>CWC 3<

41. « Ce que j'aime par-dessus tout, outre la salade de champignon, c'est l'inutilité du mot impossible. »

Tu répétais sans cesse qu'un jour, tu exposerais tes œuvres dans les plus grands musés du monde. On répondait un « Bien sûr » dénué d'émotion, sans se préoccuper du petit garçon de onze ans que tu étais. Du talent... Tu n'en avais pas tant que ça. Tu dessinais comme n'importe quel garçon de ton âge. Enfin, ça, c'est ce qu'on pensait. C'était sûrement faux. Tu vouais une telle passion au dessin, qu'ils ne pouvaient qu'en devenaient mille dois plus beaux.

Quand j'y repense, on était vraiment aveugles, nos parents et moi. Eux, trop préoccupés par le boulot, moi, sûrement jalouse. Pourtant, la grande sœur que j'étais se devait de t'encourager, à défaut de nos parents, non ?

J'ouvris le cahier que je tenais entre mes mains. C'était là où tu dessinais. Le premier dessin représentait une plage sous le soleil couchant. Les couleurs étaient belles, les traits réalistes, quoiqu'un peu maladroits, mais l'amour que tu portais à ton dessin était visible. Tu avais onze ans.

Quelques dizaines de pages plus tard, un portrait de moi, le nez enfoncé dans un livre. Je n'avais jamais remarqué que tu me prenais comme modèle. Tu avais figé chaque détail de mon visage d'adolescente sur ta feuille en papier. Mes yeux émerveillés, ma bouche entrouverte, mes ongles rongés, chaque mèche de cheveux y était. Tu avais treize ans.

Vers la fin du bloc, une image un peu abstraite. Tu avais délaissé tes crayons de couleurs adorés pour dompter pinceaux et peinture. Plutôt réussi, pour une première fois. Je crois que c'était un oiseau, mais toi, tu m'aurais dit que c'était un rêve. Que chacun voyait ce qu'il avait besoin de voir. Tu avais quinze ans.

Toute ta vie, sur quelques feuilles en papier. Il y en avait un qui m'avait fait rire : une simple salade de champignons. Je me rappelle très bien du jour où tu l'as dessinée. Nous avions déjà reconnu ton talent, quoique pas totalement rassurés par le fait que tu veuilles en faire ta vie. Tu cherchais l'inspiration, allongé dans le jardin. Je m'étais faufilée entre fleurs et arbustes pour te faire peur. Mission plutôt réussie : tu avais crié, râlé, grommelé, puis tu t'étais calmé. Tu m'avais demandé de te donner une idée à dessiner.

- Dessine ce que tu aimes par-dessus !

- Ce que j'aime par-dessus tout, outre la salade de champignon, c'est l'inutilité du mot impossible ! Lequel je dessine ?

- Les deux, lui avais-je répondu, un sourire dans la voix.

Ainsi était née cette salade de champignons tellement réaliste qu'elle me donnait faim. Curieuse de savoir comment tu avais représenté la deuxième option, je tournais la page. J'en eu le souffle coupé : tu avais mis tellement de colère dans ton dessin, tellement de frustration, tellement de... toi, en fait. C'était tout toi. On ne te laissait plus vivre, tellement on doutait de toi. Et la douleur qui en suivait devait bien s'échapper quelque part, non ? Ce quelque part était ton dessin, que je tenais entre mes mains. Au centre, quelqu'un se tenait la tête. Tout le reste de la page est rempli de mots, phrases, paragraphes de ce que tu avais besoin d'exprimer. « Ce que j'aime par-dessus tout, outre la salade de champignons, c'est l'inutilité du mot impossible. Je ne dis pas que rien n'est impossible. Mais à quoi bon se dire que quelque chose est impossible quand on peut dire qu'elle est possible ? J'ai envie de croire que mon rêve est possible, alors j'y crois. J'ai seize ans et des rêves plein la tête. Et je crois en eux. Comme on dit, ils connaissent le chemin. Un jour, mes œuvres seront exposées dans les plus grands musées du monde, j'en suis convaincu.». C'est l'extrait qui m'a le plus touchée. Les larmes coulèrent. Vite, je m'empressais de refermer le cahier pour ne pas abimer ses dessins.

C'était donc ça, ton rêve. Tu es parti avant de pouvoir le réaliser. Tué, dans un attentat. Je t'imagine, du haut de tes dix-huit ans, terrifié, serrant contre ton cœur tes dessins.

Je pleurais de plus belle. Tu n'as pu réaliser ton rêve de ton vivant, je ferais en sorte qu'il se réalise à présent. Après tout, la plupart des artistes sont reconnus seulement après leur mort.  

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