Réflexions distraites autour du roman policier
Je dois écrire quelque chose. Deux ou trois pages, ce serait bien.
Les coudes plantés sur le bureau, incertain je souffle en forme d'anneaux la fumée de l'aurore.
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Il y a des gens qui me disent que ce que j'écris, ce ne sont pas des romans policiers. Alors, naît en moi le sentiment étrange d'être furieux et en même temps de ne pas l'être.
Toutefois, m'excuser serait précipiter les choses. Si je m'excuse sans prendre garde à ce que je fais, ce que j'écris va disparaître. Rien ne m'oblige à être submergé alors que je viens juste d'apparaître à la surface de l'eau.
Celui qui parle ainsi est lui-même seul sur sa barque et il n'a sans doute pas l'intention de faire monter quelqu'un d'autre. Je n'ai pas besoin qu'on me hisse sur un bateau. Toujours, je nagerai seul.
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Je ne peux pas écrire des romans policiers ordinaires. J'ai essayé mais ils ont tous dit que c'était sans espoir. L'insipidité que représente l'écriture de textes banals me transperce le cœur.
Et pourtant, je lis des choses ordinaires ou, en tout cas, j'aime les choses qui ont une profonde saveur ordinaire.
Par conséquent, en tant que lecteur, je commande énormément de livres plutôt classiques. Bien sûr, beaucoup de ces commandes sont sans aucun doute injustifiées et, cependant, je n'ai pas l'intention d'être le dernier à admirer et éprouver de l'envie pour les romans policiers ordinaires qui entrent dans le cadre de mes achats.
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Je déteste les romans policiers qui jouent avec leurs lecteurs. Si on en écrit un, on doit tout dévoiler franchement depuis l'entrée : le salon, la cuisine et jusqu'aux toilettes. Néanmoins, pour ne pas ennuyer le lecteur, il faut le mener en prenant soin de susciter son plus grand intérêt.
Ce point n'est-il pas la partie où les livres ordinaires risquent le plus de se casser les dents ?
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Les choses qui tournent autour du pot ne sont vraiment pas amusantes. Mais quand j'écris quelque chose d'ordinaire, quoi que je fasse, si je n'utilise pas ces fichues tournures littéraires, je n'y parviens pas. C'est vraiment agaçant.
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Je suis fâché également par le nombre de lignes que prennent les descriptions des décors. Lorsque l'enquête et les descriptions sont mises en parallèle, lorsqu'elles s'unissent avec fluidité, l'excitation, soudain, produit des étincelles et dégage une odeur d'ozone intolérablement exaltante.
Du fond de mon cœur, je jubile et inhale cette odeur d'ozone en me disant que cette sensation moderne incarne toute la particularité des romans policiers.
Une histoire énigmatique à la manière des théâtres d'images où les récits se construisent à mesure que défilent les illustrations ! Soyez maudits !
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Il y a des gens qui crient que les portraits de caractères sont inutiles.
Il y a des auteurs qui utilisent les caractères pour faire des farces.
Je pense que ces deux positions sont compatibles. Cependant, il me semble que les deux positions tombent facilement dans le piège de l'inconscience des écrivains.
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Je pense que le moment où le mystère du roman policier atteint son paroxysme ne doit pas être mystérieux. Si on donne2÷2=1mais pas 2×2=4, je ne peux finalement pas ressortir admiratif.
1=X/X=1×1=0/0=8÷8 Ceux qui utilisent une telle formule sont principalement des amateurs.
Quand est utilisé √(-1), le roman policier ordinaire perd toute sa valeur. Plus encore, sa nature est altérée, il dégénère en roman absurde, humoristique ou fantastique.
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On s'aperçoit immédiatement qu'un auteur a imité consciemment ou inconsciemment ce qu'il a eu l'occasion de lire quand la saveur se désagrège peu importe combien elle satisfait nos goûts.
Il semble qu'on doive absolument puiser l'eau à notre propre puits. L'alcool fabriqué avec l'eau d'un autre puits n'enivrera jamais. S'il enivre, il rendra complètement saoul.
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Jusqu'à il y a peu, je pensais que les pièges renfermaient un grand intérêt. Je les confondais avec l'art de tenir en haleine mais il semble qu'il s'agisse de choses différentes. On s'est bien moqué de moi mais je n'y peux rien.
Le véritable piège n'est-il pas celui qui d'un seul coup rend réel toute l'histoire ?
Éveiller des frissons par le moyen de la narration, n'est-ce pas tricher ?
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Les romans policiers se rencontrent partout dans la vie quotidienne. Il faut que votre respiration devienne déjà un mystère qui se doit de surprendre, un piège, une source d'excitation.
C'est juste que les lecteurs ne regardent simplement pas aussi loin.
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Les choses sont devenues un peu bizarres dans ma tête. Si je continue d'écrire, on dirait qu'on va rire de moi encore davantage alors je vais m'arrêter là.
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INTERPRETATIONS
Yumeno offre ici sa conception de l'écriture d'un roman policier. Elle apparaît comme quelque chose d'insaisissable, qui souvent échappe à la raison et parle davantage aux sens. Les images choisies soulignent cette instabilité. L'eau, la fumée, l'ivresse sont d'ailleurs décrites avec une économie de mots que permet la langue japonaise et qui empêche parfois de savoir à quoi elles font référence. Cependant, les sensations et émotions suscitées sont puissantes. Le style très visuel de Yumeno, hélas impossible à retranscrire en français, le montre littéralement. Dans ce texte, l'auteur utilise relativement peu de sinogrammes. Ces caractères particuliers n'étant ainsi pas noyés dans la masse des autres attirent l'œil qui identifie immédiatement en eux des termes liés à l'écriture ou à la vision que Yumeno en a. Par contraste, les syllabaires qui constituent le reste du texte créent une sensation de flou et d'incertitude. Certains mots sont même difficiles à reconnaître. On trouve par exemple le verbe "ayamaru" qui peut signifier aussi bien "faire une erreur" que "s'excuser". Généralement, on différencie ces deux termes parce qu'ils ne s'écrivent pas avec le même sinogramme mais Yumeno a choisi d'utiliser uniquement des syllabaires pour transcrire le mot qu'il voulait utiliser, laissant le soin au lecteur (et le dilemme au traducteur) de deviner ou d'interpréter le sens grâce au contexte.
Première publication sous le titre 探偵小説漫想 (Tantei shôsetsu mansô)
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