- Chapitre Trente-Sept -
Si ça vous tente, je vous propose de lire ce chapitre tout en écoutant "Goodbye" de John Paesano ! Vidéo dans le média et lien Spotify dans les commentaires :)
Bonne lecture x
- - - - - - - -
Ce ne furent pas les rayons du soleil qui réveillèrent Isak ce matin-là mais bel et bien un Even déjà totalement habillé et prêt à passer une nouvelle journée. Bien que le sommeil lui brouillât encore l'esprit, il parvint à sortir de cette torpeur et salua son petit-ami.
« Qu'est-ce que tu fais debout si tôt un dimanche matin ? demanda-t-il en se frottant les yeux.
— Je vais travailler, répondit-il en ponctuant sa phrase d'un sourire qui plissa ses lèvres. Je voulais juste te dire au revoir.
— Oh, s'étonna le garçon, d'accord. »
Isak s'extirpa tant bien que mal des couettes et suivit Even jusque la pièce principale.
« Je te laisse un double des clefs ici, tu peux continuer de dormir si tu veux. »
Le blond ne fit que hocher la tête et tourna les talons, prêt à replonger dans un profond sommeil, mais l'autre garçon l'interpella de nouveau :
« Isak ?
— Hm ? marmonna l'intéressé en se retournant.
— Embrasse-moi.
— Je me suis même pas lavé les dents, bailla-t-il.
— Je m'en fiche. (En deux enjambées, Even se retrouva à seulement quelques centimètres de son petit-ami.) Embrasse-moi, Isak. »
Alors, il le fit. Confus en premier lieu, il déposa délicatement ses lèvres sur les siennes et finit par les mouver avec paresse. Isak sentit contre ses joues les douces paumes de son petit-ami et il ne put retenir ses propres mains quand elles rejoignirent sa nuque. Chaque baiser lui procurait une sensation nouvelle, et une vague de chaleur lui rougissait la peau du visage. Quand ils se séparèrent, Even lui sourit. C'était un sourire plein d'émotions ; il y en avait tellement de cachées derrière son expression qu'Isak ne saurait toutes les citer. Puis, après un dernier baiser furtif, il s'éloigna vers la porte d'entrée. Alors qu'Isak pensait que c'était fini, Even se retourna une dernière fois pour lui lancer un autre de ses uniques sourires auquel il ne put s'empêcher de répondre.
Even n'était jamais comme ça, il n'était jamais si... sentimental. Pas depuis hier, en tout cas. Mais, à bien y penser, ça ne lui déplaisait pas.
Dès le moment où la porte claqua, emportant avec elle l'ambiance mystique que créait la présence de son blond, Isak retourna se faufiler sous les couvertures. Il n'était même pas encore huit heures du matin ; sa nuit était bien loin d'être terminée...
****
Isak fut réveillé par le vibreur insupportable de son téléphone portable mêlé à une mélodie qui lui indiquait que quelqu'un cherchait à le joindre. À tâtons, il chercha son cellulaire et décrocha en laissant échapper un bâillement. Il marmonna un « Allô ? » si léger qu'il ne fut même pas sûr que la personne à l'autre bout du fil l'eût entendu.
« Isak ? C'est Maman.
— Oh, bonjour... » dit-il.
Isak n'avait pas vraiment eu l'opportunité de discuter avec sa mère la veille ; elle avait été trop occupée à étudier le cas d'un client à défendre. C'était à peine s'ils s'étaient salués. Et, malgré quelques brefs appels quand il était hors d'Oslo avec Even, il avait l'impression que cela faisait des mois qu'ils n'avaient pas eu de discussion à proprement parler.
« Je me demandais si tu prévoyais de rentrer à la maison, aujourd'hui... Ça fait pas mal de temps que tu n'y es plus jamais... »
Le cœur du blond parut se briser et ses paupières se soulevèrent davantage. Elle avait raison ; ces dernières semaines, il avait passé son temps à valser entre le parc, la ruelle, la maison d'Even et sa chambre à coucher.
« Tu ne dois pas travailler...? demanda Isak avec hésitation.
— Ça peut attendre. Je t'ai mis de côté et je m'en veux. Je veux passer du temps avec toi, profiter de ta présence – pas comme ton abruti de père.
— Vraiment ?
— Vraiment. »
Sans qu'il ne sût réellement pourquoi, de petites larmes vint picoter le coin de ses yeux. Ils ne parlaient jamais de son père. C'était le sujet tabou du foyer – et de la famille toute entière. Il était parti presque deux ans plus tôt, la semaine où la maladie d'Isak avait été diagnostiquée. C'était un peu avant son seizième anniversaire et cela tuait Isak de repenser à ce jour. La dernière fois qu'il en avait parlé, c'était à Even, et ils n'avaient jamais relancé le sujet depuis. Et encore, il n'avait pas énoncé tous les détails... Isak revoyait encore le visage fermé de cet homme qui était censé être son père alors qu'il claquait la porte d'entrée pour laisser sa voiture l'emmener loin de toutes les emmerdes que lui apporterait son fils malade dont le groupe sanguin merdique ne permettrait probablement pas un cœur neuf. Son expression... Elle avait été encore plus dure à avaler que les disputes qui avaient éclatées entre ses deux parents ou le déraillement total de sa mère après cet épisode. Et il n'avait que quinze ans. En pleines révisions du brevet. Sans ça, il aurait sûrement perdu la boule. Puis étaient arrivés les bouquins et la peinture. Il avait commencé à ne jurer plus que par ça. S'était déscolarisé. De toute façon, il mourrait avant même d'avoir son bac. Il ne ferait rien de sa vie. Alors il marquait le monde à sa manière.
« Isak ? »
La voix de sa mère le ramena à la réalité. Il secoua la tête et sentit enfin les larmes qui coulaient lentement le long de ses joues.
« Oui, je... je suis là. Juste les souvenirs qui remontaient.
— Je suis désolée. Vraiment, vraiment désolée, déclara-t-elle. Pour tout ce qui s'est passé.
— C'est pas ta faute... murmura Isak pour qu'elle n'entendît pas les sanglots dans sa voix.
— Si... Je suis ta mère, j'aurais dû rester forte pour toi mais, à la place, je me suis laissée couler. Mais ça va, maintenant. Ça va vraiment. »
Un sourire s'installa sur le visage du garçon et de petites larmes salées vinrent se loger sur les courbes de ses lèvres.
Peut-être que, dorénavant, Even ne serait plus sa seule source de joie.
Isak rejoignit sa mère chez lui à peine une heure plus tard. Il avait fermé l'appartement d'Even à clef et déposé un mot sur sa table ronde, au cas où il se demanderait où il était passé en rentrant du café un peu plus tard. Dès qu'il ouvrit la porte, un corps se jeta sur lui et il reconnut l'odeur du shampoing de sa mère. Il la serra fort, si fort qu'il était même surpris de sa propre puissance. La dernière fois qu'ils s'étaient enlacés de la sorte remontait au jour où son père était parti. Autant dire qu'il avait oublié la sensation que ça procurait.
Sa mère lui avait manqué.
« Je suis tellement désolée, tu sais... dit-elle en un souffle qui s'écrasa contre la peau d'Isak.
— Je te pardonne, Maman. C'est pas grave. (Il la serra plus fort encore, fermant ses paupières par la même occasion.) Le principal, c'est que tu ailles bien. Que nous allions bien. »
Subitement, la femme se recula mais garda néanmoins les épaules de son fils entre ses mains. Ce fut à ce moment là qu'il remarqua ses joues humides et ses yeux bouffis.
« Rattrapons le temps perdu, d'accord ? »
Il ne put que hocher la tête. S'il ouvrait la bouche, ce ne seraient pas des mots qui en sortiraient mais des sanglots ; et il pensait que ceux de sa mère étaient amplement suffisants.
Même s'il gelait presque à l'extérieur, les Valtersen décidèrent de s'y balader. Ça faisait un bail que la mère d'Isak n'était pas sortie de chez elle dans un but autre que professionnel et elle avait besoin de sentir de nouveau la douceur du soleil blanc sur sa peau. Ça ne dérangeait pas le blond – au contraire ; il aurait l'opportunité de discuter un peu avec sa mère sans aucune distraction. Leurs téléphones étaient restés à l'abri du froid, à la maison, alors que leurs corps et leurs rires se dirigeaient là où le vent les portait. Ils traversèrent un chemin à travers un bois et Isak finit par s'arrêter devant une grande clairière qui creusait une crevasse au milieu de tous ces grands arbres. En son centre s'élevait un immense sapin dont les feuilles vertes foncées contrastaient avec la lumière du soleil qui l'éclairait tel un projecteur. Sans qu'il ne sût vraiment pourquoi, cet endroit lui semblait familier. Peut-être était-il déjà venu ici, auparavant – après tout, il avait grandi à Oslo et avait certainement étudié chaque recoin de son quartier pendant sa petite enfance. Comme s'il avait cinq ans à nouveau, le garçon s'élança en courant sous le halo de lumière dont ils étaient privés au beau milieu de l'humidité de la forêt. Quand il atteignit le centre, il se laissa tomber et rouler plusieurs fois sur l'herbe fraiche avant de s'immobiliser sur le dos, bras et jambes écartés à la manière d'une étoile de mer. Il entendit au loin le petit rire de sa mère qui, quelques secondes plus tard, était installée à côté de lui. Il inspira une grande goulée d'air, ce qui lui refroidit les narines, et la laissa ressortir d'un air satisfait. Ces deux dernières années passées cloîtré dans sa chambre ou au bas de sa ruelle à attendre patiemment que la mort vînt l'emporter loin de ce monde lui paraissaient si loin, maintenant. Et dire qu'il aurait pu les passer dans des endroits aussi paisibles que celui-ci...
« Quand tu avais quatre ou cinq ans, on venait ici presque tous les week-ends, toi, ton père et moi. »
Isak tourna la tête vers sa mère. Ses genoux étaient repliés contre sa poitrine et sa main droite était occupée à triturer les mèches blondes foncées les plus proches de son crâne. Il se souvenait qu'avant, elle avait de longs cheveux raides qu'elle tressait. Maintenant – et ce depuis une paire d'années –, ils atteignaient à peine ses épaules.
« Le vendredi était le seul jour où ton père quittait le bureau assez tôt pour venir te chercher. Alors, dès que tu quittais l'école, tu nous suppliais de te ramener ici. Parfois avec un ou deux copains mais, le plus souvent, tu préférais venir seul. (Un sourire vint apporter de la chaleur à son visage vide d'émotions.) Tu disais que c'était ton endroit secret. Tu courais en rond autour de ce sapin – même s'il était beaucoup plus petit à l'époque. Puis tu regardais ces fleurs, là. (Ses doigts pointèrent vers l'autre côté du gros sapin où fleurissaient de jolies fleurs roses.)
— Des renoncules... soupira Isak, mais sa voix ne sortit pas suffisamment fort pour qu'il fût sûr de l'avoir dit tout haut.
— Tu les cueillais, des fois. Puis tu en faisais des couronnes. Des tas ! » rit-elle.
Isak se redressa et se traîna jusqu'au parterre de fleurs. Il en cueillit quelques-unes – un peu moins d'une dizaine – avant de retourner à l'emplacement où il se trouvait précédemment. Cela faisait des années qu'il n'en avait pas fabriquées et, pourtant, ses doigts semblaient se souvenir parfaitement des geste à effectuer pour former une couronne. Il sentait sur lui les yeux de sa mère alors que les siens étaient fixés sur la couleur chaleureuse des pétales roses. Quand il eût fini, il la tendit à sa mère, sans un mot. Cette dernière sourit – les lèvres plissées tout d'abord, puis en laissant apparaître ses dents – et prit délicatement la couronne entre ses fines mains.
« Tu as bien changé, Isak, dit-elle en plaçant les fleurs sur le sommet de son crâne. Pourtant, dans mon cœur, j'ai toujours l'impression que tu es ce petit garçon d'il y a dix ans. Mais je suis si heureuse que tu t'ouvres enfin au monde. Que tu aies tes passions... Un petit-copain... »
Sur ces derniers mots, son visage se tordit en une moue taquine qui fit rire Isak. Ou bien peut-être était-ce simplement la mention d'Even, son petit-ami. Il se mit à construire une seconde couronne de fleurs, un sourire indélébile sur les lèvres.
« Tu l'aimes ? demanda-t-elle, prenant Isak au dépourvu.
— Je... »
Un rire nerveux s'échappa de sa gorge. Il était pourtant certain de la réponse ! Ce garçon l'avait tellement aidé. Et pas seulement à vivre un peu ; aussi à être heureux. Surtout à être heureux, en fait. Sans lui, il serait encore dans son lit, sous sa couette, à attendre les yeux dans le vide. Il se reconcentra sur les fleurs entre ses doigts dans l'espoir de calmer son cœur qui s'était soudainement mis à battre plus vite.
« Ouais, je l'aime. »
Isak pouvait presque voir le sourire sur le visage de sa mère alors qu'il ne la regardait même pas. Il ne pourrait jamais remercier Even suffisamment de fois pour tout ce qu'il avait fait pour lui, pour toutes les choses qu'il lui avait apportées, même inconsciemment. Mais, au moins, il lui donnerait une jolie couronne de fleurs.
****
Une fois le chauffage mis en marche, la femme blonde vint s'installer sur le fauteuil situé juste en face de celui où était assis son fils. Les deux couronnes de fleurs qu'Isak avaient fabriquées étaient déposées sur la table basse ; il avait décidé qu'il donnerait la sienne à Even le lendemain, car il était déjà tard. Vingt-et-une heures et vingt-et-une minutes, précisément. Ce qui était étrange, en revanche, c'était qu'il ne l'avait pas appelé ni même texté de la journée...
« Alors, tu me le lis, ce livre ? »
La voix douce de sa mère le sortit de sa rêverie. Isak secoua doucement la tête. Il n'y avait aucune raison de s'inquiéter. Il était sûrement parti traîner avec Mikael ; ils ne s'étaient pas vus depuis longtemps, après tout. Et il ne pouvait pas l'empêcher d'avoir des amis.
« OK. »
Isak s'installa plus confortablement, en tailleur, laissant son exemplaire du Portrait de Dorian Gray sur l'accoudoir un instant.
« Prête ? » demanda-t-il, un sourire en coin sur les lèvres.
Sa mère finit d'attacher ses cheveux en un petit chignon dont les mèches du dessous s'échappaient, étant trop courtes, puis elle sourit d'un air décidé.
« Prête. »
Délicatement, Isak ouvrit le livre et feuilleta quelques pages pour parvenir à la préface.
« L'artiste est celui qui crée des choses de beauté. Révéler l'art et dissimuler l'artiste, tel est le but de... »
Une sonnerie l'interrompit. Sonnerie qui lui fit écarquiller les yeux.
Non.
Impossible.
Il n'y avait plus aucun espoir.
Son regard se posa sur l'appareil posé en évidence sur la table basse, juste à côté de son téléphone portable. Il l'avait toujours gardé sur lui, pendant deux années entières, et c'était maintenant qu'il se décidait à sonner.
Il leva les yeux vers sa mère, qui semblait sur le point de tomber dans les pommes.
« C'est... marmonna-t-il avant de déglutir. Je... »
Un sourire prit progressivement possession de son expression troublée alors que de petits rires nerveux quittaient ses lèvres.
« Tu vas... commença sa mère.
— Je vais avoir un cœur ! »
La suite fut une explosion de milliers d'émotions différentes. Il y eut des éclats de rire ; ni Isak, ni sa mère ne semblaient en croire leurs oreilles. Puis il y eut les larmes ; ça arrivait, ça arrivait vraiment. Isak ne se rendit compte qu'il s'était levé seulement quand il sentit les bras de sa mère autour de lui.
Il allait avoir un cœur. Un cœur tout neuf.
Il allait vivre.
« Je dois prévenir Even ! » s'exclama-t-il alors que sa mère se frottait énergiquement le visage, comme si elle voulait se persuader qu'il s'agissait de la réalité, tout en hochant la tête.
Isak s'éloigna de quelques pas et appuya sur le contact de son petit-ami. Les sonneries se succédèrent mais aucune réponse ne lui parvint. Il n'eut pas envie de s'en inquiéter maintenant. Il ne pouvait pas laisser quoi que ce fût briser la joie qu'il ressentait en cet instant. Il composa alors un SMS rapide. « Even. Ça y est. J'ai un cœur. »
Non ; rien ne pourrait l'empêcher d'être heureux ce soir. Rien du tout.
Il avait un petit-ami qu'il aimait et qui l'aimait en retour.
Il avait un cœur.
Il allait vivre.
Il était heureux.
Ce garçon allait rester dans ses pensées pendant un long moment, on dirait.
- - - - - - - - -
Bonsoir ! Comment ça va ? :)
J'ai décidé de focaliser ce chapitre sur Isak tout simplement parce que je trouvais qu'on n'en savait pas assez sur son histoire. J'espère que ça vous a plu ! N'hésitez pas à me donner vos avis et critiques, ça me ferait plaisir :DD
La fin approche et j'ai envie de pleurer. (C'est exactement ce que j'ai dit quand j'ai terminé la relecture du chapitre 😅)
PS: Le passage que lit Isak à sa mère provient de la préface du roman "Le Portrait de Dorian Gray" d'Oscar Wilde. Un chef d'œuvre.
On se retrouve bientôt !
Xx
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top