- Chapitre Vingt-Neuf -

« Depuis combien de temps exactement me regardes-tu dormir ? »

La voix d'Isak ramena Even sur Terre. Il venait d'être pris sur le fait.

« Je te regarde pas dormir. »

Il nia.

Isak ouvrit les yeux. Even les ferma.

Il entendit un doux rire, rire auquel s'accompagnait certainement un sourire que le garçon pouvait facilement imaginer. Il sentit une main se poser contre sa joue gauche, un pouce caresser lentement sa peau. Ses yeux papillonnèrent au contact. Il aperçut une lèvre inférieure se coincer entre des dents. Il ouvrit entièrement les yeux, alors, et regarda son petit-ami, dont les doigts jouaient encore avec son visage. Il les laissait parcourir l'ensemble de sa figure, partant de sa joue puis attrapant au passage son lobe d'oreille, passant par sa paupière et son nez, avant de repartir vers sa mâchoire et de redescendre vers son menton, pour finalement arriver sur ses lèvres. Son toucher s'y attarda, comme s'il laissait le temps à son ADN de s'y accrocher pour que chaque personne sur cette planète sût que ces lèvres et leur propriétaire lui appartenaient.

Even ne savait pas exactement combien de temps ils étaient restés là, à se regarder, à s'admirer. Il finit par poser sa main sur celle d'Isak, toujours posée sur sa joue, et il la lui retira pour sortir du lit, uniquement vêtu d'un pantalon de pyjama à motif tapis de pique-nique. Il se tourna vers son petit-ami et lui sourit doucement avant d'entrer dans sa salle de bains qui était connectée à sa chambre. Quand la porte se referma derrière lui, il lâcha un soupir, sans trop savoir pourquoi, et il se laissa glisser contre celle-ci. Il était tellement... bien, avec Isak. Il avait l'effet d'une drogue sur son corps, sur son esprit et, d'un côté, ça l'effrayait.

Quand il ressortit de la petite pièce, avec des cheveux mouillés dont quelques gouttes tombaient pour dévaler sa peau et une serviette enroulée autour de sa taille, ce fut pour tomber sur son petit-ami dos à lui, en train de retirer le tee-shirt qu'il avait sur lui pour en mettre un propre. Il n'avait pas semblé le remarquer. Pourtant, quand il s'assit sur le lit pour enfiler une chaussette noire, il tourna la tête dans la direction du blond et sursauta.

« Désolé, je... J'ai juste oublié des vêtements, je... Ouais. »

La main qui ne maintenait pas sa serviette en place faisait des gestes quelconques et ses joues s'empourprèrent. Pourquoi l'avait-il fixé de la sorte ? Maintenant, Isak devait sûrement être gêné...

« C'est... C'est rien, t'inquiète. »

Even osa jeter un œil au garçon. Il surprit ses yeux en train de le regarder, de la même manière que lui-même l'avait regardé à peine une dizaine de secondes plus tôt. Il sentit sa peau chauffer davantage. Isak le regardait. Il fit cependant comme s'il n'avait rien remarqué et se baissa pour ouvrir un tiroir et prendre de quoi s'habiller – il n'allait quand même pas rester couvert d'une simple serviette pour le reste de la journée.

« Je vais m'habiller. » dit-il en se redressant.

Il tourna la tête vers le blond avant qu'il ne pût s'en empêcher et le vit toujours assis sur son lit, dans la même position. Peut-être avait-il rêvé, mais il avait cru le voir baisser les yeux vers ses genoux. Il le regardait vraiment, alors ? Even mordilla doucement sa lèvre alors qu'Isak hochait plusieurs fois la tête. Puis il s'éloigna et retourna dans la salle de bains. De nouveau, il soupira. Que s'était-il passé exactement ?

Une fois que sa tenue fut enfilée et ses cheveux essuyés puis coiffés, Even sortit. Mais sa chambre était vide.

« Isak ? »

Il partit dans la deuxième partie de son appartement et trouva son petit-ami devant l'évier de sa cuisine, rinçant sa brosse à dents.

« Ça t'arrive souvent de te laver les dents dans une cuisine ? Je sais que c'est pas le plus grand appart' du monde, mais quand même. » rit Even en s'approchant de lui.

Isak se retourna et sourit doucement avant de remettre sa brosse à dents dans le sac qu'il avait été cherché la veille au soir chez lui.

« Je voulais pas te déranger... Mais je supporte pas la sensation de dents sales. C'est ridicule, je sais.

— C'est pas ridicule. Je te taquinais. T'as un peu de dentifrice sur le coin de la bouche, au fait. »

Le blondinet se mit à bégayer des syllabes incompréhensibles en frottant désespérément ses lèvres – manquant à chaque fois l'endroit précis où s'était logé la pâte blanche. Even rit silencieusement et s'avança vers le garçon jusqu'à ce que seuls quelques ridicules centimètres ne les séparèrent. Doucement, comme s'il avait peur de le brusquer, il apporta sa main à la mâchoire d'Isak puis glissa son pouce contre le haut de sa lèvre supérieure, effaçant toute trace de dentifrice et laissant une douce odeur mentholée sur son doigt. Puis il sourit. Isak, lui, le regardait sans dire un mot. Sa bouche était légèrement ouverte – Even pensa qu'il essayait de sortir un son mais qu'il restait coincé dans sa gorge – et ses paupières papillonnaient.

Peut-être l'imaginait-il, mais il crut percevoir l'espace le séparant du garçon se réduire, la taille de ce dernier grandir de quelques millimètres. Peut-être l'imaginait-il aussi, mais il crut sentir une paire de lèvres se poser avec hésitation sur les siennes. Peut-être que ça aussi, il l'imaginait, mais il crut entendre son cerveau ordonner à son corps de répondre au baiser que lui donnait Isak.

Ils échangeaient leur troisième baiser. Le premier en tant que couple officiel. Et Even aurait voulu faire ça bien plus tôt.

Ce n'était qu'un léger contact, au départ. Un geste innocent. Mais, bien assez tôt, Even prit la mâchoire d'Isak de ses deux mains et se rapprocha de lui, approfondissant leur échange. Les yeux clos, il explorait le visage de son petit-ami, mémorisant chaque courbe comme si c'était sa dernière chance de le faire. Il sentit de petites mains frôler sa nuque pour se poser dans ses cheveux. Ils n'avaient jamais été aussi proches et, pourtant, ça ne semblait pas encore suffisant pour le plus vieux.

Even ne se souvenait pas si c'était volontaire, mais il se souvenait avoir poussé Isak contre le meuble de l'évier, ne détachant jamais ses lèvres des siennes. Il se souvenait aussi des bras de celui-ci s'enroulant autour de sa nuque et le forçant alors à se coller contre lui et l'embrasser davantage. Ils étaient si proches que ça en devenait hypnotisant. L'odeur de l'un se mélangeait avec celle de l'autre, l'ADN de l'un se répandait sur la peau de l'autre, si bien qu'on ne pourrait les différencier les yeux fermés.

Au grand damne d'Even, ils durent se séparer. C'était en partie parce que l'air commençait à manquer et, même si mourir en embrassant Isak semblait être une plutôt belle mort, il préférerait ne pas décéder maintenant. Mais c'était aussi parce que la stupide sonnette de sa porte d'entrée venait de retentir. Pendant un temps, ils ne bougèrent pas et se regardèrent, front contre front. Les joues d'Isak étaient colorées d'une teinte rosée et Even pouvait sentir que le siennes n'étaient pas mieux. La personne qui se tenait de l'autre côté s'impatienta et sonna de nouveau – sauf que, cette fois, elle se mit à frapper du poing contre la porte par la même occasion. Le plus grand des deux garçons soupira doucement et pressa la main de son petit-ami avant de reculer d'un pas, ayant alors une vue d'ensemble sur lui. Even avait l'impression qu'il pouvait entendre son cœur battre alors qu'il n'était même plus collé à lui – peut-être était son cœur à lui. Ses lèvres, entrouvertes pour laisser plus d'air traverser ses poumons, étaient légèrement gonflées et ses cheveux étaient en bataille – une jolie sorte de « en bataille ».

La sonnette se fit entendre une nouvelle fois. Les yeux aux ciel, le blond recula vers la porte, Isak sur ses talons, et l'ouvrit. Ils virent Mikael, appuyé contre l'encadrement, une jambe au-dessus de l'autre. Il tourna la tête vers les garçons qui le regardaient avec insistance, attendant qu'il dît quelque chose.

« Oh, je dérange ? » demanda-t-il alors qu'un sourire en coin qu'il n'essayait pas de cacher apparaissait sur son visage.

Isak baissa la tête en passant sa main dans ses cheveux d'un air gêné. Even, lui, ne fit que lever les yeux au ciel. Il se doutait que Mikael sortirait quelque chose de ce genre – c'était dans ses gènes, il n'y pouvait rien.

« Tu m'as pas appelé hier soir, déclara le blond à son meilleur ami.

— Ouais, je suis resté avec Ali'.

— Alors ? Comment elle va ?

— Bien, en fait. Juste un accident de vélo, mais ma mère a complètement paniqué – et moi aussi, pour être honnête. Mais tout va bien, elle a juste une jambe cassée. Elle a passé la nuit à la maison et je lui ai tenu compagnie. »

Even hocha la tête plusieurs fois en soupirant de soulagement. Il y avait eu plus de peur que de mal.

Mikael était resté jusqu'après déjeuner avec les deux blonds. Ils n'avaient pas fait grand chose d'extraordinaire ; ils étaient simplement restés assis autour de la table de la cuisine et avaient discuté. Even avait remarqué qu'Isak restait un peu en retrait, comme s'il ne se sentait pas à sa place. Il ne pipait mot, ne mangeait que peu et jouait avec le fin bracelet qui ornait son poignet, lèvre inférieure coincée entre ses dents. Pourtant, même quand le métisse partit pour rejoindre sa petite soeur Alya, cette expression ne quittait pas son visage.

« Qu'est-ce qui ne va pas ? osa lui demander Even après quelques secondes à l'observer.

— Rien du tout, nia-t-il.

— Isak... »

Le blond s'assit par terre, en face de la chaise d'Isak qu'il avait au préalable tourné légèrement. Il chercha ses yeux et, quand il les rencontra enfin, il maintint le contact.

« Qu'est-ce qui ne va pas ? répéta-t-il, l'insistance claire dans le ton de sa voix.

— Je... C'est pathétique. Je vais rentrer chez moi, il est déjà quatorze heures. Ma mère va s'inquiéter.

— Isak, dis pas ça... Qu'est-ce qu'il y a ?

— Rien ! Je... Je repense juste à... à ce qu'on a fait tout à l'heure, et... Je sais pas. J'ai jamais fait ce genre de trucs, avant. Je sais même pas ce que je fais et ça me gêne rien que d'y penser, alors t'en parler...

— Tu viens de le faire, pourtant. (Isak rougit en baissant les yeux.) Hey, c'est rien. C'est pas grave, tu le sais ça ? On s'en fiche. Fais ce que tu veux, comment tu le veux et quand tu le veux. Ça m'ira toujours. »

Isak redressa la tête pour croiser de nouveau le regard de son petit-ami.

« Allez, viens, on va prévoir notre petit voyage, déclara l'étudiant en se levant.

— Attends, tu déconnais pas ? sourit doucement Isak.

— Tu pensais que je déconnais ? demanda-t-il en se retournant.

— Je pensais pas que tu pouvais faire ça, tu sais, avec la fac, tout ça, tout ça...

— C'est pas grave, ça, je demanderai à Mikael de me prêter ses notes, et je ferai semblant d'être malade. On partira pas pendant trois ans, juste une semaine, peut-être deux. Si ça te va, bien sûr.

— Ouais... Ouais, ça me va. »

Quelques minutes plus tard et le couple était installé confortablement dans le lit, ordinateur portable sur les genoux du plus vieux. Pendant plusieurs heures, ils planifièrent leur petite virée – qui avait été quelque peu décidée sur un coup de tête. Ils décidèrent du plan précis à suivre, où ils resteraient, combien de temps ils y resteraient... La tête d'Isak finit entre temps par atterrir sur l'épaule droite d'Even. Puis vint la question de l'argent. Le plus vieux tourna sa tête vers son petit-ami pour lui dire qu'il avait de l'argent de côté qu'ils pourraient utiliser, mais il était déjà endormi.

****

Dormir. Une action magnifique. La meilleure, peut-être. Un mélange de relaxation, de repos et d'aventure. Les trois en même temps. Que demander de mieux ?

Even adorait dormir. Surtout avec Isak. Sentir la chaleur de son corps contre le sien. Mais la meilleure partie, quand ils dormaient ensemble, pour Even, c'était le réveil. La première chose qu'il voyait en ouvrant les yeux était le visage détendu de son petit-ami. Ses lèvres entrouvertes, ses yeux clos, ses cheveux ébouriffés. Il aimait le regarder dormir. C'était... apaisant. Comme si tout allait bien, comme si tout irait toujours bien.

Even et Isak n'allaient passer que leur troisième nuit ensemble, mais ça semblait être la millième aux yeux du plus vieux. Il connaissait déjà le son de sa respiration, l'odeur de son corps, la sensation de sa chevelure claire sous son toucher. Il le connaissait par cœur, sur le bout des doigts, comme Isak connaissait chaque vers de ses poèmes favoris. Isak était son poème. Chaque jour qu'il passait à ses côtés en était une strophe. Chaque geste qu'il faisait, chaque parole qu'il prononçait en étaient des vers. Chaque inspiration qu'il prenait en était une rime.

Était-ce donc ça, l'amour ? Était-ce un poème dont les rimes étaient si addictives que l'on se croirait dans un rêve éveillé ? Était-ce une chanson dont la mélodie restait coincée dans nos têtes, se répétant encore et encore de manière à ce que jamais on n'oubliât son existence ? Était-ce une peinture dont chaque nuance de couleur nous faisait perdre la tête ? Était-ce un roman dont chaque mot écrit nous donnait l'envie, le besoin de découvrir la suite ?

Si c'était ça, l'amour, alors Even était sûrement amoureux d'Isak.

Ce fut sur cette pensée qu'Even s'endormit, sourire aux lèvres, contre ce garçon qui allait très certainement rester dans ses pensées pendant un long moment.

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