9. Douleur déchirante

Everybody's moving

Everything is moving

Waiting Room - Fugazi

* * *

Jacksonville, FL – 20 septembre 1994 (1 mois plus tard)

— Tu es prêt ? questionna Joe à mon attention.

Pour toute réponse, j'émis un pouce en l'air. Tous deux étions dans la salle de musique du lycée, enfermés dans nos bulles que nous avions fusionnées de façon à ce que notre univers ne fasse qu'un.

Contrairement à moi, en raison de son jeune âge, Joe n'avait pas fait son entrée au lycée. Il se trouvait en dernière année de collège. Malgré tout, cela ne nous avait pas empêchés de nous côtoyer.

En dépit du temps écoulé, Joe restait cet individu renfermé sur lui-même, n'adressant la parole à personne, excepté à moi. Pourtant, en dépit des apparences qu'il désirait dégager, il restait la victime favorite de Roberts. Ce dernier avait bien cerné ses failles, où il pouvait s'y enfiler afin d'attaquer sa proie. Ainsi, Alan ne faisait qu'une bouchée de Joe, le dévorant de toute part, plantant ses griffes acérées dans sa chair.

Alan finissait par abdiquer que lorsque sa proie se retrouvait trop affaibli, démuni de toute force. Il n'y avait rien de plus insoutenable à mes yeux, que de découvrir ce gamin se faire détruire ainsi. Si Joe avait fini par montrer sa satisfaction lorsque je le rejoignais durant les pauses de midi, je pouvais très bien lui venir en aide. Cependant, ce dernier ne s'était jamais montré très réceptif à ma proposition, jusque-là.

J'espérais que le temps, ainsi que le renforcement de notre amitié allaient contribuer au changement d'avis de cette tête de mule.

Le premier coup de médiator lancé par Joe sonna de manière furieuse. Après avoir su que nous allionsjouer Waiting Room de Fugazi, mon faciès fut marqué par lasurprise, provoquée par la connaissance de Joe pour ce groupe.

Un pincement au cœur me prit durant quelques secondes, avant de me ressaisir. Cette chanson me liait à Ellie, elle me l'avait fait découvrir durant un après-midi, après les cours. Depuis toujours, la musique avait occupé une grande place dans nos vies. À présent qu'elle était partie, je partageai cette passion avec ce petit Génie, ce gamin qui avait marqué son empreinte dans mon existence, de manière étrangement rapide.

À l'instant où ma basse rejoignit la fureur de la guitare, nous étions, tous deux, transportés dans un monde différent duquel nous nous trouvions. Toute forme d'injustice avait disparu, nos blessures indélébiles, imprimées sur notre âme, s'étaient estompées ; nous étions anesthésiés contre la douleur. La musique était notre remède pouvant nous soigner de toute affliction. Avec elle, la vie semblait bien plus agréable.

Cependant, tout avait une fin. En effet, lorsque la porte de la salle de musique s'ouvrit de manière soudaine, Joe et moi fûmes réprimés d'un sursaut collectif. Notre regard effaré se planta sur l'individu venant de pénétrer dans la salle. Le crâne chauve, des lunettes carrées sur son long nez allongé ; il s'agissait de Monsieur Miller, notre professeur de musique. L'expression de surprise marqua les traits de son visage lorsqu'il nous aperçut. Tandis que nous, nous étions en proie à un immense malaise, dû au fait qu'il avait découvert notre présence.

— Oh, monsieur Adams, monsieur Peterson. Navré d'avoir interrompu votre séance.

Il ne semblait ni agacé, ni furieux. Il était simplement pris de court par le fait de nous savoir dans la salle de musique.

— De toute façon, on avait fini, souffla Joe en allant reposer la guitare à sa place, tandis que je fis de même.

L'exécution de ses actes tremblants trahissait la nervosité qui tiraillait sa voix. Sans un mot, nous quittâmes la salle de musique, laissant à monsieur Miller, la liberté de préparer son prochain cours.

Ceci dit, nous aurions dû jeter un coup d'œil au programme, avant d'occuper la salle comme si elle était abandonnée depuis des semaines.

Ainsi, nous voilà à longer les couloirs du lycée avec quarante-cinq minutes devant nous. Que pouvions-nous faire pour tuer le temps ?

— Je vais dehors, souffla Joe, tout en retroussant sa casquette à l'envers.

Ne me laissant pas le temps d'émettre la moindre réponse, il prit une direction qui, jusqu'à présent, m'était inconnue. Il analysa autour de lui, puis s'engouffra dans un couloir étroit. Une multitude de questions submergèrent mon encéphale, la curiosité avait atteint son paroxysme.

— Où va-t-on ?

Pour toute réponse, Joe ne m'offrit qu'un silence de plomb. Ainsi, il se refusait à me dévoiler quoi que ce soit. Je devais donc prendre patienter jusqu'à l'arrivée de notre mystérieuse destination, afin de découvrir où débouchait ce passage étrange.

À l'instant où il ouvrit la porte de bois face à lui, mon regard scruta le décor nous entourant. L'absence de population signifiait que ce lieu ne nous était pas destiné. Devant mes yeux, se trouvaient des escaliers en bétons. Sans prononcer le moindre mot, Joe s'installa sur une marche, fouilla dans ses poches, tandis que je ne cessais d'examiner le lieu où nous nous trouvions. Des conteneurs se situaient non loin de nous, apportant une odeur peu agréable.

— C'est l'arrière du lycée.

Mes prunelles se portèrent sur Joe, puis s'écarquillèrent de surprise lorsque j'aperçus une cigarette entre ses doigts. Du haut de ses treize ans, ce gamin sembla avoir déjà pris cette habitude de s'intoxiquer les poumons ! Contrairement à ce que je pensais, j'étais loin de connaître ce garçon.

Ainsi, une personne pouvait avoir de multiples facettes, puis décider de n'en dévoiler que quelques-unes selon les individus avec qui elle se trouvait. Je venais de le comprendre avec Joe. Donc, il devait avoir d'autres choses à garder au fond de lui.

— C'est une clope, ironisa Joe face à mon expression effarée.

Je l'avais bien compris. Cependant, la question qui me tiraillait l'esprit était : pourquoi ? Quel était l'intérêt d'avaler toutes ces doses de nicotines ?

— Mais Joe, pourquoi fais-tu ça ? Cela ne te sert à rien de fumer si tôt, hormis te bousiller la santé.

À l'entente de mes mots, il m'adressa un regard noir qui me glaça le sang. Ce n'étaient pas les bonnes paroles à lui adresser. Ce garçon était une énigme à lui tout seul. Pourtant, je désirais tant connaître les replis de sa conscience, aussi complexes qu'elles pouvaient être.

— Ce n'est pas à toi pour me dire ce que je peux bousiller ou pas dans mon existence. Tu ignores ce qui est brisé en moi.

Une pointe de regret filtra dans son inflexion. Si son regard était braqué sur le goudron, son esprit s'était envolé ailleurs. Certainement dans de lointains souvenirs. Je prenais ceci comme une ouverture à en connaître davantage sur le mystère qui l'enveloppait. C'était soit maintenant ou jamais pour crever l'abcès, puis ainsi, le laisser se confier à moi comme une personne de confiance.

— Qu'est-ce qui t'es arrivé ?

Ses prunelles vertes relevées sur ma personne, le guitariste me toisa dans un silence qui n'était pas désagréable. Cet échange visuel illustrait un moment délicat, celui où il s'apprêtait à me confier une part difficile de son existence.

— Tu sais ce que dit Roberts à mon sujet, à propos de ma mère ?

Je n'avais jamais réellement compris le plaisir qu'Alan prenait à se moquer de Joe, au sujet de sa mère. Néanmoins, je n'avais jamais pu savoir si cela n'était que des ragots utilisés pour porter une piètre réputation à Joe, ou si ces paroles reflétaient une terrible réalité, rendant ces mots encore plus atroces.

Prêt à découvrir la suite que j'attendais avec impatience, j'émis un hochement de tête tout en conservant mon silence. Portant sa main à sa bouche, Joe déglutit avec difficulté. À cet instant, je n'avais plus besoin de réponse émise à l'oral ; elle se trouvait devant mes yeux.

Dans un élan d'affection, je m'installai à ses côtés, mon bras enlaçant son corps afin de le coller contre moi. Je sentis ses membres se détendre sous mon contact délicat. Joe encaissait bon nombre d'événements depuis bien trop longtemps. Avec moi, il pouvait enfin lâcher tout ce qu'il portait sur le cœur.

— Je suis désolé, soufflai-je.

J'ignorais quoi dire d'autres. C'étaient les premiers mots qui m'étaient venu à l'esprit, puis je doutais que Joe voulût entendre davantage. Ce sujet lui était bien difficile à aborder, il était préférable de ne pas rajouter de couches supplémentaires.

Cette étreinte dégageait bien plus que de la compassion entre nous. Joe s'était confié à moi, bien que cela ait été éprouvant, il s'était laissé pleurer sur moi. Je n'étais plus un inconnu à ses yeux, mais un ami sur qui il pouvait compter.

— Elle est morte dans un accident de voiture, il y a cinq ans.

Mon cœur rata un battement lorsque le calcul s'exécuta dans mon esprit. Cinq ans auparavant, notre mère était arrivée en trombe dans notre ancienne maison, avec un air affolé.

Il y a eu un affreux accident de l'autre côté de Jacksonville

Mon souffle se coinça dans ma gorge lorsque je compris que cet accident concernait Joe. Nous étions reliés bien plus que je ne le pensais.

— J'en ai entendu parler, murmurai-je avec une voix absente, plongé dans de lointains vestiges.

Au regard interrogateur que le guitariste m'adressait, je lui expliquai que ma mère nous en avait parlé, après être rentré chez nous.

— C'est ce qui nous a poussés à emménager dans le coin.

Cet accident, aussi tragique qu'il était, avait été le déclenchement de notre rencontre. Sans cette tragédie, il serait peu probable que maman ait décidé de quitter la ville. Notre rencontre avait été écrite depuis bien longtemps pour que notre amitié puisse exister. Joe représentait cette substitution que je recherchais après le départ de ma sœur. J'avais autant besoin de lui, que lui avait besoin de ma présence dans son existence.

____

La nervosité montait en flèche dans mon organisme. Je craignais de découvrir les réactions inscrites sur le visage de Joe, ainsi que sur celui de ma mère, lorsque les deux allaient se rencontrer pour la première fois. J'avais été surprise d'entendre une réponse positive de la part de ma figure maternelle, après lui avoir questionnée, d'une voix étouffée, si mon nouveau meilleur ami pouvait venir à la maison. Sans relever les yeux du magazine qu'elle feuilletait, elle avait hoché la tête, accompagné d'un son d'approbation.

Ayant obtenu son feu vert, je me refusais à le découvrir passer au rouge en une fraction de seconde. J'avais déserté la cuisine, puis étais retourné dans ma chambre, retirant ainsi à ma mère, l'opportunité de se rétracter sur sa décision.

Me voilà donc à longer la longue allée me conduisant jusqu'à ma demeure, aux côtés de Joe. Ce dernier gardait ses mains dans les poches de son pantalon, le regard plongé sur le goudron défilant sous ses pieds. Apparemment, il était également en proie à une certaine appréhension, à l'idée de découvrir mon chez-moi, de se retrouver face à ma mère. J'espérai que tout allait bien se passer.

— C'est moi, lançai-je en pénétrant à l'intérieur de la bâtisse.

Un affolement cardiaque se déferla en moi, à l'instant où je perçus deux voix féminines dans la maison. Dans l'immédiat, je reconnus ces deux inflexions, auxquelles je ne m'attendais pas à les entendre. Mes prunelles écarquillées par la surprise se tournèrent vers Joe. Son expression faciale démontrait qu'il était perdu, face à la situation.

— C'est ma sœur qui est revenue, soufflai-je avec une bouffée d'espoir teintant ma voix.

Après les révélations de Joe sur sa famille, je lui avais fait part de ma situation familiale ; mon père qui s'était barrée, suivie de ma sœur avec qui j'avais un lien d'attachement si fort. Au fil des jours, nous avions découvert qu'on se comprenait si parfaitement. Nous éprouvions des douleurs presque similaires, avions subi des choses qu'aucun enfant n'aurait dû vivre.

D'un pas pressé, je me ruais vers le salon, découvrant ma mère installée sur le canapé, avec Ellie à ses côtés. Mon arrivée interrompit l'échange entre elles qui semblait tendu, ce qui me valut un froncement de sourcils. Que faisait-elle ici ? Qu'était-elle en train de converser avec notre mère ?

— Oh, Mitch ! Tu es là. J'ai oublié que tu étais au lycée, désormais.

Une nouvelle fois, elle avait changé de coupe de cheveux. Désormais, elle avait opté pour un dégradé portant sur le bleu. Les racines étaient foncées, puis la couleur s'achevait aux pointes, sur une touche de bleu ciel. À sa narine, se trouvait un anneau fin en argent : un piercing.

C'était ainsi qu'elle profitait de sa liberté, sans la pression, accompagnée des restrictions de notre mère. Comme je l'enviais !

— Qu'est-ce que tu fais là ?

— Je suis juste de passage, pour vous rendre visite et vous montrer que je suis vivante.

Contrairement à ce que j'avais espéré du plus profond de mon cœur, son retour n'était que temporaire. Bientôt, elle allait à nouveau quitter le nid familial pour retrouver sa vie d'indépendante.

Le sourire qui, jusque-là, étirait mes lèvres, disparut dans l'immédiat. Mais Ellie ne sembla pas remarquer cette disparition qui assombrit les traits de mon visage.

Découvrant le front plissé de ma sœur, je me retournai pour découvrir la présence de Joe derrière moi. Sa position de retrait indiquait son malaise face à cette réunion familiale. Durant l'espace de quelques secondes, j'avais presque oublié la raison pour laquelle il était avec moi, tant le retour de ma sœur m'obnubilait.

— Voici, Joe, déclarai-je en reculant afin d'être à son niveau.

Mon ami n'émit aucun mot, il se contenta simplement de lever la main en guise de salutations. Face à lui, Ellie arbora un large sourire. Elle était ravie de découvrir que j'avais un ami à mes côtés.

— Il joue de la guitare, rajoutai-je en plantant mon regard sur ma mère, cherchant la moindre expression s'imprimant sur son faciès.

Peu après de la mort de Martin, elle avait découvert ma passion pour la basse, puis à mon grand soulagement, elle n'avait rien dit. Cependant, il m'était interdit de jouer de cet instrument dans la maison. Cette restriction m'avait donc poussé à me réfugier dans la salle de musique, pour ainsi, faire la connaissance de Joe.

— C'est vrai ? Il ne vous manque plus qu'un batteur et vous allez enfin pouvoir monter un groupe ! lâcha Ellie.

Mes yeux qui s'arrondirent traduisaient ma stupéfaction, à l'entente des mots de ma frangine. Elle n'avait donc pas lâché l'affaire avec ce groupe. De manière instinctive, mon regard chercha celui de Joe qui n'était pas aussi surpris que moi. Comme s'il s'attendait à cette remarque, qu'il avait obtenu une autorisation lui procurant un sourire satisfait.

Ainsi, je compris que cette idée lui trottait dans l'esprit depuis bien longtemps, qu'Ellie venait de lui donnait une ouverture à la concrétisation de ce désir.

Un groupe de musique, avec Joe, ainsi un autre type ? Pourquoi pas. Nous étions avides de musique en nous imprégnant de chacune des mélodies des paroles. Alors pourquoi ne pas retranscrire notre univers au travers de nos propres écrits ?

Oléé ! Bonné année ! Sorry pour le retard, j'avais la flemme, je l'avoue.

Mais le chapitre est là et j'espère qu'il vous plait.

Un chapitre qui marque un très grand pas pour Joe et moi, pour la suite de nos aventures.

Portez-vous bien, bande de vieunes !

Mitch Peterson, alias, La Grande Perche

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