Chapitre 5: Jasmin
Deux semaines plus tard. Fini, l'hôpital. Finies, les après-midis, les journées dans la chambre blanche éclairée par les roses, et le petit silence pâle, sous un soleil doux et jaune. Finies.
De retour à l'appartement, à la pénombre, à leur vie d'avant. Louis boîtait. Elliot aidait Louis à marcher.
Un papier avait été négligemment collé sur la porte de l'ascenceur, rappelant l'éternelle panne qui ancrait celui-ci dans les sous-sols de l'immeuble. Il était onze heures du soir, et il faisait froid. Les lampes, sur les palliers, projettaient contre le papier peint de sienne brûlée leurs larges éclats rouges. Les deux hommes frissonnaient. L'un, portait le bras de l'autre sur son épaule, courbait le dos, afin de supporter plus aisément le poids de son partenaire d'ascension. Arrivés devant leur appartement, ils se lâchèrent avec un sourire gêné, et soufflèrent.
"Ça va? s'enquit Louis.
-Oui oui, se hâta de répondre l'autre. Et toi?
-Ça va. Il fait froid, tu ne trouves pas?
-Si. Comment va ta cheville?
-Ça va, je n'ai pas mal si je ne m'appuie pas dessus. Dans deux semaines j'enlève l'attèle.
-Ah, c'est bien.
-Oui. Oui, c'est bien."
Ils se regardèrent sans rien dire, embarrassés. L'un eut un petit rire gêné, l'autre soupira, puis le silence reprit ses droits. Le malaise était palpable, dans ce silence-là. Aucun des deux n'avait véritablement envie de rentrer. Heureusement, une interruption bienvenue leur permit de retarder encore un peu l'échéance qu'ils redoutaient.
Derrière la porte voisine, une voix féminine s'éleva, entrecoupée de jappements.
"Lassie! Lassie, viens ici, viens ici tout de suite. Au pied, Lassie!"
Mais l'animal ne répondait que par des aboiments rebels.
Finalement, le vacarme cessa ; peut-être que le chien s'était endormi, ils n'auraient su dire. Brusquement, la porte s'ouvrit, et une adolescente aux cheveux en bataille en surgit.
Affichant un sourire gêné, la jeune fille releva la tête pour dévisager les inconnus, et son regard s'éclaira lorsqu'elle reconnut Louis.
"Bonsoir! s'exclama-t-elle, je suis Hope, j'habite ici. Désolée pour le tapage nocturne, c'est ma chienne, elle est un peu agitée. J'espère que nous ne vous avons pas réveillés. Mais je te connais toi! On s'est parlés, l'autre jour, sur le banc! Je pensais que tu étais au lycée, mais je me suis trompée, tu travailles à la boulangerie. Tu ne te souviens sûrement pas de moi, je suis l'idiote qui achète des tartelettes à la fraise."
Elle avait vraiment un drôle d'air, avec sa tenue débraillée, ses cheveux courts ébourriffés volant en désordre autour de son visage. De plus, elle parlait très vite, se balançant d'un pied à l'autre avec une énergie folle, et ses yeux pétillants couraient à toute allure le long des deux hommes. Elle avait un sourire de petite fille, et elle dégageait des effluves de lait de jasmin et d'argile blanche. Elliot ne sut quoi penser de cette étonnante voisine qui lui donnait la migraine.
"Je me souviens."
Ce n'était pas de la politesse, ni une manière de participer à la conversation, simplement un fait, un démenti. Louis se souvenait d'elle. Point, à la ligne, nouveau paragraphe.
Même l'adolescente ne sembla pas se tromper devant cet air froid et distant qu'il avait revêtu. Elle recula d'un pas, gênée, puis d'un autre, et se heurta à un mur.
"Aïe, souffla-t-elle, je suis vraiment maladroite...
-Est-ce que ça va? demanda par politesse Elliot, qui n'en avait rien à faire, sans même la regarder.
-Oui... Vous êtes les nouveaux voisins, c'est ça?"
Désormais agacé, Louis soupira et leva vers elle un regard sombre. Décidément, la gamine ne se décourageait pas, déterminée à discuter. De son côté, Elliot se mordait les doigts de l'excès de décorum qui l'avait conduit à relancer la conversation. Elle était désagréable de toute manière, avec ses petits rires qui donnaient la migraine. Que pouvait bien lui faire l'état de sa voisine idiote, après tout?
Mais la jeune fille poursuivait son babillage importun.
"C'est la première fois que je vous croise dans l'immeuble. Vous avez emménage récemment? C'est drôle, j'ai toujours cru que cet appartement étair inhabité. Quand j'étais petite, j'étais persuadée qu'il était hanté. Même maintenant, quand j'ai du mal a dormir, j'ai parfois l'impression d'entendre des cris, des gémissements ou des pleurs, et parfois des bruits de pas et des portes qui grincent et claquent à des heures bizarres. Vous n'avez pas de problèmes avec les fantômes? Vous croyez au fantôme? Mais d'ailleurs, c'est bien vous qui vivez là, non? Enfin bref, toujours est-il qu'à mon avis, il se passe des choses étranges derrière cette porte, quand on ferme les yeux. Il s'est déjà produit des phénomènes surnaturels, pendant que vous étiez-là, ou...
-Oui, l'interrompit Elliot d'un ton sec, le visage à présent bouillant de rage. Oui, il y a des fantômes dans l'appartement, des fantômes terrifiants. Je les ai vus, de mes yeux, plusieurs fois. J'ai vu des choses... Ils ont fait des choses... Ecoute, tu ne peux pas te mêler de ces choses-là. Il se passe des choses dans cet appartement qui se trouvent... hors de ta portée. Nous sommes justement venus pour purger cet endroit des démons qui l'habitent. Alors sois gentille, petite, et retourne te coucher."
Il avait prononcé cette tirade d'une voix grave, parfaitement sérieux, ayant plongé ses yeux d'acier dans ceux de la jeune fille. Celle-ci, spontanée, pâlit et leur adressa un dernier sourire effrayé avant de se précipiter chez elle et de disparaître comme elle était apparue. Un jappement endormi retentit lorsque la porte se referma.
Il y eut un long silence. Elliot regarda Louis. Louis regarda Elliot. Puis, doucement, en veillant à ne pas faire trop de bruit, l'un des deux se mit à rire, et l'autre le rejoint. C'était un rire pâle, et un peu âcre, un rire gêné et étrange, certes, mais un rire tout de même, et à demi amusé. Elliot observa Louis, vit qu'il souriait, et songea que c'était déjà bien.
Puis,
Doucement,
Comme il était né,
L'éclat de rire s'éteignit.
Les deux jeunes hommes se tournèrent avec appréhension devant la porte de l'appartement, conscients qu'ils ne pouvaient plus désormais retarder plus longtemps l'échéance.
Il fallait entrer, maintenant.
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