Chapitre 6

Les beaux gosses ne sont que dans le fictif, faut pas rêver.

Moon

—    Punaise, tu n'aurais pas dû faire tout ça, Moon. Imagine que Chase comprenne tout ? Tu fais une bonne Drecean en général mais je pense que malgré tout, Chase est loin d'être un idiot. Et lui, c'est un vrai Drecean ! C'est déjà un miracle que personne ne t'ait cramé... Et puis mince quoi, ce n'est pas compliqué de se tenir loin de certaines personnes !

—    T'exagère Romary ! J'ai fait attention, et tout ça ne serait pas arrivé si tu ne m'avais pas laissé seule. Et je te signale que je ne sais même pas à qui je peux me fier ! Qui me dit que tu n'es pas une de ces folles qui détestent les humains ? Que tu ne prévois pas de me zigouiller demain soir ou cette nuit ?

—    Je n'avais pas le choix et moi je ne suis pas pareille !

—    Moi non plus et je ne te connais pas depuis longtemps ! Alors arrête de me reprocher tout ça !

Mon amie fronce le nez puis se laisse tomber sur une chaise de bureau, relâchant les muscles de ses épaules. Elle passe une main sur son front fiévreux, un air désolé sur le visage.

—    Excuse-moi. J'ai eu peur pour toi, c'est tout. Je suis tellement contente de rencontrer quelqu'un d'humain et cool en plus de ça, je veux juste t'aider.

—    C'est gentil de t'inquiéter, mais je suis une grande fille qui peut me débrouiller. Ici, ce n'est pas mon monde, mais dis-toi que je prends déjà énormément de risques en te faisant confiance. Je ne suis pas la fille la plus agréable, la plus intelligente ou la plus forte, mais tout ce que je sais c'est que je ne peux pas rester les bras croisés. Rien ne m'attend là-haut, tu sais ? Mais je me dis que le peu de personne pour qui je suis importante doivent s'inquiéter, alors je me dois de les rejoindre.

Elle semble réfléchir, hoche la tête en pinçant l'arête de son nez avec deux doigts.

—    C'est vrai. Je me doute que tu veuilles retourner le plus rapidement sur le continent plutôt qu'ici mais tu sais, je ne suis pas sûre qu'on arrive un jour à s'en sortir sans prendre des risques... Au moins, on sait que certains de cette école sont assez intelligents pour ne pas cracher sur les humains sans les connaitre. Mais rappelle-toi qu'ils sont une minorité. Je ne pourrais pas toujours être avec toi. Et même si c'était le cas, je ne suis pas la plus forte, contre certaines espèces je ne pourrais rien faire.

—    Ne t'en fais pas, je gère.

Je comprends totalement l'inquiétude de Romary, mais ça fait à peine deux jours que l'on se connait. Je lui fais confiance parce que je n'ai pas réellement le choix, mais au fond de moi, j'appréhende un peu une potentielle trahison. S'ils détestent autant les humains et qu'elle attend juste le bon moment pour me balancer... Non. Stop Monica. Arrête de penser à ça, Romary est une crème, elle ne me ferait pas ça.

Le premier souci que j'ai, c'est que remonter à la surface doit-être un sacré secret qu'on n'est pas près de découvrir, ou du moins pas dans des bouquins accessibles par les élèves.

—    Bon !

Romary se relève d'un coup, étire son corps ce qui relève un peu son haut, dévoilant ses branchies transparentes qui bougent lentement. Je crois que je commence à m'y faire, c'est bizarre. Elle range la chaise puis attrape un bouquin qui trainait sur le bureau entre tous ses manuels mal rangés.

—    C'est un roman sur la constitution de la bulle d'oxygène et tout ça, m'explique-t-elle en commençant à feuilleter l'ouvrage. Je ne sais pas si ça va nous aider, mais je me dis que sur un mal entendu on pourrait en apprendre plus sur le moyen de déplacement des Drecean.

Je m'approche d'elle pour lire par-dessus son épaule, mais les pages ne sont pas bien remplies. Maintenant qu'elle me le fait remarquer, c'est vrai que je n'ai pas pensé aux Drecean. De toutes les espèces présentent ici, se sont les seules qui ne peuvent pas respirer sous l'eau. Dans un ordre logique, les créatures viennent ici à la nage, mais comment font les Drecean pour aller d'un endroit à un autre ? Avec cette pression ?

—    Mmh, il n'y a pas grand-chose, constaté-je en voyant surtout de vieux dessins de plusieurs cités qui ressemblent à des villes sous-marines comme dans les films.

—    C'est normal, on ne sait pas comment sont constitués les bulles d'airs. On ne nous apprend pas réellement de sorts ou ce genre de trucs. Les seuls cours un peu différents qu'on nous enseigne, c'est pour maîtriser nos aptitudes physiques ou psychiques dès l'enfance. Sans ça, je pense que je n'arriverais pas à bien doser le poison de ma queue. De même que les Arorot n'arriveraient pas à cloisonner leur télépathie ou les Drecean à sortir leurs lames. Tout s'apprend.

—    Je m'en doutais. Certaines choses ne peuvent pas vraiment être accessible au public, il faut trouver autre chose.

J'hoche la tête. En effet, tout est un apprentissage, ça me parait logique qu'on leur enseigne un minimum comment contrôler leurs aptitudes. La seule chose étrange, c'est qu'ils n'aient pas de cours plus fantastiques alors que se sont quand même des espèces qui vivent dans un lieu magique. Parce qu'on le veuille ou non, une bulle d'air comme celle-ci ne relève pas de notre physique ou chimie habituelle, c'est quelque chose de supérieur. Sauf erreur de ma part ou non connaissance de certains domaines, je ne connais aucun humain qui arrive à créer une bulle d'air sans utiliser sa salive pour faire l'idiot.

—    Je le lirai plus tard, décide-t-elle en claquant le livre pour le refermer. Promis, je chercherai chaque petite chose qui pourrait nous aider à te sortir d'ici.

—    C'est gentil Rom'.

—    Mais en attendant, ça va être l'heure de manger !

Elle repose le livre et en profite pour attacher ses cheveux argentés en un minuscule palmier.

—    Au fait, avant qu'on aille au self, tu as gardé le truc que je t'ai donné ?

Elle a l'air si sûre d'elle mais j'ai un gros trou de mémoire. Elle m'a donné un truc ? Quand ça ? J'étais tellement obnubilée par la barrière qui me sépare de l'océan et par l'intervention de la directrice que je ne me souviens plus de ça. Romary comprend que je ne vois pas de quoi elle parle, son visage devient plus pâle qu'une peau de Nedin — on reprend les expressions de ce monde après tout.

—    Tu me fais une blague Monica ? Je t'ai donné un truc avant que Mme Rumsey ne nous parle ! Tu sais, c'était un truc métallique.

Je tire une grimace coupable qui ne fait qu'énerver encore plus Romary. Zut, j'ai vraiment zappé. Croisant les doigts pour que la Monica du passé ait été intelligente, je plonge mes mains dans les poches de ma jupe rêche et la droite trouve un petit truc qui me semble coupant. Je le saisis et le ressors pour montrer à Rom' qui soupire de soulager.

—    Par tous les Osilid chauves ! Tu m'as fait peur Moon !

Romary attrape le bout de métal qu'elle passe sur ses doigts fins au point de se faire plusieurs coupures. Le fer a souffert, d'un côté peint en blanc écorché et de l'autre d'une couleur grise caractéristique. Il est plutôt épais, cinquante millimètres je dirais.

Mon amie l'inspecte, touchant chaque partie coupante et mal poncée, puis ses sourcils se froncent quand elle tombe sur quelque chose qui retient son attention.

—    Là, me montre-t-elle en indiquant le début de ce qui devait être une écriture.

—    On ne pourra pas deviner ce qui était écrit sans trouver le reste des morceaux.

—    Et tu n'as pas une seule idée de ce que c'est ?

Je secoue la tête, une moue déçue sur le visage. Je n'ai aucune idée de ce qu'est ce petit morceau de rien du tout. Il aurait très bien pu arriver là par hasard, poussé par le courant de l'eau ou quelque chose du genre.

—    C'est bête, on va le garder quand même. Tu veux le faire ou tu préfères que ça soit moi ?

—    Garde-le si ça te fait plaisir, au pire on ira plus tard chercher la suite du morceau ?

Les yeux jaunes de Romary s'illuminent comme si elle venait d'avoir la meilleure idée de l'univers. Ça ne sent pas bon.

—    On va aller après manger ! Comme ça, on ne perd pas de temps. Je t'adore mais je suis plutôt intriguée par ta présence ici et savoir comment te renvoyer d'où tu viens.

—    Sympa, m'exclamé-je avec un rire sans joie.

Romary s'adoucit, comme si elle venait de se rendre compte de ce qu'elle a dit. Je me doute que si elle m'aide rapidement, c'est pour retourner à sa petite vie tranquille. Mais en soit, ce n'est rien, j'ai l'habitude d'embêter les gens.

Quand j'étais plus jeune et que mes parents ne me détestaient pas encore totalement — c'est ce que je me force à croire —, j'ai décidé d'inviter une amie à mon anniversaire. Je rêvais d'une grande fête comme tous les enfants de mon âge alors je me suis dit que d'inviter cette personne serait une preuve que je compte dans ce monde. Mes parents ont décrété que leur nom — et non moi — méritait plus d'invités pour une fête telle que je l'imaginais. Ils ont invité toute la classe et, à mon grand étonnement, tout le monde est venu. Sauf moi. J'ai été interdite d'anniversaire pour le motif : « ne veut pas s'habiller en rose ». J'ai eu le droit de descendre souffler mes bougies mais personne n'est venu chanter autour de moi, me filmer avec ma dent en moins dans la bouche ou même me féliciter pour ma prise d'âge. Non. On m'a expédié en deux deux, tapant dans les mains pour que j'aille plus vite histoire que tout le monde puisse manger du gâteau. Je n'en ai même pas eu le droit.

Depuis, j'ai compris que mon existence n'est qu'une gêne, peu importe la situation. Et ça n'a fait qu'empirer avec le temps.

—    Je ne voulais pas dire ça Moon... Je t'aime vraiment bien, mais comme tu le dis, ce n'est pas chez toi ici. C'est juste dangereux...

—    Ne t'en fais pas Rom', je ne t'en voudrai pas pour si peu.

L'Alopian ouvre la bouche pour rétorquer mais je ne lui en laisse pas le temps. Je me lève et lui indique la porte d'un coup de tête. Elle acquiesce et me rejoint, fermant derrière nous.

***

Le self est énorme, aussi grand que la bibliothèque mais à cause du dégagement de l'espace, j'ai l'impression que des milliers de personnes sont réunies en petits groupes. Comme le reste du bâtiment, les murs sont en vieilles pierres avec de grandes fenêtres de deux mètres au moins. J'ai l'impression d'être plongée dans le château d'Harry Potter.

Je suis Romary qui nous indique où nous servir et j'essaye de ne pas fixer les femmes qui nous servent. Avec leurs grands yeux d'un bleu flippant et leur peau verdâtre, elles semblent à deux doigts de nous croquer si on fait un pas de travers.

La nourriture est plutôt semblable à chez nous, les repas sont aussi bien carnivores que végétariens, permettant à chaque régime alimentaire de trouver chaussure à son pied. J'avoue ne pas avoir trop réfléchi quant à la nourriture d'ici qui aurait pu être quelque chose de décisif sur la poursuite de nos recherches.

—    Moon, ici !

Je tourne la tête, interpelée par Romary qui me regarde la tête de travers. Je me suis arrêtée au milieu, pensive. Quelques personnes me regardent en chuchotant, mais je m'en fous un peu et rejoins Rom' qui s'assoie avec Sally, son amie. Les deux commencent à discuter comme des pipelettes, tandis que moi je mange en silence, regardant discrètement autour de moi les autres élèves.

Le self ou la cantine, c'est toujours la loi de la jungle. Ici, on se rend compte des clans, des affinités, des harcèlements et de tous les problèmes qui peuvent survenir dans un établissement. Observer ce lieu hostile a toujours été quelque chose de nécessaire à ma survie, juste pour pouvoir cerner les personnes de confiance ou non.

Les grandes tables disposées en longueur permettent de voir les Charingers qui traînent plutôt ensembles, mais aussi les Lomunes qui ne se mélangent encore moins à la foule. De plus petits groupes comme le nôtre sont quand même la majorité, mais on distingue clairement les « populaires » des autres. Par exemple, la table avec les deux Nedin que j'ai croisé dans le couloir regroupe tous les beaux gosses — ou du moins ceux qui se pensent beaux —. Ils parlent fort, se balancent avec nonchalance sur leurs chaises et lancent de la nourriture sur d'autres groupes qui sont leurs amis, ou non.

Mon regard croise les yeux bleus de Peyton, la Nedin au carré brun et à la peau rose, mais elle détourne vite le regard, comme si elle venait de se faire surprendre. À côté d'elle, Felicity se lance dans un bras de fer avec un Osilid téméraire, faisant bouger en onde le poulpe sur son crâne. Évidemment, Felicity gagne en poussant un cri ressemblant à celui d'un gorille, fière d'elle.

Je surprends rapidement un petit coup d'œil réciproque entre Dexter et Romary, mais Sally semble aussi l'avoir remarqué car elle saute sur l'occasion pour lancer le sujet.

—    Quand est-ce que vous allez sortir ensemble ? Tout le monde sait que vous vous tournez autour.

Les joues de l'Alopian rougissent, renforçant le sourire cruel de Sally. Sa peau orange de Nedin prend des couleurs plus rosées par endroit, trahissant son malin plaisir à enfoncer notre amie.

—    Personne ne dit ça, renchérit Rom' en replongeant dans sa salade aux algues vertes.

—    Si, et tu le sais. Vous êtes fait l'un pour l'autre, passez le cap !

—    Je suis d'accord avec Sally, j'interviens en continuant de regarder autour de moi les personnes.

—    Vous m'énervez ! On change de sujet !

La Nedin ricane tandis que Romary commence à parler d'un professeur que je ne connais pas, ce qui me permet de me reperdre dans mes pensées. Un groupe d'Arorot nous observent en riant comme des hyènes, nous transmettant leurs ricanements par télépathie. Mais comme si c'était inné, j'arrive à bloquer leurs pensées d'un simple soupir. Je n'ai pas envie d'avoir des parasites dans mon cerveau.

Au bout d'un quart d'heure, Romary m'indique la sortie d'un regard, histoire d'avoir le temps d'aller faire nos recherches à l'extérieur. Je ne sais pas s'il y a un couvre-feu, mais quelque chose me dit que nous ne sommes pas censés nous balader le soir au milieu du terrain d'athlétisme. J'acquiesce et me lève pour aller débarrasser mon plateau tandis que Romary essaye tant bien que mal de se débarrasser de Sally. Malheureusement, la jeune fille nous suit à la trace.

J'avoue que si Romary est plus proche de mon caractère ou des personnes que j'aimerais fréquenter en général, la franchise et gentillesse de Sally la rend très attachante, et j'ai un peu mal au cœur de voir Romary essayer de l'esquiver comme ça.

Nous sortons toutes les trois, bousculées par Felicity et Peyton qui nous foncent dedans sans problème.

—    Regardez où vous allez, craché-je eux deux Nedin avec un regard noir.

Felicity rit en prenant Peyton par le bras, celle-ci ne nous jette même pas un regard. Leur petit groupe les suit en riant et en se bousculant les uns les autres sans pour autant nous percuter comme elles.

—    Des connes, s'empresse de cracher Sally.

Romary se contente de hausser les épaules avant de congédier Sally comme elle peut.

—    Bon... Nous on a des choses à faire, hein Moon ?

—    Oui c'est vrai, tu veux venir avec nous Sally ?

—    Oui tu... euh, hein, quoi ?!

Romary se retourne vivement vers moi, fronçant ses sourcils maquillés.

—    Bah oui, Sally peut venir avec nous, je pense qu'elle est digne de confiance.

Sally ne semble pas trop comprendre de quoi nous parlons, mais quelque chose dans son attitude me laisse penser que ça lui fait plaisir.

—    Je l'aime bien, me justifié-je encore auprès de Romary qui passent une main nerveuse dans ses cheveux courts.

—    Mais...

—    Je suis malade, nous interrompt Sally en souriant, pas débile Romary.

Nous nous tournons vers elle, interloquées par ce qu'elle nous dit. L'intonation qu'elle a prise ne voulait pas seulement dire qu'elle a débité, mais plus encore. Fière d'elle, elle nous prend toutes les deux par le bras pour nous entraîner plus loin encore, entre le mur qui met fin à la bibliothèque et le stade de sable à quelques mètres.

—    Je sais, finit-elle par dire avec un petit rire.

Elle nous lâche toutes les deux et Romary s'empresse de jeter un coup d'œil autour de nous, histoire d'être sûre de n'avoir aucune oreille traînante près de nous.

—    Qu'est-ce que tu sais ?

—    Tu n'es pas une Drecean, elle affirme catégoriquement. Tu n'as rien de tel, tu ne te comportes pas comme eux.

—    Ce n'est pas une raison... tente de sauver Romary.

—    C'est une humaine.

—    Chut !

Rom' presse sa main sur la bouche de Sally, s'accroupissant un peu pour atteindre la petite Nedin.

—    Bah, qu'ech qui ach ? marmonne-t-elle.

—    Il ne faut pas dire çà tout haut ! la sermonne mon amie d'un air paniqué. Si jamais quelqu'un l'apprend...

—    C'est bon, lâche-la, je comptais lui dire de toute façon.

Elle hésite un instant puis libère Sally qui éclate de rire avant de se ressaisir.

—    C'était évident. Je me suis dit ça dès que je t'ai vue. Mais j'avoue que tu es bonne actrice.

—    C'est gentil, Sally.

—    Bon, et vous comptiez faire quoi ?

Nous nous regardons avec Romary, puis hochons la tête d'un air entendu avant qu'elle n'explique tout à Sally depuis le début. Notre rencontre, les hypothèses, et tout ce qui s'en suit. Sally écoute attentivement en hochant la tête à chaque fin de phrase, profondément concentrée. Même si je garde en mémoire la réaction de Romary, je pense que Sally est digne de confiance. Si ce n'est pas le cas, bien que je n'aie dans tous les cas aucune certitude pour personne, eh bien tant pis pour moi.

—    Donc on va chercher des indices sur le stade ?

—    C'est ça.

—    Maintenant ?

—    Si possible.

—    Et le couvre-feu ?

Ça répond donc à ma question de tout à l'heure.

—    On sera discrètes.

—    Ok. On y va ?

***

Je n'ai rien trouvé du tout. Ici, hormis les bougies, rien pour nous éclairer. Le stade est plongé dans le noir, faiblement éclairé par les bâtiments encore allumés à certains endroits, mais rien d'assez puissant pour voir tout ce qui se trouve sur le sol.

—    Tu as quelque chose Sally ?

—    Non. Mais j'ai trouvé un bonbon à la bave de crabe.

Pitié, faites qu'elle n'ait pas mangé ce bonbon. Et faites que je n'ai pas bien entendu le mot bave.

Je continue mon exploration, me rapprochant un peu plus des dortoirs, en face du manoir. Je me doute que je suis plus loin de la zone que nous avons fouillé tout à l'heure, mais la bulle d'air entre le bâtiment et le dortoir permet à deux personnes de passer, pourquoi pas y jeter un coup d'œil ?

J'y vais, m'abritant totalement du manoir. La seule chose qui pourrait me cramer, c'est qu'un garçon du rez-de-chaussée ouvre son rideau, mais vu le noir profond qui semble s'être emparé des pièces, je me doute que quelqu'un ne se réveille avec une furtive envie d'observer l'extérieur. Le noir y est plus abyssal aussi, je n'y vois presque rien. Doucement mais sûrement, je progresse en observant le sol et en restant bien sur mes appuis. Si je trébuche et tombe sur mon côté droit, il y a un risque pour que je passe de l'autre côté de la barrière d'air.

Tout le monde sait ce qu'il se passera si je franchis cette limite.

Je ne vois pas à plus de deux mètres mais progresse. Je pense que j'ai dû parcourir cinq bons mètres à tâtons depuis le début, ce qui est déjà ça. Soudain, mon pied butte sur quelque chose. Mais cette chose n'a rien d'un bout de fer quelconque : on dirait un pied.

Un mauvais pressentiment s'empare de mon corps, annonciateur de quelque chose de mauvais. Comme prise d'un pic d'adrénaline, je me retourne en faisant confiance à mon instinct, bras devant moi pour mettre un coup de poing. Malgré la violence de mon coup, une main s'enroule autour de lui pour m'empêcher de toucher la personne qui se trouve derrière moi.

Dans la nuit, je ne distingue que la main ferme qui me saisit. L'homme — je suppose — tire dessus pour m'amener vers lui avant de me faire tourner violemment. Mon dos percute son torse à m'en faire gémir de douleur puis un bras ferme s'enroule autour de mon ventre pour me bloquer. Mais ce qui m'empêche de me débattre pour fuir, c'est la lame que je sens sous ma gorge, prête à s'enfoncer dans ma chair.

Je n'ose même pas déglutir.

Un souffle chaud dans mon oreille, quelques longues secondes qui me laissent entendre mon cœur battant la chamade, puis la personne relâche enfin sa pression sur ma carotide.

—    On se rebelle déjà ?

Cette voix profonde et rauque, légèrement éraillée en parlant si bas... Je la connais. Plus que je ne le voudrai.

J'écarte le bras qui me serre d'un coup et dégage la lame sortant de la paume de Chase en poussant un râle.

—    T'es complètement malade ! hurlé-je en me retournant, révoltée. Tu aurais pu me tuer !

—    Mais je ne l'ai pas fait.

Je distingue mieux son corps musclé, ses cheveux châtain clair qui retombent sur ses yeux et ce sourire malicieux qui me laisse penser qu'il a fait exprès de me faire peur.

—    Laisse-moi passer, je crache en repassant mes mèches courtes derrières mes oreilles avec nervosité.

Il me détaille de haut en bas, un petit rictus fier sur les lèvres, puis s'écarte côté barrière pour me laisser passer. J'avance rapidement pour rejoindre mes amies, mais une voix derrière moi me fait sursauter.

—    J'ai fini !

Face à nous, un homme se redresse avec une sorte de bombe de peinture à la main et une marque sur le visage. Il s'arrête net en me voyant, son sourire s'estompe pour me dévisager. Il est aussi grand que Chase avec la même musculature, mais pourtant totalement différent. Si les cheveux de l'un sont lisses et bien coiffés avec une raie, l'autre a les cheveux en pagaille d'un brun foncé. Ses yeux verts sont si clairs qu'on pourrait croire à un Lomunes, mais la cicatrice qui barre son nez horizontalement trahis ses origines de Drecean.

—    Waouw, lâche-t-il en faisant tomber la bombe de peinture à ses pieds, t'es canon toi ! Comment ça se fait que je ne t'ai jamais vue ? Et ta     cicatrice à l'œil... Incroyable.

Oula, je ne sais pas comment accepter ses compliments. J'avoue qu'il n'est pas moche non plus mais quelque chose me dit qu'il est ami avec Chase et ça ne me plait pas. Savoir que les Drecean on la lame facile, peu rassurant.

—    Lee, t'as de la peinture sur le visage, lui fait remarquer son acolyte en ricanant.

—    Qu'est-ce que vous faisiez ? demandé-je, intriguée.

Après tout, j'ai compris que sortir la nuit est interdit ici, comme dans beaucoup d'internat d'ailleurs, alors voir deux garçons avec des bombes de peintures semblables à celles dans mon monde m'interpelle un peu.

—    Rien qui ne te regarde, renchérit Chase en me faisant un regard sévère.

—    Mais...

—    Non Lee, elle ne faisait que passer, c'est tout.

Lee ferme la bouche et me sourit tristement en haussant les épaules. Je lève les yeux au ciel en soupirant bruyamment, histoire d'exprimer mon exaspération, puis me retourne pour quitter cet endroit un peu anxiogène. Me savoir si près de la limite de l'air me rend plus nerveuse que je ne le pensais. Ou du moins, mal à l'aise.

Je sens le regard des deux garçons me suivre jusqu'à ce que j'atteigne l'intersection du bâtiment. Face à moi, le stade. À droite, le manoir qui commence à être entièrement plongé dans le noir. Je fais deux pas puis quelqu'un me bouscule, manquant de me faire trébucher. Je me redresse un peu sonnée mais pas le temps de reprendre mes esprits, une main ferme s'agrippe à la mienne, m'entraînant dans une course dont je ne peux pas déroger.

Chase me tient fermement, paume contre paume, courant à toute allure vers le bout du stade. Devant lui, Lee est déjà essoufflé mais maintient le rythme en riant comme un fou.

Je me retourne tout en courant pour essayer de comprendre ce qui leur prend, et ce que je vois ne me dis rien qui vaille : un groupe de Charingers fonce sur nous, mais ils n'ont rien de gentil. Ils nous hurlent dessus, nous obligeant à nous arrêter pour éviter plus d'ennuis. Lee leur rit au nez en montrant un bout de sa raie des fesses et la main de Chase se resserre sur la mienne. Dans quoi m'ont-ils embarqué ?

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