Chapitre 12

Attends, il ne t'aime po comme je t'aime, Attends, Il ne t'aime po comme je t'aime

Chase

Moon bascule en arrière alors que je m'élance pour la rattraper, mais c'est trop tard. Étonnement, les millisecondes passent au ralenti. Son regard n'a rien de terrorisé, juste un étonnement justifié alors que sa mort est imminente. Je suis trop lent, la main que je lui tends ne l'atteint pas et de toute façon, elle s'agrippe tellement à son couteau que je ne risque pas de l'aider.

Quand je l'ai vu si vulnérable auprès de Peyton — je ne sais même pas ce qu'elle faisait ici à faire sa Joe Goldberg —, je n'ai pas pu m'empêcher d'intervenir. Lee l'a vu avant moi et, connaissant plus notre très chère peste de service que Moon, il a décidé de la prendre à part. Bon choix, si l'on constate que la pauvre humaine se débat avec une lame à peine aiguisée pour couper de la viande.

Moon n'était pas comme d'habitude. Son air pressé, sa façon d'agir en nous voyant et sa tenue d'exploration ne m'ont rien révélé de bon. Quelque chose se tramait, et je viens de tout gâcher.

Instinctivement, j'ai envie de fermer les yeux. De toute ma vie, je n'ai vu aucun Drecean plonger dans l'eau a une profondeur si énorme, par risque de finir en charpie. Nos gènes n'ont rien au commun avec les humains, hormis notre nature profonde qui n'est pas faite pour vivre dans l'eau alors là-dessus, nous avons un point commun.

D'abord, Moon brise la barrière, s'engouffrant dans l'eau gelée de la nuit. Son dos en arrière, elle bascule lentement jusqu'à tomber de l'autre côté sans que rien ne se passe. Retenue par l'eau, elle tombe avec lenteur sur le sol, les jambes toujours du côté de l'air, le reste dans l'eau, mais la pression faramineuse de son côté ne la tue pas. Au contraire, elle qui avait fermé les yeux sur le moment les rouvre doucement, comme si l'eau n'était pas un problème.

—    Qu'est-ce que...

C'est Lee qui a parlé. Peyton lâche un petit cri étonné. Moi je suis muet. Moon ouvre la bouche, nous observant un à un sans que l'eau ne lui rende les yeux rouges ou qu'elle s'étouffe parce qu'elle n'a pas de branchies, mais rien ne sort. Elle est aussi étonnée que nous, le corps à moitié plongé dans l'eau glaciale et noire.

—    Vous ! Là !

Merde, les surveillants. J'avais oublié que nous nous étions fait repéré quelques minutes plus tôt... ce n'était qu'une questions de temps avant qu'ils ne nous trouvent. Soudain, mon instinct de survie me ramène à la réalité. Moon, dans cette eau, sa jupe en tulle noire flottant autour d'elle, est la plus en danger. Tout le monde pense qu'elle est une Drecean même si certaines personnes commencent à émettre des doutes. Si quelqu'un la voit comme ça, tout le monde saura qu'elle ne l'est pas, mais surtout qu'elle n'a rien des espèces que nous connaissons. Quel humain serait capable de respirer sous l'eau à une pression astronomique ?

Dans l'urgence, je jette un coup d'œil à Lee en lui pointant mon bracelet du regard. Il hoche la tête, conscient que quelque chose ne va pas mais qu'on ne peut pas laisser Moon dans cette merde. C'est mon meilleur ami, il ne dira rien et arrivera à contenir la connerie de Peyton. Je crois en lui.

J'appuie sur mon bracelet — une grosse manchette en or bien bling-bling — puis je sens une fine double peau transparente s'étaler sur mon corps, comme un film invisible. Cette technologie que très peu de Drecean possèdent nous permet d'aller dans l'eau comme les autres espèces de ce monde sans se soucier de la pression, la température ou le fait de respirer sous l'eau. Le seul inconvénient, c'est qu'il ne nous permet pas de rester des heures à patauger dans notre mare.

Je bondis en avant pour dépasser le mur qui me sépare de l'eau et accueille la première bouffée d'eau dans mes poumons. Je n'ai pas branchies mais la combinaison pâlit à ça, ce qui est plutôt pratique mais pas confortable. Je tousse rapidement et m'oblige à m'habituer pour aider Moon qui est toujours figée les fesses au sol. Je lui tends la main, ses yeux bruns se fixent aux miens pour la première fois de la soirée et sans hésiter, elle la saisit. Elle accepte mon aide et je la relève sans soucis, profitant qu'elle remette les pans flottants de ses vêtements dans son corset pour que je mette ma chemise grise dans ma grosse ceinture en cuir que je trouve très laide mais plutôt confortable.

—    On doit partir, lui dis-je quand elle a fini.

Malgré l'eau trouble par nos mouvements, on reconnaît les silhouettes qui s'approchent dangereusement de là où nous étions. Ce n'est plus qu'une question de secondes avant que les Charingers ne nous voient, et Dieu seul sait à quel point ils sont rapides quand ils décident de se bouger.

—    Tu me fais confiance ?

Moon ne répond pas de suite, au lieu de ça, elle me détaille lentement pour juger le pour et le contre ou simplement déceler une pointe de mensonge dans ma question, mais je suis sincère. Honnêtement, je n'aime pas cet endroit. Il n'a rien d'un endroit sain où l'on peut étudier sans se préoccuper des représailles, il n'y a qu'à voir ce qu'a fait la directrice à la main de Noah ou celle de Moon. Une main qui est d'ailleurs devenue noire et je compte puis lui demander pourquoi.

—    On y va.

Son ton sec et pressé me sort de ma rêverie, alors je la prends par la main, et l'entraîne loin du mur. Nous commençons à courir étrangement facilement, comme si l'eau n'était pas une entrave à nos mouvements, puis on atteint facilement la forêt d'algues. Entre ses longs spaghettis qui montent vers le ciel à quelques kilomètres au-dessus de nos têtes, on sera facilement cachés le temps que les Charingers nous laissent tranquilles. Je ne connais pas bien les environs mais je ne doute pas du fait que nous allons nous en sortir. Dans tous les cas, mon temps est compté, et j'aimerais bien vivre un peu plus que 17 années.

Moon prend les devants et c'est elle qui me tire à travers les algues à présent. Elle accélère, comme si elle découvrait une autre partie d'elle qu'elle ne connaît pas, celle qui peut vivre dans l'eau comme un poisson mais sans nageoire. J'essaye de tenir la cadence tout en écoutant autour de nous mes les algues nous fouettent le visage avec brutalité, emportant le calme de la mer.

Soudain, elle s'arrête pour observer autour de nous. Il fait sombre, voire totalement noir mais nous arrivons quand même à se discerner l'un l'autre et les longs filaments qui se pressent autour de nous, bougeant légèrement comme des êtres vivants. Pas un bruit. J'ai l'impression d'être dans un film d'horreur où nous serions poursuivis par un mec en tronçonneuses, perdus dans un champ de maïs. D'instinct, je sors une lame de ma main pour me préparer à une éventuelle attaque. Moon fait de même en tenant plus fermant le couteau de sa main libre, même si je ne pense qu'elle ira bien loin.

Soudain, j'entends un bruit. Un tout petit bruit, comme une respiration près de mon oreille. Je me retourne mais ne distingue personne. La réaction de Moon me confirme qu'elle aussi, elle a entendu ce léger bruissement qui fait s'emballer mon cœur. Nous ne sommes pas seuls.

Je ne sais pas si les environs du manoir sont habités, mais je sais aussi que la plupart de nous autres dorment la nuit, comme les humains. C'est rare de voir quelqu'un rôder à cette heure, surtout dans une forêt telle que celle-là.

« Tout droit. »

Je sursaute et me retourne plus vivement, tenant fermement la main de Moon pour ne pas la perdre dans la pénombre. Quelqu'un a parlé.

« Vite. »

Surpris, je me rapproche de Moon, toujours en position de défense au-cas-où, puis murmure à son oreille le plus bas possible.

—    Tu as entendu toi aussi ?

—    Je crois...

—    Ce n'est pas bon signe petit chat...

« Vite. »

Un autre bruissement se fait entendre, puis des voix au loin. Comme dans l'air, les cris des Charingers qui doivent être à plusieurs mètres de nous se font entendre. Ils nous cherchent activement.

—    Je crois... commence Moon avant de s'interrompre.

Elle réfléchit, plisse le nez.

« Allez ! »

—    C'est dans nos têtes, finit-elle par affirmer avec un hochement de tête convainquant et convaincu.

—    De quoi tu parles ?

—    C'est un ou une Arorot qui nous parle, Chase. C'est par télépathie.

Elle a raison. Maintenant qu'elle me le dit, c'est évident qu'elle a raison. Les Arorot sont des êtres extraordinaires mêmes s'ils sont vicieux et souvent méchants... Je ne comprends pas pourquoi l'un d'entre eux nous aiderait mais en même temps, je pense que cette personne a ses raisons.

—    On n'avait l'impression que quelqu'un nous parlait parce qu'il y a un silence super pesant autour de nous mais je pense qu'on doit l'écouter.

—    Tu es sûre ? Je sais que tu n'es pas avec nous depuis très longtemps mais les Arorot...

—    Je sais. Mais est-ce qu'on a vraiment le choix ? Je crois que tu as compris que je ne peux pas retourner dans cette école... Et encore moins comme ça.

Elle se désigne en entier avant de soupirer devant l'incompréhension de la situation. Si même elle ne comprend pas comme ça se fait qu'elle ne soit pas morte à l'heure actuelle, on est pas sorti de l'auberge.

—    Par tous les Osilid chauves, j'en crois pas de ce que je m'apprête à faire... Suivre les conseils d'un Arorot, au secours !

Je prends les devants tout en continuant de râler parce qu'après tout, nous ne savons pas si nous fonçons dans un piège ou non. Moon ne résiste pas et je redonne un rythme correct à notre fuite. Petit à petit, les bruits des Charingers se font de moins en moins forts jusqu'à disparaître entièrement. Je suis étonné de la médiocrité des surveillants, sachant que cette espèce est la pus rapide dans l'eau. Faites la course avec l'un des leurs et vous verrez ! D'ailleurs, j'ai quelques doutes sur le fait que Léon Marchand est l'un des leurs avec un sort dissipant les distinctions physiques... Mais c'est un autre problème.

—    Pourquoi tu m'as suivie ?

Moon ouvre enfin la bouche sans ralentir l'allure. Sa main noire dans la mienne brille de mille feux, comme de petites paillettes grises. Ses cheveux courts flottent dans l'eau, rendant une brillance à son roux foncé et pour la première fois, je découvre la partie invisible de son front caché sous la petite frange qu'elle s'est faite. Dans l'eau, elle est ravissante, je dois le reconnaître.

—    Parce que j'en avais envie.

—    Mauvaise réponse. Explique.

—    Je n'en sais rien, je ne pouvais pas te laisser là-bas.

Je ralentis pour qu'on puisse parler plus facilement sans être essoufflés, mais Moon me dépasse et nous tire de nouveau pour conserver le rythme de course. Je retiens un sourire mais je sais que la cicatrice qui prolonge mes lèvres doit me trahir.

—    Tu n'es pas une Drecean, hein ?

Même si je sais que j'ai raison, j'attends sa validation. On ne sait jamais, je peux me tromper mais je l'avais deviné bien avant. Et puis, quand elle s'est laissée blesser par Mme Rumsey sans dégainer ses lames, je l'ai su pour de bon. Ce pauvre couteau qu'elle tient comme si sa vie en dépendait ne la rend juste plus vulnérable que si elle n'avait pris aucune protection.

—    Je ne sais même plus ce que je suis, m'avoue-t-elle à mi-voix. Mais je suis sûre de ne pas être une Drecean.

—    Et ta cicatrice ?

—    Une pure coïncidence.

—    Ta main ?

—    Je n'en sais rien. On en parlera après ? Je t'avoue que me trimballer dans un champ d'algues en pleine nuit n'est pas la chose la plus agréable et rassurante que j'ai fait.

Je souris et continue de garder la course qu'elle impose pendant une bonne demi-heure. Honnêtement, je mentirais si j'affirmais que je suis totalement à l'aise dans cet environnement. Moi non plus, je trouve que la nuit n'est pas rassurante.

—    Chase...

Moon ne finit pas sa phrase car je comprends ce qu'elle veut me dire. Devant nous, des dizaines de maisons entourées de la bulle d'air se dressent comme un petit village. Seule une maison est faiblement éclairée tandis que les autres sont plongées dans le noir, leur propriétaire sûrement en train de rêver de je ne sais quoi.

« Lumière. »

Moon se tourne vers moi pour attendre mon accord mais je hausse les épaules. Quitte à avoir suivit l'Arorot, autant aller au bout. Après tout, je pense qu'on aurait pu vite se perdre dans les algues si elle n'était pas intervenue.

« Vite. »

Moon se décide, lâche ma main et avance vers le village et la maison éclairée. Au moins, je pourrai enlever ma combinaison et respirer enfin de l'air frais...

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