Chapitre 6: Pauvre Type
Une semaine après la visite de son étrange thérapeute, celui-ci revint chercher Louis en voiture. Sa mère avait apporté une valise avec ses affaires, et il était prêt à partir. Enfin, en théorie. M. Kerz lui avait bien proposé de rendre visite à ses parents, mais l'adolescent avait refusé. À quoi bon, de toute manière. Il avait 21 ans, il se considérait comme un adulte, et il n'avait pas besoin d'eux.
Ni d'un quelconque thérapeute maître chanteur, d'ailleurs.
Lorsqu'il sortit de l'hôpital, une violente bourrasque vint heurter son visage, et il frissonna. L'automne s'était bien installé dans le ciel pur et froid. Quelques feuilles mortes, emportées par le vent, tremblaient faiblement sur le béton sale. Cette ville grise, de métal et de pierre, qui se découpait sur un ciel bleu et vide, était tâchée par endroit de la couleur rouille des arbres endormis. L'instant avait quelque chose de mélancolique. Quiconque aurait trouvé ce matin-là triste.
Louis le trouvaq magnifique.
Finalement, l'adolescent détourna le regard de l'horizon et sursauta. Devant sa voiture, garée en face de l'hôpital, M. Kerz le fixait avec insistance, concentré, un petit sourire satisfait sur les lèvres. Cela agaça un peu le jeune homme, il avait l'impression d'être analysé, décrypté, décortiqué. C'était désagréable. Enfin, il haussa les épaules, et soupira. Ses émotions étaient anesthésiées, de toute manière. Rien ne le dérangeait plus vraiment. Il posa sur son observateur un regard neutre, et celui-ci lui répondit d'un grand sourire, lui faisant signe de la main.
Traversant la rue, l'adolescent le rejoignit de l'autre côté.
"Louis! s'écria-t-il avec un grand sourire. Comment vas-tu?
-Pas moins bien qu'hier, et pas mieux que demain", rétorqua-t-il, laconique. Le sourire de son interlocuteur se crispa légèrement, mais il fit comme si de rien n'était.
"Allez monte, ta valise est dans le coffre. Je t'emmène directement chez lui."
Il s'exécuta sans répondre, et la voiture démarra. L'intérieur avait dû être imprégné du même parfum que son propriétaire, car tout dégageait cette forte odeur, complexe et intense, dont l'adolescent n'aurait même pas su dire s'il la trouvait agréable. Il observait les paysages qui défilaient depuis un long moment lorsque le conducteur se décida finalement à rompre le silence.
"J'ai étudié ton dossier.
-Ah.
-Ne t'inquiète pas pour ton travail, l'appartement d'Elliot n'en est pas très éloigné. Tu n'auras qu'à prendre le premier bus du matin, et tu arriveras à l'heure à la boulangerie.
-D'accord.
-Elliot est quelqu'un de calme, il est totalement enfermé dans son monde. Je compte sur toi, Louis. Des questions?
-Oui, avoua-t-il après un silence. Pourquoi moi? Pourquoi ne pas l'envoyer chez un thérapeute, ou l'aider vous-même? Pourquoi moi en particulier?"
Là, le conducteur soupira et resta un moment les yeux dans le vague, semblant réfléchir à ce qu'il allait répondre.
"Ça fait trop longtemps que j'essaye d'aider Elliot moi-même. C'est stupide, j'aurais dû réaliser avant que j'en étais incapable. Je me disais qu'il avait besoin de temps, qu'il allait revenir vers moi..."
Là, il marqua une pause, comme s'il lui en coûtait de prononcer ces mots. Il tourna la tête vers son interlocuteur, souriant nerveusement, mais l'adolescent pouvait lire la honte et la culpabilité dans les yeux du psychiatre. L'espace d'un instant, il se sentit presque désolé pour lui. Mais M. Kerz détourna le regard vers la route, et Louis se souvint qu'il le faisait chanter, et qu'il était supposé le haïr.
"Jamais Elliot n'acceptera de parler à un thérapeute, reprit le médecin, et crois-moi, ce n'est pas faute d'avoir essayé. Il se mure dans le silence. S'il sait que tu es là pour l'aider, il se fermera définitivement à toi. Je lui ai dit que tu étais un ami qui avait besoin d'un toit pour la nuit, tu comprends?
-Oui. Mais dans-ce cas, pourquoi demander l'aide d'un ado suicidaire? Pourquoi ne pas engager un acteur, ou un ancien patient?
-Mon frère est loin d'être stupide, il réaliserai qu'on se moque de lui. Non, j'ai besoin de quelqu'un de sincère, de quelqu'un qui peut changer sa vision du monde. C'est pour ça que je t'ai choisi.
-Sa vision du monde? Mais vous croyez que j'en ai quelque chose à faire, moi, de sa vision du monde? J'ai essayé de me suicider la semaine dernière, je ne ressens plus rien! s'emporta-t-il. Je...
- Et ça, le coupa calmement le médecin, c'est un mensonge."
Abasourdi, l'adolescent se tut, dévisageant l'autre.
"Je t'ai choisi, reprit-il, parce que je sais que tu peux l'aider, que tu y croie ou non. Je t'ai observé, Louis, j'ai étudié ton dossier. Allez, descends, c'est cet immeuble. Deuxième étage, porte 3, tu diras à l'interphone que c'est moi qui t'envoie. Au revoir, Louis . Et n'oublie pas ta valise."
Déglutissant, l'adolescent emporta son bagage et se réfugia sous le porche. La petite voiture, au loin, disparaissait déjà dans la ville grise et rousse.
Deuxième étage, porte 3... Il appuya sur l'interphone.
"Hallo? répondit une petite voix masculine, faible et abîmée.
-Bonjour, répondit-il, je suis un ami de Viktor. J'aurais besoin d'être hébergé pour quelques semaines...
-Ah oui, je vois qui tu es, le coupa l'autre d'un ton amer. Monte, je t'attends."
Un vrombissement sourd lui annonça que la porte était déverouillée, et, armé de sa petite valise, Louis gravit les marches de l'escalier.
Il arriva devant la porte 3, une vieille porte à la peinture verte noircie et écaillée.
Alors qu'il s'apprêtait à frapper d'une main hésitante, la poignée se tourna et la porte s'ouvrit lentement. Derrière elle, un personnage se tenait, qui le dévisageait d'un air fatigué.
Son visage lui était familier, et non seulement parce qu'il connaissait son frère. Non, ce grand regard bleu cerné de noir, ce visage creusé, ce corps petit et mince, trop mince, maigre même, il les avait déja vus. Dans un sursaut, Louis reconnut l'homme qu'il avait croisé, lorsqu'il fumait, devant l'hôpital.
Perturbé, il fronça les sourcils. Qu'avait pu faire le frère macchabé d'un psychiatre dans un hôpital, la veille? Cela le dérangeait d'autant plus que Viktor ne lui avait pas expliqué le problème de son frère. Il était face à un mystère qu'il était supposé résoudre le plus vite possible, et il lui semblait qu'on lui cachait beaucoup trop de choses pour cela.
Mais une chose fut sûre, lorsque son hôte le fit entrer sans un mot dans l'appartement obscur, qui sentait le renfermé:
Il avait un problème.
Viktor ne s'était pas trompé, il avait un problème, et Louis ne savait pas du tout comment il était supposé arranger cela. Une petite voix, méchante et amère, chuchota dans son esprit: "Pauvre type".
Fatigué, Louis n'eut même pas le courage de la faire taire.
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