2. (Mal)heureuse famille
I'm in the mood, the rhythm is right
Slow Ride- Foghat
* * *
PDV Mitch
Jacksonville (FL) USA – Juillet 1987 ( 7 ans plus tard)
Peu de temps après ma venue au monde, ma famille et moi-même avions déménagé dans une petite maison de campagne, située dans l'État de Jacksonville. De ce que je peux me souvenir, cette période est l'une des plus merveilleuses que j'ai connues dans mon existence. Encore aujourd'hui, je parviens à sentir l'odeur de cet air frais et sauvage qui s'écrasait sur mon visage, cette sensation d'excitation mêlée à l'ivresse de la liberté lorsque je courais à travers les champs, aux côtés d'Ellie, ma grande sœur.
Notre grande différence – six ans pour être exact - n'avait pas eu raison de nous, puisque nous étions les frères et sœurs les plus soudés que notre entourage n'avait jamais connu. Étant le cadet de la famille, je laissai mon imagination nous transporter dans les jeux les plus farfelus pouvant exister. Ellie faisait appel à son côté logique et raisonnable, afin de nous éviter de nous retrouver de délicates situations. Néanmoins, plus d'une fois, il nous était arrivé de recevoir une bordée par nos parents lorsque ces derniers découvraient avec effroi notre état, à notre retour à la maison.
Une nouvelle maison qui s'accompagnait de nouveaux paysages, ainsi que de nouvelles règles. Tout ce que j'avais connu s'était vu chamboulé. Ainsi, durant les premiers mois, je me retrouvais perdu. Je tentais de rechercher une place dans ce monde qui m'était inconnu. Une petite boule dans le creux de mon estomac avait commencé à se former.
Et si je n'étais pas à ma place ici ?
Les absences de papa avaient commencé à se faire plus nombreuses, les durées n'avaient cessé de se prolonger au fil des semaines qui s'écoulaient. Ces éclipses portaient un impact considérable sur l'humeur de maman. Celle-ci devenait plus maussade, plus irritable. Nous devions être sur nos gardes de manière constante. Une prise de conscience sur nos faits et gestes qui devenaient lourds et épuisants à la longue.
Du haut de mes six ans, je possédais cette étrange et désagréable illusion tangible qu'un fossé se creusait au sein de notre famille qui, pourtant, avait tout pour être heureuse.
Papa rentrait de plus en plus tard à la maison, maman nous grondait pour les moindres gestes que l'on faisait, aussi innocents qu'ils étaient. Tout paraissait partir en vrille. Pourtant, ce n'était que le début de cette longue pente qui nous conduisait droit aux Enfers. Heureusement que cette fusion que je possédais avec Ellie m'avait aidé à surmonter tout ceci. Avec ma sœur, je me sentais en sécurité. Je savais qu'elle n'allait jamais me lâcher.
Lire, j'adorais ça. J'aimais me plonger dans un autre univers créé par une personne juste avec des mots. Ils étaient simples, mais la manière dont ils étaient employés faisait toute la différence. Ce pouvoir émanant de chaque phrase lu m'aspirait avec une force inouïe. À tel point que le désir d'en faire de même s'éveilla en moi ; écrire mes propres textes.
Or, cette imagination que je possédais à mes cinq ans s'était évaporé de manière soudaine, faisant place à l'esprit logique. Ainsi, je restais avec la conviction que devenir auteur n'allait jamais être dans mes cordes.
L'ouverture de la porte de ma chambre m'extirpa de ma torpeur, laissant apparaître une petite touffe de cheveux bruns.
— Mitch, viens avec moi, lança Ellie avec sa douce voix en pénétrant dans ma pièce.
Je posais mes prunelles marron sur l'adolescente de treize ans qu'elle était devenue. Elle porta ses mains sur sa poitrine avec une expression offusquée. Ce geste me fit prendre conscience que mon regard s'était arrêté à ce niveau. Merde... Pardon, zut !
Les changements qui s'étaient opérés sur ma sœur m'avaient intrigué. Cependant, je n'osais rien lui demander, de peur de la vexer. Par exemple, ces deux petites bosses apparaissant au niveau de sa poitrine. J'avais entendu dire qu'il s'agissait de ses seins qui étaient en pleine croissance. J'aurais aimé en savoir davantage, mais je devais être trop petit à cette époque pour obtenir davantage d'informations sur ce sujet.
— Pourquoi faire ? gromelai-je de ma voix enfantine.
— On va faire un tour en ville, afin de se familiariser avec notre nouvel environnement.
Les sourcils froncés, je toisai ma sœur durant quelques secondes avant de secouer la tête
— Nan, je ne veux pas me familier.
— « Familiariser », soupira-t-elle en roulant des yeux. Allez, Mitch ! Tu ne vas pas rester enfermé dans ta chambre, durant toute ta vie ?
Je hochai la tête, convaincu que c'était une bonne idée. Quel idiot, quand j'y repense.
Sans crier gare, le livre que je tenais entre mes mains me fut arraché de manière brutale. Je le découvris en possession de ma sœur qui le jeta sur mon bureau sans délicatesse. Ce geste me procura une tension parcourant l'entièreté de mon métabolisme.
— Hey !
Ellie porta son index sur ses lèvres, me faisant signe de baisser d'un ton. Maman était à la maison et tout portait à croire qu'elle était de mauvaise humeur, comme d'habitude. Ces derniers temps, nos cris lui étaient insupportables. Si cela avait été des pleurnicheries ou des chamailleries, sa réaction aurait pu être compréhensible. Or, ceci provenait de nos éclats de rire.
Chaque soir, ma sœur regagnait ma chambre sur la pointe des pieds et venait me rejoindre sous ma super tente que tata Mary m'avait offert une année auparavant. Allongés sous les coussins, côte à côte, on observait le plafond et songeait à notre avenir. Il arrivait de manière fréquente qu'Ellie sorte des bêtises qui me provoquait d'immenses fous rires. Je me souviens encore de nos éclats de rires en passant par les larmes au souvenir de nos conneries.
Je me contins d'émettre d'autre son, de peur de voir arriver maman telle une furie pour nous enguirlander. Silencieux, je l'observai s'installer sur mon lit, à mes côtés. Elle plaça une mèche de cheveu brun derrière son oreille et poussa un soupir.
— Je sais que c'est dur pour toi, le déménagement, papa qui n'est presque plus à la maison et maman qui a des sautes d'humeur. Mais je suis là, Mitch. Jamais je ne te laisserai tomber, je t'en fais la promesse.
* * *
À son grand bonheur, j'avais finalement accepté de sortir avec Ellie, dans les rues de Jacksonville. Imaginez simplement la réaction du gamin n'ayant connu que l'environnement de la campagne et se retrouvait au cœur de cette immense métropole. Ce gamin, c'était moi.
Mes yeux, illuminés par l'ébahissement qui prit possession de mon corps tout entier, admiraient le spectacle qui se dressait devant mon nez. J'absorbais cette vue imprenable, ces immenses gratte-ciels avec une taille intimidante. J'avais déjà pu les apercevoir auparavant. Mais le panorama qu'offrait la campagne les réduisaient à de minuscules édifices semblables à tant d'autres. Et voilà que je les découvrais de tout près.
Collé au corps d'Ellie, mes bas entouraient sa taille, par peur de la perdre en route tant la foule présente en ville était grande.
— Tu ne veux pas que je te tienne la main aussi ? lança-t-elle sur un ton moqueur.
— Ça te dérange ? questionnai-je en levant mes yeux suppliant sur l'adolescente.
Pour toute réponse, elle poussa un soupir qui me fit comprendre que je devenais ridicule. Pourtant, c'était plus fort que moi. Je me décidai à la lâcher, tout en avançant au même rythme qu'elle. Hormis les imposants immeubles plantés dans la majorité de la ville, ce qui m'avait le plus fasciné lors de cette petite promenade aux côtés de ma sœur étaient les multiples musiciens de rues que l'on rencontrait.
— Regarde ceux-là, Ellie ! m'écriai-je en pointant mon index en direction de deux musiciens de couleur noire qui se trouvaient au coin d'une rue.
— Arrête de montrer les gens du doigt, Mitch. C'est malpoli.
En y repensant, Ellie représentait ce substitut de maman qui me manquait à la maison. Un rôle qui n'avait pas à être le sien à cet âge. Pourtant, elle veillait à mon éducation, ce que notre mère manquait en ces temps de tension.
Mes prunelles contemplaient ces deux hommes avec une coupe, pour le moins original, des dreadlocks ; l'un était muni d'une guitare, l'autre avait une basse en sa possession. Les multiples notes émanant de leurs instruments m'envoûtèrent de manière impromptue. Mais également leurs doigts lestes dansaient sur les cordes du manche. Je me délectais de cette attraction si fascinante.
— J'aimerais bien essayer, une fois, soufflai-je pour moi-même.
— Ça m'étonnerait que maman te laisse ramener une basse à la maison, encore moins une guitare. Elle ferait une syncope avant de tout balancer par la fenêtre.
Mon regard emplit de surprise se verrouilla sur Ellie. Je ne m'étais pas attendue à ce que mes mots parviennent jusqu'à ces tympans. En dépit du fait qu'elle avait raison concernant la réaction tangible de notre mère, mon désir de tester ces instruments ne s'estompa pas pour autant.
Avec délicatesse, sa main se posa sur mon épaule afin de m'attirer contre elle. Sans broncher, je suivis son mouvement, la talonnant dans la rue. La représentation de ces deux musiciens aux dreads était restée gravé dans ma mémoire durant la soirée entière, ainsi que les jours qui suivirent. Avec un certain recul, je peux à présent jurer que cette promenade avec ma sœur avait été l'élément déclencheur sur ce qui allait se révéler être mon don.
Caché sous les couvertures de mon lit, je ne pouvais percevoir, de manière distincte, les échanges entre mes parents. Mais à l'entente du ton employé, je compris que la rage avait atteint un certain paroxysme. Le bruit éclatant de la vaisselle qui s'écrasa au sol me fit frémir de tout mon être. J'étais habité par cette crainte qu'ils en viennent aux mains, commettant ainsi l'irréparable, sous l'impulsion de la colère.
Les yeux clos, les poings serrés, je tentais de me rassurer, de songer à autre chose. Je fus réprimé d'un léger sursaut lorsque je sentis une main venir se poser avec douceur sur mon crâne. Les paupières ouvertes, je découvris la présence d'Ellie qui était venue me rejoindre dans ma chambre. Elle leva la couette afin d'y faire glisser ses jambes, passa son bras autour de moi pour me permettre de me blottir contre elle.
Lorsque maman et papa se trouvaient en pleine dispute éclatant dans la maison, ceci était devenu notre rituel. Ellie venait me retrouver dans le but de dissiper ma peur. Elle me racontait des histoires afin que j'oublie, durant l'espace de quelques instants, la tension tiraillant toute l'atmosphère à l'intérieur de la bâtisse.
— Pourquoi maman et papa se disputent ? interrogeai-je d'une petite voix teintée par la crainte.
À cette question qui se répétait sur le temps, la réponse d'Ellie restait la même.
— Ce sont des affaires d'adultes, Mitch. Cela ne nous regarde pas.
Papa, lui, avait quitté la maison. À cette époque, je pensais qu'il allait revenir pour s'excuser, que tout allait s'arranger. Bien plus tard, je pris conscience qu'il n'en était rien, que mon esprit d'enfance portait un vison des choses différant de la réalité.
Bonjour jeunes gens !
Alors, dites-moi tout !
Votre avis sur ce chapitre ?
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