Chapitre 31 • Concours d'idées pourries

— Tu mens. Comparé à toi, je suis tombée moins de fois.

Assis sur le banc près du casier, en train de lacer ses baskets pendant que je récupère mon casque, prête à repartir en moto, Edward secoue la tête pour réfuter cette accusation.

— Ma pauvre, tu dérailles complet... Mais c'est sûrement la faute à tes nombreuses gamelles.

Debout face à lui, je roule des yeux. Ce débat est sans fin. La preuve, il continue alors que je ne réplique même pas.

— Ton cul a vu plus souvent la glace que ces lames sous tes patins. Tu sais, les trucs en fer qui servent normalement à glisser ?

Mon poing dans la bouche, je me retiens sincèrement de le frapper. Comme il m'énerve à jouer les professionnels !

— Tu étais aussi nul que moi, voire plus. Tes fesses seront bleues avant les miennes.

Il se lève avec un regard mauvais, ses patins à la main, et se dirige vers le casier. Quand il attrape le second casque dedans, le brun me clash à nouveau.

— Moi quand je tombais, ce n'était pas sur des gosses.

J'ai la mâchoire qui se décroche tellement je suis offusquée. Quel coup bas !

— Ça n'est arrivé que deux fois ! Et ils ne regardaient pas devant eux !

Sans aucun intérêt pour ma justification, il me dépasse et part rendre son matériel au type derrière le comptoir. Je fais de même, redonnant avec plaisir ces objets de torture, et nous quittons boiteux la patinoire.

Dehors, je suis étonnée par le ciel noir. Je regarde alors mon portable qui indique 21h. Déjà ? On vient de passer trois heures à se casser la gueule, on est vraiment persévérants.

— Rappelle-moi, d'où tu as sorti cette idée pourrie ?

Il me questionne sur un ton de reproche en avançant vers le parking. Cette fois je ne résiste pas et le pousse avec mon épaule.

— Un film vu cet après-midi. Et je propose des sorties, au moins !

J'ai passé mon samedi en compagnie de Joséphine, confortablement installée devant la télé. Comme à son habitude, elle m'a fait regarder une comédie romantique et il y avait dans celle-là une scène très niaise : le couple faisait du patin à glace, main dans la main et tout sourire. À l'écran ça paraissait sympa, mon cerveau a donc voulu tenter une expérience inédite.

Ok, la vérité est un peu différente... J'ai envoyé vers 14h un message à Gabriel pour le voir ce soir et je me suis pris un vent. Il n'a pas refusé ou sorti une excuse, il est juste resté muet. Ça fait une semaine depuis la plage et à part se bécoter deux fois, en vitesse dans un coin sombre à Bayford, on n'a pas recouché ensemble, ni même discuté. Je voulais passer du temps avec lui mais comme je n'avais pas de réponse les heures suivant mon texto — je suis toujours en remis maintenant, hein — je me suis dit : « Vas faire une activité pour oublier son ignorance ! ». Voilà, je suis en manque et je me change les idées. Elle ressemble plutôt à ça, la bonne version.

— Quand tu verras un film avec du water-polo, de l'escrime ou tout autre sport pas commun, évite de me téléphoner.

Malgré sa voix catégorique, Edward ne retient pas un sourire moqueur et je suis obligée de l'imiter. Il a raison dans le fond. Lui et moi faisant du patin à glace, ça ne pouvait que mal finir.

— On s'est marrés pendant des heures. Tous ces rires valaient bien les hématomes en formation sur nos peaux, non ?

Il arrête enfin de faire semblant, abandonne définitivement sa mine boudeuse et passe un bras autour de mon cou.

— Je te charrie. Je me suis beaucoup amusé, même plus que ces enfants dans lesquels tu as foncé.

Je grogne quand il me serre contre lui, puis on commence à slalomer entre les voitures.

Cette semaine ressemble à la précédente. Je passe mes journées avec Edward, chaque midi et une grande partie de mon temps libre. Depuis le scandale au manoir, sa relation avec Bethany est tendue. Il se fiche des nombreux mecs passés avant, son égo n'a rien de fragile, il peut le supporter. Je ne compte évidemment pas son frère. Si le tatoué était au courant pour Gabriel, il aurait eu une réaction bien plus virulente.

Comme moi, il est dérangé par le fait que Bethany ait mis le grappin sur Oscar quand ce dernier sortait encore avec Fallon. Sur le trajet du retour, elle n'avait même pas de raison valable. En plus de ça, elle a signé un contrat pour que Gabriel soit infidèle à Victoria en toute impunité. Dans sa jolie tête, certaines valeurs sont totalement absentes, ce qui nous rend perplexes tous les deux. Dieu merci, elle vit simplement avec Edward une histoire légère, mon ami ne risque donc pas grand chose. Et pour le temps que ça va durer...

D'après Gabriel sur la plage, Bethany oublie ses problèmes en couchant avec des garçons. Quels problèmes, je n'en ai pas la moindre idée, mais je sais que ça ne les résout pas. Le sexe représente un échappatoire temporaire qui fait souffrir des nanas innocentes et lui cause juste des problèmes supplémentaires.

Après trois heures sans en parler, j'aborde le sujet quand on regagne le parking réservé aux deux-roues.

— Tu as prévu de voir Bethany ce week-end ?

— Elle le passe avec sa famille, dans le Maine. Apparemment ils ont une superbe propriété là-bas.

J'entends à son intonation que ça ne le gêne pas. Aucun changement depuis 24h, c'est toujours aussi mal barré...

Perso, je ne veux plus forcément rester copine avec Bethany. Elle a fait des conneries tellement grosses que ça efface les bons moments passés et sa personnalité de base attachante. Pour ce qui est de sa nuit avec Gabriel, ils ne me connaissaient pas, mais inutile de faire genre, je les imagine des fois en pleine action et ressens un puissant sentiment de jalousie. C'est humain mais très désagréable.

— Regarde-moi cette beauté !

Alors que Edward retrouve sa moto — une Triumph Speed Twin, a-t-il expliqué quand je suis montée dessus la première fois — je me retrouve devant une scène très cliché. Il tape la selle avec fierté et je prononce tout naturellement un compliment qui étire davantage ses lèvres.

— Je ne suis pas une connaisseuse mais c'est la plus stylée de toutes.

Et sans doute la plus chère aussi.

Mon objectivité de fille inculte le touche en plein cœur. Il pose sa main dessus et m'adresse un regard ému.

— Toi, tu sais comment me parler.

Je pouffe de rire et nous enfilons les casques, prêts à rentrer. Avec un enchaînement de gestes familiers, il fait tourner les clés autour de son index, ferme son blouson en cuir puis enjambe la moto.

Lorsque je me positionne derrière lui, son téléphone vibre. Il vient de recevoir un message.

— C'est Kingsley, un de mes potes footballeurs américains. Ils ont gagné le match du jour et fêtent la victoire dans un bar. Il me propose de les rejoindre, tu m'accompagnes ?

Par-dessus son épaule, il me jette un coup d'œil et je ne sais pas quoi répondre. À part Brad, je ne connais aucun footballeur, sans oublier que j'ai horreur des nouvelles rencontres. Mais d'un autre côté, je ne vais pas cesser de songer à Gabriel et au silence radio dont il me gratifie une fois rentrée chez moi. Quel est le pire ?

— Je te suis. Chacun son idée pourrie, après tout.

Je finis par me décider sur une impulsion. Edward ricane, baisse sa visière et met le contact.

Dès que le moteur rugit, je passe les bras autour de sa taille et tente de ne pas regretter mon choix. Les amis de nos amis sont nos amis, n'est-ce pas ?

~~~

Grâce à une vitesse bien trop élevée, on parvient au QG des footballeurs en un temps record. Heureusement que son allure rapide ne me dérange pas, que je ne suis pas angoissée ou malade, car Edward ne respecte aucune limitation. Il ne sait pas rouler lentement.

— Merci pour l'envie de vomir, fais-je avec ironie en descendant. Et la syncope aussi.

Il se marre, remet la béquille et descend à son tour.

— C'est toujours un plaisir.

Mon casque enlevé, je secoue mes cheveux et regarde autour de moi. On est sur la côte de Wealthshire. En face, plein de restaurants aux néons colorés et des bars remplis en ce samedi. Derrière, le sable à perte de vue et un océan Atlantique sombre, endormi malgré un flot de chansons assourdissantes. Quelques mètres plus loin, je repère le parc d'attractions fermé en hiver, avec sa grande roue visible depuis le quartier français. Entre l'odeur du sel marin, la grande allée faite de planches en bois, plus le bruit des vagues qui me fait repenser à Gabriel et sa langue magique, ce lieu me plaît énormément.

— C'est super joli. On devrait y revenir l'été prochain.

— Grave. Ça me rappelle Los Angeles et la jetée de Santa Monica.

On trouve sans difficulté le bar appelé East Waves mentionné par Kingsley. Il est le plus animé du coin, avec ses nombreux fumeurs devant, sa musique rock qui déchire la nuit et sa façade rouge pétard. Edward et ses origines californiennes kiffent aussitôt le décor.

— Décidément, cette partie de la ville me ressemble beaucoup.

Il ouvre la marche et me tient galamment la porte. À l'intérieur, je tombe sur de larges canapés, un sol en damier, du mobilier style industriel et une tonne de jeux comme des babyfoots, des billards, des cibles de fléchettes ou encore des flippers. Il y a en vraiment pour tout le monde et qu'ils boivent, dansent, mangent un burger ou jouent entre amis, les clients ne font que rire. L'atmosphère est hyper cool.

— Mec, tu es venu ! Ça va ?

Soudain, un type à la peau noire et à la carrure gigantesque sort de nulle part. Il check Edward qui sourit jusqu'aux oreilles.

— Bien sûr ! Merci pour l'invitation et bravo pour le match !

Ravi d'être là, il lui fait une brève accolade. Kingsley — enfin je suppose — me remarque uniquement quand ils se détachent.

— Qui est cette belle inconnue ? Bethany a déjà été remplacée ?

Soupçonneux, il plisse les yeux. Edward secoue alors la tête en riant jaune. Il retient clairement un « pas encore ».

— Kingsley Burton, je te présente Hailey Clark, une amie. (Il se rapproche pour lui faire une confidence.) Fais gaffe, elle n'aime pas les compliments et les gens de trop bonne humeur non plus. Les fêtes encore moins, d'ailleurs.

Je le frappe avec mon coude, ce qui fait éclater de rire Kingsley. Assurément sponsorisées par Colgate, ses dents blanches me piquent les yeux.

— Si c'est un défi, je le relève !

Il me surprend en faisant un pas et je recule par automatisme.

— Tu fabriques quoi là ?

— Je te fais passer une excellente soirée !

Quand il m'attrape par les épaules, je me retrouve piégée. Minuscule comparée à lui, je ne peux rien faire contre sa musculature impressionnante. Sans blague, il fait le triple de moi, en largeur, en hauteur, en tout.

— Viens ma jolie. On va te présenter à mon équipe.

Je ferme les yeux et pousse un long soupir, vaincue sans même batailler. Dans quoi je me suis embarquée ?

— Au fait, Edward !

Il se retourne brusquement vers lui et je trébuche presque. Bordel, coincée par son biceps énorme, je suis comme une poupée désarticulée.

— Ouais ?

— Je ne savais pas que ton frère viendrait aussi. Il s'est pointé juste après mon texto.

Edward fronce les sourcils, son cerveau buguant grave.

— Attends... Quoi ?

Sa mâchoire tressaute et sans pouvoir me retenir, je lâche en même temps :

— Gabriel est ici ?

D'en bas, je vois Kingsley hocher la tête avec une mine coupable.

— Brad a invité Kyle, puis il a lui-même ramené Tyler et Gab. Désolé...

Dans tout mon corps, une vague de chaleur inonde mon sang. Il est dans la même pièce et apprendre sa présence réveille immédiatement chacune de mes terminaisons nerveuses.

— Suivez-moi, continue le footballeur américain. Pour m'excuser, je vous paye un coup à tous les deux.

~~~~~~

Parce que l'amitié Hailey / Edward est une relation que j'adore et que les scènes randoms font du bien des fois...

Puis on finit sur un petit suspens, une vieille habitude qui faisait ma marque de fabrique dans Le Phénix 😎

Charleen,
🖤

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