La mort et le fossoyeur, Carlos Schwabe
Texte écrit dans le cadre de la 27ème joute de @EidolonJouteur sur le thème "A fleur de toile".
Il y eut sûrement la douleur. Une douleur atroce, je m'en doute. Mais, en vérité, je ne me souviens de rien. J'ai beau creuser ma mémoire, un trou béant l'encombre. A part, bien sûr, ce visage. Ce visage, si blanc, si pâle ! Si beau, aussi. Je n'avais jamais vu, de toute ma longue existence, un visage si plein de charmes.
Je n'en ai même jamais vu, car, dès que j'eus de mes yeux presque aveugles croisé son regard impassible, je compris. Le temps s'était comme arrêté. Peut-être l'était-il vraiment ? Un seul fait se présentait, indéniable. Elle était là pour moi. Et pourtant, je n'avais pas peur. Aucune frayeur, aucun frisson, aucune montée d'adrénaline. Au contraire, même. Une douce euphorie m'avait saisi le cœur.
Pour moi ! Tout ce chemin, cette longue route entre son pays et le mien, elle l'avait fait pour moi ! Moi, seulement moi ! Je me sentais exalté. Pour mon esprit malmené, c'était presque trop d'honneur. Elle était venue me chercher, et, comme un fou, cela me réjouissait.
Toutes ces choses que je comprenais alors ! Je l'avais croisée tant de fois, j'avais pris soin de la maison de ceux qu'elle avait emporté, et ce n'est qu'à ce jour que je la remarquais ! Une si belle créature, c'était un comble de la porter en horreur. Comment pouvaient-ils, tous, la mépriser à ce point ?
Je repensai aux pleurs déchirants de ces familles que j'avais tant de fois accompagnées pour un dernier adieu, et leur vouai soudain une haine terrible. Avaient-ils osé, dans leur sotte bêtise, maudire en un vœu sincère cette douce dame si bien parée de noir ? Et d'un seul coup j'enrageais de cette affection qui avait rempli mon cœur à leur égard. M'étais-je, vivant, moi aussi, fourvoyé sur Sa véritable nature ? A vrai dire, je ne le savais.
Car, si de ma vie, je ne me souviens de rien, la Mort est gravée dans ma mémoire.
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