(Concours) Qu'est-ce qui m'attend ?

Participation au concours Pulp du forum LeWattpadien, sur le thème de la mort.
Arrivée en 2eme place sur 6.

(Gagnant du concours : MattewFDuskink, allez lire ses textes ! :p)


Qu'est-ce qui m'attend ?

La guerre est loin, m'avait-on dit. Elle n'arrivera jamais aux portes de notre ville. J'ignore combien de temps encore j'aurais pu avaler un tel mensonge. Combien de temps encore j'aurais pu nous croire à l'abri d'un danger qui n'était pourtant qu'à quelques kilomètres. Nous étions nombreux à nous bercer d'illusions à ce sujet et, aujourd'hui, nous sommes nombreux à comprendre notre erreur.

Si j'avais su ce qui m'attendait ce soir-là, j'aurais fait tant de choses différemment. Je me sens terriblement crétin. Si seulement. Je ne prêtant pas découvrir notre monde et ses dégénérés qui le foulent, les médias nous le rabâchent depuis si longtemps. Tant et tant que j'ai fini par trouver ça ennuyeux. Putain, si j'avais su que ça m'arriverait...

Qu'aurais-je fait de plus, finalement ?

Je suis comme un con, blotti derrière le bar à compter les secondes qui défilent. J'ai peine à regarder l'horloge au-dessus de ma tête, par peur de ce que le reflet sur sa vitre pourrait me dévoiler de ce qui se passe de l'autre côté. Je suis si minable, moi qui me croyais intouchable, me voilà tremblant comme une feuille à l'idée d'affronter le danger.

Je pense être le seul à me blâmer pour ça.

Je suis assis sur des bouts de verres, le cul trempé par l'alcool. À côté de moi, une femme que je ne connais pas tente d'étouffer ses sanglots pour ne pas trahir notre position. Elle essuie ses larmes avec acharnement pour voir ce qu'elle tape sur son téléphone. Je devine qu'elle prévient ses proches. Un dernier message pour ceux qu'elle porte dans son cœur. Et moi qui suis partis sans mon mobile... Je n'ai même informé personne que j'étais là. À vouloir m'isoler comme un animal blessé, je me suis condamné.

Je ne pleure pas. Du moins, je m'en convins. Je ne fais pas grand-chose, d'ailleurs. Je reste statique, regardant à droite et à gauche si personne ne nous rejoint. Il n'y aura pas de la place pour trois. Instinct de survie ou égoïsme, je ne sais pas lequel des deux me faire penser ça. Il y a-t-il une réelle différence à ce moment précis ?

Les cris d'agonie se font de plus en plus rares et je sais que ce n'est pas bon signe. Il y a quelques minutes à peine j'étais accoudé à ce comptoir à boire ma bière en ruminant mes erreurs. Je fixais l'écran de télé sans vraiment la regarder. Le son n'était de toute manière pas assez fort pour que j'entende ce qu'il s'y disait. Non, je pensais simplement à mon père avec qui je m'engueule sans cesse. Je pensais à mes amis que j'ai laissés derrière moi. Je pensais jalousement à mon frère qui a tout réussi. S'il apprenait que le sien était sur le point de mourir, que ferait-il ? Voilà certainement la seule chose qu'il n'aurait pu accomplir avec brio.

Il n'aura fallu qu'une poignée de secondes pour que tout dégringole. Une vitre brisée, des tirs, des hurlements et me voilà à enjamber le bar pour me mettre à l'abri. À aucun moment je n'ai songé à aller sauver les autres. J'ai sans doute hérité de l'individualisme de mon paternel. Il n'empêche que c'est ce caractère que je hais chez lui qui vient d'allonger mon existence. Devrais-je lui dire merci ?

Je souris bêtement à cette pensée et lève les yeux sur la télévision. L'écran a explosé sous l'impact d'une balle et un grésillement insupportable en émane. Je le perçois de plus en plus, maintenant. Je me concentre dessus pour ignorer la souffrance expressive des personnes encore présente dans la salle. Leurs gémissements et pleurs me donnent la nausée. Je suis obligé de comprimer mes mains l'une contre l'autre pour qu'elles cessent de trembler.

Le barman, avec qui je discutais souvent lorsque je me réfugiais ici, est raide mort. Je suis assis juste en face de lui. Une balle d'un gros calibre lui a perforé le crâne. J'imagine qu'il n'a pas souffert. Je ne serais dire pourquoi, mais cette idée m'empêche de paniquer en voyant son cadavre. Il n'est plus, à présent. Il ne sera pas témoin de la tuerie qui se déroule dans son bistrot.

Une petite voix à ma gauche me fait sursauter. La femme qui m'accompagne dans ma galère depuis le début s'est tournée vers moi. C'est la première fois que l'on se regarde. Du sang tache sa joue. Est-ce le sien ? Est-ce le mien ?

« Ils envoient les secours, m'assure-t-elle en me montrant son téléphone.

Un message d'une certaine "Fannie" affirme que les autorités sont au courant et que l'armée est en chemin. J'ai envie de lui dire que son espoir est vain. Ça me brûle les lèvres. Mais ses grands yeux humides me supplient de la suivre dans son optimisme. Alors je lui dis "oui" juste :

– Oui. »

Elle me sourit et retourne sur son téléphone. Des soubresauts nous animent avec synchronisation à chaque nouvelle balle tirée. Je pense que nos assaillants ne sont pas encore entrés dans le bar. Il nous arrose depuis la rue, minable comme ils sont.

Minables.

La haine monte en moi. Mais je ne peux rien faire. Ils ne nous donnent pas le droit de nous défendre.

J'ai mi un certain temps à remarquer la porte non loin de moi. Elle mène à la partie des employés. D'autres victimes doivent s'y réfugier si elles ne se sont pas déjà enfuies par une sortie. J'ai soudainement très envie de les rejoindre. Je veux quitter cette salle emplie de dépouilles. Je n'ai pas besoin de les voir pour savoir qu'il y en a. Tout est bien trop calme pour que s'en soit autrement.

Je m'apprête à me mettre à quatre pattes pour me glisser jusqu'à la porte. Une main se pose sur la mienne, me retenant. C'est encore elle. Elle s'approche silencieusement de moi, d'une dizaine de centimètres seulement. Là, je comprends que nous ferions mieux de ne faire plus aucun bruit, de nous faire le plus petits possible. Ma compagne de galère colle son téléphone sur sa poitrine et ferme les yeux. Je suis persuadé qu'elle prit. Moi, je replie mes jambes contre mon buste et attends.

Des pas se rapprochent de nous. J'entends de lourdes chaussures écraser les trentaines de bouteilles et de verres éclatés qui jonchent le sol. Je bloque ma respiration, comme si cela pouvait me rendre invisible. Je n'ose même pas regarder sur ma droite, là où le salaud devrait apparaître. Je n'ai pas envie de mourir avec son visage pour dernière image à emporter. Je préfère fixer ma voisine. La peur qui peint son expression me terrifie. Je crois qu'elle réalise enfin que les secours ne pourront arriver à temps pour nous.

Les pas nous dépassent et franchissent la porte par laquelle je voulais m'engouffrer quelques secondes plus tôt. Des tirs retentissent encore. Des cris les suivent, encore. Il n'y avait pas d'issue de secours.

Je serre la main qui remplit ma paume. Je la serre comme s'il s'agissait de celle de ma mère, de mon frère et de toutes les autres personnes que j'aime. Je la serre comme jamais plus je ne pourrai serrer une main.

Nous ne sommes plus seuls ici. Tout un groupe vient d'entrer dans la salle de restauration. Ils viennent vérifier leur travail. Ils viennent le terminer.

Ces gens-là n'ont pas peur de mourir, ils se sont préparés à ça. Pas comme nous. Je perçois le rugissement de gros véhicules au loin. Je crois que la jeune fille aussi puisqu'elle répond à la pulsion que j'ai mise dans ma main. Elle la comprime en retour.

Un futile espoir nait au cœur de ma poitrine. Et si l'armée arrivait à temps ? Et si je m'en sortais ? Comment verrais-je la vie après ça ?

Les meurtriers ne cessent leur exploration. Je crois qu'ils veulent tous nous trouver. Et ils nous trouveront.

La porte s'ouvre à nouveau. J'y jette un bref coup d'œil et l'homme qui en sort s'arrête devant nous. Ses bottes sont rougies par le sang. L'arme qu'il tient entre ses doigts se pointe vers nous. Je ne veux pas le voir. Je ne veux pas le voir. Je plonge mon visage entre mes genoux et serre cette main que je ne veux plus lâcher.

Je ne m'étais jamais posé la question avant ce jour, pensant que tout ça était encore bien trop loin pour y songer. Mais je réalise que personne n'est jamais à l'abri. Il m'aura fallu vingt-cinq ans et des putains de meurtriers pour m'en rendre compte.

Mon dieu, qu'est-ce qui m'attend après la mort ?

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