Chapitre 13 • La perfection incarnée
— Pour ça, il aurait fallu que tu sois un jour titulaire.
Je me demande vraiment ce que Gabriel fiche ici, au milieu du couloir, juste devant moi. Alors que je me préparais à entendre des menaces inutiles — comme si je voulais avoir des problèmes un mois après la rentrée et me coller sur le front une étiquette « briseuse de couple » — il ne m'a pas du tout intimidée. Au contraire, il parle tranquillement de notre baiser et ça renforce ma fureur contre lui déjà solide.
— Suite à mes performances, je mérite amplement le titre, non ?
Bordel, j'aurais pu éviter cette discussion.
Je venais de passer quatre heures à sentir le regard de Gabriel braqué sur moi, à me tordre sur ma chaise au souvenir de ses lèvres contre les miennes qui enflammait le bas de mon ventre. En me ruant vers la sortie, je suis violemment rentrée dans un mec, tant j'étais pressée de m'éloigner de lui et par la même occasion des images brûlantes qui accaparaient mon esprit. J'étais désorientée, complètement ailleurs — dans cette fameuse salle de bain — lorsque je me suis pris un type, mon corps lancé à grande vitesse. Si je n'avais pas été dans un brouillard épais de cheveux blonds et de yeux couleur océan, j'aurais pu éviter cette discussion.
— Je m'en souviens pas, désolée.
Un bobard énorme, carrément plus gros que moi. Je me rappelle de chaque soupir, chaque pression de sa main entourant ma cuisse, chaque passage de ma langue à l'intérieur de sa bouche. Sauf que Gabriel a une copine, qui n'est certes pas la seule raison pour laquelle je repousse ces sensations inopportunes mais la principale.
Au même instant, la personne en question se matérialise à ses côtés et lui fait un rapide bisou.
— Bonjour mon chéri !
Je fixe un point devant moi pour ôter cette vision indésirable de mon cerveau, leurs bouches jointes alors que vendredi c'était moi à la place de Victoria, mais aussi pour contenir le dégoût, les remords et peut-être même la jalousie qui accompagnent une rancœur prédominante.
— Coucou Hailey, tu vas bien ?
Je me contente de hocher la tête, les yeux toujours rivés sur la fenêtre au bout du couloir, le temps de reprendre le contrôle de mes sentiments.
— Tu lui as dit quelque chose de spécial ?
— Non, je lui rappelais juste ses exploits du week-end.
Je me détourne enfin pour fusiller Gabriel du regard. La colère occulte de nouveau tout le reste, cette émotion que je connais à la perfection et que je suis donc capable de gérer. Il est taré, ma parole !
— Ah, la fête interrompue ! Tu as bien fait, Hailey. Il était temps de mettre un point final à ce jeu malsain entre les frères Prescott.
Par je ne sais quel miracle, ou juste à cause de sa naïveté, elle ne voit pas le sens caché. Je retiens un « ouf » de soulagement.
— Merci ?
Gabriel roule des yeux avant de se tourner vers sa petite amie.
— Il faut que je parte, Tyler est déjà au café. Tu viens ?
Il se décide à me foutre la paix et incite Victoria à faire de même en pressant son omoplate.
— Non, je parle rapidement à Hailey et je vais manger avec Fallon.
Les yeux de Gabriel passent de son visage au mien comme une balle de tennis en plein match. Est-ce que Victoria sait ?
— Ok.
En tout cas, il ne stresse pas autant que moi car il part sans la convaincre de venir, sans même essayer. Ok, c'est tout ?
— Bon appétit à toi aussi !
Victoria crie avec ironie, habituée à ce manque flagrant d'attention. Soit ça, soit elle s'en fiche. Ils sont tous les deux grave bizarres.
— Tu es seule à la pause ?
Elle me questionne avec le sourire bienveillant dont elle ne se lasse jamais et la culpabilité que je ressens à cet instant affaisse mes épaules tendues. Victoria est foncièrement gentille, elle ne mérite pas de se faire tromper, bien que personne ne le mérite.
— Non, je déjeune avec Edward.
Elle ne juge pas mes fréquentations et hoche simplement la tête face à mon second refus de manger avec elle.
— Votre amitié est une bonne chose, pour lui comme pour toi. Quant à Raph, ton côté farouche lui plaît beaucoup. Je suis forcée de reconnaître que tu parviens à t'intégrer sans mon aide.
Il y a un certain regret dans sa voix. Moi qui ne lui permettais déjà pas de jouer les mentors, son rôle attitré, je vais maintenant encore plus la tenir à distance.
— Je ne suis appréciée que par deux élèves, ce n'est pas vraiment « parvenir à s'intégrer ». Trois, en comptant Tyler, mais ça me suffit, je n'ai jamais été très entourée.
À chaque déménagement, je me privais de tisser un quelconque lien avec mes camarades, sachant que je finirais par quitter ma nouvelle école. Loin de ma mère et de ses démons, je commence à le faire, mais progressivement.
— Quatre, en me comptant moi. Je t'aime bien.
Je me force à lui sourire parce que, bon sang, Victoria ne dirait pas ça si elle était au courant.
— Je ne sais pas comment tu fais pour bien aimer tout le monde.
Je suis dans l'incompréhension mais admirative.
— Je me concentre sur le bon côté des gens. Ils en ont tous un.
Tandis que Victoria hausse les épaules, je lâche un ricanement amer. Elle fronce les sourcils devant ma réaction.
— Je ne me moque pas de toi. C'est juste que, personnellement, je me concentre sur le mauvais côté des gens. Ils en ont tous un.
Bientôt trois mois que j'ai fui le Texas et ne plus vivre avec mon beau-père, autrement dit le mal incarné, me rend de plus en plus optimiste sur la nature humaine. Néanmoins, cette méfiance est trop ancrée pour disparaître.
— Alors c'est ça, la raison pour laquelle tu ne m'aimes pas ? Tu réussis à voir en moi la part sombre que je cache tellement bien aux yeux des gens ?
À son tour de rire jaune. Je fais un pas en arrière, comme frappée dans l'estomac par sa question. Entendre Victoria dire que je ne l'aime pas, ça me surprend. Pas si naïve, finalement.
— Non, du tout. Je... Je ne dirais pas ça, que je ne t'aime pas, simplement que je t'évite. Et pour la raison inverse.
J'hésite à continuer sur ma lancée. Parce que je ne sais même pas comment le formuler, parce que ça signifie m'ouvrir un peu à Victoria, parce que j'ai embrassé son copain il y a deux jours. Mais, dans une tentative lamentable pour me racheter et compenser le fait que je lui mens déjà suffisamment, je choisis d'être honnête.
— Je ne vois que ta part lumineuse car il n'y a rien de sombre en toi. Tu es adorable, bienveillante, sans le moindre vice, et cette sincérité me rend mal à l'aise. Je ne suis pas habituée aux gens bons, j'en ai fréquenté des trop mauvais.
Elle cherche dans mes yeux des réponses à toutes les questions qui viennent de naître simultanément dans sa tête. Mais elle est assez intelligente et bien sûr, assez charitable, pour se les garder.
— Je suis loin d'être aussi parfaite mais je te remercie. Ça me touche. (Elle a une main sur le cœur.) Sache que je ne cherche pas à te brusquer, ni à te faire rencontrer plein de monde contre ta volonté, mon but est juste que tu sois heureuse de venir à Bayford tous les matins. Cependant, en bonne représentante de cette université, j'ai quand même une proposition à te faire.
Elle m'adresse un sourire encourageant.
— Je t'écoute.
— Le premier entraînement des Green Sharks, surnommé le Midnight Madness, aura lieu mercredi soir. Absolument tous les élèves de Bayford seront présents, c'est une tradition.
Je ferme les paupières car je me rappelle instantanément ma discussion avec Gabriel. Une part de moi, celle qui sait que je ne vais plus déménager et qui essaye de travailler son rapport aux autres, veut participer à cet événement, surtout depuis cette mise au point avec Victoria. Sauf que j'ai récemment fait une grosse connerie, il est trop tard pour me rapprocher de cette fille et de ses amis.
— Peut-être que je viendrai y faire un tour.
Si le Midnight Madness est aussi important qu'ils le prétendent tous, Joséphine ne me laissera pas rater ça. Contrairement à Victoria, elle se fiche de me brusquer, c'est même son activité favorite.
— Génial ! Ça me ferait plaisir de te croiser là-bas.
Sur ces paroles franches, elle me fait un signe et part déjeuner avec Fallon. Ses cheveux noirs coupés au carré ne tardent pas à disparaître dans la foule au rythme de ses petits talons sur le carrelage immaculé.
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Une scène Hailey, Gabriel et Victoria était inévitable !
Vous aimez la tournure que prend l'histoire ?
Charleen,
🖤
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