Mercredi 22 Juillet
Levant les yeux sur mon mari, l'air hagard, le regard posé au loin, derrière l'horizon formé par les falaises, je ne pouvais me défaire d'un rictus sarcastique.
Il s'appelait William de Seyrua. Quatrième enfant d'une dynastie de technocrates ne manquant que de modestie et non pas d'argent, il n'avait pas tiré grand chose de ses parents. Il était plutôt niais, loin de se douter de qui j'étais. Moi, Serena, j'allais lui ôter la vie. Ce n'était que mon vingt-troisième mari après tout, je n'étais plus à mes débuts. Enfin... J'allais lui laisser un peu de temps pour consommer notre mariage. Le pauvre, il avait déjà perdu ses trois frères et ses parents lors d'une excursion en Amazonie.
Au loin derrière mon dos, ma femme semblait m'observer sous toutes les coutures. Mon costume de velours et de soie devait la faire baver, elle qui n'avait jusque là jamais connu que des amours fugaces.
Elle s'appelait Serena Van Purrt, et était la fille d'un aristocrate ayant fait tout sa réputation grâce à son activité de collectionneur des plus grandes œuvres d'art. La pauvre, je la plaignais. Déjà vingt-deux maris avant moi, et tous avait succombé d'accidents de la vie... La Faucheuse, sûrement par compensation, lui avait permis de récupérer leurs gros pactoles. Alors sitôt notre mariage annoncé, je ne pensais plus qu'à la tuer. Je l'avais déjà fait pour mes frères mais... Personne ne s'en était jamais aperçu.
Alors, arrivés à l'hôtel, les valises pleines de subterfuges, d'armes diverses et de poisons variés, William et Serena allaient profondément s'aimer. Si fort qu'une flèche allait transpercer le cœur de leur âme sœur.
Je ne pouvais pas m'empêcher de la trouver belle, après tout. J'avais bien choisi ! Riche et belle.
Nous étions arrivés à l'hôtel. L'endroit était spacieux, les chambres étaient immenses. La notre était séparée en plusieurs pièces, et je pouvais donc avoir de l'intimité sur ma femme. Elle restait dans le lit, à côté, tandis que j'occupais le bureau. Serena avait même insisté pour emmener sa propre domestique, Maria, qui dormait dans une petite chambre à côté. Les deux femmes avaient des cheveux noirs et lisses, mais Serena était infiniment plus belle. Sûrement était-ce à cause de sa robe d'un violet parfait, de sa coiffure sans défaut et de son maquillage magnifique. Maria n'avait qu'une robe basique, bien entendu.
A mon bureau, j'avais beaucoup à faire. Pour l'instant, je vérifiais qu'elle ne rentrait pas, et préparais une fiche avec les instructions pour mon collaborateur. Enfin, on va plutôt dire un pigeon dans la foule. Je l'avais repéré, et je savais à quelle chambre il logeait. Une chambre de basse classe, bien sûr ! Un gentilhomme comme moi ne s'aventurerait pas à faire du mal à une belle demoiselle.
J'avais à côté un ou deux papiers de travail, au cas où Serena entrerait par surprise, ou Maria, qui sait.
Une fois que j'avais fini de décrire ma tendre épouse, et de dire à mon pigeon quoi faire, je glissais dans une enveloppe deux cent euros, en prenant bien soin de mettre des gants pour ne pas laisser d'empreintes. Personne ne résiste au pouvoir de l'argent.
J'allais ensuite apporter l'enveloppe à la chambre du pigeon, puis me coucher. Je savourais mon plan.
— Bonjour, Serena, comment allez-vous ? demandais-je dans mon sourire le plus idiot.
— Je vais très bien, je vous remercie, William.
Elle me souriait abondamment, elle avait l'air heureuse. Parfait !
— Allez donc au restaurant de l'hôtel pour prendre votre petit déjeuner ! Vous verrez, leurs croissants sont délicieux. Je n'ai pas très faim donc ne vous accompagne pas, je vais plutôt aller régler les derniers détails avec l'hôtel !
Elle semblait acquiescer. Je me penchais pour l'embrasser légèrement, puis m'éloignais sans vérifier qu'elle se rendrait au petit déjeuner. Je savais qu'elle le ferait.
La nourriture était excellente. Cet abruti de William ne m'avait pas menti ! A défaut de me plaire, il m'offrait un parfait séjour, dans un hôtel de rêve, avec tout le luxe du monde et un mari attentif.
Je prenais mon temps pour savourer mon repas quand une silhouette s'assit à côté de moi.
— Bonjour Madame, vous allez bien ? me demanda un jeune homme.
Il était de profil sur sa chaise, tourné vers moi, le bras reposant sur son dossier de chaise dans la posture de quelqu'un qui veut séduire. Ses habits n'avaient pas l'air neufs. Un pauvre ? Je n'en veux pas.
— J'irais mieux sans vous, mais on peut dire que oui, répondis-je, fière de ma répartie.
— Haha, vous êtes une rigolote ! Je peux manger avec vous ?
— Je pensais que vous seriez assez intelligent pour comprendre en une phrase délicate que non.
— Allez, soyez pas rabat-joie, je suis pas beau comme ça ? J'ai mis mes plus beaux habits pour vous. Allez !
Il tenta bien pendant encore dix minutes de déclencher une conversation digne de ce nom entre nous, et je commençais sérieusement à perdre patience.
Je me levai d'un bond, et le surplombai de mon regard le plus noir, lui qui était assis.
— Partez, sifflai-je d'un ton sec et sonore.
Comme il ne bougeait pas, je me sentis obligée de réitérer.
— Partez, espèce d'ordure !
Il se leva d'un bond.
— Vous n'avez pas le droit de me parler sur ce ton ! cria-t-il.
— J'ai tous les droits, susurrai-je d'un air mauvais.
Il partit alors, énervé, et je m'assis, satisfaite. Décidément, ça fait du bien de pouvoir dominer les gens.
En revenant à table, je croisais le pigeon, partant, énervé. D'après les brefs cris que j'avais entendu, il avait bien joué son jeu ! Il devrait faire du théâtre, il serait parfait ! J'y penserai, si je monte une troupe lorsqu'il sortira de prison !
Je rejoignais ma femme, qui m'assurait alors que tout allait bien. Elle avait toujours l'air heureuse. Je pouvais continuer mon plan.
Le lendemain soir, après deux journées bien remplies et heureuses, j'allais enfin pouvoir la tuer. J'avais pu préparer la veille un autre papier avec des instructions et de l'argent, et le remettre à nouveau à mon pigeon. Il était si parfait ! Ca serait dommage de s'en priver !
Je saisis donc mon fusil, dans un faux fond de ma valise, et fis face à la porte où mon épouse se démaquillait sûrement, tournée de trois quarts par rapport à la porte. Ainsi, elle ne pourrait pas voir l'arme dans le miroir.
J'ouvris délicatement la porte, puis, avant qu'elle ne se pose la moindre question, je lui tirai une balle dans la tête. Prise d'un ultime soubresaut, elle s'écrasa sur sa coiffeuse, et son visage se griffa contre tous les objets qui y reposaient. Son corps bascula et elle se retrouva à terre. Je n'avais pas beaucoup de temps pour agir. Je pris son sang en faisant attention de ne pas la bouger et de ne pas laisser de traces, puis j'en mis à différents endroits de mon vêtement. J'en mis beaucoup sur mon bras gauche, pour simuler une blessure.
Je laissai la porte qui menait à la chambre ouverte, mais fermai celle qui menait à notre suite. Je me mis ensuite à courir vers le lieu de rendez-vous donné au pigeon, serrant fort mon bras gauche, le visage torturé par la douleur. J'ouvris une autre porte que je laissai ouverte, et me trouvais face à lui.
— Attention ! commençai-je en haletant. On est attaqués, ils sont là, je... aaaah j'ai mal ! Vite, prenez cette arme, ils sont là bas !
Je désignais la porte de ma suite, et l'idiot s'empara de l'arme et s'y rendit.
Pour ma part, je n'avais plus qu'à m'enfuir, et aussitôt quelques portes passées, j'entendis le bruit de la police qui se rapprochait de la chambre.
J'étais passé par la route la plus stratégique pour éviter qui que ce soit, et je me rendis dans la chambre du pigeon.
Là-bas, je me lavais, et enfilais de nouveaux habits, que j'avais pris soin de cacher chez lui. Je séchais rapidement mes cheveux, puis allumai un feu. J'y fis brûler ma veste, ma chemise, mon pantalon, mes gants... tous mes habits, à l'exception de mes chaussures que j'avais lavées, ainsi que les instructions que je lui avais laissées. Je récupérais également l'argent, j'en avais toujours beaucoup sur moi, ça ne changerait donc pas grand-chose.
Je sortais ensuite de chez lui, touchant chaque objet avec une autre paire de gants. Je me rendis ensuite nonchalamment vers ma suite, comme si je ne savais rien.
Voyant l'attroupement, je me mis à courir, l'air atterré, effrayé. Je pris soin d'éviter le regard du pigeon, qui pleurait tandis que les policiers l'emmenaient.
— Que s'est-il passé ?! Criai-je.
— Une femme est morte ici, répondit un agent. Impossible de voir son visage, il est ensanglanté, mais au vu de la suite, je suppose que c'est Madame Serena Van Purrt.
Mon visage se décomposa.
— C'est ma femme, déclarai-je, tandis que je voyais le regard du policier s'imprégner de compassion.
— Je suis désolé, répondit-il sobrement.
— Monsieur de Seyrua ?
Le valet continuait de toquer à la porte. Le silence était profond, l'homme ne semblait pas daigner lui répondre. Depuis l'assassinat de sa femme par un homme de classe inférieure, William de Seyrua montrait une tristesse infinie, si bien qu'on lui demanda d'aller tous les jours voir comment il allait, pour qu'il ne reste pas seul. Les jours précédents, il lui avait ouvert après quelques minutes seulement. Ce jour-ci, il continuait de le faire attendre.
— Monsieur de Seyrua ! Ouvrez-moi, je vous prie !
Un autre valet passa dans le couloir.
— Qu'est-ce que tu fais là ? demanda-t-il.
— Monsieur de Seyrua ne m'ouvre pas depuis au moins dix minutes !
— Il a peut-être un problème...
Le deuxième valet, qui était plus costaud, força la porte pour rentrer dans la suite, parfaitement rangée. Les deux hommes cherchèrent l'aristocrate, et le trouvèrent enfin dans son bureau.
Il était étendu par terre, le regard triste et la peau rosie. Sur son bureau se tenait un verre, vide.
Le deuxième valet toucha sa peau, elle était froide comme le marbre.
— Je vais chercher la police, affirma le premier.
Plic.
Ploc.
Qu'il faisait froid ici, et humide, on ne m'avait pas habituée à ça !
Plic.
J'ai mal, mais c'est nécessaire. Je me suis cachée ici, parce que j'avais peur d'un dangereux psychopathe qui semblait vouloir ma peau. Sauf que, pauvre femme que je suis, je ne suis pas débrouillarde et me suis blessée, dans le noir ambiant. Désormais je pleure en attendant qu'on me découvre.
Voilà, c'est parfait.
Ploc.
Je crois qu'il est temps de sortir.
— Vous êtes sûr que c'est ici ? demanda l'agent.
— Oui, monsieur, j'ai entendu crier, ça venait de la soute, à cet endroit même !
Talonné par ses collègues, et la femme qui les avait avertis, le policier vint ouvrir une porte fermée à clef qui menait à la soute. A peine fit-il quelques pas qu'il entendit crier.
— Au secours, je suis là, venez m'aider !
La voix féminine semblait réellement en détresse, et en s'approchant, l'agent découvrit une jeune femme, les vêtements en lambeaux, blessée, le visage bouffi par les pleurs. Il l'aida à sortir et, une fois au calme, il voulut l'interroger.
— Qui êtes-vous ? demanda-t-il d'abord.
— Je suis... Serena Van Purrt.
Tous les agents échangèrent des regard étonnés. Serena Van Purrt était morte !
— Je...
Elle explosa en sanglots.
— Ne pleurez pas, Madame, reprenez-vous. Qu'est-ce qui vous est arrivé ?
— Je... Je m'étais embrouillée avec un homme, au restaurant le matin. Deux nuits plus tard, j'étais sur le pont, je prenais l'air, et j'ai peu après appris que ma servante, Maria, avait été tuée et que tout le monde pensait que c'était moi. J'ai eu si peur... je me suis cachée le plus loin possible, afin que cet homme ne me retrouve jamais, j'ai si peur...
Les agents la regardaient d'un regard désolé.
— Ne vous inquiétez pas, Madame, l'assassin de... votre servante du coup ? a été arrêté.
Serena sembla soudain extrêmement soulagée. Si elle savait ce qui l'attendait !
— Madame Van Purrt... votre mari s'est suicidé.
Son visage se décomposa.
— Comment ?! Il...
— Il était attristé par votre mort et... a voulu vous rejoindre aux cieux.
— Oh non je... je ne peux le croire, comment vais-je vivre sans lui...
— Il faut croire que le sort s'acharne sur vous, Madame Van Purrt, tous vos maris meurent les uns après les autres, et on essaye de vous assassiner !
— Pourquoi moi, qu'ai-je fait ?!
Les agents consolèrent Serena Van Purrt, et ce fut bientôt au tour du premier venu, de chacun, dans l'hôtel, tant son visage rongé par la tristesse attirait la compassion.
— Je suis désolé, Madame Van Purrt, lui disaient-ils tous.
Et bien pas moi.
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