12. Dernière lueur d'espoir

Gonna keep on tryin'

'Till I reach the highest ground

Higher Ground - Red Hot Chili Peppers

* * *

Jacksonville, FL – 20 octobre 1996 (3 mois plus tard)

— Mitch, c'est quoi ça ? me questionna Joe sur un ton agacé.

Alors que le guitariste retroussa sa casquette noire à l'envers, je poussai un grognement portant sur la même inflexion que celle de mon ami. Comme à notre habitude, nous étions dans la salle de musique, à l'insu des professeurs, afin de s'exiler. Fuir cette réalité qui nous déplaisait et construire notre monde aux allures bien meilleures.

Cependant, ce jour-là, Joe avait décidé d'interpréter Higher Ground des Red Hot Chili Peppers. Le riff de basse comportait un niveau que je ne parvenais pas encore à atteindre, attisant ainsi le désappointement de mon meilleur ami.

— Je n'arrive pas à jouer ce morceau, déclarai-je, espérant calmer le guitariste.

La consommation de drogue ne le lui réussissait vraiment pas. Or, je n'osai pas le lui faire remarquer, de peur de provoquer une crise effroyable. À ma connaissance, cela n'était jamais arrivé. Néanmoins, en raison du fait qu'il se trouvait à fleur de peau ces derniers temps, il suffisait d'un rien pouvant déclencher la tornade bouillonnant en lui.

Poussant un long soupir d'exaspération, je tournai mon regard vers la porte d'entrée, par réflexe, habité par cette crainte qu'un professeur débarque à l'improviste. Cependant, mes sourcils se froncèrent de surprise, lorsque je découvris la présence d'un jeune homme se trouvant devant l'encadrement de porte.

Vêtu d'un short bien large, ainsi que d'un pull rayé, il restait immobile. Depuis quand se tenait-il ici, à nous épier à notre insu ? Face à mon mutisme, Joe releva son regard vers moi, puis pointa son attention dans la même direction que la mienne.

Il m'était impossible de me rappeler sa tête, persuadé d'avoir croisé cet individu dans les couloirs. Je me souvenais de chaque visage que mes yeux enregistrèrent. Or, cette fois-ci, rien ne me venait à l'esprit. Était-ce lui le petit nouveau ? Ayant entendu brièvement qu'un nouvel élève allait intégrer notre lycée, je supposai que ce pouvait être lui.

— Qu'est-ce que tu veux ? lança Joe sur un ton sauvage qui n'appartenait qu'à lui.

Il existait mieux comme approche. Ainsi, cette introduction bien trop brutale provoqua le mutisme total de notre visiteur, pris au dépourvu qu'on lui adresse la parole ainsi. Cependant, venant de Joe, je n'étais pas étonné de sa réaction excessive. Depuis son entrée dans l'univers toxique de la drogue, tout était dans l'abus avec lui.

Le silence s'imprégna de la pièce tout entière, puis nous plongea dans une atmosphère où le malaise avait atteint son paroxysme. L'échange visuel entre Joe et ce type n'en finissait plus, donnant l'illusion que les secondes qui s'écoulaient devenaient infinies.

— Tu es sourd ou quoi ? s'impatienta-t-il.

C'était à prévoir. Cependant, je devais mettre un terme à son attitude, avant que cela ne prenne des proportions trop exagérées.

— Calme-toi, Joe

J'avais conscience qu'en prononçant ses paroles, je prenais le risque d'envenimer son caractère de cochon. Néanmoins, je gardai cet espoir que ces mots parviennent à adoucir le guitariste.

— Je vous ai entendu jouer, déclara-t-il d'une petite voix, mettant fin à ce silence insoutenable. Je ne t'ai pas déjà vu quelque part ?

Pris de court par cette question qui lui était adressé, Joe releva un sourcil traduisant la surprise à laquelle il était en proie. Le guitariste échangea un regard intrigué avec moi, puis reporta son attention sur notre visiteur surprise.

— Serais-tu dans la même classe que moi ?

Sa voix tremblante trahissait la gêne qu'il ne pouvait camoufler. Je ne pouvais que le comprendre. Il y avait de quoi ressentir un intense malaise en présence de cet imbécile.

— Qu'est-ce que j'en sais ? Ce n'est pas ce que moi, je t'ai demandé.

Bien que la discrétion ne fût pas mon point fort, je tentais de faire comprendre à cet abruti d'arrêter son numéro de racaille, au travers de mimiques faciaux qu'il ignora délibérément. Ceci me faisait donc passer pour un imbécile.

— Moi aussi j'aime jouer de la musique.

Au froncement de sourcils de Joe, je compris qu'il demandait plus de précisions. Son comportement ne faisait qu'accroître le malaise emplissant cette pièce. Cet idiot ne réalisait pas qu'il était à l'origine de toute cette tension.

— Je suis batteur. Enfin, j'aime beaucoup jouer de la batterie.

— Tu es batteur ?

L'intonation changeante de Joe démontrait de son intérêt plus prononcé pour les dires de ce jeune homme. Ceci dit, cette déclaration éveilla également ma curiosité qui se faisait plus prononcée. Cette lueur d'espoir éteinte depuis trop longtemps s'apprêtait à se rallumer. Mais il ne fallait pas crier victoire trop vite, au risque d'être victime d'un terrible ascenseur émotionnel.

— Tu joues beaucoup de batterie ?

Lorsque Joe se tourna vers moi, je découvris ses iris verts emplis de lueur d'espoir. Le large sourire qui étira ses lèvres me réchauffa le cœur. Je savais que ce qui allait suivre allait nous combler de joie.

— Le voilà notre batteur !

N'était-ce pas trop tôt pour estimer notre groupe au complet ? Ce bonhomme était batteur, mais possédait-il le talent que nous recherchions ? Aussi, désirait-il intégrer notre futur groupe ?

— Vous désirez vraiment me prendre ?

L'espoir mêlé à l'incompréhension marquée sur son visage, il était pris au dépourvu par la tournure soudaine des événements. Joe gratta sur sa guitare, provoquant une note brutale, sauvage, puis reposa l'instrument au sol avec délicatesse.

Ayant conscience de la valeur de ces fabuleux objets, il en prenait grand soin lorsqu'il les tenait entre ses mains. De plus, cette guitare portait une importance spéciale à ses yeux. Une considération dont j'étais le seul à en connaître la cause.

— Tu es le premier batteur que l'on rencontre. Si tu es bon, on peut te garder, expliqua-t-il.

Je le fusillai du regard à l'entente de son gros mensonge. Ce garçon était loin d'être notre premier candidat. Nous avions organisé beaucoup de castings, afin de trouver quelqu'un emplit de talent. Jusque-là, les résultats s'étaient montrés désastreux. Pourquoi mentir là-dessus ? Je l'ignorais.

Face à nos sourires ravis, le garçon hocha la tête avec une nervosité visible sur son métabolisme.

— Vous ne voulez pas une démo ?

— Cela va de soi ! répondit Joe, désignant la batterie entreposée dans un coin de la pièce.

Le garçon prit une grande inspiration, puis prit place sur le tabouret. Après avoir fait les réglages nécessaires, il s'empara des baguettes, tandis que Joe et moi patientions de le découvrir à l'œuvre. J'espérai tant qu'il se révèle être la personne tant convoitée. Par lui-même, il était venu nous trouver. S'il s'avérait être comme tous les anciens candidats, je ne possédais plus la force nécessaire pour poursuivre nos recherches.

Il frappa les caisses qui se trouvaient devant lui avec une vivacité qui me coupa le souffle. Le tempo était entraînant, nous emportant dans la mélodie enivrante de la musique. Je reconnus sans difficulté qui s'agissait du titre A Kind Of Magic de Queen. Pour ma part, j'étais convaincu du talent de ce petit bonhomme. Il avait employé la musique parfaite pour me persuader de le prendre. Mais qu'en était-il de Joe ?

Jetant un coup d'œil dans la direction de mon ami, je l'aperçus récupérer sa guitare. Le regard qu'il m'adressa me fit comprendre que je pouvais en faire de même avec ma basse. Pour la première fois, nous allions former un groupe. L'effleurement de cette idée me procura d'une légère excitation qui s'empara de l'ensemble de mon corps.

Dans une ambiance électrique, la basse, ainsi que la guitare vinrent rejoindre le riff de batterie. À eux trois, les instruments sonnaient en une mélodie organisée, douce. C'était magique, tout comme le morceau que nous interprétions. Les multiples notes émanant de nos accords jaillissaient avec une fureur qui nous enivra. Tout me sembla si parfait. En réalité, cela le fut.

Le morceau achevé, le silence s'immisça entre nous durant quelques longues secondes. Joe échangea un regard avec moi, avec un signe approbateur, puis reporta son attention sur le batteur. Cette performance nous laissa sans voix. Je ne m'attendais pas à ce qu'un tel déluge emplis de multiples émotions se déferle en moi. Jamais je n'avais éprouvé de tels élancements avec les autres batteurs. Cette fois-ci fut bien différente, avec ce petit gars venu de nulle part. L'évidence se trouvait devant nos yeux ; ce garçon était cette perle rare tant convoitée.

— C'est mauvais ? questionna-t-il en affichant une grimace douteuse de lui-même.

Joe secoua la tête de façon négative, je suivis son mouvement. Les traits marqués sur le visage du garçon se détendirent dans l'immédiat, chassant cette crainte qui l'habitait depuis son entrée dans la pièce.

— Tu veux te joindre à nous ? lâcha Joe sur un ton tout à fait naturel, dépourvu de toute trace d'animosité à son égard.

Nous étions d'accord à son sujet. Nous le voulions dans notre groupe avec cet espoir qu'il accepte notre proposition. Cette question, concernant l'avenir de notre groupe, enveloppa le garçon dans un silence qui dura quelques secondes.

— M... Merci beaucoup, balbutia-t-il. Ça me fait vraiment plaisir de rejoindre votre groupe.

Cette fois, nous pouvions hurler notre victoire sur tous les toits autant que nous le voulions. Le soulagement qui me fouetta avec vivacité allégea mon cœur, chassa cette appréhension qui me nouait l'estomac depuis bien trop longtemps. En proie à une euphorie infinie, il m'était impossible d'effacer ce large sourire inscrit avec une joie naturelle sur mes lèvres. Notre groupe était enfin là, depuis le temps qu'on recherchait notre dernier membre.

— D'ailleurs, quel est son nom ?

Cette question à laquelle ni Joe, ni moi ne nous attendions mit un frein brutal à notre joie. Ce gamin venait à peine d'intégrer notre groupe, il nous rappelait une évidence qui nous était passé sous le nez. On aurait dû y songer avant de rechercher notre batteur. C'était comme demander à une personne d'intégrer une entreprise sans nom. Cela était inadmissible.

Comment allait-on nous prendre au sérieux si notre bande ne possédait aucun nom ?

— Dark Night ? proposeai-je.

Il s'agissait du premier qui m'était venu à l'esprit. Il sonnait plutôt bien, jusqu'à ce que je le prononce à haute voix. Mes sourcils se froncèrent lorsque je découvris la grimace de dégoût imprimé sur le visage de Joe et de notre nouveau batteur.

— Où tu as trouvé une merde pareille ? ricana Joe avec un sourire amusé.

— Excuse-moi de proposer quelque chose, râlai-je face à la grimace horrifiée de mon ami.

Le guitariste se mura derrière un long silence. Il s'installa sur une chaise, balayant ses cheveux qui lui tombaient devant le visage. Le menton posé encadré par ses paumes, il était plongé dans une longue réflexion. Je savais qu'il allait trouver le nom parfait. Joe avait un don pour ce genre de chose. Ce n'était pas pour rien que je lui donnais ce surnom de Petit Génie.

— Shenanigans, souffla Joe, perdu dans ses multiples songes.

— Pas mal. J'aime bien, lança Troy avec un sourire traduisant sa satisfaction.

Shenanigans. Il me fallut quelques minutes supplémentaires durant lesquelles, je passais ce nom dans tous le sens. Il sonnait fort, dégageait un certain mystère. Les cachotteries, un passé lourd, cela semblait se portait à nous trois. Je l'aimais.

— J'adhère.

Tadaam, deux choses importantes sont arrivées dans ma vie ce jour-là, notre batteur ainsi que le nom définitif de notre groupe.

Mais je continue de clamer que Dark Night était un bon nom, non ?

Mais bon, Shenanigans, c'est bien aussi, on va pas se le mentir.

Sinon, ce chapitre vous a plu ?

La suite, je suppose que vous la connaissez ou presque... Hehe, vous la connaissez du point de vue de Troy, mais pas du mien.

Oui, je suis mystérieux et j'aime ça.

A plus, bande de vieunes !

Mitch

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