Chapitre 3

Comme un chat entouré de souris armées de mitraillettes

Monica - Moon

Quand nous sortons de la chambre du dortoir, personne ne me saute dessus pour me dévorer. Pas de loup garous affamés, de vampires attirés pas l'odeur de mon sang ou de sorcières prêtent à m'empoisonner. Rien de tout ça. En fait, le couloir est quasiment vide, hormis deux filles qui rient ensemble devant une chambre. Toutes deux ont cette fameuse queue pointue et ces points si caractéristiques de la peau de Romary ce qui me permet d'affirmer que se sont des Alopians — si j'ai tout suivi. Aucune des deux ne calculent notre passage, c'est à peine si elle esquisse un sourire à Rom' qui, elle non plus, ne leur parle pas.

Le couloir est plutôt sombre, d'un vieux style en pierre grises un peu beiges pour certaines, avec des dizaines de portes de part et d'autre. Aucune fenêtre, seul quelques bougies pour éclairer la zone. Je ne peux pas m'empêcher de m'approcher d'un des murs pour humer l'air fumé du feu qui consume la mèche, ce qui me vaut un drôle d'air de Romary.

—    Qu'est ce qu'il y a ? Demandé-je en haussant les épaules.

Après tout, ce n'est qu'une bougie. Je pensais qu'elle aurait une odeur mais rien ne s'en dégage hormis une sorte d'air étouffant et gras.

—    Les humains sniffent des bougies ? Demande-t-elle en penchant sa tête sur le côté.

Sa mèche bouclée qui lui tombe d'habitude dans les yeux pend tellement elle abuse de l'expression.

—    Eh bien, parfois, il y en a qui ont des odeurs. J'aime beaucoup la vanille et moins la rose, je trouve ça agressif.

—    C'est drôle, finit-elle par dire en souriant. Mais on ne s'éclaire qu'avec ça ici, surtout dans les dortoirs. Les chambres occupent une énorme partie de l'espace alors les seules fenêtres que nous avons sont dans celles-ci.

Maintenant qu'elle le dit, je n'ai même pas pensé à jeter un coup d'œil à travers les deux grandes fenêtres qui sont dans notre chambre. Quel piètre instinct de survie que j'ai là...

—    Bref, on avance ! Je dois te faire faire le tour du campus avant notre cours de mathématiques. N'oublie pas d'avoir un peu l'attitude d'une Drecean parce que là... bref.

Elle ne finit pas sa phrase et se tourne pour reprendre la route en sautillant à moitié. J'ai vraiment dû mal à la cerner entre son côté désintéressé et presque mignon ? Je n'ai pas de mots pour décrire son énergie.

On avance toujours tout droit jusqu'à un petit escalier qui tourne. Je suis ma nouvelle amie sans hésiter, lui faisant pleinement confiance car de toute façon je n'ai pas le choix. J'ai l'impression de descendre à l'infini en spirale jusqu'à en avoir le tournis, puis le jour — le réel jour — se pose sur ma peau. Instinctivement je ferme les yeux en laissant mes lèvres s'étirer pour profiter des rayons chauds du soleil sur ma peau.

Ce que je sens sur moi est réellement chaud, c'est le vrai soleil qui chatouille chaque particule de ma peau nue à m'en faire frissonner. Je n'arrive pas à imaginer que c'est possible, sachant tout ce que m'a raconté Romary. Tout ce que je ressens est donc faux ? Mais si c'est faux, qu'est-ce qui réchauffe ma peau à cet instant ?

Lentement je rouvre mes paupières, l'éclairage piquant mes yeux. Romary est à l'extérieur du bâtiment, juste à ma gauche, mais en face de moi, une jeune fille me dévisage en mâchant du chewing-gum — ça existe sous l'eau ? — avec un air supérieur. Les bras croisés, elle me contemple de sa grande taille extra-fine de haut en bas. Son carré brun est presque à ses oreilles tellement il est court, tandis que ses yeux bleus me scannent. Malgré son visage fin et sa peau rose, elle a des sourcils bien fournis qui lui donnent presque un air dur, mais rajoutent une incroyable beauté à sa personne. Elle porte une jupe courte noire, mais ce qui m'interpelle surtout c'est son haut tout aussi court qui ne masque presque pas sa petite poitrine, mais qui dévoile surtout ses côtes.

Romary ne mentait pas, on voit les organes des Nedin.

—    Qu'est-ce que tu regardes comme ça ?! Me demande agressivement quelqu'un.

Quelque chose claque près de mon oreille comme un fouet, me surprenant au point de trébucher sur la dernière marche des escaliers derrière moi. Je bascule et me rattrape de justesse avec mes bras, les fesses sur une marche. Une femme que je n'avais pas vue ramène ses antennes en riant derrière son dos, comme si me faire la trouille de ma vie était la chose la plus hilarante du monde.

En tout cas, carré court est morte de rire, elle.

Son amie qui m'a presque agressée lui tape dans la main, fière d'elle. Elle a de longs cheveux noirs à moitié cachés par la capuche d'un sweat-shirt. Elle se tourne un peu, ce qui me permet de distinguer son visage plus ovale que l'autre, avec un rose plus foncé. Ses cils cachent une partie de ses yeux brun foncé tellement elle s'est maquillée, et ses sourcils sont vraiment disgracieux. Le crayon noir qu'elle a passé dessus pour les rendre plus net ne l'avantage carrément pas, on dirait qu'elle s'est coloriée avec du marqueur comme une enfant. Sous son nez, malgré la grosse couche qui tente de masquer la petite cicatrice, on distingue bien qu'elle a eu un bec de lièvre, ça lui donne un petit charme je trouve. J'ai toujours trouvé beau cette particularité physique. Surtout quand les personnes sont des amours derrière...

—    Moon !

Romary déboule aussitôt pour m'aider à me relever. Je la remercie en lançant un regard noir aux deux Nedin qui ricanent toujours comme des poulets. Une partie de moi s'en fout royalement de ces deux filles, mais une autre partie me hurle d'aller les confronter. Je ne suis pas du genre fauteur de troubles, cependant je n'ai jamais aimé me laisser faire. Avant de passer la porte avec Romary qui tient fermement ma main, je m'arrête et me tourne sèchement vers les deux Nedin. La capuche hausse un sourcil avec son sourire arrogant plaqué sur sa face, mais l'autre s'est arrêtée de rire ou d'avoir son air supérieur. Ses yeux bleus me transpercent et je m'efforce de lui tenir tête, un peu troublée par le sang et les organes qui bougent sur son ventre.

Je ne m'approche pas, je ne fais rien qui puisse les provoquer. Romary tire doucement plus fort sur ma main, comme pour me supplier de la suivre, mais je tiens. La grande me défie, je le sens dans son attitude.

Je ne sais pas pour qui elles se prennent, ni si elles ont deviné que je ne suis pas ce que je prétends être, mais d'après ce que m'a décrit Rom', je ne pense pas qu'un Drecean aurait laissé passer ça. Comme je suis habillée, comme on m'a dit d'agir, je me sens presque comme une pirate. Et une pirate rendrait la monnaie de sa pièce à ces deux idiotes.

—    Première, et dernière fois, j'articule lentement en essayant de calmer les battements de mon cœur qui s'emballe.

La capuche éclate de rire, presque exagérément, puis percute doucement l'épaule de la grande pour lui partager son hilarité, mais celle-ci ne bouge pas. Un organe en elle bouge d'un coup, puis elle hausse les épaules et se détourne de moi. Son amie, surprise, arrête de rire et se retourne aussi pour la rejoindre en trottinant tandis qu'elle s'éloigne dans le couloir. Leurs antennes battent comme la queue d'un chat derrière elle.

—    Monica ? Chuchote Romary en tirant à deux mains sur mon bras. Mais qu'est-ce que tu fous ? T'es totalement timbrée !

Les grands yeux jaunes de mon amie sont si écarquillés que je me demande ce que j'ai bien pu faire pour la mettre dans un tel état.

—    Ça va Rom', elles le méritaient. Je ne vais pas me laisser faire comme ça, je suis désolée mais ce n'est pas mon tempérament.

C'est vrai que maintenant que j'y pense, je n'ai jamais été le genre de personne qu'on embête. Peut-être que je suis trop bizarre pour qu'on essaye de m'approcher, mais en tout cas je ne me suis jamais laissé faire quand il s'agissait d'agissement presque du harcèlement. Je sais que ce n'est pas donné à tout le monde, mais à force de rendre la pareille on a fini par me laisser tranquille. Et ce n'est pas parce que je suis dix kilomètres sous la surface de la terre que ça va changer.

—    Mais...

—    C'était géant ! Interrompt Sally qui était près de la porte. Tu les as envoyé chier comme jamais ! Je savais que tu étais cool pour une Drecean, Monica.

—    Oups, c'est Moon maintenant ! Intervient Romary en prenant le bras de Sally.

Sally fronce ses sourcils avant de se dégager de l'étreinte de Rom' qui est à moitié à croupis pour atteindre la petite Nedin.

—    Je suis trisomique, Romary, pas débile. Tu n'as pas besoin de te comporter différemment parce que nous sommes en public...

Le visage de Romary vire au rouge pivoine et elle se redresse lentement, embarrassée. Une main hésitante passe dans ses cheveux gris puis elle baisse la tête.

—    Excuse-moi Sally, j'ai eu un petit coup de stress... Avec Moon qui est nouvelle et ces deux idiotes qui sont venues... Excuse-moi. En plus, j'ai interrompu notre conversation pendant que Moon contemplait le plafond.

—    Pour ma défense, j'essaye de comprendre comment...

En deux temps trois mouvements les deux mains de Romary s'écrasent sur ma bouche pour m'empêcher de parler.

—    T'allais dire une dinguerie là !

Ses yeux m'indiquent discrètement Sally qui semble ne rien comprendre à la situation.

Maintenant qu'elle me le fait remarquer, oui j'allais clairement lui dire que je ne comprends pas pourquoi les rayons du soleil touchent ma peau alors que je suis censée être une Drecean pure souche et non une stupide humaine.

Elle s'écarte de moi mais le regard chocolat de Sally ne me quitte pas, comme si elle attendait que je termine ma phrase. Merde, qu'est-ce que je devais dire déjà ?

—    Je... hum. J'essaye de comprendre comment... Comment des marches peuvent autant faire mal aux fesses !

Je passe rapidement une main sur mon fessier un peu endolori — c'est vrai — et tire une grimace. Sally me sourit de toutes ses dents en riant légèrement avant de répondre.

—    C'est vrai qu'elles sont un peu dures !

Puis elle se lance dans une grande explication de pourquoi ces pierres là sont-elles si dures. J'apprécie son implication quant à mes douleurs au fessier, mais je dois dire que ça ne m'intéresse pas plus que ça. Mais bon, si parler de pierre et de douleurs aux fesses lui fait plaisir, ça ne me dérange pas de faire semblant d'écouter. Au bout de cinq longues minutes où Romary semble avoir adoptée la même technique que moi, Sally nous salue et me dépasse pour rentrer dans le bâtiment et disparaître dans l'escalier en spirales. J'en profite pour sortir de l'entrée de la porte où j'étais postée pour découvrir un peu l'extérieur.

À ma droite se trouve un autre bâtiment qui prolonge l'angle de celui des filles, je suppose, et quelques garçons en sortent en se faisant des passes de ballons. Je reconnais un Drecean par son allure de pirate et... zut... je ne sais plus le nom. L'autre garçon ressemble à un requin avec son aileron sur le crâne et ses dents pointues. J'ai beau réfléchir au nom de l'espèce rien ne me vient... Tant pis.

Tu ne fais aucun effort Monica...

En face de moi, je devine le stade qui s'étend un peu plus loin, comme ceux d'athlétisme chez nous. C'est donc vers là que m'a trouvée Romary... ce que je ne comprends pas, c'est pourquoi personne d'autre ne m'a trouvé ? De là où je suis, je vois pleinement le stade alors que je sors à peine du dortoir des filles, c'est vraiment exposé. Il faudra que je demande à Romary.

En parlant d'elle, elle me fait des signes pour venir près d'elle qui est partie à droite, vers un énorme bâtiment en U. Non, ce n'est même pas un bâtiment, c'est un manoir ou un château à ce stade. La bâtisse me fait vraiment penser aux vieilles écoles dans les films, avec un grand terrain vert qui ressemble... à de l'herbe ? Quelques tourelles surplombent le bâtiment pour le rendre plus majestueux, me plongeant directement dans l'ambiance d'une dark academia.

Je rejoins Romary sans arrêter de contempler le manoir la bouche ouverte, et nous nous dirigeons vers le centre où de grandes marches donnent sur l'intérieur. Le chemin que nous suivons est en sable fin, contrastant avec le vert de la pelouse. Sur les côtés, se prolongeant jusqu'aux bras du U, il y a de grandes arcades où des personnes se sont assises avec un bouquin ou simplement pour discuter à plusieurs.

C'est irréel.

Romary s'approche de moi pour discuter tout bas alors qu'on se rapproche de plus en plus de l'entrée du bâtiment.

—    La brune au carré, grande et tout ça, c'était Peyton Russell, une Nedin comme tu as dû comprendre. Elle est assez populaire ici, mais je ne sais pas pourquoi, elle n'a pas le profil type.

Je vois ce qu'elle veut dire. Quand on nous parle d'une femme populaire ou puissante dans une école, ce sont souvent les mêmes profils qui nous reviennent en tête mais on ne penserait jamais à quelqu'un comme Peyton. Elle fait plus fille dans son coin qui étudie sagement plutôt que garce attitrée.

—    Et l'autre c'est Felicity Duke, elles sont comme cul et chemise. Même si ce sont des idiotes qui se croient tout permis, elles sont magnifiques.

Elle baisse la tête toute seule comme si c'était une honte d'affirmer qu'elles sont belles. C'est un fait, même si Felicity ne sait pas se maquiller.

—    Enfin bref, comme ça tu sais qui elles sont. On risque de faire encore des rencontres à l'intérieur comme on va en maths. Les salles de classes sont au deuxième étage, m'explique-t-elle avec implication. De l'autre côté du bâtiment, tu ne trouveras qu'une fontaine qui marque l'entrée de l'école et rien d'autre.

—    Mais tu m'as parlé d'une bulle d'air, je ne la vois pas.

Quand on regarde au dessus de nos tête, on pourrait croire que nous ne sommes pas sous l'océan tellement c'est clair au-dessus de nous. Je pense qu'en s'approchant des limites, je pourrais remarquer l'eau et l'air qui forment un mur l'un et l'autre, mais de là où je suis j'ai réellement l'impression de voir le ciel.

—    Les limites sont plus lointaines. Enfin, pas tant que ça, on ira tout à l'heure si tu veux mais on a interdiction de passer de l'autre côté sous peine d'être puni. De toute façon, c'est trop dangereux pour toi comme... tu sais. Et pour moi aussi comme il y a une grande forêt d'algues autour de notre école.

—    Une forêt d'algues ? À cette profondeur ?

Les yeux jaunes de mon amie clignent de fois puis elle me répond tout simplement.

—    Bahhh, oui.

Comme nous arrivons aux marches, je laisse Romary passer devant moi pour être sûre d'aller au bon endroit et surtout pour ne pas me faire remarquer. J'ai bien fait car nous débouchons sur un hall énorme qui me fait penser aux châteaux dans les contes de princesses, en plus lugubre. De nombreux tableaux sont exposés sur les murs, tout comme des statues sont exposées sur les côtés. Si jusqu'ici j'avais l'impression que tout était calme, cet endroit est vraiment un lieu de passage. Je reconnais les espèces que j'ai vu entre les garçons que j'ai croisés ou les filles du dortoir, mais ce que je découvre ici est tout autre. Les indications de Romary prennent sens.

À droite, assise sur le bord d'une statue représentant un poisson, une fille lit un livre mais pas comme tout le monde. Au lieu de le poser sur ses genoux, elle tend haut les bras avec le livre ouvert pour être à la même hauteur que le poulpe orange posé sur son crâne. Les tentacules cachent son visage, mais ce que m'a dit Romary me revient : ses yeux sont ceux du poulpe.

Un frisson remonte le long de mon échine tellement c'est dérangeant. J'ai l'impression d'être aussi défoncée que la fois où mon oncle William a jugé bon de mettre des drogues dans notre glace aux Schtroumpfs.

J'ai fini aux urgences.

—    C'est une Osilid, me chuchote Romary en prenant mon bras dans le sien, l'air de rien. On va aller vers l'escalier de la bibliothèque où il y a moins de monde. Il faut paraître naturels.

Je ne relève pas, même s'il y a deux gros escaliers en face de nous pour nous amener à l'étage. Elle a sûrement raison, soyons les plus invisibles possibles.

J'avance sans arrêter d'observer discrètement les créatures qui se déplacent autour de nous. À ma gauche, un groupe de personnes à la peau verte/jaune un peu dégoûtante rigolent comme des hyènes en observant la jeune Osilid qui lit son roman. Leurs yeux sont d'un bleu profond qui ne me dit rien qui vaille. Si je me souviens bien, il s'agit des Arorot.

—    Romary ?

—    Oui ?

—    Je croyais que les Arorot n'avaient pas de bouche ? Demandé-je en parlant du groupe qui rient sans avoir l'expression sur leur visage.

—    Ils n'en ont pas. Ce que tu entends est par télépathie. Quand ils veulent parler en privé ils peuvent choisir à qui parler mais comme tu le vois, ce ne sont pas les créatures les plus secrètes...

Je vois ce qu'elle veut dire. En plus d'avoir une allure assez disgracieuse — selon mes goûts — j'ai un peu l'impression d'avoir le club des grandes bouches en face de moi.

Romary m'entraîne dans un couloir tout à gauche de là où nous sommes rentrées, puis encore à gauche. Je devine que nous sommes dans une des ailes, et mon amie m'explique qu'à droite se situe la bibliothèque sur deux étages. Nous poursuivons notre route en croisant tout un tas d'élèves qui ne nous calculent pas, puis au bout du couloir se trouve un escalier qui tourne encore une fois. Nous l'empruntons jusqu'à déboucher dans un autre couloir, et je prie pour ne pas perdre Romary de vue. Plus je m'enfonce dans ce manoir, plus je me sens en danger. C'est bête à dire, mais mon inconscient commence petit à petit à croire réellement en cette histoire, trop ambitieuse et réaliste pour être une blague de mon oncle.

Parce que mine de rien, les queues ont l'air vraiment réalistes, les peaux et les branchies aussi.

—    C'est ici !

Romary nous arrête encore au bout du couloir en face d'une porte ouverte d'où se dégage des bruits de discussion mouvementé.

—    Le cours n'a pas commencé. Fais comme si tout allait bien, et ça va le faire. On a mathématiques, puis langue oubliée et après fini. On s'occupera de ton cas.

J'acquiesce puis la suis avec une légère appréhension dans la classe. Il y a déjà une bonne quinzaine de personnes qui ne nous regardent même pas quand nous entrons, perchés sur les tables ou assis sur une chaise. Je suis Romary vers deux tables libres et nous nous installons.

Je sens tout mon corps tendu et mon cœur qui ne sait plus s'il doit battre ou s'arrêter. Est-ce qu'ils peuvent reconnaitre mon humanité avec les simples battements de mon cœur ?

Je n'ai pas le temps de le demander à Rom' car un petit homme qui ressemble exactement au portrait réel que je me faisais de Rick dans Rick et Morty dans la vraie vie entre en posant son gros sac en bandoulière sur le bureau.

—    Ne râlez pas pour ce premier cours de maths de l'année, commence-t-il avec épuisement, vous savez que vous n'allez pas rester comme ça.

Plusieurs personnes protestent et je tente un regard à Romary qui hausse nonchalamment les épaules. Une dizaine de personne entre en même temps dans la pièce ce qui fait soupirer le professeur épuisé. Une personne lumineuse entre, me faisant décrocher la mâchoire.

C'est donc ça, un Lomunes ? Ses yeux brillent d'un éclat blanc, ses lobes sont bien rattachés à ses omoplates dégagées et sous son coup se trouve une source lumineuse jaune.

C'est incroyable.

—    Allez, on se dépêche ! Presse le professeur en tapant des mains. On ne s'assoit pas ! J'ai fait un plan de classe, je vous connais au fil des ans et je ne me ferais plus avoir.

Le professeur trace sur le tableau vert avec une craie, dessine chaque table et pose des noms sur chaque place. Quand il écrit « Moon », j'ai un petit mouvement de recul avant d'aller m'assoir. C'est donc à ça que ressemble ma vie maintenant ? Entourée de créatures qui n'apprécient pas les humains à jouer la pirate que je ne suis pas ?

Accablée d'un drôle de poids d'un seul coup, je pose mon tote-bag sur le sol et m'affale sur la chaise qu'on m'a attribuée. Tête dans les bras posée sur mon bureau, je m'accorde deux petites secondes pour reprendre mes esprits et calmer mon cerveau qui se réveille.

Tout ira bien.

—    Eh oh ?

Une voix grave résonne près de mon oreille, me faisait sursauter. Je me redresse d'un coup presque au garde à vous, prête à me justifier auprès du professeur, mais la personne qui m'observe avec un drôle d'air n'a rien à voir avec le vieux croulant qui va nous enseigner les maths.

Le garçon a ma droite doit avoir mon âge même s'il en parait un peu plus. Il a des cheveux châtains presque blonds qui tombent de part et d'autre de son front, créant une petite raie au milieu et des yeux bleus presque gris. Sa mâchoire carrée trahit son corps athlétique mais il se donne surtout une attitude de beau gosse des plages qui me hérisse le poil. La seule chose qui m'intrigue chez lui, se sont les cicatrices prolongeant les deux côtés de sa bouche comme un faux sourire. Ça lui donne un air terrifiant mais en même temps, son regard n'indique rien de dangereux ou de méchant.

—    T'as ton manuel ? Finit-il par me demander en levant un sourcil.

Merde, je le dévisage comme un animal dans une cage la honte.

—    Je n'en sais rien, marmonné-je en choppant le sac que m'a donné Romary en espérant qu'il soit dedans.

Bingo ! Je sors le livre et le pose entre nous deux. C'est un Drecean, j'en suis sûre et certaine. Il me fait un signe de tête reconnaissant puis ouvre à la page que nous dicte le professeur, mais je ne peux pas m'empêcher d'avoir envie de lui parler. C'est le premier de mon — ma fausse plutôt — espèce que je rencontre.

—    Tu ne pouvais pas le prendre ? Lâché-je d'un ton un peu trop piquant.

Il se tourne vers moi, étonné que je lui adresse la parole mais surtout moqueur.

—    C'est qu'elle se croit marrante la cocotte.

Pardon ? J'ai bien tout entendu ?

—    La cocotte t'emmerde.

J'attrape d'une main le manuel et le fais glisser vers moi pour qu'il n'y ait plus accès, puis m'avachit sur mon bras pour qu'il ne puisse vraiment rien voir. Je commence à lire ce que nous a donné Rick-de-wish mais quelque chose se glisse sous mon oreille, à travers les quelques cheveux courts que j'ai à cet endroit. Une piqure vive et douloureuse me perce le lobe alors je me redresse, me tourne vivement vers le mec tout en posant une main tremblante sur l'endroit qui m'a fait mal.

Il me regarde avec un air satisfait, une petite lame sortant d'un de ses doigts. Sur ma main, une fine pellicule de sang me confirme qu'il vient de m'en tailler l'arrière de l'oreille.

—    T'es totalement taré ! M'exclamé-je en chuchotant.

Le châtain lève les yeux au ciel, attrape mon manuel pour le remettre au milieu, puis range la lame de son doigt. Elle disparaît comme ça, sans laisser la moindre trace.

—    Vas-y, il me provoque en approchant son visage du mien, sors les griffes petit chat, je n'attends que ça...

—    Chase ! Moon ! Vous voulez bien arrêter !

Ledit Chase se tourne vers notre professeur, lui permettant de voir ma main ensanglanté. Un air dépité passe sur son visage puis il soupire bruyamment pour nous transmettre son mécontentement.

—    Monsieur Meadows, une heure de colle. Quant à... hum... Moon, quelqu'un peut lui donner un mouchoir ?

Personne ne semble se désister mais à mon grand étonnement Chase bouge pour sortir de son sac un petit papier blanc qu'il me tend.

—    Merci Chase, reprend le prof en soufflant fort. Bon, reprenons...

J'hésite un instant mais finit par attraper le mouchoir à contre-cœur. Chase reporte son intention sur le cours, dévoilant son profil parfait. Pourquoi ils sont tous magnifiques dans cet endroit ? Ça devrait être illégal.

Je m'essuie la main et l'arrière de l'oreille qui ne cesse de pisser le sang, et Chase de penche vers moi sans quitter le tableau des yeux.

—    Hâte de te voir sortir les griffes petit chat...

Non mais c'est qui ce type ?!

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