Chapitre 4: Rose trémière
"Il n'est rien de plus douloureusement mélancolique qu'un crépuscule d'automne."
Emile Zola
Là,
Dans le petit silence apaisé de la chambre,
Elliot lisait.
Louis lui, sommeillait à demi, le soleil doré de la fin d'après-midi ruisselant sur sa peau pâle. Ses doigts, errant librement sur son genou relevé, traçaient au hasard des arabesques dans le vide. Un petit air lui trottait dans l'esprit, auquel il n'avait pas songé depuis longtemps. Une mélodie pure, aigue et claire, un peu métallique. La boîte à musique de quand il était petit. Doucement, dans la dentelle d'un jour de novembre, ses souvenirs chantaient. À côté de lui, paisible, le bouquet de roses jaunes éclairait la pièce.
"Elliot? murmura-t-il.
-Oui?
-Tu lis quoi?
-Un roman d'amour.
-D'accord. Dis-moi... Tu veux bien me faire la lecture?
-Je croyais que tu n'aimais pas les histoires.
-Non, mais j'aime bien ta voix. S'il-te-plaît.
-D'accord."
Et Elliot lu. Louis n'aurait su dire de quoi il parlait, ou ce que l'histoire racontait: il n'écoutait pas les mots. Il écoutait la voix. Elle résonnait, claire, dans le silence de la chambre, et Louis songea qu'il avait dû faire ça toute sa vie, qu'il était impossible qu'il en fut autrement. Les mots coulaient, spontanés, avec une assurance si naturelle qu'il y croyait à peine. Lumineux, emphatique, il paraissait changé. Chaleureux, vivant, il lisait.
Et là,
Dans le petit calme apaisé de la chambre,
Louis se sentait bien.
Un autre soir.
Là,
Dans le creux du jour qui mourait,
Elliot lisait,
Et Louis écoutait.
C'était le crépuscule. Une semaine avait passée depuis qu'Elliot avait commencé à lui faire la lecture ; une semaine et cinq livres. Dehors, Novembre rougissait sous les feuilles mortes. Un crépuscule orangé étendait ses langueurs contre la vitre tiède. Les mots glissaient contre l'esprit de Louis, il ne les écoutait pas. Bercé par la voix d'Elliot et les dernières lueurs du jour, il sommeillait.
"Louis?" chuchota alors l'autre en refermant le livre. "Tu dors?"
Les mots du jeune homme lui parvenaient à travers une nappe de brouillard. Il ne répondit pas.
"Je peux te dire un secret?"
Pas de réponse. De toute manière, il n'en attendait pas.
"Je ne suis pas sûr mais... J'ai parlé avec mon frère, et je crois que je comprends. Je veux dire, le crépuscule, les fleurs, toi, moi... C'est beau. C'est vraiment beau. Donc, je suppose que tu ne comprendrais rien à ce que je suis en train de raconter, mais je voulais te dire que je trouvais ça bien. C'est bien, que tu sois comme ça. Je veux dire, pas suicidaire, ni apathique, mais c'est bien. C'est bien qu'il y ait des gens qui aiment les belles choses. Moi, j'en suis incapable, moi j'aime les mots et j'ai du mal à voir ce que toi tu voix, n'importe où. Je crois que je suis pessimiste, c'est peut-être ça. Mais là, je dois reconnaître que c'est beau. Pour de vrai.
Alors, je voulais te dire, je sais que tu n'écoutes pas quand je lis. Jamais. Mais c'est pas grave, parce que c'est comme ça que tu es, et c'est bien. Je suis content que tu sois là, je suis content que tu sois né. Je ne sais pas si je tiens à toi, c'est juste... différent. Oui, c'est ça, c'est différent. Louis, c'est différent. Tu as les yeux fermés, et le souffle imperceptible. Je me demande si tu dors. Je ne sais pas si tu écoutes, je ne sais pas si tu comprends.
Louis écoutait.
Louis comprenait.
Les dernières lueurs du ciel rougi lui caressaient la joue.
Un matin.
Quelques jours plus tard. Le bouquet presque fané brillait encore faiblement sur la table de chevet. Louis ne disait rien, Elliot ne lisait pas. C'était un peu triste, quelque part.
"Elliot, murmura Louis.
-Oui?
-Les fleurs... Les fleurs, elles sont en train de mourir.
-Je sais.
-Je ne veux pas qu'elles meurent.
-Moi non plus. Mais nous n'y pouvons rien.
-Tu m'en rapporteras d'autres, dis, Elliot? C'est triste, ici, sans fleurs. Je suis branché à des machines, et je ne sais pas quand je pourrai sortir. Tu m'en rapporteras?
-Bien sûr. Tu les voudrais comment?
-Des roses. Des roses trémières. Pour la beauté.
-Pour la beauté."
Elliot hocha la tête. Un silence. Puis:
"Elliot?
-Oui?
-Tu aimes la poésie?
-Oui.
-Tu veux bien m'en raconter? S'il-te-plaît. Moi, j'aime la poésie, mais je n'en connais aucune.
-D'accord. Tu veux quel genre de poème?
-Je ne sais pas... Quelque chose de doux. Comme un jour qui s'éteint. Quelque chose de triste."
Alors Elliot déglutit et, fermant les yeux, récita. Il savait, sans se poser de question, ce qu'il devait choisir. C'était l'Isolement d'Alfred de Musset. C'était beau. C'était triste.
"Souvent sur la montagne, à l'ombre du vieux chêne,
Au coucher du soleil tristement je m'assieds.
Je promène au hasard mes regards sur la plaine,
Dont le tableau changeant se déroule à mes pieds."
Lentement, un pétale se détacha du bouquet de roses, et vint dormir aux pieds d'Elliot. Un rayon de soleil jaune passa sur son visage. Attentif, Louis écoutait.
"Ici gronde le fleuve aux vagues écumantes,
Il serpente et s'enfonce en un lointain obscur.
Là, le lac immobile étend ses eaux dormantes
Où l'étoile du soir se lève dans l'azur."
Un pétale tomba. Puis un autre. Et encore un autre. Les fleurs mouraient doucement.
"Au dessus de ces monts couronnés de bois sombre,
Le crépuscule encore jette un dernier rayon,
Mais le char vaporeux de la reine des ombres
Monte, et blanchit déjà les bords de l'horizon."
Louis avait fermé les yeux, laissant échapper le matin, faisant disparaître les cadavres de fleurs qui tombaient un par un. Disparus, la chambre d'hôpital, la perfusion, les machines. Envolés, les courants d'air, les frisson, l'odeur d'eau de javel et de maladie. Évaporés, les bruits de pas, les cris des médecins et des infirmiers, les pulsations suraigues des machines. Il n'y avait plus que lui, et la voix d'Elliot, en haut de la montagne, avec la plaine en contrebas.
"Emportez-moi comme elle, orageux aquilons!"
Dernier vers, dernière feuille morte, dernier mot. Les deux jeunes hommes ouvrirent les yeux. Le ciel d'automne s'était teinté d'un gris de métal triste. Sur la table de chevet, les roses gisaient, privées de lumière, mortes.
"Je t'en rachèterai d'autres," murmura Elliot. Louis hocha la tête en remerciement, mais ne répondit pas. Les roses étaient mortes, vive les roses. Il n'y avait rien à dire.
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top