Chapitre 8: Roses blanches
Elliot...
Des sanglots étouffés.
Elliot...
Voile pourpre.
Elliot...
Elliot se réveilla dans la chambre rouge.
Les draps de coton froid, tâché de larmes et de sang séché, les meubles de bois bruns, et les murs écarlates. Il connaissait cette chambre. Il la connaissait très bien même. Le soir qui tombait projetait des ombres inquiètes qui dansaient sur les parois couleur de sang. Les poutres, le plancher, les meubles craquaient. Des sanglots étouffés se faisaient entendre dans un coin de la pièce. Repoussant l'étoffe douce et rougie des draps qui recouvraient son corps, le jeune homme se leva et s'approcha de la jeune fille qui se balançait d'avant en arrière, ses genoux remontés contre sa poitrine.
Jane.
Jane Eyre.
E
lliot posa une main hésitante sur l'epaule de la fille, et elle releva brusquement la tête, posant sur lui ses deux yeux brûlants.
Qui n'abritaient que le vide.
Elliot plongea dans ces orbites noires, et la chambre disparut.
Elliot.
Une sale sombre et humide.
E-lli-ot...
Des enfants, du bruit, de la puanteur.
Elliot, viens, suis-moi.
Le bruit des chaînes de montres, des rats, des bijoux. Des cris de douleur, aigus, et de colère, masculins. Le smogg qui cogne contre une fenêtre étroite. Un enfant, blessé, qui le regarde fixement.
Oliver Twist.
L'enfant s'approche, recule, avance à nouveau. Le monde se met à tourner, tout tourne autour d'eux, l'homme qui frappe son amante, les enfants des rues, leur butin, les rats, tout se mélange et s'emmêle, tourbillon gris et boueux, flaque d'écoeurement et de puanteur.
Elliot, viens! N'ai pas peur!
Je ne te ferai rien.
Pourquoi tu t'enfuis, Elliot? Pourquoi tu te caches?
Je t'aime, Elliot. Pourquoi ne veux tu pas me voir?
Elliot...
Viens.
Une salle de bain. La salle de bain de l'appartement, en fait. Sa salle de bain à lui, bien propre, bien familière. Celle qu'il avait toujours connue, celle qu'il avait aimée, avec le porte-éponge en laiton et le rideau de douche en échiquier. De la buée couvrait les miroirs, et de son reflet, il ne pouvait distinguer qu'une silhouette maigre.
Elliot fronça les sourcils.
Quelque chose n'allait pas.
Il était là, il était chez lui et en sécurité, pourtant quelque chose... quelque chose manquait.
C'est en regardant le porte-serviettes, avec la sienne négligemment jetée sur le métal gris, qu'il compris. Il manquait Louis. Louis n'était plus là. Louis l'avait abandonné. Il était complètement seul.
Quelqu'un frappa à la porte. De petits bruits, légers, comme une main d'enfant. "Elliot!" appela une petite voix paniquée à l'intonation allemande. Bruit étouffés, comme une voix qu'on baîllonne. Les bruits contre la porte reprirent, plus rapides, plus violents, accompagnés cette fois de rugissements graves et furieux. Ce n'était pas Louis.
Pas lui, pas lui.
Elliot leva les yeux vers le miroir de la salle de bain, où la buée se dissipait. Au fur et à mesure que l'image se faisait plus précise, la fréquence et l'intensité des coups contre la porte redoublaient, à tel point qu'il sursautait, et se serrait autant que possible contre le carrelage du mur le plus éloigné de la porte.
"Elliot..." appela la voix féminine qui ne cessait de le hanter, par dessus le vacarme de la porte. Elle était là, tout près, tout près. Il leva les yeux vers le miroir. Là, derrière la vitre, le visage d'une pâleur mortelle et les deux mains plaquées contre le verre comme si elle eut voulu s'enfuir, la petite fille aux allumettes l'appelait. Elle lui souriait doucement, d'un sourire blême et triste.
"Il va entrer, souligna-t-elle.
-Non!
-Il va rentrer, regarde la poignée qui bouge, il essaye de forcer le passage.
-N-non, répéta-t-il, parcourant la pièce du regard à la recherche d'un allié, de quelqu'un qui puisse le protéger.
-Tu cherches qui? Jane Eyre? Oliver Twist? Il les a tous mangés.
-Putain, putain, non!
-Tu devrais lui ouvrir, Elliot. Il sera toujours là de toute façon. Tes bouquins ne te sauveront pas, tu veux finir comme eux, hein, tu veux? Tu veux faner comme une putain de fleur Elliot?"
Bruit sourd.
Noir complet.
La porte était ouverte.
Les yeux fermés, Elliot sentit l'ogre s'approcher, avec ses pas lourds et son haleine fétide, en psalmodiant des mots étrangers, des mots oubliés, des mots allemands. Derrière le miroir, amère et moqueuse, la petite fille aux allumettes chantonnait.
"Roses blanches, tombez, vous insultez nos dieux!
Tombez, fantômes blancs, de votre ciel qui brûle,
La sainte de l'abîme est plus sainte à mes yeux."
Les larges mains de l'ogre se posèrent sur son cou.
Elliot se réveilla parmi les fleurs.
Agenouillé près de lui, son frère le dévisageait avec une inquiétude qui se changea bientôt en un soulagement épuisé. Il serrait dans les siennes sa main blanche.
"L-louis! appela l'aîné d'une voix étranglée. Viens voir, Louis! Il s'est réveillé!
-Grand-frère, murmura-t-il avec un sourire pâle.
-Oui?
-Je suis désolé. Je, je t'ai menti. Je veux que ça s'arrête, Viktor, je veux que tu m'aides. Je, tu veux bien m'aider?"
Alors, le sourire de l'homme s'élargit, et il étreignit son petit frère, le serrant contre sa poîtrine, en murmurant des mots soulagés, des promesses, et des excuses dans le vide. Épuisé, Elliot ne retint de cette cascade de paroles que trois phrases.
"Ça va aller, petit-frère. On va y arriver. Je t'aime."
Les pétales de narcisses, entre les tulipes et les pétunias, volaient.
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