Maman

   C'était en plein hiver. Noël était déjà passé, l'année venait de commencer. Il faisait très froid, et, une fois de plus, les flocons chutaient au gré du vent.

   Il regardait par la fenêtre, silencieux. D'une main, il pressait contre lui un ours en peluche. De l'autre, il effleurait la vitre glacée.

   Étrangement, la maison semblait vide. Il n'y avait que lui. Lui, et sa peluche, et tous ses jouets, et la vitre glacée. Lui, et le feu crépitant dans la cheminée, les fauteuils confortables et ses pensées. Lui et ses souvenirs, lui et son histoire.

On lui avait juré qu'on ne l'abandonnerait plus. Et pourtant....

Il savait que ceux qui lui avaient promis un avenir ne reviendraient pas.

Et cela ne l'attristait pas. Au contraire, la colère brûlait en lui. Ce n'était pas la première fois qu'il subissait les trahisons des Hommes. Ce ne serait pas la dernière.

Il se leva et, d'un pas lent, rejoignit la cuisine. Au moins, il y avait à manger. Au moins, il était au chaud.

L'enfant repartit, de son pas maladroit. Qui voudrait d'un gamin abandonné, sauvage et qui plus est boiteux ?

Personne.

    Il partit dans la chambre où on l'avait accueilli.

— Maman !

Il s'assit sur le lit et, d'un geste rageur, essuya la larme qui glissait sur sa joue.

— Kentin ! Ne t'approche pas !

L'enfant poussa un long cri furieux. Il détestait les hommes, il haïssait le monde, il se dégoûtait du monde.

Des hommes se tenaient autour de la femme, qui s'était levée. L'enfant la regardait, impuissant, debout sur un siège. Les inconnus étaient armés de couteaux, de fourches. L'un d'eux s'approcha de la mère. Le train heurta un rocher et le garçon tomba.

– Maman !

Le petit garçon serra les poings et s'écroula sur le matelas, ne retenant plus ses larmes. Il se recroquevilla autour de son ours en peluche.

    La femme, d'un coup de genou adroit, repoussa celui qui tentait de l'approcher. Les autres grognèrent et, bien trop vite, elle se retrouva au sol, au milieu de l'allée mal éclairée.

    Kentin regardait, sans pouvoir agir, pétrifié par la peur. Ils la rouaient de coups, toujours plus fort. Le wagon était désespérément vide.

     L'enfant effleura sa joue d'une main. Une cicatrice y figurait.

     Enfin, il se jeta au secours de sa mère, s'agrippant aux sièges pour ne pas tomber.

— Laissez-la ! Maman !
— Dégage, gamin.
— Kentin !

     Il fut repoussé d'un coup de coude dans la gorge, et tomba. Il vit les yeux de sa mère, brumeux, il entendit son gémissement étranglé.

     Blottit sous la couverture, l'enfant n'entendit pas les bruits de pas qui venaient du salon.

    Kentin se releva et se jeta dans la mêlée, désespéré. Un couteau se planta dans sa joue. Il poussa un cri de douleur et s'écroula sur sa mère.

— Maman...

Il se protégea faiblement des coups qui pleuvaient sur lui. Il poussa un hurlement quand quelque chose frappa violemment sa cheville. Il cessa de se débattre avec ses ennemis et batailla contre les brumes de l'inconscience qui voulaient l'emporter.

    Les hommes fouillèrent la femme agonisante, dérobèrent tout ce qui semblait avoir de la valeur.

    Le gamin secoua longtemps les épaules de sa mère, faiblement. Il se laissa tomber près d'elle, incapable de résister à la douleur, à la fatigue, à la faim, à l'horreur, à la tristesse. Incapable de se défendre contre le monde.

— Maman...

    Le garçon laissa échapper un long cri, mêlé à ses sanglots. Une main se posa sur son dos. Il ne réagit pas.

— Maman...

    On repoussa la couverture avec douceur. Une main lui caressa le dos.

— Eh, ça va aller. Ça va aller, petit.

     Il gémit.

— Comment tu t'appelles ?

    Il murmura lentement chaque syllabe, en se retournant pour observer celle qui lui parlait. Sa mère lui avait toujours dit de ne pas tourner le dos à ceux qui voulaient l'aider.

— Kentin.
– Eh bien, Kentin. Je sais que tu as eu beaucoup de familles d'accueil.

     L'enfant acquiesça lentement. À chaque fois, il s'était enfuit. À chaque fois, on l'avait ramené dans cet orphelinat de France.

– Je sais que tu as une histoire difficile. Je sais que tes cadeaux de Noël ne t'ont pas plu.

     En effet, ce n'était pas un enfant comme les autres. Il n'aimait pas les camions de pompiers, il n'y en avait pas dans son pays. Il n'aimait pas les policiers, chez lui, ils n'attrapaient jamais les voleurs.

– Moi, je veux t'en offrir un, de cadeau.

    Il se renfrogna. Cette inconnue était finalement comme les autres.

Elle l'observa de ses doux yeux bleus. Sa main chaude caressa sa joue. Ses cheveu bruns et courts étaient calés derrière ses oreilles. Non. Son regard ne trompait pas. Elle lui voulait vraiment du bien.

– Pour Noël, j'aimerais t'offrir une maman.

Kentin essuya lentement ses larmes. Brusquement, il se jeta dans les bras de la femme.

On lui avait promit des jouets, de l'argent, de la nourriture, des amis, des animaux, un abri.

On ne lui avait jamais promit une mère. On ne lui avait jamais offert l'amour.

Pourtant, c'était tout ce dont il avait besoin.

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