Chapitre 3 • Petit boulot
Aujourd'hui, cela fait une semaine que je suis arrivée à Wealthshire. Je me sens de mieux en mieux chez Joséphine, je commence à prendre mes aises dans sa maison et je ne m'excuse plus pour la moindre des actions que je fais sous son toit. Elle se montre tellement conciliante avec la fugitive que je suis récemment devenue qu'à force de passer mes dîners en sa compagnie, je lui fais tous les soirs de nouvelles révélations sur mes vingt années de malheur au Texas. Ainsi, nous faisons davantage connaissance et, à chaque anecdote qu'elle me raconte à son tour, mon estime pour cette femme téméraire et indépendante augmente.
Mon quotidien est rythmé par un emploi du temps plus que sympathique jusqu'à ce que je trouve un job étudiant. Chaque matin, je me lève de bonne heure pour arpenter les rues de la ville afin d'en connaître tous les quartiers et de déposer mon CV dans les boutiques en manque de personnel par la même occasion. Quant à mes après-midis, je les passe allongée sur le sable blanc, à me baigner dans l'océan Atlantique lorsque le soleil commence à faire rougir ma peau. Je profite de la saison estivale et de ces quelques jours de pure détente avant qu'une routine épuisante ne s'installe, combinant un travail mal payé et des cours intensifs à Bayford.
Les cloches de l'église n'ont pas encore annoncé qu'il était 10h, pourtant la chaleur est déjà écrasante dans les rues du quartier français que je traverse ce matin. Je me balade, mes écouteurs dans les oreilles et le chant des oiseaux en fond sonore, une pochette remplie d'exemplaires de mon CV dans le vieux sac à dos qui a fait office de valise la semaine dernière.
Pour la cinquième fois de la journée, mes yeux tombent sur les mots « Recherche employé(e) » affichés dans une vitrine. Malgré les nombreux refus que j'ai essuyé les matinées précédentes en raison de mon inexpérience, je franchi le seuil de The French Coffee Shop avec l'espoir de ressortir embauchée.
La salle n'est pas grande, les rares tables qui s'y trouvent sont toutes occupées et la file d'attente prend fin à un mètre de la porte. Je longe la rangée de clients impatients pour rejoindre le comptoir où un garçon de mon âge se dépêche de préparer les commandes que la vieille dame qui tient la caisse lui écrit sur un bout de papier. Il lève les yeux vers moi pour me rappeler à l'ordre.
— Désolé, je ne prends pas les commandes. Vous devez faire la queue, comme tout le monde.
Son ton n'est pas désagréable, il me tient juste au courant de la démarche à suivre pour avoir un café. Une mèche de ses cheveux bouclés et bruns lui tombe sur le front et son tablier est recouvert de petites taches humides.
— Je ne suis pas là pour prendre un café. Si je vous laisse mon CV, est-ce que vous pourriez le transmettre à votre employeur ?
Sur le badge accroché au niveau de son cœur est inscrit le prénom « Daniel ». Intéressé, il s'essuie les mains pour prendre la feuille que je lui tends et la lire en diagonale.
— Grand-père !
Une minute plus tard, un homme âgé sort de la réserve avec un carton dans les bras. Il dépose le stock de gobelets par terre et se présente brièvement.
— Bonjour. Je suis M. Shapiro, le propriétaire de The French Coffee Shop. Vous êtes ici pour le poste à pourvoir ?
Sa poigne est telle qu'il brise tous les os de ma main. Mises à part sa voix rauque et sa forte corpulence, il n'est pas si flippant que ça. Il a même une bonne tête.
— Moi c'est Hailey Clark. Oui, je cherche un emploi à temps plein jusqu'à la rentrée puis à mi-temps en période scolaire.
Il balaye la salle pleine à craquer du regard avant que ses yeux ridés ne se posent de nouveau sur moi. M. Shapiro hausse les sourcils, interrogateur.
— Vous seriez disponible pour faire un essai ?
Dans ma tête, je suis en train de danser la Macarena en plein milieu de son commerce. Tous mes efforts pour trouver un boulot portent enfin leurs fruits.
— Bien sûr. Quand ça ?
Il se baisse pour attraper l'un des tabliers rangés sous le comptoir et me le jette à la figure. Mon sentiment de victoire n'aura été que de courte durée.
— Maintenant.
*
Au bout d'une heure, je ne sais plus où donner de la tête tant mon cerveau a reçu d'informations en peu de temps. J'assiste Daniel à la préparation des commandes, qui me demande juste de mettre du sucre, une touillette, des serviettes et un porte-gobelet en carton dans chaque sachet marron pour servir les clients plus vite lorsque la file d'attente est trop longue. Mes gestes deviennent rapidement automatiques et je suis efficace dans la tâche qui m'est attribuée sauf que, quand l'affluence est en baisse, il prend le temps de me détailler la composition de tous les cafés proposés à la vente par ses grands-parents. Ouais, la mamie qui tient la caisse est la sienne.
Ils commercialisent une quinzaine de recettes différentes, sans parler des divers thés et des chocolats chauds sur lesquels les gens ont la possibilité de mettre un coulis. Je m'arrache les cheveux en réalisant que je suis incapable de retenir tous ces éléments d'un seul coup. Je n'aime même pas le café, ni le thé d'ailleurs, il n'y a que leurs chocolats chauds qui me mettent l'eau à la bouche.
— Tu fais tes études à Wealthshire ? Ton visage ne m'est pas familier. Je ne t'ai jamais croisée à la fac.
Daniel me tape la discute en m'expliquant comment l'une des nombreuses machines qui encombrent le plan de travail se nettoie. Si je ne le voyais pas que comme un membre de la famille de mon potentiel employeur, je le trouverais gentil et mignon.
— Parce que je ne suis pas scolarisée dans le public. Je vais à Bayford.
Il en fait tomber le chiffon noirci qu'il a dans les mains. Ses yeux exorbités me rappellent la chance que j'ai de fréquenter une université qui rivalise avec Yale, Harvard ou Princeton en termes de prestige.
— Mais... Pourquoi tu cherches un travail ? Tous les élèves de Bayford ont des parents richissimes.
— Tous sauf moi. En tant que boursière, je suis l'exception qui confirme la règle.
Il me félicite pour cet exploit, selon ses propres mots, et je lui demande de se livrer à son tour. Daniel mentionne son parcours scolaire orienté vers le journalisme quand la voix stridente de l'une des deux adolescentes guindées qui viennent d'être servies se fait entendre à travers la salle.
— S'il vous plaît ! Cette table est sale et il n'y a pas d'autres places assises !
Aussitôt, une éponge lancée par Daniel se dirige droit sur moi. Je l'attrape au vol.
— Je te laisse gérer les caprices de tes camarades de classe. Elles, c'est écrit sur leurs fronts qu'elles étudient à Bayford.
Je roule des yeux avant de traverser la petite salle jusqu'à la table où elles se sont installées. Elles sont en train de boire leurs cafés, les cheveux attachés en queue de cheval. Les brassards qui contiennent leurs téléphones sont accrochés autour de leurs muscles dessinés tandis que leurs jambes fuselées sont elles moulées dans des leggings noirs. Ça sent le cheerleading à plein nez. Il ne leur manque que des pompons dans les mains, à ces nanas au physique parfait.
— Si je me demandais pourquoi je ne venais jamais dans le quartier français, ce qui n'était pas le cas hein, j'aurais eu une réponse grâce à toi.
La blonde regarde le mobilier en bois avec une grimace. Être assise sur une chaise rustique, autant en termes d'aspect que de confort, n'est apparemment pas dans ses habitudes.
Malgré sa tenue de sport, une épaisse couche de maquillage recouvre son visage. Quel genre de personne se ravale la façade pour aller faire de la course à pieds avec une amie ?
— Tu fais tellement de manières, Fallon ! Moi, j'adore ce quartier. Ses boulangeries à chaque coin de rue et ses expositions d'art régulières me ramènent à Paris.
Un sourire communicatif étire les lèvres de la fille aux pointes de cheveux roses quand elle s'épanche sur son amour pour la culture française. Sa bouche pulpeuse, son nez fin et ses pommettes saillantes me rendent envieuse. Elle est canon.
— Excusez-moi.
Je les interromps pour nettoyer la table qu'elles occupent, sur laquelle il n'y a soit dit en passant que quelques miettes. Je devrais inviter cette Fallon dans mon ancien appartement, histoire de corriger sa définition erronée de la saleté.
— Il en reste une. Là.
Avec son index manucuré, elle me montre une dernière miette, que j'ai oublié de ramasser sur le bord de la table. Je pouffe de rire. Elle se fiche de moi, c'est pas possible autrement.
— Pardon ?
Je croise son regard exigeant et ses sourcils arqués me prouvent qu'elle est sérieuse. Elle m'a prise pour son chien ?
— Je t'ai dit qu'il restait une miette.
Elle répète en détachant les syllabes, comme si elle parlait à quelqu'un de profondément débile. Ou que j'étais sourde et que je lisais sur les lèvres, au choix.
— Fallon... T'abuses.
— Pourquoi ? Elle est payée pour ça. C'est son travail.
J'espère sincèrement que les étudiantes de ma future université ne sont pas toutes aussi agaçantes. Je risque de finir dans le bureau de la doyenne pour avoir déclenché une bagarre, sinon.
— Tu n'auras qu'à emmener ta gouvernante avec toi, la prochaine fois.
Je tiens à décrocher ce job étudiant alors je prends sur moi pour éviter de lui révéler que je ne suis même pas payée et que c'est un fichu essai. Au lieu de ça, je lui déconseille de se repointer ici d'un ton léger et je continue à faire l'hypocrite en lui adressant un sourire exagéré.
— Voilà. Problème résolu.
Lassée, celle avec des mèches roses passe sa main sur la table pour faire tomber la miette par terre. Elle me regarde d'un air désolé et je fais rapidement volte-face.
Je préfère mettre ma fierté de côté au fait de me faire virer dès mon premier jour avec pour motif « Hailey a insulté une cliente ». Déjà que j'ai du mal à trouver un boulot, je n'imagine pas la galère dans laquelle je serais après un tel incident.
— Je prends le fait de ne pas renvoyer l'image d'une élève de Bayford comme un compliment.
Je rends son éponge à Daniel, encore occupé à préparer les commandes, et je défais le nœud qui attache mon tablier. La phrase favorite des adultes, que j'étais pourtant certaine de ne jamais prononcer, sort alors de ma bouche.
— J'ai besoin d'un café.
~~~~~~
Fallon is the new Pénélope ! Je ne me voyais pas écrire une histoire sans bad bitch, je m'ennuierais sinon. Sorry not sorry.
La rentrée des classes aura lieu dans le prochain chapitre. Vous avez hâte d'enfin mettre les pieds à Bayford ?
Merci pour le 1k de vues !
Charleen,
🖤
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