Pour le concours Kainotomia. 😜

1. Sephy

Sephy éteignit la télé et se laissa tomber dans le canapé. Comme toutes les adolescentes de son âge, elle était épuisée. Comme toutes les adolescentes de son âge, elle mourrait de faim. Comme toutes les adolescentes de son âge, la flemme dirigeait ses actes.

Contrairement à toutes les adolescentes de son âge, elle n'était pas considérée comme « normale ».

En effet, si pour les autres la vie se résumait à alterner entre lycée, canapé, sortie entre amis et lit, son quotidien à elle était impossible à prévoir.

De nombreuses fois, il lui avait fallu déménager, fuguer, retrouver une nouvelle famille d'accueil, changer sa date de naissance. Et, maintenant, changer ses documents d'identité ne lui semblait plus si compliqué.

Sephy - de son vrai nom, Sephora - bailla longuement, dévoilant par la même occasion de longues dents.

« Seph' ? »

Elle se redressa en entendant des pas dans les escaliers. Leanne descendit pour se jeter dans ses bras. Une énième fois, Sephy lutta contre l'envie de lui transmettre ses pouvoirs. Il suffisait seulement d'une minuscule morsure...

Mais cela lui était interdit. Elle le savait que trop bien.

Et pourtant, elle avait déjà brisé plusieurs fois cette règle. Tellement qu'il lui paraissait impossible de compter le nombre de ses infractions. Elle se souvenait de la première fois, où ses dents s'étaient enfoncées dans la chair humaine.

Ce n'était qu'un gamin de cinq ans. Il embêtait Sephy, en riant de sa petite taille. L'enfant, alors âgée de quatre minuscules années, n'avait pas hésité à l'attaquer. Au moins, il ne se moquera plus des petits.

Après cet événement, le ministère des Surnaturels l'avait convoquée et punie. Forcée de partir en « colonie », ce qui était en réalité un camp de redressement pour enfants dits « anormaux ».

C'est là bas qu'elle a rencontré Gaspard.

Un siècle et demi plus tard, elle souriait encore en pensant à lui.

Gaspard était un loup-garou. Ses yeux noirs rassemblaient toute la noirceur du monde et, chaque fois qu'elle y pensait, Sephy ne pouvait s'empêcher de sourire bêtement. De même que pour ses cheveux bruns en bataille, impossibles à coiffer. Et leurs soirées, lorsqu'ils mettaient le feu aux tentes et s'enfuyaient en ricanant.

Sephy était restée une dizaine d'années là bas. Les meilleurs moments de sa vie, sans doute.

Lorsqu'elle était revenue, personne ne connaissait Gaspard. Et, malgré ses recherches, elle ne l'avait pas retrouvé.

Alors, pour chasser ses sentiments et regrets, elle mordait les humains avant de s'évaporer comme neige et soleil. Le ministère des Surnaturels la recherchait activement, elle possédait plus cinquante deux victimes à son actif. Un record chez les vampires.

Sur ces pensées, elle posa son menton sur l'épaule de la fillette et enfonça lentement ses crocs dans sa nuque, le corps parcouru d'un frisson d'excitation.

2. Gaspard

Gaspard marchait dans les rues d'un pas rapide. Les mains enfoncées dans les poches, la capuche recouvrant sa tête, personne ne prêtait attention à lui. Si bien que, lorsqu'il s'accroupit pour effleurer une plaque d'égout, il ne reçu aucun regard réprobateur.

Le garçon se releva et une porte s'ouvrît. C'était une fillette qui venait ouvrir : une fée. Gaspard s'était toujours demandé pourquoi les fées ressemblaient tant à des enfants.

« Loup-garou Miller ?
— C'est bien moi.
— Monsieur Henry vous attend. »

Le secrétaire - un centaure au regard las - lui désigna une deuxième porte. Il l'ouvrit et entra dans la salle.

Monsieur Henry était le représentant du ministère des Surnaturels de la région. Gaspard le connaissait plutôt bien et aucun des deux n'appréciait vraiment l'autre. Par conséquent, le loup-garou se demandait vraiment pourquoi il voulait le voir. La plupart du temps, cela signifiait qu'il avait - ou allait avoir - des problèmes.

« Gaspard, comme il est bon de te revoir.
— Je suis aussi ravi que vous.
— Je n'en doute pas. »

Le vieil homme fit signe à l'autre de s'assoir. Celui-ci s'exécuta calmement.

« J'ai une mission pour toi. »

Gaspard manqua de s'étrangler. Il était le plus indigne de confiance, sournois de la région et on venait lui demander de l'aide. Il se demanda ce qu'avaient bu les ministres Surnaturels et monsieur Henry.

« Tu connais Sephora Stefen ?
— Sephora de la colonie ? Oui, c'était il y a des années...
— Tu sais qu'elle est recherchée.
— Oui. Cinquante victimes et toujours aucune trace d'elle.
— Cinquante-cinq. Cinquante-cinq victimes, maintenant. »

Gaspard se concentra pour cacher son admiration grandissante. Cette fille était géniale. Il se souvenait encore du jour où ils avaient ligoté et enfermé dans un cercueil le directeur de la colonie. Ses beaux cheveux noirs, sa peau pâle au point de paraître cadavérique, ses yeux clairs.

« Si tu la trouves, tous tes actes passés seront oubliés. Si tu la ramènes, tu toucheras une si grosse somme d'argent que tu pourras payer dix fois tes études. »

Le garçon ouvrit et ferma la bouche. Ouvrit et ferma la bouche. Ouvrit et ferma la bouche. Dix fois le prix de ses études ! Il était impensable de négliger cette offre ou de la refuser.

Même si cela revenait à trahir une amie.

3. Melia

Melia se glissa dans une ruelle silencieuse. Aussi agile que son ombre, elle traquait sa proie. Cette dernière ne se doutait pas du danger qui guettait.

Après soixante victimes, enfin, elle allait être neutralisée. Et ce serait Melia qui la capturerait.

Ainsi, le ministère des Surnaturels sera obligé de l'accepter en tant que Protectrice.

Un bruit l'immobilisa. Un garçon bondit sur elle. À son odeur, c'était sans aucun doute un loup-garou. Facile à arrêter, pensa la jeune fille qui semblait avoir douze ans. En réalité, elle était âgée de trois siècles.

Le combat qui s'ensuivit se termina aussi vite qu'il avait commencé. En quelques secondes, Melia attachait son adversaire inconscient au lampadaire le plus proche. Elle fouilla ses poches et ressortit une carte.

Mission de traque ?

Cet imbécile avait été choisi pour traquer Sephora ? Le ministère des Surnaturels devenait de plus en plus étrange. L'Aspirante réveilla son prisonnier à l'aide de deux claques.

« Gaspard Miller ?
— Ouais, c'est moi. Et toi ?
— Melia.
— Eh bien, t'es une connasse, girl.
— Je n'écoute pas les idiots qui me racontent des choses que je sais déjà. Qu'est-ce que tu fous ici ?
— Je cherche Sephora Stefen. Celle qui...
— Je suis au courant, merci. Mais, Sephora, elle est pour moi, d'accord ?
— Ah, désolé, mais non. Si je la capture, je vais gagner beaucoup d'argent. Alors, tu comprends que rester attaché à un lampadaire, c'est pas ma priorité.
— Bien sûr. »

Melia se redressa et partit. Elle avait perdu bien assez de temps ainsi. Il était temps pour elle de repartir à la chasse au criminel.

Elle ignora les cris furieux de Gaspard et commença à courir, un sourire aux lèvres.

❅ ❅ ❅

Plusieurs heures plus tard, la jeune fille se tenait face à une lycéenne inconsciente. Elle l'avait traînée jusqu'au parc à côté et était dorénavant cachée dans les fourrés.

Elle tapota sur son téléphone tout en surveillant du coin de l'œil sa prisonnière.

« Allô ? Je suis Vampire Ricks. Je tiens Sephora. Oui, Sephora Stefen. »