Chapitre 15 • Amnésie

À 1h du matin, le Midnight Madness se termine enfin. Il fait grand nuit, les étoiles illuminent le ciel dégagé et je sillonne Wealthshire à pieds pour rejoindre la maison. Ça ne me dérange pas, la fraîcheur du soir et le calme des rues me détendent, moi et mes hormones, après une heure les yeux rivés au corps luisant de Gabriel.

Être attirant la peau couverte de sueur, ce n'est pas humain, et la vitesse de mon pouls quand je le regarde transpirer en jouant au basket non plus. Pourquoi me fait-il un tel effet ? À cause de la frustration ? Du fait que notre baiser ait représenté un excellent préliminaire ? Je suis ignoble de me poser ces questions, j'ai passé la soirée avec son demi-frère et Victoria, dont je tolère maintenant la présence. Une fois que j'ai embrassé son mec, ironique !

Alors qu'il me reste seulement quelques rues à traverser, la voiture que je suspecte depuis un bon moment de me suivre ralentit de plus en plus, se calant sur mon allure qui diminue à force de marcher. Lorsque je sors de mes pensées abjectes pour jeter un œil sur la droite, une statuette au bord du capot me rassure et me fait paniquer en même temps.

Sur le trottoir, mes jambes cessent de bouger, et le véhicule en fait autant. La vitre arrière descend pour laisser apparaître une expression dure, celle de Gabriel.

— Monte.

Sa voix est plus autoritaire que jamais tandis que mon cœur rate un battement, voire plusieurs, face à ses cheveux mouillés. Il sort tout juste de la douche post-effort incontournable et si cet ordre ne faisait pas s'hérisser mes poils, je resterais béate devant tant de perfection.

— Alors c'est toi qui me suis depuis la fac ? J'ai cru que tu étais un psychopathe !

Comme je ne lui obéis pas, il se pince l'arrête du nez. C'est plutôt à moi de faire la gueule, entre son couple bidon et le spectacle auquel je viens de participer !

— Monte dans cette voiture, Hailey.

Une partie de moi, sans vertu, sans morale, sans respect ni pour elle-même ni pour les autres, a vraiment envie de céder.

Assis derrière le volant, Bob ressent mon hésitation car il baisse la vitre conducteur.

— Cela fait de longues minutes que je roule à 10 km/h pour suivre votre rythme de marche. Je vous prie de compenser cette perte de temps et de carburant en accédant à la requête de monsieur Prescott.

Je roule des yeux face à ses cheveux blancs pleins de gel. Je suis aussi blasée que toi, mon vieux.

— Mon refus n'est pas contre vous, Bob. Je ne souhaite pas vivre les minutes suivantes de ma courte existence avec monsieur Prescott car elles sont trop précieuses. Et je suis prête à courir jusqu'à chez moi pour vous éviter le dérangement.

Le chauffeur de Gabriel est assez bien rémunéré pour ignorer mon sarcasme. De mon côté, je réunis le peu de volonté que j'ai pour éloigner la tentation personnifiée et continuer ma route.

— Il n'est pas du genre à laisser une quelconque option.

Preuve des mots avec lesquels Bob conclut, une portière claque et brise le silence retrouvé. Je n'ai pas fait dix mètres, ni le temps de me retourner pour voir si Gabriel me court après, que son imposante carrure me barre déjà le passage.

— Ne m'oblige pas à le répéter une troisième fois.

Je m'arrête net. Son apparition brutale me fait perdre l'équilibre, au même titre que sa beauté en cet instant. Il est vêtu du survêtement que portait son coach tout à l'heure, un jogging gris affublé du logo Green Sharks, et ces habits encore plus inattendus que son uniforme de basketteur rendent mes genoux flageolants.

— Laisse-moi passer.

Je fais un pas de côté mais, aussitôt, il reproduit mon geste.

— Non.

Je soupire et lui adresse un regard exaspéré.

— Je suis presque arrivée ! En marchant vite, il reste à peine trois minutes, une si je monte dans ta Rolls !

Je hausse le ton parce que je suis à bout de nerfs depuis vendredi, que je l'ai maté toute la soirée et que mon envie de lui commence à devenir aussi violente que problématique.

— Ok, je te raccompagne à pieds.

J'ouvre la bouche pour refuser, évidemment, mais il fait un signe de tête au véhicule stationné. Son moteur commence à ronronner de nouveau avant que ses phares ne finissent par disparaître. Non, non et non ! Je ne suis pas en mesure de contrôler mes actions, entre ma volonté de le gifler et de lui sauter au cou.

— Je vous déteste, Bob !

Je hurle sur le trottoir à l'intention de son employé mais ça ne le perturbe en rien, sa mine est toujours aussi fermée.

— Je te suis.

Il se décale et tend le bras pour me forcer à reprendre mon itinéraire. Comme si j'avais la moindre échappatoire !

Vaincue, je prends la décision raisonnable de l'ignorer et me remets à parcourir Wealthshire. Ça me demande une vraie lutte intérieure de faire comme si Gabriel n'était pas juste à côté de moi, comme si je ne sentais pas la chaleur de son être qui réchauffe le mien alors que je ne le touche même pas, comme si la tension qui émane de lui ne faisait pas buguer mon cerveau.

Après un temps de marche infime qui semble pourtant durer la nuit entière, nous arrivons devant chez moi. Je suis tellement impatiente de traverser la route déserte pour retrouver la paix de ma chambre que je pile et me tourne brusquement vers lui.

— Voilà ! Tu peux foutre le camp, maintenant.

Je désigne la maison, sur le trottoir d'en face, et il observe le bâtiment gris avant de poser sur moi un regard sévère. Il est plus tendu que lors de son arrivée, je le devine à sa respiration hachée qui n'est pas due à ses enjambées rapides mais à sa contrariété flagrante.

— Tu attends que je te remercie ? Genre, pour m'avoir raccompagnée ? Parce que tu vas attendre longtemps.

Je prie tous les Dieux afin qu'il se barre, qu'il libère mon champ de vision et surtout mon esprit torturé. C'est trop demander ? Je veux juste rejoindre mon lit et dormir pour échapper à cette réalité merdique dans laquelle je suis follement attirée par un mec en couple.

— Pas tout à fait, non.

Doucement, il fait un pas en avant, et scrute mon visage comme un animal sur le point de me bouffer.

— Et donc, tu attends quoi ?

Dès que je termine ma phrase, ses mains agrippent mes hanches. D'un mouvement fluide, il me plaque contre le mur du vieil immeuble à côté duquel nous parlons et mon souffle se coupe lorsque mes omoplates heurtent la façade.

— Gabriel, qu'est-ce que tu fais ?

Ma voix est beaucoup moins assurée, cette proximité soudaine fait disparaître une grande partie de mes convictions. Je suis désormais coincée entre son torse musclé et la brique, avec une odeur de savon masculin qui chatouille mes narines.

— On n'a pas fini notre dernière conversation.

— Inutile. Quoi ajouter de plus ? Tu sors avec Victoria, fin.

Tant bien que mal, je garde le cap que je me suis fixée, dans mon intérêt et le sien. Il fronce les sourcils et augmente la pression de ses doigts autour de ma taille.

— Tu continues à jouer les amnésiques, hein ?

Je lui réponds avec un hochement de tête. Oublier est la meilleure chose à faire.

— Comment se fait-il que malgré les litres de champagne j'ai la mémoire intacte et toi, aucun souvenir ?

— Parce que ce baiser t'a marqué alors que moi, pas du tout ?

Je ne sais pas où je trouve cette répartie et la force de balancer un tel mensonge. Le regard que Gabriel me lâche est clairement une insulte.

— Étonnant, vu à quel point tu gémissais dans ma bouche.

Ma respiration se coupe une fois de plus. Il me déstabilise et je refuse que cet infidèle y arrive, grâce à ses caresses ou à ses paroles.

— Tu as peut-être confondu mes gémissements avec les tiens. T'es bruyant, pour un mec.

Mon enchaînement de piques lui tire un ricanement que je sens balayer mon visage. À ce moment-là, je suis capable d'entendre ses pensées : « Je vais la niquer, au sens propre, et j'ai hâte car je sais déjà qui fera le plus de bruit. Hailey, sans le moindre doute. »

— Tu as recouvré la mémoire, finalement.

Je ferme les paupières, réalisant ma connerie et donc sa victoire. Une défaite supplémentaire en quelques minutes.

— On était d'accord pour ne jamais en reparler.

Et sincèrement, ça m'aiderait que Gabriel respecte cette décision. Depuis ce moment incroyable, je me fais violence pour ôter sa bouche affamée de mon souvenir, mais chaque tentative est un fiasco.

— Reparler de quoi, exactement ?

L'une de ses mains vient se glisser dans ma chevelure, puis se refermer à l'arrière de ma tête, comme vendredi soir.

— De ça ?

Je déglutis, aussi perturbée par le fait qu'il me tire les cheveux que par ses yeux bleus qui fouillent les miens. Je ne contiens pas un léger tremblement et le responsable n'est pas le vent qui fouette mes jambes nues.

— Ou peut-être de ça ?

Il se rapproche, prêt à m'embrasser une seconde fois, et je me détourne avant que ses lèvres ne touchent les miennes. Le mouvement que je fais, simple à première vue, est intérieurement le plus compliqué que j'ai fait depuis longtemps. Je ne lui dis pas seulement non avec une phrase mais une action désespérée, ce qui a un effet immédiat sur lui. Il me lâche et recule.

— Ah ouais, carrément ?

Bien que je respire un peu mieux, j'ai un violent pincement au cœur face à sa moue choquée et vexée.

— Ouais, carrément.

Je reste contre le mur, haletante alors que Gabriel essaye de se canaliser. Mais la scène prend une autre tournure, désastreuse, quand Joséphine se gare dans la rue.

C'est la panique. Je ne sais pas à quoi ressemble mon expression, si ma frayeur est perceptible. Je suppose que oui car je perçois le regard interrogateur du blond avant qu'il ne se tourne pour savoir ce qui retient mon attention.

Plus angoissée que jamais, je prends une initiative regrettable, la seule qui sur le moment paraît efficace. Joséphine est sur le point de rejoindre la maison dans laquelle je lui ai dit habiter ! Déterminée à garder mon secret, je pose une main derrière sa nuque, me hisse sur la pointe de mes chaussures et plaque vivement ma bouche contre la sienne.

Sous le choc, il reste figé un instant, mais cet état de paralysie ne tarde pas à se dissiper. La surprise remplacée instantanément par un enthousiasme débordant, Gabriel me rend le baiser avec une fougue telle que mon dos se retrouve de nouveau plaqué contre le mur. Il ne laisse pas un centimètre entre nos hanches qui se percutent.

— Je préfère ça.

Il murmure dans un râle, les paumes autour de mes joues, et je ne retiens pas un son de plaisir quand sa langue touche la mienne, ce qui le fait geindre à son tour. Nous sommes définitivement bruyants et j'adore ça.

Je suis tellement absorbée par lui et son torse massif contre lequel est serrée ma poitrine que je ne me sens pas coupable. Lorsque, à chaque inspiration, mes seins touchent ses pectoraux fermes, j'oublie les raisons pour lesquelles je ne devrais pas faire ça et surtout celle pour laquelle je suis en train de le faire. Joséphine, mes piètres origines, ma fausse identité... Tout disparaît au profit de Gabriel et des sensations exquises que nos lèvres réunies me procurent.

— Moi aussi...

Guidée par une frustration enfin assouvie, je ne reprends pas mon souffle et continue à l'embrasser. Ma vie en dépend car là, tout de suite, c'est notre baiser passionné mon oxygène.

Mes doigts se perdent dans ses cheveux encore humides tandis que sa main empoigne avidement ma fesse. Il me rapproche de lui en passant ma jambe autour de sa taille et je sens la preuve de son excitation contre mon ventre, à travers son jogging pourtant épais. J'ai envie de le toucher avec mes doigts, de le rendre fou avec ma bouche, de le sentir en moi.

C'est trop. Le sentiment d'urgence que je ressens est trop puissant, trop inédit, trop dangereux. Il faut que je mette un terme à ces pulsions tant que j'en suis capable.

— Gabriel, arrête.

Je ne fais que bredouiller contre ses lèvres insatiables, sans pour autant cesser de les embrasser. C'est ma tête qui résiste, mon corps, quant à lui, ne veut pas arrêter.

— Pourquoi ?

Parce que je voulais seulement détourner ton attention, parce que je flippais à l'idée que tu remarques Joséphine, parce que...

— Parce que tu as une copine.

Et on poursuit cet échange de salive comme deux gamins inconscients qui ne réussissent pas à se détacher l'un de l'autre.

— J'ai pas de copine.

Mais à l'entente de ces paroles, mon désir perd en intensité et j'attrape Gabriel par les épaules. Il raconte quoi, là ?

— Pardon ?

Il résiste en déposant quelques baisers mouillés dans mon cou. Je suis assez chamboulée pour me laisser faire.

— Je... n'ai... pas... de... copine.

Entre chaque mot, il fait un bisou à ma peau rougie par ses nombreux assauts. Puis il revient sur ma bouche, du moins il essaye, car je retrouve mes esprits et le pousse avec détermination cette fois.

— Comment ça ?

J'ai passé la soirée avec Victoria, dont le moral était au beau fixe, et la plupart de leurs amis communs. S'ils avaient brutalement rompu, je l'aurais su pendant le Midnight Madness.

Face à mon changement de ton, il se redresse. Gabriel passe ensuite la main dans ses cheveux, un tic nerveux lorsqu'il ne sait pas quoi dire.

— Tu poses trop de questions.

— J'en ai posé une seule, très légitime.

Je croise les bras sur ma poitrine en signe de rébellion et tente de ne pas baisser les yeux sur le renflement visible au niveau de son entrejambe. Un gros renflement qui me fait de l'œil.

— Légitime ? (Il a un rire mauvais.) Légitime de quoi ? Je ne te dois rien.

— Je suis complice de ton infidélité. Bien sûr que tu me dois une explication quand, sorti de nulle part, tu balances être célibataire.

— Je... Laisse tomber

Il se débat avec lui-même, prêt à me répondre avec franchise et optant pour le silence au dernier moment. Que se retient-il d'avouer ?

Finalement, il tire sur le bas de son pull et, le souffle toujours irrégulier, braque un regard agacé sur mon visage.

— Tu sais quoi, Hailey ? Oublie ce baiser et le précédent, continue à jouer les amnésiques. Ça nous fera à tous les deux prendre moins de risques.

Sur ces mots, furieux et résigné, il me tourne le dos. Oui, il se barre, à grandes enjambées même. C'est quoi, son problème ?

Lorsque je m'éloigne de la façade, encore sous le choc, il est déjà au coin de la rue. Passée de la joie à la confusion en un rien de temps, je suis maintenant aussi énervée que lui.

— Tu es un putain de lâche, Gabriel Prescott ! Et une allumeuse, par la même occasion !

Je hurle à en faire sursauter tout le voisinage endormi mais il ne se retourne pas.

Dans mon esprit, ses paroles insensées et son attitude contradictoire tournent en boucle, sans que je ne parvienne à les comprendre. Je ne suis apparemment pas la seule à garder des secrets.

~~~~~~

De plus en plus d'action et de mystère !

Hailey a du mal à résister au charme de Gabriel... Vous avez apprécié ce deuxième rapprochement ?

Charleen,
🖤

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