Amour solitaire

Ce texte a été écrit pour le concours 1 de E-pinson76 .
Il a remporté le deuxième prix, à mon plus grand bonheur.

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– Eh ! Attends !

Je me retourne avec un petit sourire aux lèvres. Mon frère court pour me rattraper. Je lui lance une œillade moqueuse et me retourne sans l'attendre. Je sais qu'il me rattrapera.

Enfin, il me bondit sur le dos. Je sursaute et commence à courir. Il se cramponne à mon cou et rit aux éclats. Soudain, je m'arrête et le fais glisser à terre. Avec une rapidité déconcertante, je tape le code et la porte de l'immeuble s'ouvre.

– Dépêches-toi, on va se faire engueuler.

Il pouffe, comme à chaque fois que j'ai ce vocabulaire.

– T'as dis un gros mot ! La madame Patate va te gronder.
– Madame Patate ne sait pas tout.

On monte les escaliers en sautant des marches. Madame Patate, c'est la femme qui se prend pour notre mère. C'est celle qui croit avoir un quelconque droit sur nous.

On pénètre dans l'appartement en courant et en criant, juste pour l'énerver. Elle nous attend, les bras croisés, le regard sévère, dans le salon.

– Où étiez-vous ?
– À l'école.
– Et ensuite ?
– Bah... on a fait un minuscule détour pour le retour.

Mon frère me tire la manche. Ouais, j'ai fais une rime, je sais. Je souris.

Madame Patate s'en va de son pas raide et rapide. Je m'installe pour aider mon frère à faire ses devoirs. Les miens ? Je les ferais plus tard. Une fois que j'aurais terminé ceux de la semaine dernière.

Sur la table, comme d'habitude, il y a pleins de documents inintéressants. Je fouille un peu. Une feuille m'échappe et tombe. Mon frère la ramasse et déchiffre les mots inscrits dessus.

– Eh... Quentin. On va avoir des voisins ?
– Ah ouais ? Fais voir.

Je lis les quelques mots puis repose la lettre. Depuis plusieurs mois, l'appartement à côté de nous est impossible à vendre. C'est presque un miracle que des gens s'installent enfin ici.

–  J'espère qu'ils ont des enfants, s'exclame mon frère.
– Ouais.
– Quentin ? Ça fait combien deux et deux ?
– Quatre. C'est si dur de le retenir ?

Je soupire et mon frère note le chiffre dans son cahier.

***

Les nouveaux voisins sont arrivés. Je sais qu'ils ont une fille de mon âge. Je sais aussi qu'elle est inscrite dans le même lycée que moi.

Ce que je ne sais pas encore, c'est qu'elle va intégrer ma classe.

Dans la salle, je soupire en la voyant. Mon meilleur ami me regarde malicieusement.
– Ta gueule, je lui souffle.

– Bonjour. Je vous présente une nouvelle camarade de classe.

La fille fait un pas timide en avant. La prof l'encourage d'un signe de la tête.

– Je m'appelle Chloé Lirey. Je viens des États Unis. Je suis arrivée hier en France.

Elle a un léger accent. Mes camarades échangent des regards impressionnés. États Unis ? Je devine qu'elle va très vite s'entourer d'un bon groupe d'amis.

– Va t'asseoir derrière Quentin.

Non ! Pourquoi moi ? Je supplie la prof du regard. Je n'ai aucune envie que cette fille ne s'approche à moins de trois mètres de moi.

Elle semble voir mon regard et sourit. Oh oh. Si elle sourit, c'est mauvais. Très mauvais.

– Finalement, je vais en profiter pour séparer deux bavards. Rémi, tu passes derrière. Quentin, peux-tu lever la main afin que ta nouvelle voisine sache à côté de qui elle doit s'installer ?

À contrecœur, je m'exécute. Derrière, Rémi affiche la même moue boudeuse que moi.

Chloé s'assoit à mes côtés en silence.

– C'est toi le voisin ?
– Ouais.
– Ah.
– Ah.
– Je t'ai vu, hier soir. Avec ton frère.
– N'importe quoi ! On était super discrets.
– Tellement discrets que mes parents ont hésité à remballer les cartons.
– J'te crois pas.

***

Un mois. Trente jours qu'elle est là quand je sors de chez moi, quand je m'endors en cours, quand je rentre avec mon frère. Elle n'est pas si horrible que ça, finalement. Lorsqu'elle est avec moi et mon frère, on rit ensemble. Elle nous soutient si Madame Patate est énervée. Elle sourit si elle est invitée à prendre le goûter.

Je commence vraiment à la considérer comme une amie. Rémi prend un air moqueur en parlant d'elle. Il m'agace vraiment. N'ai-je pas le droit d'avoir une amie ? Finalement, je décide de l'ignorer. On se dispute. Il fait la gueule. Je m'en fous : de toute façon, j'ai Chloé.

Puis, je m'avoue enfin ce que tout le monde sait depuis longtemps. Je l'aime. Je lui dit. Elle rougit et fait un petit sourire.

– Tu m'aimes comme la jolie fille que tu vois au lycée ou comme... comme des parents s'aiment ?
Elle sait que ce sujet est sensible. Mais je lui sourit, étouffant la douleur de mon cœur par son doux visage.
– Je n'ai jamais aimé comme je t'aime auparavant. Tu n'es pas une simple fille mignonne du lycée. Tu es Chloé, celle que j'aime, celle qui éclaire mes journées, qui, quand elle sourit, me transporte jusqu'au paradis. Tu es celle que j'aime.
C'est à son tour de sourire. Elle est plus qu'heureuse. Je crois qu'elle m'aime aussi.

À ce moment là, elle m'attire contre elle et m'embrasse. Je passe la main dans ses cheveux bruns, alors que je sens mon cœur exploser. Elle ferme les yeux, et je vérifie que personne n'arrive. Surtout pas Madame Patate. S'embrasser dans le couloir de l'immeuble n'est peut-être pas la meilleure idée du siècle.
Puis, soudain, je m'en fiche. Après tout, pourquoi on me punirait pour aimer ? Je la serre contre moi. Si je pouvais ronronner comme un chat, je pense qu'on m'entendrai jusqu'aux États Unis.

– Berk ! C'est dégoûtant !
Je reconnais tout de suite la voix de mon frère. Chloé se retourne et rit. Moi, je la sert contre moi. J'ai peur qu'elle ne m'échappe alors que je viens de l'apprivoiser.
– Vous êtes amoureux ! Vous êtes amoureux !
Chloé me regarde, le regard pétillant. Je plonge dans ses yeux marrons clairs. Mon frère affiche une mine dégoûtée hilarante. Nous rions tous ensemble. Elle et moi, de joie. Lui, pour se rendre interessant.

***

Ce fut ensuite la douce joie qui m'enveloppait.
Cette émotion intense dès que je la voyais.
Le bonheur tremblant lorsqu'on s'embrassait.

Puis le gouffre.
Le déchirement.
La détresse infinie.

Elle repartait de là où elle venait.

***

Le temps passa. Je devint plus renfermé et obéissant. Je ne riait plus avec mon frère.

Mon seul espoir ? La revoir.

La serrer à nouveau dans mes bras.
Apercevoir son sourire rayonnant.
Retourner au lycée avec elle.

Chaque nuit, je revivais ces jours passés à ses côtés.
Chaque nuit, j'écoutais son rire chantant.
Chaque nuit, un torrent sans fin s'échappait de mes yeux.

Je devais la revoir.

C'est alors qu'elle m'appela. C'était rare, car à chaque fois ça nous coûtait de cet étrange chose si vénérée qu'est l'argent.

Et elle m'apprit qu'elle revenait.

Qu'elle revenait.
Qu'elle revenait...
Qu'elle revenait ?

Encore, ces sentiments incontrôlables et si parfaits.

Cette excitation oubliée.
Cette impatience ressuscitée.
Ce poids qui disparaissait et allégeait enfin mon cœur.
Cette corde qu'elle me tendait alors que je tombais désespérément au fond de ce gouffre infini.

Je la saisis, je m'y agrippais.
Je refusais de la lâcher, de la laisser s'enfuir.

Sanglots.
Rires.
Tout se mélangeait soudain.

Elle prendrait l'avion.
Elle arriverait après-demain.
Oui, j'irais le chercher à l'aéroport.
Oui, je réussirai à convaincre Madame Patate de l'héberger.
Oui, je l'aimais toujours.

***

J'avais préparé une chambre pour elle. Tout était prêt. Il ne manquait plus qu'elle.

Et elle ne vint jamais.

À l'aéroport, je trépignais. Quand, soudain, une annonce. Ce fut la paire de ciseau qui coupa cette corde à laquelle je m'agrippais.

L'avion avait craché.
Explosé.
Dans l'océan.

Un problème technique.

Et il n'y avait aucun survivant.

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