Destiny (version finale)

Destiny

Il fait noir. Tout est noir. C'est paisible. Le noir est en quelques sortes apaisant. Le silence y contribue néanmoins également.
     Cette chambre est étrange. Ce n'est pas que ma chambre, c'est notre chambre. Elle est divisée en deux parties parfaitement distinctes. La première, la mienne, est comme sans âme, elle ressemble un peu à un show-room Ikea. La deuxième, la tienne, contient toujours ton berceau et tes jouets de bébé, rien n'a bougé, comme si le temps s'était arrêté... Personne n'ose s'y aventurer, pas même moi-sauf pour dépoussiérer, quelquefois.
     Mais c'est injuste, c'est ta partie de chambre qui devrait être vivante, et ma partie qui devrait être figée dans le temps...
     Mais ce n'est sûrement pas plus mal, car autrement, c'est toi qu'ils auraient, et à raison d'ailleurs, accusée de meurtre. Mais quelle importance maintenant ?
     Après tout, ils ont raison, c'est à cause de moi si personne n'a eu la joie de te voir, de t'observer grandir, si tu n'as eu que le temps de naître, avant de t'éteindre pour toujours.
     Mais ils sont aussi fautifs. Ce sont eux qui t'ont ensuite abandonnée. Ils t'ont laissée seule, dans l'oubli. Et tout ça, pour "faire le deuil". Ils sont vraiment égoïstes... Après cela, ils ont dit tout ce qui s'était passé à leur entourage, en m'accusant de cette mort. Très rapidement, la nouvelle s'est propagée dans notre petit village, et tout le monde était au courant, et m'en voulait.
     En un sens, c'est une bonne chose, car s'ils me pensaient innocente, ils éprouveraient de la compassion envers moi. Mais je ne mérite pas tant d'égards, je ne mérite même pas leur pitié...
     Je me demande si tu m'en veux... D'ailleurs, où es-tu ? Es-tu dans une sorte d'autre monde ? Un monde après la mort ? Une sorte de Paradis ? Ou peut-être les Enfers ?
     Crois-tu que je te rejoindrais bientôt ? J'espère que oui, mais en même temps, cette idée me fait un peu peur... Comment réagiras-tu ? M'accueilleras-tu gentiment ? Ou, au contraire, me repousseras-tu ? Et puis, me ressembles-tu vraiment ? Nous sommes censées être jumelles, mais peut-être pouvons-nous changer d'apparence après la mort ?
     J'ai hâte de te rejoindre, mais je suis terrifiée dès que cette image m'effleure l'esprit. Je dois sûrement être contradictoire... Peu importe, de toute façon.
     J'ai fini par comprendre, il y a quelques jours, que je n'ai qu'une seule véritable amie, une amie qui, je le sais, ne m'abandonnera jamais. Vois-tu de qui je parle ? De cette chère solitude, évidemment...
     Mais sa fidélité n'est pas sans faille, car elle a déjà été à deux doigts de me quitter. Une camarade de classe est venue me parler, pour "faire connaissance". Ce qui est étrange, c'est qu'elle n'a prononcé ni reproches, ni accusations à mon égard. Elle disait vouloir devenir mon amie, car, selon elle, nous avons toutes deux une amie commune : la solitude. Sauf que j'ai refusé. Effectivement, en toute logique, si nous restons ensemble, la solitude ne sera plus là pour nous lier, et il n'y aura aucun intérêt à rester ensemble dans ces conditions.
     Les autres me prennent parfois pour une folle, à refuser toutes compagnies, et à rester enfermée toute la journée dans ma chambre, dans le noir. Notre mère m'a emmenée voir une psy. Je n'y suis allée qu'une fois. Je lui ai tout raconté, à propos de ta mort. Elle ne m'a ni jugée, ni regardée avec dégoût. Au contraire, elle m'a toisée avec compassion. Mais comme je te l'ai dit plus tôt, je ne mérite pas cette compassion. Je n'y suis plus jamais retournée depuis.
     Te souviens-tu de ta mort ? Tu étais sans doute trop jeune. Tu n'as même pas eu le temps d'ouvrir les yeux. Mais peut-être est-ce une bonne chose ? Que tu sois morte avant de voir toute la noirceur de ce monde, avant d'être corrompue par la bêtise de l'être humain. En un sens, tu as eu de la chance, je t'ai libérée de ce monde. J'aime me dire cela, c'est réconfortant. Et peut-être est-ce vrai...
     Je ne me souviens pas davantage de ta mort. C'est à mon avis mon plus grand crime, t'avoir tuée, mais n'en avoir gardé aucun souvenir. Selon ce que l'on m'a dit, je bougeais beaucoup dans le ventre de notre mère et le cordon ombilical s'est progressivement enroulé autour de ton cou, et lors de l'accouchement, il t'aurait étranglé quelques secondes à peine après que tu sois née.
     Ce qui est injuste, c'est qu'ils ne t'ont pas donné de nom. Ils t'appellent elle, ou encore pauvre enfant, mais tu n'as pas de nom.
     J'y ai réfléchi tout à l'heure, et, comme si c'était une évidence, j'ai trouvé quel est ton nom. Tu t'appelles Destiny.

FIN

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top