Emilie et Matthieu
A essayé de participer au concours de JusteViviana et enfantseul sur le thème "Le banc", et semble ne pas avoir réussi à envoyer l'e-mail...
Dans une fiction, généralement, le héro commence par se présenter. Même si je ne suis pas sûr d'être le héros. Donc, je suis... Un banc. Ça en bouche un coin, n'est-ce pas ? Quoique qu'au vu du thème du concours, ce n'est même pas original. Comme si je n'étais pas déjà assez banal. Reprenons. Je suis un banc. Pas le banc. Un banc. Un des six bancs qui entourent un bac à sable et deux toboggans d'un parc inconnu d'une ville anonyme d'un pays oublié. Aussi impersonnel et commun qu'on puisse l'être. Je n'ai même pas de nom. D'ailleurs, les noms sont inventés par des proches, une communauté. Et moi je suis invariablement seul. J'observe et j'écoute sans jamais participer. Ce qui est d'ailleurs strictement impossible, puisque je n'ai pas d'organes. Les lois physiques semblent n'avoir aucune emprise sur l'auteur. Ou l'autrice. Je ne sais pas.
Devant moi, il y a deux enfants. Enfin, j'imagine que ce sont des enfants, vu leur petite taille. J'ai un peu du mal à classer les humains, et je ne comprends d'ailleurs pas pourquoi ils le font. Aucun n'est semblable, chacun est unique. Je les envie sur ce point. Donc, ces deux semblants d'enfants jouent sous mon regard. Pas littéralement, puisque je n'ai pas d'yeux. Ce n'est pas la première fois que je les vois. Ils ont l'air d'être très proches. L'un s'appelle Émilie et l'autre Matthieu. Je crois qu'Émilie est une fille. Elle a déjà porté des robes, quelques fois. Et encore, il semblerait qu'on peut porter des robes sans être une fille. Mais je vous l'ai dit, je ne comprends pas la manie des humains de classer les gens.
Des mois, des années peut-être ont passés. Le temps est un drôle de concept pour moi, il passe sans vraiment m'atteindre. Les deux semblants d'enfants ont grandit, sans devenir adultes non plus. Je crois. Je ne sais pas à quel vitesse poussent les humains. Émilie et Matthieu sont toujours très proches. Ils se baladent entre les toboggans, croisent leurs doigts, s'embrassent parfois. Je me demande ce que ça fait d'embrasser quelqu'un. Ça a l'air agréable. J'aimerais bien avoir une bouche. Quoique ça ne servirait à rien, personne n'aimerait embrasser un banc avec une bouche. Ce serait même plutôt répugnant. Mais au moins je pourrais parler. Ah non, il me manquerait des cordes vocales. Et l'auteur, ou l'autrice, se doit tout de même de respecter une certaine logique. Sans quoi, son histoire deviendrait aberrante et stupide. Ce qui serait bête. Puisque c'est moi, son histoire. Ah... Il y a des fois où je suis vraiment jaloux des humains.
Les jours s'égrènent sans que je ne m'en rende compte, et, assis sur moi, repose un Matthieu grand et légèrement barbu. Les années passent vraiment vite dans cette nouvelle. En même temps, on parle du quotidien d'un banc. Autant dire qu'elles passent même peut-être trop lentement. Mais trêve de digression, il ne faut pas faire durer plus longtemps le... suspens ? Ça faisait longtemps que Matthieu n'était pas venu. Mais surtout, ce qui m'étonne, dans la mesure où je suis capable de ressentir des sentiments, c'est qu'il soit seul. Jamais je ne l'ai vu sans Émilie, ou presque. Ils sont comme les deux doigts d'une main. Cette expression n'est pas totalement juste, puisqu'une main en contient cinq et qu'il en reste quatre si l'un est perdu. Ils sont plutôt comme les deux jambes d'un corps, et si l'on en enlève une, les capacités de l'autre sont réduites à néant, incapable de faire le moindre pas.
Même s'il est de dos, je vois bien qu'il pleure. À ce moment, je ne l'envie pas du tout. S'il y a bien quelque chose que je ne veux pas faire, c'est pleurer. Voir ces corps courbés secoués de sanglots me suffit déjà largement. Je ne crois pas être capable de ressentir de la tristesse. Et même alors, je ne vois pas sur quoi je pourrais m'apitoyer. Si ma solitude a du bon, c'est bien que je n'ai pas à ressentir ces vastes émotions qui traversent les humains à si peu d'intervalles.
Je me demande pourquoi il pleure. Je ressasse en moi les raisons qui pourraient l'y pousser : perte d'un proche, rupture, regarder le Titanic... Quoique les dernières supposition sont moins probables. Ça a peut-être un lien avec l'absence étrange d'Émilie ? Il a une feuille entre les mains. Une lettre, semble-t-il. J'aimerais bien pouvoir voir ce qu'il y a d'écrit. Quoique je ne sais pas lire. J'aimerais bien savoir lire aussi. Même si ça ne me servirait pas à grand-chose en tant que banc. Il faudrait que je sois un humain. Mais pas Matthieu. Il pleure trop.
Entre deux sanglots, il marmonne des mots. Je tends l'oreille pour les comprendre. Enfin pas littéralement, puisque je n'ai pas d'oreilles. Et ça ne me servirait pas vraiment puisque je peux déjà entendre. Merci l'auteur. Ou l'autrice. Je ne sais toujours pas. Je l'entends qui murmure un nom. Émilie. Mon cœur se serre. Mais là encore, pas littéralement. Puisque je n'ai pas de cœur. Je sens une profonde tristesse s'emparer de moi. Enfin, je ne sais pas si elle est profonde, je n'en avais jamais ressentie jusque là. Je ne sais même pas si c'est de la tristesse. Et puis c'est totalement absurde, je disais il y a un instant que je ne pouvais pas ressentir de tels sentiments. Mais passons. Bien sûr, je n'ai pas envie de pleurer, non merci, même si de toute manière j'en suis incapable, mais je me sens triste. C'est bizarre. De se sentir triste, je veux dire.
Matthieu dit un autre mot, que je ne connais pas. En réalité, je ne suis pas censé comprendre leur langue humaine, j'imagine. Puisque je suis un banc. L'auteur, ou l'autrice, s'y connaît vraiment bien en sorcellerie. Je comprends, ce serait bête que je me trompe sur un mot banal, comme autrice, tout le long de mon monologue. Une erreur qui n'a pas lieu d'exister, bien sûr. Mais ce mot là, que Matthieu prononcé avec tant de regrets dans la voix, m'est, par un quelconque hasard, inconnu. C'est un mot étrange, que je n'ai jamais entendu. Ça doit avoir un rapport avec Émilie et la tristesse de Matthieu. Suicide.
MORALE : Ne vous donnez pas la mort, ça fait pleurer vos proches et ça rend des bancs tristes !!!!
Si vous estimez ne pas avoir de proches capables de ressentir de la peine pour vous, pensez aux bancs, nom de dieu !!!!
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