Confidences
Clac !
Le marteau du juge s'abbat sur la table avec fracas, faisant cesser les murmures qui parcouraient l'assemblée.
Je lève les yeux de mon cahier posé sur mes genoux. Le juge est là, derrière sa table couverte de papiers et entouré de gens. Après avoir écouté attentivement les diverses opinions des avocats, témoins, entre autres, il prononce la sentence:
- Monsieur Robert Dubois, accusé de meurtre de trois personnes à l'aide d'une arme à feu, est condamné à trente ans de prison.
Trente ans ! Je sent mon cœur dégringoler dans ma poitrine. Je sais que Robert le mérite. Au fond de moi, je le sais.
Mais c'est mon frère... Alors je ne peux m'empêcher de penser que ce n'est pas mérité. D'accord, il a tué trois personnes, a vécu une vie d'erreur, a déçu mes parents... Il a enchaîné les bêtises. Mais mon frère... Mon grand frère... Celui qui m'aidait dans mes devoirs, me consolait, m'écoutait...
Les larmes coulent. Ma vision se trouble, mes jambes tremblent, mais parviennent tout de même à me porter jusqu'à la sortie du tribunal.
Je sais que le juge n'avait pas fini de parler. Mais je m'en fiche. J'en ai assez entendu.
Je cours jusqu'à chez moi. M'enferme dans ma chambre. Pleure.
Plus tard, je reçois un message du juge.
Vous êtes priée de vous rendre à la prison, demain, 14 heures, pour revoir une dernière fois le détenu Robert Dubois avant son isolement.
Isolement...
Alors c'est ça, la deuxième punition.
Trente ans de prison et d'isolement.
Je ne pleure pas. J'ai déjà trop pleuré.
***
Le lendemain
Je suis devant lui. Pour la dernière fois avant longtemps.
- C'est la dernière fois que tu me vois, sœurette.
Je le regarde, déroutée. Dernière? Dernière avant longtemps, oui, mais dernière ? Toute dernière ?
- Que... Quoi ? Mais non, dans trente ans...
Il soupire, secoue la tête, me regarde dans les yeux.
- Tu ne te rends peut-être pas compte, mais trente ans, c'est énorme. On va m'oublier. Toi aussi, peu à peu, tu vas oublier mon visage. Je ne veux pas de ça. Et quand je rentrerais ? Après trente ans ? Tu seras peut-être mariée, tu auras peut-être des enfants. Et moi... Moi je n'aurais rien. Je serais resté isolé trente ans, coupé du reste du monde. La vie ne s'arrêtera pas parce que je ne suis plus avec toi.
Il inspire profondément, puis continue:
- Je préfère mourrir libre que de vivre enfermé. Je ne supporte pas l'enfermement, et tu le sais.
Mon frère marque une pause. Puis il lâche dans un souffle ces quatre mots qui me poignardent de l'intérieur, qui me déchirent le cœur en mille morceaux. J'ai l'impression que l'on m'arrache une partie de moi. Ces quatre mots, qui détruisent tout:
- Je vais me tuer.
Pour la énième fois cette semaine, mes joues deviennent des cascades. Les larmes coulent, coulent, et je ne fais rien pour les arrêter. Même si j'essayais, ce serait en vain: la douleur est trop profonde, comme une immense mer. C'est cette mer qui dévale mes joues.
- Mais... Mais pourquoi ? réussis-je à articuler au milieu de mes pleurs et reniflements.
- Je te l'ai déjà dit, pourquoi. Je ne veux pas être enfermé. Je ne te dirais rien de plus, d'accord ? Pour moins te faire souffrir.
J'hoche la tête, les yeux rouges, renifle trois fois avant de poursuivre:
- Mais tu n'as pas peur ?
- Oh que si ! J'ai peur, tu sais?
Peur d'avoir merdé.
Peur de ne pas avait fait ce qu'il fallait.
Peur de ne pas avoir assez dit merci ou pardon.
Peur de ne pas avoir profité de la vie comme il fallait.
Peur d'avoir déçu des gens.
Peur de me dire que j'ai tué des gens.
Peur d'avoir fait des erreurs, des mauvais choix.
Peur d'avoir changer ma vie de manière irréversible.
Peur de ne pas pouvoir avoir une deuxième chance.
Peur de ne pas pouvoir réparer mes erreurs.
Peur de ne pas pouvoir retourner en arrière.
Mais je n'ai pas peur de mourrir.
Il me regarde dans les yeux. Il me dit tout ce que les mots ne peuvent exprimer. Il me dit qu'il m'aime, qu'il m'a toujours aimé et qu'il m'aimera toujours. Il me dit que, peu importe où il est, il sera toujours près de moi, dans mon cœur. Puis il rajoute:
- Je suis peut-être lâche de faire ça. De m'enfuir, de ne pas affronter ces trente ans de prison. Je le suis sûrement. Et je t'en demande pardon.
Robert me prend la main.
- Mais je voudrais te demander de me promettre une chose. rajoute-t-il. Je voudrais que tu te souviennes de moi comme le grand frère qui jouait avec toi, qui te lisait des histoires pour t'aider à t'endormir, qui t'aidait à résoudre tes exercises de mathématiques auxquels tu ne comprenais rien.
Il souri en évoquant cela. Une once de sourire apparut aussi sur mes lèvres. Et pour cause ! Quand j'étais petite, je détestais les maths. Maintenant, je suis prof dans cette matière. Drôle de coïncidence, non ? Non. Je n'aime pas les coïncidences. Le sourire disparut. La voix de mon frère me ramena dans la pièce.
- Je voudrais que tu te souviennes de moi comme celui que te protégeait dans la cour de récréation, celui qui te défendait quand les parents te grondaient. Comme la personne que j'étais avant... Avant de devenir celui que je suis maintenant. S'il te plaît. S'il te plaît, Rosie, ne garde pas une mauvaise image de moi. Je sais que je le mériterais. Mais s'il te plaît.
Il le regarde d'un air suppliant. Je détourne les yeux. Je voudrais le pardonner. Mais je ne peux pas oublier toutes les erreurs qu'il a commises.
- Je.. J'aimerais bien. Mais je ne peux pas oublier. Tous ces gens que tu as tué, c'est.. C'est horrible. Mais si je n'oublie pas qui tu es devenu... Je n'oublie pas non plus qui tu étais. Je ne veux pas déformer la réalité. Et la réalité est que tu es mon ami, confident, frère... Mais tu es aussi une personne ignoble. Je suis désolée. Mais je n'oublierais pas.
- Je comprends, Rosie, je comprends.
Il me regarde sans me regarder. Il voit à travers moi, peut-être regarde-t-il le mur blanc derrière moi. Ou peut-être qu'il vois sa vie défiler devant lui, depuis le début jusqu'à la fin. Peut-être que le mur est un écran de cinéma, que le film qu'il regarde est le sien.
Soudain, il éclate en pleurs. Comme ça, d'un coup. Les larmes coulent, comme je ne les ai jamais vues couler.
Je reste un moment interdite. Je ne sais pas comment réagir. Je ne l'avais jamais vu pleurer. Je réalise que lui aussi peu pleurer. C'est comme cette première fois où on voit un adulte pleurer, où on se rend compte qu'eux aussi peuvent être tristes. Qu'il peuvent pleurer.
Je le serre dans mes bras. Je le tiens contre moi, le berce doucement. C'est l'inversement des rôles. Puis, entre deux sanglots, il me dit:
- Si tu savais comme je regrette, Rosie, comme je suis désolé! Si j'avais su que j'allais finir comme ça, jamais, jamais je n'aurais commencé. Je t'en prie, sœurette, pardonne-moi.
Je pleure, moi aussi. On pleure comme on n'a jamais pleuré. On se vide de toutes les larmes de notre corps. On se serre l'un contre l'autre, maladroitement, on essaie de se réconforter vainement. On ne forme plus qu'un, un nœud de corps et douleur.
Puis dans un murmure, je brise le silence:
- Après toutes les fois où tu m'as aidé, aimé, réconforté... Je ne peux que te pardonner. Tu as fais des erreurs, plein d'erreurs. Mais tout le monde en fait. Toi plus que d'autres, peut-être. Mais de ces gens-là, qui on fait des plus petites erreurs... De ces gens là, qui demande pardon ? Qui ? Toi, tu l'as fait. Alors je ne peux qu'accepter tes excuses.
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