Mercredi 1er Juillet

Une voix. Sortie de nulle part, perçant le noir. Je ne tentai pas d'en détacher les sons ; je levai la tête.

À travers la pénombre ambiante, j'aperçus une forme. Je me fis la remarque que le froid finirai par m'avoir, avant-même que la silhouette ne vienne me sauver. De l'eau dégoulinait des murs et s'infiltrait dans mes vêtements, j'avais l'impression de ne plus pouvoir bouger mes membres douloureux. La pierre, collée à mon dos, me griffait la peau. Le sol faisait pression sur mes os. Quel inconfort ! Ne devait-on pas mieux traiter un invité de ma sorte ?

Une jeune femme, aux traits légers mais à l'allure sévère, traversa la cellule pour s'arrêter au-dessus de mon corps allongé. Sa robe dansait au vent, une robe plissée et longue d'où coulait l'extrémité de sa ceinture.

Ici-bas, en prison, on voyait la vie en noir et blanc. La fille était venue m'apporter un brin de fraîcheur dans les volants bleu pâle de son habit. Je détaillai son visage délicat, qui, froid, fuyait mon regard et j'admirai ses cheveux noirs dressés en un chignon d'où glissaient quelques mèches.

Avachi au sol, croupissant dans ma médiocrité, je devais lever haut la tête. Mes yeux brûlants dévoraient la couleur, j'observais ses joues légèrement rouges contraster avec le reste de sa peau blanche.

Elle me tendit la main, dégoûtée de devoir le faire, et j'agrippai ses doigts fins de ma grosse poigne noire de terre. Mon corps se releva, la couverture me réchauffant précédemment tomba, je ressemblais à un monstre se relevant de l'enfer.

Je n'imaginais pas à quel point j'étais laid. Avant, je charmais et j'attirais les regards, mais le temps passé enchaîné m'avait courbu et fatigué, comme un vieux morceau de bois qui ploie avec le temps.

Je prêtai l'oreille. Un sourire naquit sur mes lèvres charnues et déchirées? Les cris rassurants de douleur et de peur déchiraient la ville au-dessus de moi, venaient en sons sourds et étouffés s'enfoncer dans ma cellule. Certes, je m'étais fait arrêté - emprisonné, les connards ! -, mais j'étais parvenu à déclencher le chaos. Quel délice ! J'avais causé une guerre.

Mon regard se posa sur la jeune femme venue me sauver. Alors, une révérence comique me fit courber l'échine, ma voix rauque s'éveilla :

"Je vous salue, la liberté."

Kalyse, la fille à la robe bleue, esquissa une moue dégoûtée. Ses lèvres pincées attirèrent mon regard lorsqu'elle quitta la prison. Je la suivis.

La prison semblait déserte. On n'entendait que les bruits de la surface, et les pas de la fille qui marchait sans s'arrêter. J'avais un peu de mal à marcher, mes jambes étaient endolories et engourdies d'avoir si peu servi.

Kalyse me lançait parfois des regards exaspérés, pour savoir si je suivais toujours, je suppose. Elle avait l'air en forme, et moi j'avais l'air fatigué, ça ne devait pas être étonnant.

« Dis-moi »

Ma voix n'était guère plus attrayante que lors de ma première prise de parole, il n'était pas étonnant que la fille ne me répondît pas.

« Pourquoi n'y a-t-il personne ? continuai-je, il y a habituellement des gardes à toutes les entrées, et une sécurité à toute épreuve... je n'ai jamais tenté de m'évader parce que c'était tout bonnement impossible ici. Je ne pouvais même pas sortir de ma cellule. »

J'essayai de rire. D'avoir l'air gentil, amical. Je pouvais l'être, pour de vrai, je suis humain tout de même.

Mais Kalyse ne semblait pas m'écouter. Sûrement le faisait-elle, et elle refusait de me répondre. Pourquoi me repousser ainsi alors qu'elle était venue me chercher !

« Tu comptes rester muette jusqu'à ce que nous nous soyons séparés ? je continuai.

— Bon, écoute, répondit-elle en s'arrêtant soudainement. On m'a demandé de te sauver, alors je te sauve, mais ne me demande pas d'éprouver de la compassion pour toi. »

Sa voix était fluide et délicate, bien que je l'aurais mieux appréciée sur un ton moins sec. Elle m'envoyait désormais toute la haine qu'il est possible de contenir en un corps à travers son regard vert, ses lèvres étaient pincées en une expression de dégoût.

Elle se remit ensuite en marche sans un mot, et je la suivis comme un chien bien dressé, exaspéré qu'une belle femme puisse m'en vouloir autant.

Ses jupons bleus voletaient au rythme de ses pas, et on atteignit bientôt l'extrémité du couloir. Là, une série de lourdes portes métalliques, habituellement fermées à double tour, signalaient le retour dans le monde des couleurs.

Kalyse les ouvrit sans problèmes : tous les verrous semblaient inopérants.

Ici, tout semblait plus propre, plus... paisible. Disons qu'il y avait des couleurs, que tout était propre, et qu'il y avait même quelques fauteuils pour les visiteurs qui attendaient un parloir et les employés.

On traitait les prisonniers comme de la merde, mais au moins, on respectait les employés. C'était déjà ça !

« Comment avez-vous fait pour désactiver toutes les sécurités ? demandai-je encore une fois.

— Une bonne partie des gardes étaient en haut, pour régler la pagaille que vous avez semée, on n'a donc eu qu'à nous occuper des autres. Comme ça, on a eu les clefs pour les verrous mécaniques. Pour les autres, on a fait sauter le courant.

— Oh, la pagaille a dû être plus belle, sans la précieuse électricité ! »

Kalyse me lança un regard noir.

« Vous ne devriez pas vous réjouir de la mort » fit-elle d'un ton lugubre.

J'éclatai alors de rire, sûrement pour cacher que moi aussi j'avais peur.

« La mort n'est-elle pas rien qu'un autre voyage, vers un état plus tranquille ?

— Si la mort est si belle, alors j'aurais pu vous laisser dans votre cellule ! »

Je souris alors tendrement. Ça me faisait plaisir qu'elle me contredise.

Le Soleil vint bientôt m'éblouir. A vivre dans cet univers souterrain, mes yeux en avaient oublié que l'extérieur était si vif.

Même Kalyse semblait peiner, preuve que ce n'étais pas moi qui étais perdu !

Elle m'entraîna rapidement derrière une grande bâtisse, mais j'avais eu le temps de voir ce qui était important : des gens se battaient. On entendait des tirs, partout. On voyait des fumées, on entendait des cris, et on voyait du sang.

Je me mis alors à rire, satisfait de moi, mais Kalyse plaqua sa main contre ma bouche pour étouffer le son.

« Vous tenez à mourir maintenant ? » chuchota-t-elle.

J'acquiesçais sans bruit, avant qu'elle n'essuie d'un air dégoûté sa main dans un pan de sa robe.

Je commençais alors à partir, dans le sens opposé à celui de la prison, mais elle me retint.

« Ne bougez pas ! On va venir vous chercher ici-même. Vous n'êtes pas là pour prendre part à l'émeute bon sang ! »

Déçu, je revenais à ma place. Je m'assis par terre, les bras croisés, afin de signaler mon mécontentement. Kalyse leva les yeux au ciel, et s'approcha du bord de la maison pour vérifier que personne ne s'approchait.

Je ne regardais pas. Ça m'était égal. J'aurais sûrement peur de la mort le moment venu, mais dans l'immédiat, mourir m'importait peu.

Une ombre apparut devant moi. Kalyse sursauta. Je ne bougeai pas, mais mon coeur palpita de plus belle. Qu'est-ce que j'étais faible, c'était mes peurs, ça. Maintenant que j'étais laid, que je ne maîtrisais plus mon destin, voilà que j'étais faible.

« Ah, c'est toi » remarqua Kalyse, soulagée.

L'homme sourit. Il était jeune, sûrement autant qu'elle, et diablement plus séduisant que moi.

« Oui, c'est moi, je suis venu vous chercher. »

Il regarda la jeune femme avec complicité, puis se tourna vers moi, et me lança un regard plein de dédain.

« Suivez-moi. » ordonna-t-il d'un ton sec.

Il se mit en route, Kalyse sur les talons. Je mis quelques seconde à me relever, puis je les rattrapais rapidement. Je ne me faisais pas de soucis, Kalyse lançait toujours de brefs regards dans ma direction, elle m'attendrait si je venais à ralentir.

On arrivait bientôt dans une grande maison. Des hommes et des femmes, armés, montaient la garde devant.

Je m'attendais à ce qu'ils demandent un mot de passe, ou qu'ils nous barrent le passage, mais, reconnaissant le jeune homme et Kalyse, ils s'inclinèrent même devant nous.

On nous dirigea vers une pièce où nous attendait le chef de toute cette organisation.

Il était assez jeune – décidément, je me sens vieux – et nous regardait de haut, assis à son bureau.

« Beau travail ! sourit-il. Vous avez fait ce que je vous ai demandé, et il est sain et sauf malgré la pagaille !

— Merci, Général, répondit la jeune femme.

— Vous pouvez nous laisser. »

Kalyse et le jeune homme sortirent de la pièce sans un mot. Quelle discipline ! Moi, je restais là, l'air qui se voulait tranquille, attendant qu'il me dise quelque chose.

« J'ai eu... beaucoup de mal à te sortir de prison. J'espère que tu mesures la conséquence de tes actes, Lilian. »

Il avait l'air sérieux. J'éclatai de rire, encore une fois.

« Mais je mesure très bien, Dorian, je mesure très bien ! Regarde, j'ai tout accompli : j'ai mis feu à l'État, à l'armée, à l'ordre, j'ai mis le feu à tout ! J'ai semé la mort là où il n'y avait que de la pourriture. Je suis content ! Je suis heureux ! »

Dorian me regardait avec le regard de quelqu'un qui se dit « non mais il est fou ! ». Et il n'avait pas tort.

« Et alors, tu veux faire quoi, maintenant, Lilian ? Tu veux détruire la Terre ? Faire exploser le monde ?!

— Non. »

J'avais un air sérieux, pour une fois. J'avais pas l'air d'un rigolo qui prenait la vie à la légère, enfin je suppose. Si je ris c'est pour avoir l'air de maîtriser, en vrai, j'ai quand même peur, bien sûr.

« J'aimerais qu'on puisse reconstruire des bases plus saines, pas qu'on vive sur la peur et le rejet. Je veux bien t'aider à arrêter la pagaille. Sincèrement, je suis pas juste là pour foutre le bordel.

— Ah oui ? Tu n'apparais pas souvent comme ça, tu as plus l'air... d'un imposteur, d'un clown, d'un gars sans morale.

— Oui c'est vrai, je n'hésite pas à tuer des gens mais si c'est pour une société meilleure, est-ce que ce n'est pas nécessaire ? Regarde, si les gens se battent, c'est parce qu'ils se rendent compte du mal. Maintenant, il suffirait qu'on leur dise qu'on est là et ils se battraient pour nous. Alors on pourrait destituer le régime en place et voilà ! »

Cette fois-ci, ce fut Dorian qui éclata de rire. Ça me mit mal à l'aise. J'ai pas l'habitude d'être dans le rôle de l'autre, celui qui doit supporter ma folie et mes réactions bizarres.

« Tu sembles bien idéaliste d'un coup. « tout le monde va me suivre », « on pourra repartir sur des bases plus saines », mais les mentalités ne changent pas autant, Lilian !

— Tu veux donc m'empêcher d'arrêter la pagaille ? Tu n'y arriveras pas sans moi, Dorian. Tu entends ? Tu n'y arriveras pas sans moi ! C'est moi qui ai déclenché ça, c'est moi qui ai incité les gens à se rebeller, la seule icône qu'ils voient et qu'ils suivent, maintenant, c'est moi ! Alors laisse-moi régler le problème, ou apprête-toi à perdre ! »

Le silence emplissait la salle. On voyait bien que Dorian réfléchissait. Ecouter un fou, ou laisser la patrie dans le chaos ? Bon dilemme. Je n'aimerais pas être à sa place ! En fait, elle est cool ma place, je n'ai pas à me supporter comme ça.

« Bon, c'est d'accord, répondit le général.

— Je suis sûr que tu fais le bon choix ! lançai-je avec un clin d'oeil.

— Seldon ! » appela-t-il sans me prêter attention.

Un homme apparut, plus âgé celui-là, ouf ! Il se tenait droit et ne me jeta qu'un furtif regard.

« Trouve des habits propres pour Lilian, donne-lui des armes, et affecte-lui un bataillon. Je veux qu'il soit prêt dans une heure. Demande aussi à Philip et Kalyse de venir me voir. Lilian (il se tourna vers moi), je compte sur toi. Tu as intérêt à régler la situation, sinon je te fais moi-même interner. »

J'esquissais un sourire malsain.

« Ne t'inquiète pas, Dorian. Si j'échoue je serai sûrement mort ! »

Je me levai à mon tour et suivis le soldat hors de la pièce, échangeant un dernier regard avec mon compagnon d'autrefois.

J'allais reprendre le contrôle.


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