marqué en gros « A122 ». Je jette un coup d'œil à mon emploi du temps. Le TD de macroéconomie a effectivement lieu dans cette salle.
— La doyenne attribue à chaque nouvel élève une sorte de guide personnel pour l'aider à se repérer et surtout à s'intégrer. Elle te donnera le nom du tien pendant ton rendez-vous avec elle, que tu auras cette semaine ou la prochaine en fonction de ses disponibilités.
Je n'étais pas au courant, Joséphine ne m'en a pas parlé. Je vais être obligée de me coltiner une élève de Bayford au quotidien ? Il me suffit de baisser les yeux sur mon uniforme pour être certaine que mon mentor sera une fille. Toutes les mœurs de cette fac sont vieillottes. Déjà que je ne suis pas douée pour me faire des amies, si en plus on les choisies pour moi...
— Alors je vais essayer de ne pas trop m'attacher à toi d'ici là.
Je taquine Tyler une dernière fois avant de rejoindre mes autres camarades de classe. Je pose mon sac sur une table de devant et il me répond sur le même ton en se dirigeant vers le fond.
— Je te souhaite bon courage, Hailey.
Il traverse la salle, un magnifique sourire aux lèvres, pour aller se mettre à côté d'un mec blond. Je le reconnais immédiatement et me décompose quand ils se saluent avec enthousiasme. Le connard que j'ai croisé tout à l'heure a des cours en commun avec moi et la seule autre personne avec qui j'ai parlé est l'un de ses potes ? C'est une blague ? Où est la caméra cachée ?
Mes yeux croisent les siens, d'un bleu aussi profond que l'océan, et je me laisse tomber sur ma chaise. Contrairement à moi, il a une expression réjouie sur le visage et cela ne me dit rien qui vaille. Prise de court et dégoûtée par son air satisfait, je me retourne avant de lui faire un doigt d'honneur. La journée, et l'année, commencent mal.
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La première rencontre des deux personnages principaux est mouvementée. Est-ce que vous appréciez leurs caractères bien trempés et le fait qu'ils se clashent d'entrée de jeu ?
Quant à Tyler, dont la technique de drague me rappelle celle de Jay, j'espère que vous le trouvez sympa.
Charleen,
🖤
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