Évidemment, mercredi soir, Joséphine me force à participer au Midnight Madness. Pire encore, cette sadique m'oblige à porter des fringues aux couleurs des Green Sharks. Je n'exagérais pas : elle adore me pousser dans mes retranchements et me faire dépasser mes propres limites !

Résultat, il est 23h40, j'ai un sweat vert et je découvre le complexe sportif de la fac avec Edward. Je n'ai jamais vu Bayford comme je la vois à cet instant, de nuit, effervescente, habitée par une agitation et une énergie spéciales alors que ce n'est pas un match important, juste un entraînement. Des centaines de personnes surexcitées entrent dans le bâtiment en même temps que nous, toutes vêtues de noir et de vert qu'elles soient professeurs ou élèves. Certaines ont du maquillage assorti sur la joue, d'autres un drapeau entre les mains, et un bruit monstre émane du terrain que nous sommes en train de rejoindre.

— Je n'arrive pas à croire que je suis là ! Encore moins que c'est à ta demande ! Je pensais que tu voudrais te montrer ici autant que moi, c'est-à-dire pas du tout !

Edward crie pour se faire entendre malgré le brouhaha.

— J'ai trop ignoré Victoria depuis mon arrivée pour lui refuser ça ! Je te rappelle que je me coltine un mentor, je ne suis pas une privilégiée comme toi !

Volontairement, j'omets le nom de Joséphine, et je lui mets un petit coup dans les côtes avec mon coude.

— Je reconnais qu'être un Prescott a des inconvénients mais aussi de nombreux avantages !

Pour une fois, je lui envie sa position dans la hiérarchie sociale. Grâce à Jack et son influence, il esquive cette habitude de mettre dans les pattes des nouveaux élèves une sorte de guide personnel.

— Tu m'as littéralement dit « je te revaudrai ça » après la fête et le grand ménage ! Cette occasion est parfaite !

— Ouais, je te le dois bien, mais je ne suis pas enthousiaste à l'idée de regarder Gabriel jouer au basket toute la soirée !

Moi non plus !

Quand nous arrivons enfin sur le terrain, nous sommes choqués par l'euphorie et l'ambiance particulières qui y règnent. La salle est immense, les rangées de gradins se comptent par dizaines et un monde fou est déjà assis, prêt à inaugurer la saison de basket universitaire. Je me retrouve avec un nombre incalculable d'étudiants qui bavardent, rigolent et chahutent en attendant le début des festivités et, contre toute attente, la positivité que dégage cet endroit me tire un sourire.

Les enceintes diffusent une musique commerciale afin de faire patienter et je repère immédiatement les pom-pom girls en train de se regrouper. Tandis que Fallon motive son équipe dans sa tenue ajustée de cheerleader, la voix reconnaissable de Victoria m'arrête dans mon étude des lieux.

— Hailey !

Je me tourne vers elle, assise dans la première rangée de gradins, qui me fait un grand appel du bras.

— Je te préviens, tu ne bouges pas de la chaise juste à côté de la mienne une seule fois, même si t'as le besoin urgent de pisser !

Du regard, je lance à Edward un avertissement explicite. Il rigole avant de hocher la tête.

— Heureusement que j'ai une bonne vessie !

Je gravis une seule marche, Gabriel relégué au fond de mon esprit, et m'installe aux côtés de sa petite amie. Tout sourire, elle se décale pour faire une place à Edward.

— Je n'étais pas sûre que tu accepterais mon invitation ! C'est génial que tu sois finalement venue ! Accompagnée, en plus !

— Le mot « génial » n'est pas vraiment adapté... ronchonne Edward en posant ses fesses.

Quelques minutes à échanger des banalités plus tard, Kyle débarque avec un mec baraqué et se cale à la gauche de Victoria. Il remarque ma présence et surtout celle d'Edward, puis hausse exagérément les sourcils.

— Depuis quand tu sympathises avec l'ennemi, Vicky ?

— Avant de représenter un ennemi, c'est un membre de la famille ! Sois un minimum gentil pour une fois, le Midnight Madness est un jour de fête.

Elle se penche en avant pour voir le pote costaud de Kyle.

— Brad, tu sais déjà qui est Edward mais tu ne connais pas Hailey, une nouvelle élève ! Hailey, je te présente Bradley Walker, le quaterback de l'équipe de football.

Voilà qui explique sa carrure imposante... Brad, avec ses cheveux châtains et son sourire éclatant, m'adresse un signe de la main.

— Autrement dit, la star de cette université si le basket n'était pas une religion à Wealthshire ! Enchanté, ma belle !

Je lui rends son geste mais pas son expression aguicheuse. Ce mec empeste la testostérone à plein nez et je me rappelle soudain de lui. Il avait prêté du feu à Raphaëlle, un jour, et il avait ensuite déshabillé son corps magnifique du regard avec ses coéquipiers. Mais elle l'aime bien, donc je fais abstraction de mes conclusions hâtives.

— Quand Kyle n'est pas avec nous, il fait les 400 coups avec Brad, me précise Victoria.

Ce gars est important dans la vie étudiante de Bayford, je le devine à sa popularité. Comme nous sommes installés au premier rang, la moitié des gens qui passent devant nous le saluent avec enthousiasme. Ah, le mythe du sportif a la vie dure ! Quaterback, en plus !

Je suis arrêtée dans mon constat lorsque mes yeux tombent par hasard sur Joséphine, assise au milieu des profs de l'autre côté du terrain. Elle lève ses pouces afin de m'encourager, un grand sourire aux lèvres en me voyant très entourée, et je me retiens de lui faire un doigt car elle m'a quand même obligée à participer.

— Au fait, Edward ! Pas mal le coup de la stripteaseuse ! lance Kyle. Vicky en a fait des cauchemars !

Il lui met un léger coup avec son épaule et Victoria écarquille les yeux à ce souvenir mémorable.

— Oui, je ne te remercie pas ! La vision de cette fille nue sur le pallier m'a traumatisée !

Edward se marre et je fais pareil en me remémorant tous les sales coups élaborés par Gabriel et lui dans le cadre de leur « guerre ».

— Je suppose que Gabriel s'est procuré la beuh cachée dans mon sac grâce à toi ! répond Edward à l'intention de Kyle. T'aurais pu me faire virer de la fac, mec !

Sa réputation est méritée, Kyle Montgomery a vraiment des contacts en tout genre.

— Je suis un ami fidèle, loyal et dévoué...

Une main sur le cœur, il déclare sans excuse et sans dire non plus que, si Edward avait risqué une exclusion, il aurait plaidé sa cause face à la doyenne. Victoria pousse un soupir.

— Rassurée que ce soit fini ! Vous commenciez tous les deux à partir trop loin !

Maintenant que Fallon a terminé son discours, les pom-pom girls motivées font un cri d'équipe. Toutes reprennent leurs étirements, dont Raphaëlle qui fait un grand écart impressionnant, et la voix grave de Brad porte jusqu'à elle.

— J'adore ta souplesse, bébé !

J'attends sa réponse, un pique ou au moins un regard noir, mais elle se redresse simplement pour lui faire un clin d'œil racoleur. Qu'est-ce que ça signifie ? Elle couche avec Brad ? Et Tyler, alors ?

— Tu sais tout ce qu'elle me permet de faire... lui susurre Raphaëlle en venant à notre groupe bizarre. Hailey, je suis contente de te voir au Midnight Madness !

Je lui retourne un franc sourire au moment où Fallon arrive derrière elle.

— Depuis quand tu sympathises avec l'ennemi, Vic ?

Ses traits interrogateurs en découvrant Edward font écho à ceux de Kyle plus tôt. Une vraie paire de jumeaux.

— Avant de représenter un ennemi, c'est un membre de la famille ! répète Victoria.

Edward tique au mot « famille ». Une grimace déforme alors son visage et donne à Fallon une occasion pour le dénigrer.

— Moi non plus, je ne m'y suis pas encore faite !

— Pourtant, comme moi, tu es forcée de l'accepter. (Un instant, leurs regards se défient.) Quel accueil, en tout cas ! J'ai bien fait de venir...

Il termine sur une voix ironique qui m'est directement adressée. Oups.

— Comment va ton nez, au fait ?

Incapable de ne pas avoir le dernier mot, Fallon pose une question énigmatique. Je me tourne vivement vers Edward dont les mâchoires se contractent tandis que je lorgne son nez à la recherche d'un indice.

— Il a quoi, ton nez ?

Edward se dérobe à mon inquiétude pour répondre au menton levé de Fallon.

— Mon nez ? Il va très bien. Contrairement à toi, il reste à sa place.

Elle ouvre la bouche, choquée par son audace, et il reprend.

— Pour ta gouverne, ne pas habiter les beaux quartiers, protégés par des liasses de billets, c'est vivre dans la réalité et quelques fois se prendre des mauvais coups.

Je tente de comprendre. Les frères Prescott en sont venus aux mains ? Quand ? Où ? Pourquoi ?

— Ils expérimentent déjà les bagarres fraternelles, rien de tel pour nouer des liens ! Pas vrai ? demande Kyle à Fallon, moqueur.

— C'est mon quotidien par ta faute ! Mais on a partagé le même ventre, inutile de nouer encore plus de liens !

— Tu me fais de la peine, Margaret...

Margaret ? Original, le surnom.

— Y'a-t-il dans les environs une seule famille avec des relations non conflictuelles ?

Au moment où Raphaëlle finit de parler et rigole, un coup de sifflet me perce les tympans. Un bel homme de quarante ans, portant une casquette et un survêtement homologués Green Sharks, crie sur Tyler qui entre dans la salle en tenue de basket. Pressé, il récupère en vitesse son portable, oublié sur le banc des joueurs à proximité.

— On dirait que non !

Dès que Raphaëlle se répond à elle-même, je devine que cette personne est Andrew McKinley, coach de l'équipe de basket et père de Tyler. Leurs visages ne se ressemblent pas vraiment, mais leurs silhouettes interminables et musclées sont toutes les deux entretenues pour faire du sport à haut niveau.

Malgré sa casquette, je distingue la sévérité dans son regard ainsi que la détermination qui émane de lui. Même d'où je suis, alors que ce n'est pas moi qui a été réprimandée, je trouve le coach intimidant.

— McKinley, aux vestiaires !

Tyler hoche sagement la tête, prêt à déguerpir avec son téléphone, lorsqu'il repère Brad et gueule.

— Qu'est-ce que tu fais là, Walker ? T'es venu me piquer des Sharkies ?

— C'est les Sharkies que tu as peur que je te vole ou Raph ? (Brad marque une pause, un sourire fier étire ses lèvres.) Merde, c'est déjà fait !

Tyler rit clairement jaune. Il est sur le point de renchérir mais Andrew siffle une deuxième fois, alors il sort en balançant :

— T'inquiète, tu seras quand même invité à notre mariage !

— Ce mec est fou...

Tandis que Brad ricane en secouant la tête, Kyle interpelle la pom-pom girl aux cheveux roses.

— Tu vas continuer encore longtemps à lui briser le cœur ?

Raphaëlle se contente de hausser les épaules quand tout s'éteint, de la musique commerciale aux énormes spots lumineux.

— C'est normal ou il y a un problème ?

Devant ma naïveté, Victoria émet un rire. L'hôpital se fout ouvertement de la charité.

— Que le show commence !

J'entends le ton prêt de Fallon, le bruit de ses pas avec ceux de Raphaëlle qui s'éloignent, mais surtout les cris du public impatient et les chaussures qui tapent avec force sur les gradins.

Un gigantesque panneau digital sur le mur du fond affiche l'heure en rouge. 00h00 se met à clignoter, les néons blancs se rallument et la fanfare entre sur le terrain. Elle fait presque suffisamment de raffut pour couvrir les hurlements des élèves mais ils redoublent quand une armée de cheerleaders rejoint les musiciens en herbe pour offrir un show absolument exceptionnel.

Menée par une Fallon impressionnante avec ses gestes précis et la confiance qu'elle dégage, son équipe multiplie les sauts périlleux et les déhanchés sur une chorégraphie qui est l'œuvre de Raphaëlle. En voyant de mes yeux la beauté du spectacle, l'effort fourni et à quel point les gens sont captivés, je retire instantanément mes préjugés. C'est un sport !

Leur représentation terminée, elles se mettent devant la fanfare et agitent leurs pompons. Les percussions entament un autre rythme, plus vif, et un requin à taille humaine que je devine être la mascotte des Green Sharks arrive sur le terrain, guidant les stars de Bayford : une quinzaine de basketteurs en tenue verte. Tyler est le premier que je repère, il salue la foule avec une excitation non dissimulée pour sa première sortie officielle en tant que capitaine, visiblement fou de joie. Sous les quasi gémissements de leurs fans, les joueurs au grand complet font un tour pour se montrer, eux, leurs sourires et leurs muscles dessinés.

Au milieu du boucan infernal, mon regard finit par tomber sur une chevelure blonde, et voir Gabriel parader dans un tel accoutrement, lui qui est toujours habillé avec beaucoup de soin, rend ma bouche aussi sèche que le désert. Entre son maillot « Prescott », son foutu short fluide et les images obscènes qui jaillissent dans ma tête, découvrir sa peau nue m'excite comme une apprentie Sharkies. Victoria est juste à côté, bordel !

Inévitablement, Gabriel passe devant moi, et ses yeux me remarquent avec une facilité déconcertante parmi les étudiants. Aussitôt, le beau sourire qui illuminait son visage disparaît, remplacé par une expression surprise mais aussi contrariée. Est-ce ma simple présence, la cause de son agacement ? Ou le fait que je sois installée entre sa petite amie et Edward ?

Il bloque une longue seconde, trop longue, avant de recommencer à sourire pour continuer son tour de piste et flatter le reste des spectateurs. Quant à moi, je ris toute seule en apercevant le numéro qui occupe son dos. Le numéro un, bien sûr.

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Qu'est-ce que j'aime les chapitres où tous les persos sont réunis ! Surtout dans l'ambiance d'un événement comme celui-là 🥰

Qui est votre personnage secondaire préféré ?

Charleen,
🖤