Chapitre 24 • Une question de signature

La semaine commence mal ! Il est presque 8h, lundi matin, et cinq galères me sont déjà arrivées.

1. Mon réveil n'a pas sonné.

2. À peine enfilés, j'ai troué mes collants.

3. Le paquet de céréales a été terminé par Joséphine dans la nuit.

4. Faute de place assise, j'ai fait le trajet en bus debout.

5. Je suis une putain d'imbécile !

Ok, le dernier n'est pas très clair. Pour justifier ce reproche envers moi-même, j'ai écrit un message profondément bête dans le car. Plus que bête, irréfléchi et préjudiciable.

Je suis en train de marcher vers Bayford, arpentant le campus immense sous un froid quasi hivernal, et depuis que j'ai rédigé ce fameux texto, je lis ma conversation avec Edward en boucle, comme si les mots allaient disparaître, changer, ou que sais-je. Conversation qui fait deux lignes, soit dit en passant, je l'ai donc relue environ mille fois.

La raison ? Il m'a envoyé de bonne heure :

Jack m'a dit que tu étais passée vendredi soir. Tu n'es pas montée finalement et tu m'as pas reparlé de ça en boîte. Il t'arrivait quoi ?

Quand j'ai reçu ce message inattendu, le ventre hurlant famine et chancelant sur mes jambes dans le bus, c'était le problème matinal de trop. Et je passe le vieux collé à moi, dont l'aisselle transpirante effleurait mon front.

Inimaginable d'avouer la vérité : « Je suis allée voir le premier fils Prescott, le frère que tu détestes et avec qui je couche désormais. » Si insensé pour lui que Edward aurait pris la révélation comme une blague.

Décidément, je ne peux que haïr Jack Prescott. En plus de rendre Gabriel malheureux au quotidien et du mépris évident avec lequel il me regardait devant l'Impérial Palace, il se met à jouer les trouble-fête. J'imagine leurs expressions déconcertées, à Jack et Edward, lorsque ce dernier balançait ne pas m'avoir vue... Génial !

Alors, sur un coup de tête, j'ai pris une décision risquée : faire un quitte ou double. J'ai répondu le plus naturellement du monde :

Si, je suis montée au penthouse, mais tu n'étais pas là. Je cherchais à décompresser. J'étais blasée après ma semaine de cours intensive et je voulais me plaindre.

Dans l'ensemble, ça passe. Le tout est crédible bien que je n'aie pas encore fait une chose pareille. Mais le début ? Une connerie pure. Parce qu'aussitôt le texto envoyé, je me suis rappelée la discussion avec Jack : il m'a clairement dit que Edward était rentré. Voilà pourquoi je me ronge les sangs depuis.

— À quoi est due cette grimace ?

Soudain, Gabriel apparaît sur ma droite. Tant j'étais concentrée sur mes lamentations, mon sursaut ressemble à un bond et je manque de faire tomber mon portable dans les graviers.

— Tu as passé un si mauvais week-end que ça ? continue-t-il.

Je relève des yeux surpris vers lui et finis troublée par sa beauté, une fois de plus. Le soleil timide de fin octobre éclaire aussi bien l'herbe verdoyante que ses cheveux blonds, leur donnant une couleur semblable au miel, et il arbore un sourire taquin qui me rend immédiatement faible. Moi, j'ai couché avec lui ? Ce mec absolument sublime ?

— J'ai passé un week-end très banal, effectivement, surtout samedi soir. (Pour appuyer mes dires, je hoche la tête à plusieurs reprises.) Ouais, cette soirée avait rien d'exceptionnel.

Je rentre dans son jeu et abandonne mon téléphone, le remettant enfin dans ma veste. Impossible de supprimer le message, de toute façon ! Puis en ce lundi matin, je suis heureuse de voir Gabriel comme on l'avait prévu.

— Ah ouais ? (Il hausse les sourcils, faussement étonné.) Figure-toi que la mienne aussi... J'étais avec une nana sauf que, à mon grand regret, c'était un mauvais coup. Mais bon, elle avait cuisiné un truc délicieux, c'est déjà ça.

Mes pieds s'arrêtent net, dans un crissement fâcheux pour les oreilles. Le culot de Gabriel me laisse sans voix. Quelle enflure !

Ne me voyant plus à côté de lui, il se retourne et découvre mon visage choqué. Il éclate alors de rire.

— Le mauvais coup, il t'emmerde ! Et pour la centième fois, ce fichu « truc », c'est des quésadillas !

Je recommence à marcher, les jambes raides et tenant avec fermeté mon sac, ce qui accentue son hilarité.

— Je savais que cette partie t'énerverait davantage !

Je flanque à Gabriel un coup dans le bras quand je passe devant lui et on recommence notre promenade matinale jusqu'aux salles de classe.

J'aime ce moment, simple et pourtant complice, ainsi que le fait d'être prévisible. Il me connaît à force, apprend comment je fonctionne, sait de quelle manière je réagis, remarque les éléments déclencheurs... Ces détails peuvent sembler futiles mais en tant que solitaire née, je représente habituellement un mystère, installant une distance trop grande avec les gens.

C'est bizarre, non ? J'ai repoussé Gabriel pendant des semaines et ma garde désormais baissée, je suis incapable de faire un retour en arrière, de retrouver ma froideur initiale. Au contraire, je veux me rapprocher de lui autant que possible. Il y a encore quelques heures, je croyais naïvement qu'une fois suffirait, que ce serait la fin de notre attraction étrange, mais ce n'était que le début.

Comme moi, Gabriel est loin dans ses pensées car il ne dit rien. Il reste silencieux jusqu'à ce que nous entrions dans le bâtiment, quand une information lui revient en mémoire.

— Au fait, pour être totalement honnête, j'avais prévu de chercher un endroit tranquille et de t'isoler ce midi, mais un rendez-vous avec le kiné des Green Sharks s'est incrusté dans mon planning.

Oh ? Je regarde mes chaussures, prenant en compte qu'il souhaite déjà recommencer et tentant de contenir un sourire idiot. Moi aussi, j'ai envie de rejouer la scène, et vite. Lui et moi, allongés, nus et transpirants... Un scénario auquel je peux facilement m'habituer.

Si on m'avait dit ça un jour plus tôt, je me serais foutue de la personne en question.

— Tu es blessé ?

Il repère une certaine inquiétude dans ma voix et ça lui fait visiblement plaisir. Il se tourne vers moi alors qu'il gravit les escaliers, un rictus prétentieux aux lèvres.

— Non, c'est une simple vérification de routine. (Il me fait un clin d'œil.) Opérationnel pour te satisfaire, t'inquiète.

Je roule des yeux. Encore cet aspect hautain de sa personnalité... Il finit toujours par ressurgir !

— Alors comme ça, tu veux être un bon coup pour tes mauvais coups ? Quelle générosité !

— Plutôt de l'altruisme. (Il se rapproche de mon oreille pour me chuchoter la suite.) Puis, même si je voulais être aussi nul que toi, j'en serais incapable.

À l'entente de ces paroles, je loupe une marche et trébuche en me rattrapant à son poignet. Comment peut-il me tacler avec une voix si érotique ? Ses contradictions me font perdre l'équilibre !

— Et bien... (Je me redresse et lâche Gabriel pour monter le reste des escaliers.) Tu es vachement plus drôle lorsque tu as baisé.

Il se marre à nouveau tandis que nous atteignons la porte de notre salle, prêts à être séparés une durée indéterminée.

— Tu as raison. Avoir les couilles bleues, ça me rendait désagréable. Heureusement, tu es maintenant là pour y remédier.

Gardant un air malicieux, il se dirige vers leurs places attitrées, à Tyler et lui, tout au fond de la pièce, et je rigole toute seule à cette idée.

Je retire ce que j'ai dit. En fait, la semaine ne commence pas trop mal.

~~~

La matinée de cours se termine et à cause de son rendez-vous médical improvisé, Gabriel quitte la salle en premier.

Tandis que je finis de ranger mes affaires, mon portable vibre sur la table et je flippe en voyant une notification d'Edward apparaître. Ni une ni deux, je me rue dessus pour afficher le texto. J'attends sa réponse depuis quatre heures interminables.

Je devais être à la salle. La prochaine fois, téléphone avant de venir.

Au même instant, un nouveau message arrive et me soulage une bonne fois pour toutes.

Je suis devant le réfectoire. Magne-toi, j'ai faim.

J'ai vraiment été stressée toute la matinée pour ça ? Une excuse trouvée par lui-même et un « magne-toi » tout à fait banal ?

Je verrouille mon écran que je pose sur mon cœur en fermant les yeux. Mon corps entier se détend alors que je pousse un long soupir, finalement rassurée. Merci Seigneur !

— Vous priez en tout lieu et à tout moment, au Texas ?

La voix de Tyler interrompt mes pensées et j'ouvre aussitôt les paupières.

Autour de nous, notre trentaine de camarades part en vitesse rejoindre ses amis, mais pas le capitaine des Green Sharks. Il préfère m'observer en arquant un sourcil.

— Je viens de prononcer « Merci Seigneur » ? Genre, à voix haute ?

Il émet un rire bref avant de hocher la tête. Pour je ne sais quelle raison, son amusement me paraît faux.

— On dirait bien.

Je grimace en fermant mon sac. Oups. Je ne m'en suis pas rendue compte.

— Alors non, c'est juste moi qui suis bizarre.

Je hausse les épaules, pas si gênée que ça, et fais un pas chassé afin de ranger mon siège.

Prête à manger en compagnie d'Edward, je suis coupée dans mon élan quand Tyler pose nonchalamment une fesse sur ma table. Il m'empêche de passer, tendant sa jambe infinie, et je le regarde sans comprendre.

— Qu'est-ce qui te prend ?

Mes yeux passent de son visage fermé à sa cuisse qui me barre la route.

— Moi, j'en sais rien. (Il me jette un regard étrange avant de poursuivre sur le même ton.) Mais toi, je sais que c'est mon plus vieil ami.

D'accord...

Je suis encore plus dans l'incompréhension. C'est Gabriel, le sujet ? Plus spécifiquement le fait qu'on couche ensemble ? Mais en quoi ça peut le déranger ?

Tyler est sympa, ouvert d'esprit et il ne se prend pas la tête. Sans oublier que, à l'Upper Club, il ne semblait pas désapprouver notre rapprochement. Il nous a carrément laissés seuls ! De son plein gré, c'est important à rajouter.

— Effectivement. Je me tape Gabriel. (Je réponds franchement, l'air de rien et sans honte.) Et ? Ça te pose un problème ?

En toute franchise, cette discussion, je me serais plus imaginée la tenir avec Kyle. Je le vois davantage avoir un instinct protecteur. Avec sa jumelle, ils sont méfiants, ils gardent à distance les étrangers, ils ne se détendent qu'avec leurs proches, mais Tyler n'est rien de tout ça. En plus, il m'aime bien, je le sais et inversement.

— Que vous baisiez ? En soi, non. (Il se redresse et me toise d'un air grave.) Mais qu'il ait balancé toutes les combines de Jack ? Qu'il ait mis la famille de Victoria en danger par la même occasion ? Ça oui, beaucoup.

Je lève une main pour qu'il arrête tout de suite.

— Je ne compte pas les balancer, eux, leurs magouilles sans queue ni tête et leur manque cruel d'humanité. Jamais. À personne.

Pourtant je trouve qu'ils le méritent. Ils le méritent tellement, bordel. Sauf que ce n'est pas mon rôle ou mon droit. Ça ne me regarde pas, ce sont des histoires anciennes et personnelles. Puis je respecte Victoria et Gabriel, tout simplement.

— Alors pourquoi le contrat ne vaut toujours rien ? Pourquoi il est resté chez toi ? Pourquoi il manque ta signature ?

Cette fois, je plisse exagérément le front.

— Attends... Quoi ?

Et je comprends.

J'ai vu Gabriel ce matin et il n'a pas évoqué les documents signés. J'étais trop inquiète par rapport à Edward, je n'ai même pas capté. Quant à Tyler, il joue maintenant les bons potes et s'assure de ma loyauté. Ça me parait donc évident : le contrat et la preuve de ma fiabilité sont encore dans le pull. Moi qui voulait lui offrir une jolie découverte, j'aurais clairement dû lui remettre en main propre.

— L'accord de confidentialité, il...

— Je l'ai signé, Tyler. (Je le coupe et il se tait aussitôt.) Mais à son insu. Gabriel ne m'a pas vue le faire et j'ai mis les papiers dans son sweat. Je voulais que ça lui fasse plaisir en rentrant.

Il ouvre la bouche, la ferme, et ainsi de suite, dix fois au moins. Quand il réalise enfin, Tyler repose sa jambe par terre et se lève de ma table.

— Donc tu as signé ? Et tu as caché les documents ? Toi ? Pour lui faire une surprise mignonne ? À lui ?

Je hausse bêtement les épaules.

— Ouais.... Ton « plus vieil ami » ne risque pas grand chose avec moi.

Je mime les guillemets pour reprendre ses dires, quelque peu moqueuse, et il laisse parler son soulagement. Tout à coup, son expression change. Il cesse d'être le meilleur pote angoissé, sourit comme un imbécile et abandonne sa posture défensive.

— Putain, ce que je suis heureux ! (Face à moi, Tyler redevient lui-même, c'est très spécial à décrire.) Kyle m'a foutu le doute, pourtant je lui disais que tu étais sincère. Je sais depuis le premier jour, celui de la rentrée, que tu es une bonne personne.

Les paroles de Tyler me touchent. Voilà, il y avait bien un Montgomery derrière tout ça !

— Si ça peut le rassurer, je ne veux surtout pas faire d'histoires. Je suis nouvelle, j'ai travaillé dur pour intégrer cette université et je ferais tout pour y rester.

Perdre des millions ? Impossible, je n'en ai pas un seul. En revanche, ma place à Bayford, si.

J'ai eu cette réflexion dans le week-end : Jack Prescott a les moyens de tout remettre en question, même ça. Je ne risquerais pas ma scolarité, pour Gabriel ou n'importe quel autre type. C'est ma renaissance, ce pourquoi je me suis toujours battue, ma plus grande réussite et ma plus belle victoire.

— Parfait ! Je peux continuer à mettre Gab dans tes bras ! (Son moment d'euphorie passé, il réfléchit en se grattant le front.) Mais avant, il faudrait qu'il sache pour le contrat. Il fait genre de rien mais en vrai, ça le stresse. Jack a une énorme influence sur lui, plus qu'il ne le dira jamais.

J'acquiesce. Il a raison, je dois et je veux prouver à Gabriel qu'il peut avoir confiance en moi.

— J'ai une idée, enchaîne le brun. Notre équipe joue contre les Terriers de Boston mercredi soir. Viens au match, il est à domicile et tu pourras voir Gabriel après.

Je travaille au The French Coffee Shop mais c'est une bonne idée. Je viendrai après la fermeture, juste avant le coup de sifflet final.

— J'ai un truc de prévu mais oui. Je vais m'arranger pour être là, même si je débarque à la fin.

Avec ses lèvres pincées et sa moue à la fois choquée et approbatrice, Tyler me jauge de haut en bas, comme s'il ne me reconnaissait pas.

— Ah ouais... T'es aussi piquée que lui...

Je lève mes yeux au ciel, récupère mon sac et commence à me diriger vers la porte. Pitié, tout sauf ce genre de propos malaisants ! Et de toute façon, la conversation a suffisamment duré.

— Je suis loin d'être « piquée » ! crié-je sans me retourner, déterminée à fuir le sujet. Je change uniquement d'avis sur lui !

La voix grave de Tyler me parvient aux oreilles quand je rejoins le couloir vide.

— Bien sûr, Hailey ! Sa queue ne joue aucun rôle là-dedans !

~~~~~~

Désolée pour l'absence, je n'avais pas vraiment de motivation pour écrire, mais je suis enfin de retour ! Hailey et Gabriel ont encore plein de choses à vivre, j'étais obligée de finir par me remettre au travail...

Avant de vous laisser, je vous souhaite évidemment une bonne année. Je commence 2022 avec vous et j'espère la terminer ainsi.

Charleen,
🖤

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