Les tentacules de la pieuve
Au milieu des nombreux articles colorés d'une boutique de cerfs-volants, un daruma* et une pieuvre commencèrent une dispute.
« Eh, toi, bon à rien de daruma ! Tu peux être fier de ta barbe, mais est-ce qu'il ne te poussera jamais de bras et de jambes ? Regarde-moi un peu ! Moi, je possède huit bras chargés d'un nombre incroyable de ventouses. »
« Tu ne devrais pas dire de telles absurdités. Tu as une tête de bonze, moi aussi. Ne devrions-nous pas, en tant que camarades bonzes, essayer de bien nous entendre ? »
« Moi, bien m'entendre avec un type dans ton genre ? Avec une chose toute lisse qui n'a ni bras ni jambes ? Tu as ces paroles de faiblard parce que tu sais que tu ne pourrais pas remporter une bagarre ? Tu vas voir, espèce de lâche ! »
Et soudain, d'un coup de ses huit longs tentacules, la pieuvre envoya voler le daruma. Ce dernier en était mortifié, mais il devait admettre qu'il était dépourvu de bras et de jambes et qu'il ne lui restait donc plus qu'à laisser abondamment couler des larmes de ses gros yeux globuleux en se faisant frapper.
Un cerf-volant en forme de valet de pied qui se tenait à côté affichait un air extrêmement navré.
« Mme la pieuvre, veuillez cessez cette dispute, » intervint-il.
« Toi, ferme-la ! » répliqua la pieuvre qui recommença à brutaliser le daruma.
Le valet de pied était visiblement en colère mais, comme ses mains étaient cachées dans ses manches et qu'il n'avait que deux pieds, il se maîtrisa et endura la situation.
Le matin suivant, tous trois furent achetés par trois frères, l'aîné, le cadet et le benjamin et emmenés dans une prairie. Là, le daruma de l'aîné et le valet de pied du cadet s'élevèrent haut, très haut dans le ciel, avec vigueur. Mais la pieuvre du benjamin se prit dans les branches d'un orme du Japon. Alors, l'enfant tira dessus avec force et le cerf-volant se déchira. A ce moment-là, la pieuvre pensa :
« Ah, si seulement je n'avais pas eu de tentacules ! »
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*Daruma : Figurine de forme ovoïde représentant un moine bouddhiste. Symbole de chance et de prospérité, elle est utilisée pour faire des vœux.
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INTERPRETATIONS
Cette courte histoire est porteuse d'une morale somme toute assez banale et on peut se demander si l'objectif premier de Yumeno n'était pas surtout de faire rire. Le ton de la fable est en effet éminemment humoristique. Le monde merveilleux des cerfs-volants invite à la rêverie plutôt qu'à la recherche de principes moraux tandis que les personnages et leurs dialogues ont un aspect grotesque. Tout ne semble finalement être qu'un prétexte aux jeux de mots : en japonais, les mots "pieuvre" et "cerf-volant" se disent de la même façon, "tako" (peut-être un lecteur français devrait-il imaginer à la place de la pieuvre un cerf s'emmêlant les bois dans les branches de l'arbre).
Première publication en 1922 dans le journal Kyûshû Nippô sous le titre 章魚の足 (Tako no ashi).
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