5. Passion musicale
" Black hole sun
Won't you come ? "
Black Hole Sun - Soundgarden
* * *
Sur le chemin du retour qui nous conduisait à la maison, je n'avais pas pipé mot à Ellie à propos de l'altercation entre Alan et ce type, ainsi que mon intervention. Elle pouvait tout à fait me faire une leçon de morale sur ce que j'aurais dû faire ou ne pas faire. Chose que je n'avais guère envie d'entendre en cet instant. Même si le garçon ne m'avait pas remercié, je restais convaincu que mon acte avait été utile. Ceci avait montré à Alan qui était le plus fort entre nous deux, néanmoins, ceci avait également démontré que sa victime était quelqu'un de faible.
Mon esprit était tellement embrumé par les multiples interrogations qui l'assommaient de plein fouet, que j'en eus des maux de crâne. Réalisant que l'on se trouvait dans l'allée nous conduisant vers notre maison, ma curiosité s'éveilla, poussa mon regard à se tourner de l'autre côté de la rue. Il était là, installé sur son canapé situé sur la petite terrasse, sous le couvent, avec sa basse en main. Cet homme ne sembla pas être importuné par le froid hivernal de ce mois de janvier. Qu'il pleuve, qu'il vente, qu'il neige, il était toujours à cette même place avec son instrument.
La voix retentissant d'Ellie m'extirpa de ma torpeur, me faisant ainsi comprendre que le devoir à la maison nous appelait. Comme à l'accoutumée, il nous fallait finir nos devoirs, puis mettre en ordre la maison avant le retour de notre mère, afin d'éviter de nous attiser les foudres émanant de sa colère noire.
L'intrigue qui reposait sur notre voisin à la basse ne s'essouffla pas durant les jours qui suivirent. Au contraire, cette curiosité ne cessa de s'amplifier, de posséder mon être tout entier. Cet homme de couleur noir dégageait un mystère dont je désirais connaître les secrets, ainsi que son histoire. Lorsque je n'assistais pas aux spectacles d'Alan, mon esprit vaguait vers mon voisin avec sa basse à la mélodie enivrante.
— Arrête de rêvasser et finis de passer la serpillière, me lança ma mère, tandis que je sentis la paume de sa main venir s'écraser contre l'arrière de mon crâne.
Les petits coups comme celui-ci, j'en avais l'habitude. Pourtant, ces gestes m'agaçaient au plus haut point. Ses talons aiguilles claquèrent sur le sol mouillé. Elle savait me hurler dessus afin que je fasse les tâches ménagères, pour ensuite salir mon travail. Ces agissements m'horripilaient, mais je n'osais ouvrir ma bouche pour protester. Je savais ce qui m'attendait, si j'émettais le moindre mot pour la contredire. Bien que maman ne nous eût jamais battus, elle extirpait de sa cavité buccale, des mots bien plus destructeurs.
Alors qu'elle s'apprêtait à quitter la maison, elle s'immobilisa en se tournant vers moi.
— Tu as intérêt à ce que tout soit fini et propre à mon retour.
Une certaine menace filtrait dans le ton de sa voix. Ainsi, je savais qu'il valait mieux éviter de m'égarer une nouvelle fois dans mes songes, de m'appliquer dans mon travail. Elle savait comment employer les mots, ainsi que le ton juste, afin d'éveiller ma crainte, ma soumission à son égard.
Puis, dès qu'elle eut quitté la maison, je me mis à l'ouvrage.
En son absence, l'un de mes petits plaisirs était que je pouvais enfin mettre marche ce tourne-disque ayant appartenu à nos grands-parents, désormais défunts. Maman ne supportait pas la musique dans la maison, ainsi, l'appareil ne servait qu'à de rares occasions.
La mélodie sauvage rock'n'roll qui m'accompagnait depuis tout petit rugit des enceintes, se répercutant ainsi dans toute la pièce. Le rythme étant ancré dans ma peau, je puisai à l'intérieur de mon être pour trouver la motivation afin d'achever mes tâches. S'exercer au ménage avec de la musique contribuant à ma bonne humeur était tellement plus agréable, que d'être contrait à faire ce travail sans bruit, sans plaisir.
Pour moi, il était important de faire les choses avec envie, avec de désir effleurant notre épiderme pour s'imprégner de notre être. Sans cette joie, la vie se résumait à n'être qu'une existence, fade, assommée de contraintes, d'obligations et dépourvue de plaisir.
________
Dix-sept heures trente. Maman était encore au travail, Ellie se trouvait à une séance de répétitions de pom-pom girl. Les deux filles n'allaient donc pas revenir à la maison d'ici une heure ou deux. Mon travail étant terminé, il me restait donc pas mal de temps devant moi pour en profiter. Mais que pouvais-je faire ? Mes devoirs étaient prêts, je pouvais vaquer à mes occupations de plaisir. Sauf que le désir de lire ne se faisait pas ressentir.
Installé sur le canapé, je laissai échapper un long soupir qui en disait long sur l'ennui qui m'assaillait. Pourquoi avais-je exécuté les tâches ménagères en un temps record ? Les yeux clos, je passai mes mains sur mon visage, lorsqu'une mélodie familière parvint jusqu'à mes tympans.
L'excitation qui prit possession de mon métabolisme m'incita à me redresser de manière un peu trop brutale, puisque je sentis le sang me monter à la tête. Cependant, je ne prêtai aucune attention aux étourdissements qui me brouillèrent la vue durant quelques secondes.
Mon regard se braqua sur la fenêtre du salon donnant une vue sur la petite ruelle du quartier. À travers la vitre, je pus apercevoir notre voisin, tant détesté par ma mère sans aucune raison valable. Vautré sur son canapé en osier, ce qui devait être une habitude lorsqu'il jouait, il tenait son instrument contre lui.
Cela semblait si facile de jouer de la basse si l'on se centrait uniquement sur l'aisance qu'il prenait. Ses mouvements se faisaient avec une habileté qui paraissait naturelle. Si seulement, je pouvais essayer cet instrument à l'allure et à la sonorité si parfaite.
Le désir qui me piquait depuis si longtemps était si puissant qu'il m'était impossible d'y résister une seconde de plus. Maman et Ellie n'étaient pas là, je pouvais donc en profiter. Le regard rivé sur l'homme à la basse, je marchai d'un pas lent, marqué par l'hésitation qui m'enivrait. Qu'allait-il penser de moi en apercevant un gamin débarquer de nulle part devant chez lui ? Pourtant, il n'y avait aucun mal à désirer essayer cet objet.
Les questions m'obnubilaient de manière si intense, que je n'avais pas réalisé dans l'immédiat, mon arrivée devant sa maison, sur le perron, à quelques mètres de mon voisin. La musique s'interrompit, ramenant un silence aussi lourd que du plomb. Mon corps se paralysa de stupeur lorsque son regard marron se posa sur ma personne. Le fait de ne lire aucune expression au travers de ses iris amplifiait mon appréhension.
— Salut, mon p'tit.
Au ton de sa voix, je compris qu'il n'était pas agacé par ma venue et ni surpris. Comme s'il savait que j'allais m'approcher de lui et qu'il m'attendait. Il posa son regard sur la basse avant de me la tendre. L'expression de surprise imprimée sur mon visage le réprima d'un gloussement.
— Tu veux essayer ?
Les sourcils relevés, j'interrogeai l'homme du regard. Je sentis mon pouls s'accélérer sous l'effet de l'adrénaline qui monta en flèche dans mon organisme. Mes mains tremblantes agrippèrent avec délicatesse l'instrument qui représentait à mes yeux un objet de collection.
— Depuis que tu as emménagé ici, je t'aperçois observer ma maison, surtout quand je joue de la basse.
Ainsi, mon voyeurisme n'était pas passé inaperçu, contrairement à ce que j'avais pensé. Je passai la sangle sur mon épaule, empoignai le manche. Durant de longues, secondes, j'observai cet objet que je convoitais tant. Je le tenais enfin. Cependant, j'ignorai comme je devais m'y prendre pour créer de belles mélodies.
Mon voisin garda son regard braqué sur moi, hésitant à produire une note.
— Qu'est-ce que tu attends ? C'est à toi de la faire parler.
La faire parler. Ainsi, cette basse avait des choses à raconter. Je pressai une des quatre cordes avec un doigt et de l'autre main, frappait l'ensemble des cordes. Le son qui fut produit sonna de manière atrocement fausse. Ceci me réprima d'une grimace, ainsi qu'à l'homme. Ce premier essai ne s'avéra pas très folichon.
— Assieds-toi, ce sera plus simple, m'indiqua-t-il en se déplaçant sur le canapé d'osier.
Je m'exécutai avec une certaine appréhension, cherchant à comprendre le sens dissimulé derrière sa demande. Je ne tardai pas à obtenir la réponse à mon interrogation.
— Pour les débutants comme toi, il est plus facile de commencer en position assise. D'ailleurs, tu as la plus mauvaise des positions pour commencer à jouer, ce qui va te rendre l'apprentissage encore bien plus difficile.
D'apprentissage ? Cet homme que j'observais sans discrétion, dont j'ignorais même le prénom envisageait de m'enseigner quelques leçons de basse ? Alors qu'une dose d'excitation circula dans l'entier de mon métabolisme, je tentais de contenir mon calme.
Sa main se posa derrière mon dos afin de redresser ma colonne vertébrale. Il jeta un coup d'œil à mes pieds.
— Garde les deux pieds bien à plat sur le sol, petit. Si tu es droitier, pose ta basse sur ta cuisse droite.
L'homme saisit le manche de la basse, afin de l'orienter vers l'horizontale.
— Tes coudes ne doivent pas être collés à ton corps, ni reposer sur ta cuisse.
Je m'exécutai en suivant ses instructions, enregistrai toutes ces informations dans un endroit bien précis dans mon encéphale. Si je désirais être performant dans l'apprentissage de la basse, je tenais à retenir tout ce que cet homme m'enseignait. Je savais que si je n'adoptais pas la bonne posture dès le départ, la suite allait s'annoncer bien compliquée, comme il me l'avait dit.
Le premier exercice qu'il m'indiqua était le jeu de doigts en alternant l'index et le majeur. À première vue, le principe me paraissait bien simple. Il suffisait d'attaquer une corde avec l'index, puis l'autre qui se trouvait au-dessus avec le majeur. L'attaque se faisait en roulant le doigt sur la corde. En passant à la pratique, je pris conscience que cet exercice se montra bien plus compliqué à réaliser qu'il ne le paraissait.
— Lorsque tu auras une bonne dextérité, tu feras ce jeu de doigts avec facilité, me confia-t-il.
Ses mots eurent pour effet de me rassurer, de procurer davantage de confiance en moi. Une détermination infaillible avait pris possession de mon être, je voulais apprendre afin de jouer tel un pro.
Un nouveau rêve apparut dans mon être ce jour-là, s'ancra dans mon encéphale de manière à ne plus le quitter. Je tenais tant à être le bassiste d'un groupe avec une technique qui n'appartenait qu'à moi. Les musiques se voulaient être percutantes, énergétiques. Or, il me restait tant de chemin à parcourir avant de pouvoir effleurer ce désir soudain.
Les voix féminines qui se rapprochaient de manière progressive éveillèrent mon attention. En relevant les yeux, je découvris Ellie en compagnie de ses quelques amies qui faisaient également partie de l'équipe de pom-pom girl. Leur entraînement étant fini, ceci annonçait qu'il était temps pour moi de rentrer, sans oublier le retour prochain de notre mère.
— Voilà ma sœur qui revient. Merci beaucoup pour ce partage que j'ai vraiment apprécié, lançai-je en tendant la basse à mon voisin.
Ce dernier m'arrêta dans mon mouvement en repoussant l'instrument contre moi, à ma grande surprise.
— Tu peux la garder pour t'entraîner, fit-il à la vue de mes yeux ébahis. J'en ai pleins chez moi.
La garder ? J'ignorais si maman allait accepter la présence de cet objet chez nous. Aussi, je craignais qu'elle s'en débarrasse de manière brutale. Mais elle n'allait rien pouvoir faire, si elle ignorait que je tenais cette basse en ma possession. Un large sourire s'imprimant sur mon visage, je pressai l'instrument à corde contre ma poitrine.
— Merci, soufflai-je avant de me diriger vers ma sœur.
À peine eus-je fait un pas en avant, que je m'arrêtai de manière brutale en me tournant vers mon voisin.
— Au fait, moi c'est Mitch.
Si j'allais devenir son élève, autant qu'il connaisse mon prénom.
— Martin McLevin, lança-t-il, le sourire au lèvres, avant de retourner dans sa demeure.
Ainsi, je pouvais le dénommer autrement que « mon voisin » ou « le vieux d'en face ». Ces présentations nous permettaient désormais de nous appeler par nos véritables prénoms.
J'aperçus les yeux d'Ellie arrondis par la surprise, braqués sur moi, ou plus précisément, sur l'instrument que je tenais dans ma main.
— Qu'est-ce que c'est que ça ? fit-elle en gardant ses prunelles verrouillées sur l'objet qui l'intriguait au plus haut point.
— C'est une basse. C'est Martin qui me l'a prêtée.
— Martin ?
— Notre voisin, celui que maman appelle « le vieux d'en face ».
Mon ton, teinté par l'ironie, lui valut un ricanement nerveux.
— Je l'avais bien compris, grand dadais. Mais tu ne crois pas que maman va voir une objection à ce que tu rapportes cet instrument à la maison ?
Je me contentai d'entrer dans notre demeure, puis me dirigeai à l'étage où se trouvait ma chambre.
— Elle n'a pas besoin de le savoir.
Hehe, et voilà comment j'ai été initié à la basse pour la première fois. Cool, n'est-ce pas ?
Si je vous dit que cette basse est toujours vivante, vous êtes rassuré ?
Sinon, merci d'avoir lu ce chapitre, j'espère qu'il vous a plu.
A plus, bande de jeune !
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top