Chapitre 11 • Blessure de guerre
Je me frictionne les tempes à la recherche d'une solution mais, puisque le blond refuse de faire amende honorable, une seule option peut être efficace : la manière forte. Déterminée à mettre un terme aux lourdeurs des frères Prescott, je me baisse et débranche tous les câbles qui relient les enceintes à l'ordinateur du DJ. Voilà, problème résolu !
— Qu'est-ce que tu fous ? Arrête !
Amoindris par tous les verres de champagne qu'il a bus, les réflexes de Gabriel sont quasi inexistants. Quand il me tire en arrière, la musique est déjà coupée, remplacée par des hurlements mécontents. Des yeux par centaine se tournent vers le DJ et, pour ne pas leur donner de faux espoirs ou les laisser dans une incompréhension totale, je monte sur son tabouret.
— La fête est terminée ! Rentrez chez vous ! Allez ! Du balai !
Remontée, je fais de grands mouvements vers les ascenseurs avec mes bras. Malgré de vives protestations, les fêtards suivent mes directives, et leurs mines sont aussi déprimées que stupéfaites.
Edward me tend la main et je la prends avant de sauter du tabouret. Il sourit jusqu'aux oreilles, fier de moi et soulagé.
— J'ai vraiment eu raison de te téléphoner. Une gosse de militaire, ça fait un sacré effet !
Ah oui, c'est vrai, un des nombreux mensonges à propos de ma famille que j'ai inventés sur le tas. D'après la version officielle, mon père est décédé alors que ma mère est une Navy Seal. Servir son pays, c'est toujours mieux que d'être une alcoolique et d'avoir fait entrer dans la vie de sa fille un beau-père violent au point de la frapper tous les jours, non ?
— Tu te fiches de moi ? T'es qui pour faire ça ? De quel droit ?
Pour accompagner son rapide débit de questions, Gabriel me saisit le bras avec force et me retourne vers lui. Oh, je l'ai vraiment mis en rogne, parce que ses yeux bleus me transpercent comme deux lames aiguisées.
Je me dégage de sa poigne et imite son regard meurtrier lorsque la voix de Raphaëlle interrompt ma réponse bien sentie.
— After chez moi ! Vous êtes tous les bienvenus ! 19th Southern Boulevard !
Fallon, exaspérée, attrape sa meilleure amie qui tourne sur elle-même au centre de la pièce et guide un corps titubant vers la sortie. Costaude, mine de rien.
Tyler, quant à lui, leur emboîte le pas en rigolant. Je me tourne aussitôt vers Gabriel qui, la mâchoire contractée, regarde ses invités quitter le salon au compte-gouttes.
— On dirait que tu vas ranger le penthouse tout seul.
— Quel dommage... renchérit Edward à mes côtés.
— Je suis encore là, moi. (Kyle sort de nulle part, l'air désinvolte.) Mais je me tire. Bon courage mon pote, cette meuf va te pousser à bout !
Il lui met une claque entre les omoplates et rejoint sa jumelle avant que Gabriel ouvre la bouche.
— Traître !
— Tes amis sont plus intelligents que toi, ils te laissent prendre tes responsabilités.
Face à mon constat, dont je suis ravie, il arbore cette fameuse expression hautaine que je ne supporte pas.
— Ça ne te ressemble pas mais là, tu es vraiment naïve. Ils savent que les femmes de ménage vont nettoyer à ma place, c'est tout.
Tandis que son demi-frère recule, je lui flanque un violent coup dans l'épaule.
— Non mais ça va pas ? Elles n'ont pas à subir ton immaturité ! C'est ton erreur, à toi de la corriger.
Gabriel hausse les sourcils, à la fois outré par mon geste et cette leçon de morale. Il me snobe en allant se poser dans un large fauteuil et je ne le retiens pas car, derrière moi, Edward souffle très bruyamment. Ses yeux ahuris observent la pièce qui ressemble à un champ de guerre. Il y a plein de gobelets par terre, même quelques mégots, sans oublier les tâches humides sur le canapé et les multiples variétés d'alcool qui jonchent le bar.
— On a vraiment du boulot.
Quand les derniers intrus sont enfin montés dans l'ascenseur — il peut en contenir quinze à la fois, Hallelujah — Edward hoche la tête. Mais avant de ranger, je me dirige vers Gabriel qui est confortablement installé. Lui aussi, il a du travail.
— J'ai une mission pour toi. À tous les coups, des gens ont couché ensemble dans la chambre de Jack, donc tu vas changer les draps et en faire de même pour tous les lits de cet appartement, juste au cas où.
Il lève vers moi ses yeux rouges. Son verre de champagne pend toujours entre ses doigts.
— Pourquoi est-ce que je ferais ça ?
— Parce que si tu le fais pas, cette soirée reviendra aux oreilles de ton père. Edward est assez débile pour te couvrir, moi je n'hésiterai pas à te balancer.
Et parce que tu es un déchet, tu n'as pas la force de te battre avec moi, je me retiens de dire.
Maladroitement, il se redresse et me surplombe. Ses longues jambes de basketteur tanguent un peu.
— Tant de culot dans un si petit être... Tu ne me laisseras pas tranquille, hein ?
Gabriel fouille mon regard et y trouve une pure détermination. Ramolli par son important taux d'alcoolémie, il cède enfin.
— Ok, ok. Je vais faire ces fichus lits.
~~~
Quarante-cinq minutes plus tard, je fais disparaître une auréole brune sur le tapis grâce à mes recettes miracles. Le whisky, la boisson préférée de ma mère, étant super difficile à enlever des tissus, j'ai mes petites astuces. Edward met un dernier gobelet caché sous le billard dans un sac poubelle et se tourne vers moi, à genoux sur le carrelage inconfortable.
— J'ai surpris une fille en train de vomir dans les chiottes pendant la soirée. Je repousse ce moment depuis des heures mais il faut que je les nettoie.
Je fais une grimace, écœurée, et me relève en passant une main tremblante sur mon front couvert de sueur. Entre ma journée de cours à Bayford, mes heures de travail au café et ce grand ménage imprévu, je suis tout bonnement épuisée.
— Je te ramène ensuite ou tu préfères y aller maintenant ?
— Je vais prendre un taxi. Plus tôt je dormirai, mieux ce sera.
Edward hoche la tête et me lance un regard plein de gratitude.
— Merci pour ton aide, Hailey. Ça me touche que tu sois venue. Je te revaudrai ça.
Je lui adresse un sourire gêné et il se dirige vers le couloir. Je viens officiellement de me faire un ami.
Au même instant, Gabriel descend les escaliers et arrive dans le salon en remuant ses bras comme un champion de natation prêt à plonger.
— Tu sais à quel point c'est fatiguant de mettre une housse de couette ? J'ai tellement mal aux bras ! Je vais négocier avec mon père une augmentation pour les femmes de ménage. Elles le méritent.
Ok, il est toujours aussi saoul. Je lève les yeux au ciel quand il se dirige vers le bar.
— Vous avez jeté toutes les bouteilles de champagne ?
Son regard indigné fait des allers-retours entre mon visage et les sacs poubelles contre le mur.
— Bien sûr que non, vu leur prix ! Edward les a mises dans la cave.
Parce que oui, ils ont une cave à vins et même un toit-terrasse, selon les informations d'Edward. Mieux encore, comme ils logent dans un hôtel, ils ont aussi une piscine, une salle de sport et un restaurant à disposition, quelques étages plus bas. Ça a la belle vie, un Prescott.
— J'ai la flemme, elle est loin.
Habiter dans un appartement si grand que changer de pièce nécessite un véritable effort ? Qu'est-ce que je disais ? La belle vie !
— Je crois que tu as suffisamment bu pour ce soir, pas toi ?
Gabriel pose nonchalamment son dos contre le bar qui sépare la cuisine moderne, blanche comme absolument tous les meubles du penthouse. En revanche, le billard, les peintures, les rideaux ou encore le tapis que j'ai nettoyé, eux, sont très colorés et animent le salon minimaliste.
— Je connais pas trop mes limites. Je bois qu'à de rares occasions.
— Ah bon ?
— Ouais, la faute à mon métabolisme pourri. Je mets deux jours à décuver, impossible pour moi de prendre une cuite en pleine saison. On a un match par semaine, minimum, et entraînement du lundi au samedi.
— C'est un mal pour un bien, au final.
On dirait que le champagne rend Gabriel bavard et à mon tour, une fatigue extrême me délie la langue. Heureusement qu'il ne relève pas.
— De toute façon, c'était le dernier week-end où je pouvais me mettre une race. La saison de basket universitaire commence la semaine prochaine avec le Midnight Madness.
— Le Midnight Madness ?
— Le premier entrainement des Green Sharks, mercredi soir, auquel toute la fac est conviée. Un genre de tradition qui commence à minuit, d'où le surnom.
Je hoche la tête et notre conversation prend ainsi fin. On reste tous les deux plantés là, courbaturés et silencieux, moi debout au milieu du salon, lui adossé contre le bar. Nous profitons ensemble de cette paix enfin retrouvée.
Avant de déguerpir, je balaye la pièce des yeux, fière du travail accompli quand je repense à son état initial. Le piano brille de mille feux, à l'instar des canapés qui étaient devenus gris, voire marron.
Tout à coup, je repère un morceau de verre sous le fauteuil. Alors que je me baisse pour le ramasser, je le saisis trop brusquement car une douleur vive me fait aussitôt sursauter.
— Aïe ! Mais quelle conne !
Je me redresse en poussant des jurons et Gabriel court presque jusqu'à moi, effrayé par mon cri strident.
— Qu'est-ce qu'il y a ? Tu t'es fait mal ?
Je bloque sur mon doigt. Quand une goutte rouge sort de la fine entaille qui traverse ma peau, je déglutis.
— Je me suis coupée. Je... Je saigne !
Il attrape mon poignet et, incapable de faire le moindre geste, je laisse Gabriel me toucher.
— T'inquiète, ça va aller. Les extrémités pissent toujours le sang mais la coupure est peu profonde.
— Ça ne va pas aller du tout ! Je suis hématophobe ! J'ai la phobie du sang !
Je parle à toute vitesse lorsque mon regard se pose par inadvertance sur ma main. Oh mon Dieu !
Je risque de vider mon estomac sur ses pieds, ou de faire un malaise dans l'hôtel familial, mais Gabriel est quand même secoué par une irrépressible envie de rire.
— Y'a rien de drôle ! C'est la troisième phobie mondiale, juste après la peur du vide et l'autre... Voilà, j'ai oublié !
Il reprend un air sérieux, juste le temps de me poser une question stupide.
— Les araignées, non ?
— Peut-être, je sais pas et je m'en fiche ! Je saigne !
Gabriel rigole de nouveau mais face à mon expression sincèrement paniquée, il finit par avoir pitié de moi.
— D'accord... Tu mettras cette bonne action exceptionnelle sur le compte de mon ivresse.
Je lui adresse une expression interrogatrice et il me force à le suivre en tirant mon corps vacillant derrière lui. Je monte les escaliers, puis arrive rapidement dans une salle de bain magnifique, avec une douche à l'italienne, une faïence marron super classe, et même une double vasque. Il y a également une baignoire rétro que Gabriel me désigne.
— Quoi ? Tu vas me faire couler un bain pour me détendre ?
Déjà exaspéré, il ferme brièvement les yeux et se pince l'arête du nez.
— Hailey, me fais pas regretter cet élan de compassion inhabituel et assieds-toi. Je vais soigner la grande blessée que tu prétends être.
Oh. Je pose mes fesses sur le rebord illico et les sourcils de Gabriel atteignent la racine de ses cheveux.
— Tu m'as obéi ? Wahou, je prie pour m'en souvenir demain matin.
Il joint le geste à la parole en collant ses mains devant lui. Ma réponse est accompagnée d'une œillade noire.
— Ça ne se reproduira pas. Jamais.
Sur ce, il part en direction du lavabo et fouille le meuble juste au-dessus. Je me concentre sur lui pour éviter de regarder en bas.
— Tu es sauvée.
Gabriel revient vers moi en brandissant tout un attirail de professionnel : un spray antiseptique, des pansements, un ciseau et des mouchoirs. Il fait plus jeune avec ses cheveux légèrement décoiffés et son t-shirt Tommy Hilfiger. Ça le rend... mignon. Bordel, je me ramollie aussi, et sans champagne.
— Donne-moi ta main.
Les muscles endoloris, imbibé d'alcool, il grimace en se baissant pour être à ma hauteur. Même à genoux, son visage est face au mien.
— Une demande en mariage ? C'est ta nouvelle idée pour faire rager Edward ?
Gabriel émet un petit rire qui me surprend et que, bizarrement, je ressens au fond de mon ventre. Il dépose son matériel par terre et, quand je tends enfin mon bras, je louche dessus sans faire exprès.
— Parle-moi ! Sois ma distraction ! J'en ai déjà été une pour toi au brunch, à ton tour maintenant.
Tandis que je débite à nouveau mes phrases, il recommence à se foutre ouvertement de moi.
— Je t'ai déjà dit que c'était pas marrant. Une phobie, ça l'est jamais.
Il sort un mouchoir pour essuyer le sang qui coule sur ma peau. Je garde les yeux rivés à son crâne blond.
— C'est toi qui me fait ricaner. Toi, la fille aux paroles cinglantes et au regard dur, que je croyais avoir peur de rien... Tu risques l'arrêt cardiaque face à un bobo minuscule.
Je reconnais la contradiction mais je suis devenue hématophobe au fil du temps et des blessures. Un frisson me parcourt toute entière quand je repense à mon beau-père, sa force et les crises d'angoisse récurrentes. Je grogne pour éloigner ces images qui ne représentent plus que des mauvais souvenirs grâce à M. O'Connor et Joséphine.
— Tout le monde a des failles. Même toi, et on dirait pas non plus, comme ça.
Je détourne son attention et il relève immédiatement la tête.
— Je ne vois pas de quoi tu parles.
— Edward est ta plus grande faiblesse.
À l'entente de cette vérité retentissante, Gabriel met du produit sur mon doigt par surprise. Un rapide instant, j'en ai le souffle coupé.
— T'es malade ! Préviens ! Il brûle, ton spray !
— Simple précaution. Tu fais peut-être une hémorragie pour sortir des conneries pareilles.
— J'ai raison et tu le sais. Pourquoi continuer ce jeu ridicule avec lui, sinon ? Pourquoi faire toutes ces manigances ? Pourquoi cette soirée ?
Une nouvelle fois, il verse de l'antiseptique sur ma plaie. Je sursaute et me mords les joues pour retenir de nombreuses grossièretés. Quelle enflure !
— Arrête de poser des questions ou je te vide tout le flacon dessus. Pire encore, je te laisse rentrer chez toi la main dégoulinante de sang.
Je ne contiens pas un léger tremblement et il affiche un sourire moqueur qui me donne envie de lui arracher les yeux.
— Ok, ton demi-frère est un sujet tabou, mais j'ai vraiment besoin que tu me changes les idées.
J'en viens à supplier Gabriel de me faire la conversation. Pathétique.
Je me tâte à prendre un cours de basket théorique lorsque je me souviens de Raphaëlle et son conseil. Autant mettre à profit cette entrevue forcée en me renseignant sur les habitants de Wealthshire.
— Parle-moi de tes amis !
Gabriel enlève le désinfectant superflu – il en a trop mis, bien sûr – quand il arque un sourcil devant mon enthousiasme.
— Ma vie t'intéresse à ce point ? Putain, tu dois être morte de trouille.
Je pousse un lourd soupir qui affaissent mes épaules. Je n'aime pas me sentir ou me montrer vulnérable.
Par je ne sais quel miracle, Gabriel entend ma réponse silencieuse. Soit il réalise qu'il est bloqué avec moi, soit il est juste attendri par mon désarroi, mais il prend une grosse inspiration et se lance.
— Tyler et moi, on joue au basket depuis la primaire. Il est devenu capitaine des Green Sharks à la rentrée et il veut intégrer une équipe de NBA après la fac, comme son père, légende des Celtics avant sa reconversion en tant que coach. Il a un don de malade, je suis certain qu'il se fera un prénom. Côté perso, il est toujours de bonne humeur et, surtout, il profite de sa notoriété en couchant avec un maximum de Sharkies.
— C'est qui, les Sharkies ?
Gabriel esquisse un rictus narquois en attrapant les ciseaux.
— Nos groupies, les fans des Green Sharks. Elles sont... Déterminées ? Entreprenantes ? Nombreuses ? Bref. Tyler en baise plus que tous les autres joueurs réunis.
Je retrousse le nez, aussi dégoûtée par ce surnom que par les exploits de Tyler. Je savais que c'était le pire des queutards.
— Pour oublier Raphaëlle, askip.
Je lance avec ironie, ce qui fait marrer Gabriel.
— Askip. Sans déconner, ce running gag est presque aussi vieux que nous.
— Elle a des origines françaises, non ?
— Ouais, son père est un créateur de mode parisien, et Raphaëlle tient son physique parfait de sa mère, ancienne mannequin. J'aime beaucoup cette meuf, elle est pétillante et pas prise de tête, le contraire de sa meilleure amie. Fallon est une vraie peste, maniérée et autoritaire, mais elle a juste une carapace énorme. Un peu comme toi.
Je rêve ou il vient de me comparer à Fallon ? Je me sens... insultée.
— Et Kyle, du coup ?
Volontairement, j'ignore son offense, et Gabriel recouvre mon doigt avec un pansement. Son geste, comme tous les précédents, est étonnamment doux.
— Sa jumelle au masculin : une commère. Il a des contacts partout et des infos sur la terre entière, mais Kyle est surtout un débauché. En tant que fils de Mme Montgomery, la doyenne, il se croit tout permis. Perso je l'adore, même s'il est difficile à suivre, imprévisible et tourmenté.
Je hoche la tête, enregistrant ces nombreuses données, puis faisant une remarque stupéfiante : chacune de ses paroles m'a intéressée. Suis-je en train de devenir sociable ?
— Je les avais tous plutôt bien cernés, finalement.
Il a fini de jouer les urgentistes, ma blessure est temporairement soignée, pourtant il reste à genoux devant moi et je ne cours pas vers la sortie non plus. Au contraire, je lui pose une énième question.
— Il reste encore Victoria. Tu aurais dû passer la soirée tranquille avec elle devant un film. Ça aurait été plus raisonnable.
De quoi je me mêle, d'abord ? Les paupières alourdies, saoul et fatigué, Gabriel me jette un regard indéchiffrable.
— On est pas ce genre de couple.
— Ta petite amie est ce genre de fille.
Je réponds du tac au tac et ça me déconcerte tout autant que lui. Pour ma défense, Victoria est le terme raisonnable incarné.
— On est... différents.
— Elle a tout d'un ange et toi, d'un sale con ?
Alors que je ne ressens même plus le besoin de critiquer Gabriel, mon pique jaillit tout seul. Chassez le naturel...
— Le sale con vient de te rendre un service énorme, montre-lui un peu de reconnaissance.
Je fixe mes pieds, consciente de mon ingratitude, et il se met à ranger les pansements dans leur boîte en carton.
— Tu avais un mec ? Au Texas, je veux dire.
Je plisse le front car, grâce à ses mouvements distraits, je suis certaine qu'il attend ma réponse. Qu'est-ce que ça peut bien lui faire ?
— Non, je... J'ai toujours été une personne solitaire.
— Indomptée et indomptable, il chuchote presque avant de relever les yeux vers moi. Ça a quelque chose d'attirant.
Il me dévisage avec intensité et j'avale ma salive de travers.
— L'inaccessible, ça attire toujours.
Quand je sors le premier truc qui me vient à l'esprit, perdue dans ses iris couleur océan, il fronce les sourcils.
— Tu essayes de me faire passer un message subliminal ? Je ne suis pas doué pour comprendre les sous-entendus.
— Même pas ! Tu es aussi inaccessible que moi.
Je lui réponds trop vite car un sourire en coin étire ses lèvres. Fait chier ! La proximité de Gabriel, son regard perçant et sa voix rauque me font dire n'importe quoi.
— Quelle surprise... Je croyais que tu me disais que je ne t'aurais pas alors que tu insinuais que je t'attirais.
Je ferme les paupières devant son air railleur. Pourquoi est-ce que je suis autant décontenancée ? Je t'en prie, Hailey, reprends-toi.
— Tu ne me plais pas, tu m'énerves !
— Toi aussi. L'un n'empêche pas l'autre.
Il déclare avec une nonchalance feinte et ma bouche s'ouvre en grand. Pas doué pour comprendre les sous-entendus mais doué pour en faire, hein.
— Je vais mettre ce message subliminal sur le compte du champagne et faire comme si je n'avais rien entendu.
Je secoue la tête pour oublier ses paroles et leurs répercussions sur mon corps, dont une vague de chaleur que je suis incapable de maîtriser. L'heure tardive amoindrit mes défenses, je suis en train de faiblir et ça craint.
— Il faut que je parte.
Déterminée à les fuir, Gabriel et son ambiguïté, je me redresse enfin. Sauf que pour me mettre debout, je prends appui sur la baignoire avec mes mains. La douleur se réveille et me paralyse.
— Pitié, non !
— Ça va ?
Ses yeux préoccupés cherchent les miens. Je me rassois sur le champ et observe mon doigt, la boule au ventre. Le pansement devient rouge et commence à gondoler.
— Non, je saigne encore ! Attrape un nouveau pansement et change-moi les idées ! Fais un truc, Gabriel !
Je n'ai pas le temps de reprendre mon souffle que le blond écrase ses lèvres contre les miennes. Choquée par son initiative et les nombreuses sensations qu'elle me procure aussitôt, je pousse un cri étouffé et il ne tarde pas à reculer, décollant sa bouche avec une lenteur extrême, comme s'il ne voulait absolument pas rompre le baiser.
Alors que ses expirations irrégulières sont en train de chauffer mes joues, déjà en feu, j'ouvre les yeux et plonge dans les siens, à la fois troublés et frustrés. Je pourrais me lever, je pourrais aussi lui crier dessus, je pourrais même lui mettre une gifle. Oui, je pourrais et je devrais, mais je fais tout le contraire. Je ne sais pas comment nos bouches se retrouvent, si c'est moi qui efface la distance entre nous ou si c'est lui qui avance de nouveau, peut-être les deux. Mais elles se retrouvent, violemment et impatiemment, pour de bon cette fois.
Une main perdue dans mes cheveux, la seconde empoignant ma cuisse, Gabriel force la barrière de mes lèvres qui ne lui oppose aucune résistance. Sa langue entraîne alors la mienne dans un rythme effréné, humide et captivant, qui fait naître des picotements entre mes jambes. Je perds tout contrôle, guidée par un besoin insatiable et une passion dévorante que je n'avais encore jamais ressentie. Il grogne quand je tire son col pour le rapprocher davantage de moi, ne pensant qu'au goût sucré du champagne qui habille sa langue et me laissant complètement aller. Ça fait du bien de lâcher prise, vraiment du bien, au point que je sois emportée loin de cette pièce magnifique et que je ne revienne sur Terre qu'à cause du liquide épais que je sens couler sur mes doigts. Je continue de saigner.
Obligée et non par choix, je m'écarte de Gabriel. Le front posé sur le mien, aussi haletant que moi, il desserre sa prise autour de mes cheveux et appuie sur ma cuisse pour avoir la force de s'éloigner. Je remarque d'abord son t-shirt froissé, puis mon cœur rate un battement quand ses yeux pleins de désir croisent les miens. Je tente de réguler mes inspirations et me concentre sur ma plaie. Je suis tellement perturbée que je garde mon calme pour lui demander son aide une énième fois, la voix presque inaudible.
— Est-ce que tu peux... Changer le pansement ? S'il te plaît ?
Gabriel déglutit avant de hocher la tête. Il coupe une nouvelle bande protectrice et remplace celle qu'il avait déjà mise, enlevant le sang au préalable. Mon regard dérive vers son expression plus que confuse et, à la vue de sa bouche gonflée, les papillons qui occupaient mon ventre reviennent.
Je serre les jambes devant la marque de notre baiser, plus excitant que n'importe laquelle de mes précédentes coucheries. C'est quoi, le secret ? J'ai envie de ressentir cette plénitude tous les jours de ma vie, mais pas avec Gabriel, le mec que je déteste, le demi-frère d'Edward, le petit ami de Victoria... Et merde, Victoria !
— Merci de m'avoir soignée.
Je me lève, chancelante mais le ton ferme. Il a trompé sa copine avec moi ! Pour mes intérêts comme les siens, ce qui vient de se passer dans cette salle de bain doit y rester. À jamais.
Les genoux encore posés au sol, Gabriel se redresse aussi et j'incline la tête pour maintenir un contact visuel. Sa grandeur est si impressionnante, tout à coup.
— Par rapport...
Face à sa mine hésitante, je lève un index et coupe son discours prévisible.
— Je vais également mettre ce moment absurde sur le compte du champagne. Aucun problème. Je sais que pour toi ça représentait que dalle et, t'inquiète, je partage ton avis.
Il est bourré. Quant à moi, j'ai simplement laissé mes hormones prendre le dessus. Inutile de gâcher une relation longue de plusieurs années. Voilà ce que je me répète en boucle.
Gabriel arque un sourcil, puis ouvre la bouche. Il la ferme sans rien dire et se passe une main dans les cheveux.
— Euh... Ok.
C'est tout ? Je devrais être apaisée mais je ressens quelque chose de négatif, pas du soulagement.
— Ok. (Je hausse les épaules, l'air indifférente.) Passe un bon week-end malgré ta gueule de bois.
Dès que je prends conscience de mon ridicule avec ces banalités, je tourne le dos à Gabriel, sans attendre une quelconque réponse de sa part. Il est temps de mettre un point final à cette soirée.
Je me fais une promesse quand je dévale les escaliers, puis maltraite le bouton des ascenseurs, celle de laisser au penthouse cette version de moi. La version... accessible.
~~~~~~
Un looong chapitre, celui du premier baiser. J'espère que cette scène est à la hauteur de vos attentes 🤭
Vous l'aurez remarqué, l'histoire a changé de nom et de couverture : The New Bayford Student est devenu Inside, le tome 1 de la saga The Bayford Students !
Oui, je me lance dans une saga, et 1 tome = 1 couple car tous ces personnages ont beaucoup trop de potentiel pour ne pas les exploiter, tout comme cet univers.
Charleen,
🖤
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