(Prologue) Le Jugement des Immenses
Suite à un rêve, j'ai eu l'envie d'écrire une histoire. En voici le prologue ! (Attention, scènes violentes.)
L'histoire est en cours de rédaction ;)
Le Jugement des Immenses (prologue) :
Il courait avec difficulté, les jambes coupées par la fatigue. Les larmes coulaient sur ses joues sales et griffées. Ses yeux bleus étaient grands ouverts par la force de la terreur. Sa mâchoire, décrochée pour laisser l'oxygène nourrir ses poumons, laissait apparaître des dents usées à mastiquer écorces et racines, os et charognes. Repoussant la végétation qui freinait sa progression, il ne sentait même plus les épines lui perforer l'épiderme. Cela faisait des jours qu'il fuyait, des jours qu'il ne s'était pas arrêté plus d'une heure, des jours qu'il survivait. Il s'en était arraché les cheveux, de stress et de solitude. Il s'était maudit une centaine de fois, sachant pertinemment qu'il se retrouvait là par sa faute. S'il était né Réceptacle, s'il avait nourri la magie, il ne serait pas là. Il avait supplié les Immenses pour qu'ils lui pardonnent de n'être rien.
Sans relâche, il courait. Son cœur d'adolescent lui conférait une endurance qui ne lui avait jamais autant servi de sa vie. Il se souvenait des entraînements auxquels il avait participé lorsqu'il jouissait encore de la liberté auprès des autres, de ceux qui méritaient de vivre. L'éducation était rude, mais cela lui paraissait si loin et si doux à présent. Il aurait tout donné pour subir n'importe quel autre châtiment pourvu qu'il échappait à l'Exil sans Retour.
Il avait tant couru que les murs de la forteresse étaient bien loin derrière lui. Jamais plus il ne pourrait les atteindre. Il était conscient, et ne se faisait pas d'illusion, que sa fin était proche. Il avait été jeté dehors avec une simple épée pour se défendre. Une épée trop lourde pour lui. Elle lui avait pourtant servi, et lui avait sauvé la vie mainte fois. Mais, aujourd'hui, il ne la possédait plus. Il l'avait égaré au fond du marécage nauséabond qu'il avait dû traverser pour échapper à ses prédateurs, prédateurs qu'il n'avait su distancer.
Les grognements et aboiements qui ne l'abandonnaient plus depuis des jours s'étaient ancrés dans sa tête et résonnaient sans cesse. Il en devenait fou de ne jamais être épargné de cette peur au ventre. Ce sursaut et cette crispation qui lui tordaient les entrailles à chaque couinement infernal lui faisaient prendre ses jambes à son cou. Il faisait tout pour leur échapper, mais ces chiens des enfers étaient toujours là. Toujours. Leur pelage sauvage et plaqué d'écailles bleu pétrole recouvrait leur carcasse élancée et svelte. Leur long museau aux lèvres absentes présentait deux rangées de dents sanguinaires. Leurs yeux laiteux et aveugles ne signifiaient pas un handicap pour eux, ou un avantage pour lui. Ils se repéraient exclusivement à l'ouïe et à l'odorat. Statique ou en mouvement, il était constamment repéré.
Sans s'arrêter, il criait à l'aide comme si quelqu'un était vraiment en mesure de lui apporter son soutien. Hélas, ici, il n'y avait personne pour lui prêter main forte, personne pour défier la décision des Immenses. Sa frénétique course le mena jusqu'à une tour en ruine investie par la végétation luxuriante. Les longues lianes sans feuilles escaladaient les sept étages qui composaient l'édifice abandonné. L'arche de l'entrée, à moitié camouflée par les pierres tombées de plus haut, était suffisamment accessible pour qu'il puisse se glisser à l'intérieur.
Dans un premier temps, la pénombre le déstabilisa et il ne parvint pas à se diriger. Il se heurta à de nombreuses reprises sur des débris moussus qui entravaient le sol. Un filet de lumière lui dévoila un bout d'escalier. Il entreprit de le gravir, comptant sur la hauteur pour échapper à son destin funeste. Certaines marches usées par l'érosion le firent déraper. Très vite, les rires sinistres le rejoignirent dans son antre sans issue. Il entendit leurs griffes contre la pierre, leur peau contre les troncs, leurs mâchoires claquer pour imposer leur supériorité. Ils jouaient pour déterminer celui qui prendrait les devants. Ils s'avouaient déjà vainqueurs, ils le sentaient.
Son ascension fut rapidement interrompue : il n'y avait plus de marches. Affolé, et dans un dernier espoir, il regarda autour de lui. Sa vision s'étant quelque peu habituée à l'obscurité, il comprit rapidement où il se trouvait. L'escalier en spirale qui perforait la tour en son centre distribuait l'accès à des centaines de cellules. Un puits de lumière maintenant recouvert par le feuillage d'un arbre devait servir d'unique éclairage, vouant les prisonniers aux ténèbres lorsque le soleil se couchait. Il n'y avait aucune place pour une quelconque ronde de gardes. Aucune place pour entreposer des vivres. Ici, les hommes étaient amenés pour y mourir. Mourir déshydraté, de faim, de froid, de maladie.
Il se précipita sur les grilles rouillées et les secoua frénétiquement. Les premières ne s'ouvrirent pas, encore verrouillées et gardant comme un trésor la dépouille décharnée d'un ancien malheureux. Il se hâta sur une deuxième cage et, oubliant l'odeur qui y régnait, s'y engouffra. Son cœur ne cessait de battre de plus en plus vite. Les créatures grimpaient vers lui sans lassitude. Elles le traquaient depuis des jours et elles comptaient bien rentabiliser leur chasse. Il était impossible de les faire lâcher prise.
Le gamin examina sa cellule et les larmes coulèrent de plus belle quand il réalisa qu'il n'avait absolument rien pour bloquer la porte. Il s'effondra, en boule, puis hurla sa détresse. Il fixa ses mains tremblantes qu'il ne voyait presque plus à travers sa vue trouble et humide. Il les pressa fort l'une contre l'autre pour enfin se précipiter sur le battant de grilles. Il maintint la porte fermée ainsi, les doigts serrant les barreaux comme il s'accrochait encore à la vie. Les bras tendus pour ne pas approcher son visage, il clôt les yeux de désespoir. Les bêtes étaient juste là. Elles se chamaillaient encore quelques secondes pour déterminer laquelle d'entre elles grignoterait en premier. Quelques secondes supplémentaires avant l'agonie du jeune homme qui n'entendait plus rien d'autre que les aboiements affamés des immondices qui allaient l'abattre.
Le silence n'eut même pas le luxe de s'installer qu'il sentit d'ores et déjà des pincements timides au nouveau de ses doigts. Il serra d'autant plus les poings et pria les Immenses, encore une fois. Un cri de douleur vint vite couper ses supplications quand l'une des bêtes croqua ses phalanges. Il sentit ses dents riper sur ses os puis revenir à l'attaque avec plus de conviction. La chair était bonne. La chair avait longtemps été convoitée. La chair n'allait pas être gâchée.
Les chiens s'y mirent à deux, se chiquant de temps en temps pour chasser l'autre. Ils déchiquetèrent le moindre lambeau de peau à leur portée. Ils tirèrent sur les doigts pour les faire céder. L'adolescent perdit l'index, avant que le majeur soit emporté à son tour par les canines des monstres. Il s'arrachait les cordes vocales à hurler, la douleur le maintenant bien éveillé, mais il ne lâchait pas. Des larmes s'échappaient de ses yeux injectés de sang. Il avait chaud et suffoquait. Les battements de son cœur lui tambourinaient le crâne, mais il ne lâchait pas.
Il n'avait presque plus aucun muscle sur les mains. Il lui devint vite impossible de tenir la cage fermée. Ses prédateurs le savaient et commençaient à taper contre la grille, puis à tirer pour comprendre dans quel sens elle s'ouvrait. Leur effort fut payant puisque la porte partit avec un puissant coup de gueule. Dans son mouvement, elle percuta quelques créatures qui chutèrent plus bas. L'adolescent plaqua ses mains à vif — ou ce qu'il en restait — contre son buste, et recula jusqu'à frapper le mur qui vibra sous l'impact. Celui-ci était fragile, et le garçon l'avait remarqué. Il lui fit face et tapa dessus de toute ses forces, écrasant sa chair et ses os contre la dureté des pierres. Il tapa, encore et encore. Un ridicule enfoncement se forma à force de pousser une brique branlante. Quand celle-ci tomba dans le vide et qu'il put apercevoir le soleil à travers le trou, un sourire déformé par la douleur se dessina sur son visage. Plein d'illusion et d'espoir aveugle, il réitéra son action, oubliant que, derrière lui, les chiens s'étaient engouffrés dans la cellule.
Il tapait encore le mur de la tour quand la vie ne l'animait plus. Le jour éclairait son pâle cadavre dévoré voracement par les créatures insatiables. Parce qu'il avait commis un crime, parce que les Immenses l'avaient jugé coupable, son ultime agonie s'envola dans l'oubli, comme les milliers d'autres condamnés qui l'avaient précédé, comme les milliers d'autres qui le suivirent.
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