Chapitre 38 • Une famille ?
Voilà. Edward est au courant.
Samedi, à l'Impérial Palace, je lui ai tout balancé. Quand je dis tout, c'est absolument tout.
Je lui ai raconté mon enfance compliquée, entre l'alcoolisme de ma génitrice et la violence de son compagnon, les nombreux déménagements, les problèmes financiers, la faim que je ressentais constamment et le froid auquel je ne pouvais échapper. Je lui ai fait une révélation difficile, à dire et à entendre : je n'ai jamais reçu d'amour de la part de ma mère et je n'ai jamais été capable de lui en donner non plus.
Je suis même allée plus loin. Je lui ai parlé de M. O'Connor, mon sauveur, ce héro. De ma rencontre avec lui en cours à mon dur labeur pour rejoindre Bayford qu'il supervisait en passant par ma demande de bourse. Sans oublier ma cohabitation avec Joséphine, sa fille professeure de littérature également, mon petit boulot dans le quartier français et mon changement d'identité qui a tout rendu possible.
Parce que oui, comme une fugitive, j'ai maintenant des faux papiers. C'est Joey, un gars bizarre qui habitait dans mon immeuble, qui me les a faits. Il était grand, avait des lunettes rondes, les cheveux noirs frisés, et une salle réputation vers chez moi, celle d'un geek aux pratiques illégales. Il rendait service à des types louches, je le savais et le voyais même des fois, alors j'ai tenté ma chance. Un soir en rentrant des cours, je suis allée toquée chez lui. Contre quelques billets seulement, il a fait le nécessaire et trois jours plus tard, Hailey Clark est devenu mon nom. Joey était un pirate informatique multirécidiviste et grâce à lui, j'ai pris un nouveau départ, tout recommencé à zéro et ça sans avoir peur que Romane et son passé foireux me rattrape, venant tout gâcher.
Bref, je me suis complètement révélée. Je lui ai présenté Romane, cette gamine maltraitée à qui je dois mon caractère bien trempé et qui même au fond du trou n'a jamais cessé de lutter pour en sortir, et ça m'a fait du bien. Ouais, à ma grande surprise, j'ai ressenti une forme de soulagement. Logique en fin de compte, car je partage désormais avec lui mon fardeau et que je peux être totalement moi, sans m'inventer une famille aisée ou une éducation hors pair. En fait, contrairement à mes peurs, ça nous a davantage rapprochés. Il a très bien pris mes confidences, elles lui ont permis de comprendre mon fonctionnement et d'être rassuré quant à son importance pour moi. Je tiens fort à lui et il a ma totale confiance, il ne peut plus en douter. A partir de maintenant je vois en Edward un réel ami et pouvoir compter sur quelqu'un, excepté M. O'Connor et Joséphine bien sûr, est vraiment apaisant.
Cerise sur le gâteau, avec ces révélations larmoyantes, il a plus facilement excusé mon histoire avec Gabriel, qu'il avait déjà grandement pardonné en sachant que Victoria était célibataire depuis longtemps et que je ne lui faisais aucun mal. Il m'a en revanche dit ne pas vouloir « être ma confidente » à ce sujet et que, concernant mes allers et venues pour son frère dans leur hôtel commun, il ne désire « rien voir, rien entendre et tant qu'à faire rien savoir », deux souhaits compréhensibles. Il fait son maximum pour accepter cette relation, ce qui est une belle preuve d'amitié, donc je vais tout faire pour être discrète. De toute façon, je ne suis pas du genre à raconter ma vie, à colporter des ragots ou à m'extasier publiquement sur un garçon, alors ça devrait le faire. On va retrouver nos marques, en prendre de nouvelles, s'adapter mutuellement. J'ai hâte !
Alertée par un bruit monstre, je sors de mes pensées. Joséphine descend les escaliers et me rejoint dans la cuisine, faisant un raffut phénoménal à cause de ses talons. Heureusement qu'on ne vit pas en appartement, pauvres voisins sinon ! Avec ses foutues chaussures, importables pour moi, elle me réveille quand je commence plus tard et interrompt mes nuits en rentrant de chez son mystérieux inconnu.
— Ils sont bons ces pancakes ?
Habillée d'un tailleur et maquillée sobrement, elle semble déjà prête à quitter la maison. Quant à moi, assise sur un tabouret de bar, je mange tranquillement la pile de crêpes qu'elle a faites hier. Commencer mon lundi avec un tel petit déjeuner, voilà qui annonce une bonne semaine.
— Très, comme d'habitude. Il n'en reste plus que trois, désolée, je n'en ai pas laissé davantage.
— Tu aurais dû les finir, je ne peux rien avaler, je ne me sens pas bien.
Au lieu de s'empiffrer comme moi, elle se dirige vers le frigo et prend un simple verre d'eau. Je remarque alors son visage pâle, comme si Joséphine avait envie de vomir ou qu'elle venait de le faire.
— Tu as quoi ?
— Rien de grave, c'est passager. Pas le choix de toute manière, papa arrive mercredi soir et je tiens à profiter de lui. Je serai au top de ma forme pour le week-end de quatre jours !
Elle se l'ordonne ou manifeste une santé de fer, je ne sais pas. Mais elle a tout intérêt car oui, M. O'Connor débarque bien à Wealthshire cette semaine. Et pour cause : jeudi, c'est Thanksgiving.
— Je suis tellement contente ! Et plus qu'impatiente de le revoir. Ça fait presque six mois.
— Le temps passe si vite, pour moi tu es arrivée hier. Mais j'ai une impression contraire, aussi : que tu habites la maison depuis vingt ans. Je ne me revois pas vivre toute seule ici, sans tes vêtements dans la machine, sans faire les courses pour deux...
Je souris en avalant une dernière bouchée. J'aime entendre ça.
Joséphine s'est habituée à ma présence, comme si j'étais un membre de la famille, que j'en faisais partie intégrante, et j'ai le même sentiment. Je vais passer Thanksgiving avec eux, ce n'est pas anodin, ça a énormément de sens.
Être installé autour d'une jolie table en compagnie de personnes que nous aimons et qui nous aiment, partager une dinde avec elles... Ça semble tout bête pour la majorité des gens mais pour quelques exceptions comme moi, faire perdurer cette vieille tradition américaine est un rêve de gosse.
— Il passe vite mais depuis tu as rencontré quelqu'un. Et si tu profitais de Thanksgiving pour ramener ton homme à la maison ? Tu ferais les présentations avec Monsieur O'Connor et moi comme ça. D'une pierre, deux coups !
Elle pousse aussitôt un soupir, adossée contre le plan de travail. Je ne fais que ça dernièrement, ramener nos conversations à son mec, je saisis vraiment la moindre occasion et ça la saoule. Perso j'adore car elle lâche toujours une info supplémentaire !
— Il est l'un de mes collègues, tu en as obtenu la confirmation vendredi. Ça signifierait donc révéler à une tierce personne au sein même de Bayford que j'héberge une élève.
À mon tour de souffler.
— Joséphine, toi et lui, ça fait un petit bout de temps maintenant. Si tu penses que ça va encore durer il te faudra bien me le présenter. Rien que niveau organisation c'est galère de ne jamais pouvoir le faire venir. Tu lui fais confiance donc moi aussi.
Elle hoche la tête à plusieurs reprises, consciente que je prononce des évidences. Il fait son bonheur au quotidien et tout se passe à merveille, je ne veux surtout pas représenter un frein à leur histoire.
— Je ne sais pas... Thanksgiving reste un événement familial. Comme tu me l'as soutiré, mon « homme » a un fils et il serait donc convié aussi. Je ne l'ai pas encore vu, ça ferait plein de rencontres en même temps.
— Justement, pour officialiser une relation de couple il n'y a pas de meilleure occasion. Le but est que plus tard vous soyez une famille, non ?
Elle baisse les yeux vers sa tenue puis opine doucement.
— Tu as raison. Mais on le serait tous ensemble, avec toi.
J'acquiesce, touchée et presque rassurée. Elle ne m'oubliera pas, même en couple et avec le rôle de belle-maman. Au fond de moi je le sais pertinemment, mais bon, l'entendre fait du bien.
Pour une raison obscure, liée à mes traumas et une peur ancrée en moi, je ressens toutefois le besoin de préciser :
— Par contre, qu'on soit claires, je serai bientôt majeure et il n'exercera aucun pouvoir sur moi. Pas la moindre autorité.
Elle relève alors la tête et son regard affiche toute la compassion du monde.
— Évidemment, Hailey ! Il est du genre... À mettre un cadre, disons, mais je lui interdirai avec toi. Je te le promets.
Qu'il essaye de toute façon... Il ne sera pas déçu.
— Ok. (Je hausse les épaules, satisfaite par cette réponse.) Mais il a quel âge son fils ? Moins de cinq ans, ça va être tendu. Je hais les enfants, ils ne font que crier et pleurer.
Joséphine se raidit instantanément. Oh non, c'est réellement un mioche ?
— La vraie question est plutôt : es-tu capable de te montrer sympathique avec deux personnes à la fois ?
Ma bouche s'ouvre en grand.
— Tu n'es pas juste ! Je me trouve de plus en plus aimable. Je compte te le prouver jeudi, d'ailleurs.
Elle finit de boire et repose son verre dans l'évier, puis a un gros bug et le regarde pendant un moment, comme si finalement organiser un tel repas lui paraissait envisageable.
— Tu sais quoi ? Je vais lui en parler. (Elle se redresse d'un coup.) Ça ne serait pas une mauvaise idée étant donné... les circonstances.
Elle hésite sur le dernier mot et je souhaite lui demander pourquoi mais elle file déjà, sortant de la cuisine, attrapant sa pochette dans l'entrée et se dirigeant vers la porte.
— Merci pour tes conseils ! Bonne journée !
— Attends ! Tu ne vas pas être la belle-mère d'un gamin, hein ? Tu as évité la question !
Seule la porte qui claque me répond. Merde, on dirait que j'ai créé mes propres ennuis...
~~~~~~
I'm baaack et le prochain chapitre est déjà fini 👊🏻
J'espère que vous allez bien depuis le temps et que les aventures d'Hailey vous ont manqué !
Pour rappel, je suis en plein concours sur Fyctia avec cette histoire, si vous voulez aller me soutenir...
Charleen,
🖤
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top