Chapitre 5

Qui s'appelle Major de nos jours ?

Moon

Puisque la proviseure m'a confisquée Romary, autant profiter pour explorer un peu plus les bâtiments. J'aime beaucoup ma nouvelle amie et ce qu'elle dégage, et je ne la remercierai jamais assez de ne pas m'avoir vendue aux autres, mais elle me protège peut-être un peu trop. L'expérience que je viens d'avoir en cours me prouve bel et bien que je peux passer pour une Drecean sans problème, alors j'ai un point en moins qui aurait pu m'inquiéter.

L'objectif maintenant, c'est de comprendre comment j'ai atterri ici et comment j'en pars.

Discrètement, je me rapproche de la barrière transparente qui me sépare de la mer pour observer les fines parois qui ressemblent à du verre. Si je plisse un peu les yeux, je peux voir de légères étincelles qui me confirment que ce n'est pas la matière que je pense mais bel et bien de la magie. Je trouve ça incroyable mais c'est comme si mon cerveau n'était pas étonné. Toute personne normalement constituée aurait sauté de joie, pleuré de peur ou eu quelconque émotion face à la réalité de ce qu'il se passe sous la mer, mais plus j'y repense plus je me rends compte que ce n'est pas mon cas. J'accepte la situation sans trop me prendre la tête en fait.

Bon, même si un léger instinct de survie — aussi léger que mon chat chez mes parents — me murmure de ne pas faire ce que je m'apprête à faire et bien... tout est dans la phrase : je m'apprête à le faire. Un dernier coup d'œil à Dexter et sa bande, ils ne me calculent plus.

Un peu hésitante mais en même temps intriguée, j'approche mon doigt de la paroi jusqu'au bord transparent mais à mon grand étonnement, il n'y aucune résistance. Je m'arrête juste à la limite entre air et mer, là où de légères particules magiques dansent autour de mon corps.

Je ne suis pas idiote, je sais très bien que si je bouge mon doigt ne serait-ce que d'un centimètre plus loin là où l'eau se dresse, il finirait en poussière à cause de la pression. Rien que de nager dans le fond d'une piscine ça peut être douloureux, alors à onze kilomètres... Je n'ose même pas imaginer l'état de mon corps si je décidais de plonger.

Une canette de soda qu'on écrase.

Fini les conneries, je range mon doigt, me retourne telle une automate, et quitte la frontière d'un pas décidé. Je contourne le groupe de Charingers en évitant de me manger le nouveau ballon qu'ils ont trouvé et quitte le stade l'air de rien. Je sens quelques regards intrigués sur moi, mais les ignore. Après tout, je suis nouvelle. Je n'avais pas trop pensé à ça jusqu'ici, mais tout le monde semble se connaitre un minimum alors mon arrivée a dû faire le tour du bahut. Si le colportage de rumeurs se fait à la même vitesse que sur la terre ferme...

J'arrive face aux dortoirs mais ne m'y arrête pas, je sais que j'aurai tout le loisir de les découvrir dans la soirée, avec Romary pour me donner quelques secrets de la maison. Ce qui m'intéresse particulièrement, c'est le gros bâtiment principal où se trouve tous nos cours et la vie de l'établissement en général. Je passe l'allée verte, marche sur le sentier jusqu'aux marches qui donnent dans le hall en me promettant d'aller faire un tour sous les arcades quand je le peux. Le hall est toujours aussi bondé malgré la fin des cours, comme si c'était le lieu pour se rejoindre ou passer du bon temps malgré qu'il n'y ait rien pour s'amuser. Je ne m'attarde pas, baisse la tête pour éviter le regard des Arorot qui me dévisagent en riant, mais aussi les yeux déstabilisants des Lomunes et la tête des Osilid. C'est bête à dire, mais regarder un poulpe orange dans les yeux pour parler à quelqu'un, ce n'est pas le genre de choses que je pensais voir dans ma vie.

Je tourne à gauche comme tout à l'heure, passe plusieurs portes qui longent le couloir avec des bureaux que je devine être l'administration. C'est drôle mais maintenant que j'y pense, Mme Rumsey est la première adulte hors professeur que je croise ici. Je me demande bien de quelles espèces peuvent être les secrétaires...

Le couloir tourne encore à gauche pour me faire arriver dans une des deux ailes. Je me souviens que tout au bout il y a un escalier, mais que toutes les portes sur la droite donnent sur la même bibliothèque. Pourquoi pas tenter ? Après tout, c'est dans cet endroit que j'ai le plus de chance de trouver des informations.

Je presse la double porte pour m'engouffrer dans la grande pièce et reste bouche bée devant ce que je vois. Une bibliothèque de film américain. Voilà ce qui se dresse devant moi. Des tables disposées en îlot sont au centre de la pièce sur plusieurs mètres, permettant aux étudiants de travailler dans le calme, seuls ou en groupe. Sur les côtes, des dizaines d'étalages de romans et documents en tout genre reposent sur d'épaisses bibliothèques en bois foncé. À plusieurs endroits stratégiques, de petits escaliers permettent d'accéder à l'étage que j'aperçois en mezzanine, sûrement composé uniquement de livres en tous genres. Le paradis pour ceux qui aiment lire.

Je décide que c'est là-bas que je vais faire mes recherches. Il y a plusieurs panneaux qui indiquent à quoi correspond chaque étalage, mais je me dis que les choses les plus secrètes doivent être dans des coins cachés, moins facile d'accès.

J'accède à l'étage et ce que je pensais se confirme, il n'y a que des étagères qui semblent former un sacré labyrinthe quand on ne connait pas. J'avance doucement, balayant rapidement des yeux les écriteaux jusqu'à trouver un intitulé qui m'intéresse. Au moins, il a tellement de monde dans le hall que personne ne s'embête à venir ici.

J'attrape le premier livre qui me tombe sur la main, parlant des espèces aquatiques. Je feuillette les pages mais il n'y a rien d'interessant, rien qui ne puisse pas se trouver dans un manuel de biologie chez moi. Je le repose et en attrape un autre tout fin sur l'espèce humaine. Constater le peu de choses qu'il contient me confirme que soit ils ne savent rien, soit c'est un sujet tabou. Au vu des dires de Romary, je pencherais plus sur la deuxième option.

—    Elle sait lire ?

La voix masculine me fait sursauter, manquant de me faire tomber le livre des mains. Le cœur battant, je me redresse en rangeant vite le bouquin entre les autres avant qu'on ne me suspecte de quelque chose.

Chase me dévisage comme une folle, ses yeux gris scrutant le moindre de mes gestes. Si remettre une frange mal brossée en place était interessant, je le saurai...

—    Oui, elle sait lire ! Et faire pleins de choses aussi, tu serais surpris.

—    Quels genres de choses ? Tu m'intrigues petit chat...

—    Arrête de m'appeler comme ça.

Ce surnom me hérisse le poil ! Je n'ai rien d'un chat.

—    Qu'est-ce que tu lisais ?

—    Qu'est-ce que tu faisais ? Tu m'espionnes ? Ta vie est trop naze alors tu me suis ?

Chase a un mouvement de recul en levant les bras pour capituler. Punaise, c'est quoi ces biceps ? Ça se saurait si c'était légal d'être musclé comme ça sans être gonflé comme un body builder.

—    Détends-toi ! Je ne te suis pas, je fais mon heure de colle ici... Comme on m'a cramé tout à l'heure...

—    Tu m'as ouvert le menton.

—    Et alors ?

Il a vraiment l'air de ne pas voir le problème. Décidément, ce mec est bizarre jusqu'au bout. Entre ses cicatrices et son air de faux bad-boy-pirate-en-mode-Jack-Sparrow-de-wish.

—    Est-ce que tu sais qui console les vagues qui s'échouent ? Continue-t-il sans aucune raison.

—    Pardon ?

—    Non, rien. J'ai lu ça quelque part, je trouvais ça beau.

—    Je ne suis jamais aller à la surface donc... je ne sais pas vraiment ce que ça donne, une vague qui s'échoue, mentis-je.

Chase me dévisage un instant, sa lèvre se retroussant légèrement. Il me regarde comme si c'était moi la folle alors qu'il lâche des dingueries comme ça sans raison ! Il a fumé la moquette à mamie.

Paix à son âme...

—    Tu as raison, moi non plus, m'avoue-t-il dans un souffle. Mais je trouve ça beau, dit comme ça.

—    Tu n'es pas très sobre on dirait...

—    Je peux encore te dire de super choses si tu me laisses le temps de réfléchir.

—    Non merci ! M'empressé-je de répondre en jetant un coup d'œil autour de nous.

En fait, je suis totalement coincée. Il me bloque un côté de l'allée et je devrais me retourner pour m'enfuir par l'autre côté. Mais je n'ose pas trop sachant qu'il y a des lames qui peuvent sortir n'importe où.

—    Écoute, c'était très agréable de me sentir défoncée pendant deux minutes mais je dois continuer mes recherches et toi faire ton heure de colle quelle que soit le châtiment qu'ils t'ont réservé ! Alors ciao !

—    Ciao... quoi ?

Je me retourne pour fuir mais sa main se renferme autour de mon poignet. Il n'y a rien de brutal ou de mauvais dans son geste, mais une certaine douceur dont je ne lui pensais pas capable, ni aucun Drecean d'ailleurs. Savoir que ton corps peut produire des lames, ça donne souvent une image très nette et brutale.

—    Qu'est-ce que tu dois rechercher ?

Zut, je suis censée dire quoi ? La vérité : hors de question. Une recherche pour les cours : il saurait que je mens il est avec moi la plupart du temps. Et je suis obligée de composer avec les étalages qui se trouvent autour de moi en plus de ça.

—    Je... Hum...

J'ai beau regarder autour de moi ou tenter d'inventer un truc sur le moment, mon esprit a tatoué un gros « HUMAIN » qui m'empêche de penser à autre chose. Comme je ne réponds pas, Chase me lâche le bras et sors de la bibliothèque le bouquin que j'ai posé en catastrophe.

Bon. Comme ça c'est clair.

—    Des recherches sur les humains ? Tente-t-il en lisant rapidement le dos.

—    Oui ? Je trouve ça... intéressant.

Chase ne dit rien, passe une main dans ses cheveux miel puis repose le livre à sa place, plus proprement que ce que j'ai fait. Je ne sais pas vraiment ce qu'il pense ni son avis sur les humains, mais je sens que je vais vite découvrir son opinion. Chase hoche lentement la tête, pensif, puis ses yeux retrouvent les miens. Une drôle de lueur brille, ça me donne envie de disparaître dans un coin.

—    Tu as raison de te renseigner sur le sujet, c'est important je trouve.

—    Tu trouves ?

—    Oui, malgré tout ce qu'on en dit, je trouve que la haine de notre peuple n'est pas justifiée.

Quelque chose me dit que je peux pousser un peu. Après tout, les livres, c'est bien, mais avoir la parole d'une vraie personne, c'est mieux.

—    La haine ? Carrément ? De là où je viens, ce n'est pas si poussé... Je ne suis pas le genre de personne à haïr une autre espèce, et mon entourage est plutôt d'accord avec moi.

Je crois que j'ai piqué sa curiosité.

—    Pas de haine ? Décidément, t'habitues dans un coin paumé. Ici, presque tout le monde déteste les humains pour la pollution et la surpêche, ce genre de choses. C'est de pire en pire, surtout en voyant que nos amis disparaissent à cause d'eux. Tu savais que les Alopian sont menacé à certains endroits de la planète ? Les Nedin aussi. Il fait trop chaud ou trop froid, la famine et j'en passe. Je comprends la haine qu'ils éprouvent pour les humains. Mais de mon côté, je pense qu'un Drecean ne peut pas les haïr.

—    Pourquoi ça ?

—    Regarde-nous, on est ce qui se rapproche le plus d'eux. La seule nuance, c'est qu'on a des lames qui nous poussent sur le corps à notre guise. Mais hormis ça, tout pareil.

Maintenant qu'il me le dit, c'est vrai que Rom' m'a expliquée que les Drecean ne peuvent pas respirer sous l'eau. Et se sont les seuls qui ont une couleur de peau qui reste dans les tons « basiques », pas roses ou vertes ou je ne sais quoi.

—    Alors moi, je ne les déteste pas. Je ne les aime pas non plus, mais voilà. Après tout, ils nous vénéraient fut un temps.

—    Ah bon ?

Chase fronce les sourcils. Oups, je vais peut-être trop loin.

—    Tu n'as jamais suivi les cours ?

—    Les seuls trucs que je retiens se sont les dates de sortie des saisons d'Emily In Paris...

—    De quoi ?

—    Rien, laisse tomber. Je veux dire que non, ou alors je dormais. C'est très probable, je ne suis pas assidue en histoire.

—    Eh bah c'est juste simple, ceux qu'ils appellent pirates sur le continent, ils sont inspirés de nous. Quelqu'un a dû apercevoir quelqu'un de notre espèce et pouf, voilà les pirates qui nous copient en moins bien.

C'est vrai que ça paraîtrait logique.

—    Mais c'est connu chez nous... Bizarre que tu ne le saches pas... tu viens d'où déjà ?

Un gros bouton rouge a été actionné dans mon cerveau, c'est la folie, si j'ouvre la bouche de la lumière en sort c'est sur.

—    Oups, je n'avais pas vu l'heure passer ! Je dois rejoindre Romary et... Sally ! À plus Chase !

—    Mais...

Cette fois, il ne me retient et me laisse fuir à toutes jambes. Je zigzague entre les bibliothèques jusqu'à trouver l'escalier qui mène à l'étage plus bas. Je sors vite du lieu puis carrément de l'établissement dans le but de rentrer dans les dortoirs. Avec un peu de chances, Chase ne lui parlera plus jamais de ça. Avec un peu de chance, Romary est rentrée et pourra l'aider à se couvrir. Avec un peu de chance, Chase ne mentait pas et la couvrira s'il devine la supercherie.

Je suis une piètre enquêtrice.

Olivia Moore n'a pas de soucis à se faire.

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