Mardi 30 Juin

C'était une grande maison. Il y avait de multiples pièces, plein de tableaux accrochés aux murs et des moulures au plafond. Une remarquable maison ! Plusieurs hectares de jardin et un verger fructueux. Une noble maison ! S'y étaient succédé les grands hommes et les riches familles, faisant de la maison un trésor inestimable.

Seulement, depuis plusieurs décennies, plus personne ne l'avait habitée.

Les grands hommes étaient morts, les herbes hautes, et les moulures recouvertes de toiles d'araignée. Plus personne ne souhaitait habiter la maison, car chacun était persuadé qu'elle était maudite.

Plus grand fut donc l'étonnement, lorsqu'un homme respectable vint pousser sa lourde porte. Il n'était ni vraiment jeune, ni vraiment vieux, il portait un costume et des chaussures vernies, il aimait l'art et les tartes aux cerises.

L'homme s'installa donc dans la vieille maison, heureux comme un enfant à qui on vient d'offrir un jouet.

Très rapidement, il se mit à explorer les différentes pièces, tel un aventurier aguerri, tout en époussetant les tableaux et les moulures.

Un jour qu'il passait dehors, il remarqua un vieux hangar sur le flanc de la maison. Il s'y rendit, curieux de savoir ce qu'il contenait, puisqu'il désirait connaître chaque recoin de son immense maison.

Le hangar était rempli d'objets étranges, posés sur des étagères vétustes. L'homme les balaya du regard, et son intérêt se plaça en quelques secondes sur un immense tableau à moitié recouvert d'une toile.

Il s'approcha, et enleva la toile. Un tel chef-d'œuvre ne méritait pas de rester cacher ainsi. On pouvait voir sur sa face luisante une scène de guerre, où chaque personnage, bien que baignant dans la marre de son sang, était d'un réalisme frappant.

L'homme souleva donc la toile et l'emmena dans son salon, où il l'accrocha à une place de choix.

Chaque jour, lorsqu'il venait manger, il voyait la magnifique toile. A chaque fois qu'il s'asseyait dans son canapé, il voyait la magnifique toile.

Les mois passaient, et l'homme ne se lassait pas de s'asseoir en face de sa toile, et d'en observer les précieux motifs. Il y prenait même goût. Il lui arrivait finalement de rester pendant plusieurs heures à contempler son tableau, trop heureux et trop émerveillé pour en détacher les yeux.

La fatigue commençait à le prendre, puisqu'il raccourcissait ses nuits pour pouvoir observer son tableau plus longtemps.

Un jour qu'il eut observé l'oeuvre pendant au moins huit heures, il s'avança vers elle, comme appelé par sa beauté. Lentement, il tendit ses doigts pour en effleurer la surface peinte.

Rassuré qu'il ne se passât rien, il se mit alors à la caresser de plus belle, puis colla son visage à elle, le coeur palpitant.

Il nageait comme dans un flot de bonheur, tendrement soulevé par des bras doucereux.

Soudain, les bras se refermèrent sur lui. Il se sentait étouffé. Si son coeur palpitait, ça n'était plus à lui qu'allait son sang. Agonisant, enserré contre sa toile, l'homme eut beau se débattre, il ne resta bientôt plus de lui qu'un cadavre mort et froid, vidé de toute hémoglobine.

La toile, elle, restait intacte malgré les coups et les griffures. On voyait désormais dans un coin un homme, ni vraiment jeune, ni vraiment vieux, baignant dans son sang.


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