Chapitre 7: Iris

C'était le dernier jour de Novembre. Vingt-et-un jours avant la fin de l'automne. Vingt-et-un jours avant le solstice d'hiver. Il était neuf heures du soir, et Elliot lisait un roman d'amour à Louis qui n'écoutait pas les mots. Les fleurs qui s'entassaient autour d'eux coloraient le salon d'éclats rouge, mauves et oranges. La petite lampe du séjour jetait des nappes jaunes sur le visage d'Elliot. Fasciné, Louis contemplait les ombres qui dansaient sur la peau du jeune homme, et sa silhouette qui se détachait dans la lumière, donnant à la scène une allure irréaliste.
Et puis,
Au beau milieu d'une phrase,
Au beau milieu d'un mot,
Elliot se tut.

"Elliot?
-Tu as entendu?
-Non.
-Quelqu'un frappe à la porte."

Louis fronça les sourcils, tendant l'oreille. Il régnait dans l'appartement un silence complet. Personne ne frappait à la porte.

"Tu es sûr?
-Oui, je suis sûr, tu ne l'entends pas? Il cogne! Il cogne! Il veut que je lui ouvre!"

Le jeune homme avait agrippé les poignets de Louis, et les serrait avec force. Cela faisait mal, mais Louis n'y prêtait aucune attention. Il avait les yeux rivés sur Elliot. Celui-ci tremblait, bien qu'il ne fasse pas froid, et secouait nerveusement les bras de Louis tandis que ses yeux couraient partout, erratiques. Il se leva, et s'agita de plus en plus, paniqué, renversant les fleurs, donnant des coups dans tout ce qu'il trouvait.

"Elliot... Ça va?
-Tais-toi! Tais-toi, il va venir, tu n'entends pas?
-Non... On ne toque pas à la porte, Elliot. Il n'y a personne. Personne."

Personne.

Ce mot sembla apaiser brusquement le jeune homme, qui relâcha Louis et se laissa tomber au sol. Il tremblait toujours, mais ne bougeait plus, comme privé de ses forces, et son regard fixait un point dans le vide.

"Personne?"
Sa voix sonnait différente. Louis fronça les sourcils.
"Personne, répéta-t-il calmement.
-Mais il était là..."
Ce n'était pas la voix d'Elliot. C'était plus aigu, plus hésitant, plus faible. C'était une voix d'enfant. Alors, maladroitement, Louis fit la seule chose qu'il pouvait. Il serra l'autre dans ses bras, gêné, sans trop l'étreindre de peur de lui faire mal, et parla comme sa mère l'avait fait, des années plus tôt, lorsqu'il était triste ou effrayé.

"Non. Non, il n'était pas là. Tout va bien. Tout va bien.
-J'ai peur...
-Je sais. Je suis là. Tout va bien."

Louis continua à murmurer à l'oreille de l'autre. Il passa la main dans ses cheveux en bataille. Il serra un peu plus fort leurs coeurs l'un contre l'autre.

Et là,
Comme ça,
Au milieu des fleurs rouges et oranges et mauves et sous la lampe jaune,
Elliot s'endormi.




Alors seulement, Louis paniqua. Il ne comprenait pas, il voulait comprendre et c'était quelque chose qu'il ne connaissait pas du tout. Ses tripes se tordaient, il se sentait envahi d'une sensation étrange qu'il n'arrivait pas à identifier, et ça lui faisait peur. Et puisqu'il ne savait pas s'y prendre,
Et puisqu'il se sentait désespérement seul,
Louis fit la seule chose qui lui restait à faire.






Ce soir-là, Viktor était rentré de son travail complètement démoralisé. Sa dernière patiente, une gentille petite vieille qui sombrait doucement dans la sénilité, lui avait complètement bousillé le moral. Et c'était bizarre, d'ailleurs parce que Viktor avait d'autres patients, des gens admirables, ou tout simplement des gens gentils, qui souffraient le martyr, mais rien ne le rendait plus triste que cette vieille un peu ridicule, avec son manteau rose et son attitude presque comique. Mais il est des jours ainsi, où ce qui devrait être drôle n'en est que plus triste, et où l'on ne parvient plus à se moquer. Oui, voila, c'était un jour sans, et il ne parvenait pas à s'empêcher d'être triste pour cette femme qui sombrait doucement dans le néant et l'oubli d'elle-même.

Mais peut-être,
Seulement peut-être,
Peut-être y avait-il une autre raison. Peut-être que cette vieille ne lui était pas si étrangère. Peut-être lui rappelait-elle que quelqu'un, loin de lui, se laissait disparaître sans qu'il ne puisse rien faire...



Alors, en rentrant chez lui ce soir-là, Viktor ne résista pas à l'appel frénetique de la cigarette. Il ouvrit sa fenêtre, qui donnait sur un arbre que le vent d'automne avait mis à nu, et inspira une large bouffée de l'air de la ville. Essence, nicotine, liberté, et une vague odeur de pluie. Viktor adorait ce parfum violent et sauvage, à la frontière de la beauté et de l'amertume, propre aux nuits urbaines.

Le vent d'automne le fit frissonner. Il allait fermer la fenêtre lorsque quelque chose de totalement impropable,
D'absolument inattendu,
Survint.
Le téléphone sonna.

C'était un numéro inconnu. Viktor décrocha en fronçant les sourcils. Même les démarcheurs savaient qu'il valait mieux le laisser tranquille à présent. Cependant, sa rage s'évanouit d'un coup, et il se sentit pâlir brusquement, lorsqu'il reconnut la voix qui s'éleva dans l'appareil.

"Hallo? Hallo Viktor, c'est, c'est Louis. Il faut que tu viennes, s'il-te-plaît. Il y a un problème avec Elliot."

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