Phoenix de la liberté by GaiaChroniques (French)
Phoenix de la liberté
Dans la ville de Montréal, dans un des quartiers abandonnés, que l'on surnommait jadis « Le Vieux », on retrouvent encore des sous-sols accessibles, obscurs et à moitié écroulés. Dans l'un d'eux, la maigre lueur d'une lampe solaire vétuste éclaire un être chauve et imberbe. La nuit est son univers. Il va ici ou ailleurs, depuis son antre jusqu'à la rue, pour régner sur son royaume.
Noctivague, la nuit est son domaine, il s'éveille pour pouvoir poursuivre la quête qui lui a été fixée.
Dans les rues de l'ancienne métropole, c'est un rat de misère, un loqueteux de l'antique rue Sainte-Catherine ; un visage inconnu que les yeux des passants évitent avec mépris ; une silhouette qu'ils contournent sur le chemin emprunté pour retourner vers les trottoirs automatiques des étages supérieurs. Lui, il croupit en bas, tout en bas de la société, tout en bas de la ville. Il se terre dans les fondements décrépits de la Nouvelle mégapole étrangère qui s'élève en strates au-dessus de la lie.
Et pourtant... La nuit c'est l'oiseau nocturne, le phœnix de la liberté !
** ** **
J'ÉCRIS !
Pour ce monde qui me rejette. Pour tous ceux qui m'évitent. Pour une passion qui m'étreint, depuis toujours il me semble. J'écris. Sans me lasser. Les lignes s'ajoutent sur le papier. Je les frappe en tempo : staccato, crescendo, moderato... Les lettres s'additionnent et au final ce sont des textes...des appels... des cris. Du talent ? Je ne sais pas. Mais peu importe : bien ou mal écrit, cela n'a pas d'importance ! En effet, car écrire quand on y pense : c'est illicite ! Plus personne ne s'y risque. Et pourtant, j'écris !
Dans le fond du sous-sol poussiéreux, bien caché derrière des poutrelles, emmitouflé dans mon manteau de gabardine élimé, qui fut un jour le point central de mon image de marque, un bonnet rouge sur la tête et les doigts découverts au bout de mes gants de laine usée, je pose ma vieille Royale 200 sur mes genoux et... je tape ! Je tape avec force sur cette amie fidèle : mes jambes en tressautent. Parfois je pose mon clavier sur une vieille boite de livraison en bois, mais celle-ci fait caisse de résonance et, dans le silence de la nuit, j'ai peur d'attirer l'attention. Alors je reprends mes jambes comme table et poursuis mon ouvrage dans un silence cliquetant.
Ce n'est pas que le pâté de maison soit peuplé de bonnes gens qui cherchent à jouer au shérif, mais, entre les clochards, les vagabonds, les fugitifs et les Dames de compagnies, on ne sait jamais... S'y cacherait-il un délateur ? Que ne dirait-on pas pour quelques crédits ? Pour sauver sa vie ? Pour améliorer son quotidien de misère et s'élever d'un étage vers la lumière naturelle ?
J'écris ! Comme si chaque frappe devait être la dernière. Et l'antique ruban fatigué transmet mes frappes sur le papier, quelque peu jauni par le temps, un peu froissé par mes déplacements impromptus, souvent délavé par les intempéries.
Parfois ma prose a un sens voulu mais pas toujours, car donner une signification à tous les messages ne me semble pas toujours utile.... J'y parle du passé, du présent ou du futur. Je choisi.
Mais Liberté demeure le sens profond...
** ** **
Du bruit, des raclements, des grattements différents de ceux des rats qui rongent mes chaussures ! Ils ne sont pas loin. Ce sont eux. Ils me traquent ! Mes délires d'écritures cessent, les claquements de ma prose se taisent. Encore une fois, je change de cachette. J'embarque ma fidèle amie à ruban d'encre et mes papiers, puis je quitte avec précipitation.
C'est mon quotidien : je me déplace avec une continuité ininterrompue, pour échapper aux représentants des autorités.
Dans le cas où ils me piègeraient, ma Royale irait à la ferraille et moi... mon sort ne vaudrait pas mieux. J'aurais beau alors revendiquer mes anciens titres, rabaisser le collet de ma gabardine et rehausser le menton pour qu'ils y reconnaissent le tatouage de mon cou : bluff inutile, je ne fais plus partie de leur société. Désuet, inutile, paria.
Depuis le temps que ce jeu du chat et de la souris se poursuit : ils pensent me connaître et tentent de me repérer depuis longtemps. Lors de ma capture, que j'espère lointaine, ils me ficheront, catalogueront, accuseront, jugeront et condamneront. Mais, soyons réalistes ! Je crois qu'ils m'exécuteront avant même de parcourir toutes ces étapes.
Ils ne savent pas exactement qui je suis mais ils me guettent.
Les Patrouilles s'organisent chaque nuit dans les bas-fonds du Vieux Montréal, alors que leur peuple, au-dessus de nous, continue ses pérégrinations nocturnes, fêtardes et sans soucis. Les patrouilleurs ratissent les rues et les ruelles verticales de la Métropole vétuste. Parfois, l'un des soldats aperçoit ma silhouette de pénombre dans l'axe d'une ancienne rue, mais déjà je me fonds parmi les ruines imprécises qui la bordent. Il aura beau tenter de me suivre dans ces quartiers, ce serait peine perdue, car ces rues sont en canevas dans ma tête où je m'y oriente en Maître des lieux. Les Patrouilles se rabattent alors sur des arrestations de petits bandits, de prostituées non déclarées ou de simples citoyens de dernière zone qui ont le malheur de traîner ici une fois le couvre-feu atteint.
Ils les admonestent sans retenue puis les laissent aller la plupart du temps : ils ne sont que le menu fretin du niveau zéro. Mais pour moi, je sais qu'ils ont la permission de tirer à vue.
"Siiift"
... Justement un grésillement me fait sursauter ! Un rayon vert, passant par le carreau brisé, vient de faire éclater la lampe solaire jaunâtre qui illuminait avec timidité mon dernier refuge : une mansarde poussiéreuse d'un immeuble centenaire abandonné. Je fuis à nouveau, mon sac à l'épaule, en passant cette fois encore par les toits, qui se rejoignent dans ce coin de la ville sous-terraine. Dans ma course, fébrilement, mes yeux scrutent la noirceur, pour tenter de prévoir les trous béants où je peux soit me casser le cou, soit m'enfuir, car ce sont des issues inespérées pour redescendre sur le parvis, loin des drones qu'ils contrôlent de loin et qui patrouillent sans cesse les airs.
Fuir, toujours fuir dans le désert de l'antique cité. Dans ce squelette de bâtiments écroulés, abandonnés, que je parcours avec frénésie, dans la pénombre illuminée par les tirs des gardes et les cônes lumineux des drones.
Encore une fois, je leur échappe. Dans ce labyrinthe de décombres, je me faufile alors qu'ils scannent encore avec frénésie les toits. Cette nuit, les rats resteront dans les sous-sol.
Au détour d'une vieille ruelle, je croise un homme avec un enfant. Leurs vêtements se confondent avec les murs et leurs visages avec la noirceur. L'homme m'a reconnu mais détourne le regard. L'enfant me lance un sourire brillant que je lui rends bien. Les petits d'humains : ils sont l'espoir, l'avenir possible.
Certains quartiers sont encore quelque peu habités, bien qu'il n'y ait plus personne officiellement dans cette couche zéro, enfin, c'est ce que les dirigeants affirment. Cependant, des camps clandestins subsistent, où le cloaque de l'humanité se cloître dans l'illégalité, camouflé aux yeux offusqués des citoyens des couches supérieures. Comme dans toutes les grandes cités actuelles de la planète, dans les fins fonds des strates archéologiques, Montréal, le « Vieux », la métropole, est morte. Ces grandes villes-lumières n'existent plus que dans certaines rares mémoires, dont la mienne. Dans le présent, elles sont inhabitées, déclarées no man's land. Si des êtres y vivotent, c'est une erreur, un oubli. Les Patrouilles y veillent.
Pourtant, tous les matins, les citoyens du haut envahissent notre zone. Notre quartier séculaire revit pour un bref moment. Pour se rendre aux industries, ces passants utilisent les rues et anciens boulevards de nos bas fonds : la Sainte-Catherine, le Dorchester, la Saint-Laurent, la Coderre ; évitant ainsi de payer l'aérobus ou le graviton qu'ils ont installés plus haut... au soleil. Ils viennent aussi pour emprunter les antiques rames de métro, ici sous terre. Intactes ou partiellement détruites par les combats et le temps, les lignes orange, verte, bleue, mauve ou rose demeurent moins chères, mais si désuètes et obscures.
« Ceux d'en haut », dans leurs vêtements colorés et de coupe réglementaire, craignent les souvenirs, le passé, que renferment ces vestiges d'une civilisation jadis heureuse. Peu s'en souviennent mais, malgré le bruit, la pollution, la drogue, le capitalisme et l'individualisme, une société existait dans ces rues, ces bâtiments. Ce n'est déjà plus qu'une légende, un mythe. L'ancien Vieux ... aujourd'hui privé de soleil.
Le soleil... Cet astre inaccessible pour la plupart d'entre nous. En bas, il y a bien des cages de soleil, ces tubes qui s'ouvrent jusqu'à la pointe de la ville du dessus. Dans le bas de ces puits verticaux, on peut venir se gaver de lumière et admirer un petit bout de ciel bleu... Là-haut, tout là-haut... Je n'y traîne pas trop souvent. Pas que je n'aime pas le soleil, bien au contraire. Mais les Patrouilleurs de jour s'y terrent incognito et contrôlent fréquemment les identités. Où tu habites ? Où tu travailles ? Même pas besoin de se forcer à répondre. Ils scannent notre cou et hop ! Notre implant dit tout... Quel délateur ! Il me démange de l'exciser, de l'expulser celui-là ! Mais il fait partie intégrante de mon moi-même depuis toujours. Tout mon parcours est dedans. J'ai quand même réussi à désactiver la puce GPS. Mon signal est muet. Je ne suis pas sur leurs radars.
Les gens du matin sillonnent nos rues en tous sens, comme au bon vieux temps, mais leurs pas sont tristes et résignés, ce ne sont plus que des ombres d'humains. Ils marchent, pressés, cachés derrière un foulard, le col relevé ; effrayés de côtoyer les ruines, les décombres, et de nous côtoyer, les « ceux d'en-dessous ». Nous sommes la représentation des nouveaux monstres qui peuplent les contes pour les rares enfants d'humains.
Nous sommes irréels à leurs yeux et cela nous convient. On les regarde de loin, depuis nos coins de pénombre. Leur trajet est souvent le même jour après jour. Une routine de bruits, de sons et de couleurs. Certains d'entre nous tentent d'en profiter : un petit réseau de commerce s'est organisé et ses membres vendent à petit crédit des boissons chaudes, des jus, des beignets, des vapoteuses bon marché. Les Patrouilleurs le tolèrent, apparemment de bon aloi, mais je ne suis pas dupe, je les ai vus recevoir en douce des crédits pour fermer les yeux.
C'est là, durant les trajets du matin, qu'un passant découvre l'une de mes pages, abandonnée sur le sol humide et crasseux. Ou encore un de mes écrits est découvert près des tunnels de soleil, là où on dépose nos lampes pour leur recharge journalière. Un papier...une simple feuille gribouillée de l'encre antique de ma vieille Royale. Le destinataire regarde alors autour de lui et, s'il est seul, il se baisse pour la saisir, comme s'il ramassait la plume perdue d'un goéland blessé. De plus en plus inquiet, surveillant attentivement les alentours, il ouvre le papier et lit, rapide et discret, dans le creux de sa main ou le pli de son coude. J'en ai observé souvent de ces lecteurs fugaces mais tenaces. Ce qui me prouve que même si l'écriture est défendue, et la lecture tout autant prohibée, le talent d'amalgamer des lettres et de mots semble heureusement encore se transmettre.
Mais comme il n'y a plus de livres, de magazines, de romans, de journaux - tout a été détruit - trouver au sol un papier couvert de caractères ancestraux est devenu, après quelque temps, un signe quelque peu connu. Ainsi, la personne qui trouve une de mes feuille, pensera du coup : « Tiens, il était ici, j'ai pu le croiser. Peut-être a-t-il pris le métro avec moi ou que c'était la nuit et qu'il fuyait devant une patrouille... S'est-il échappé en s'envolant de toit en toit ? »
Car les gens m'ont associé à un oiseau, petit, nerveux et insaisissable. Qui transporte ses idées dans son maigre bagage. Oui, quand leurs pensées sont moins envahies par les messages obsédants des dirigeants ou encore par certaines substances que l'on glisse dans leur nourriture pour les abêtir, ils m'appellent le Moineau de la liberté. Le moineau : cet oiseau qui observe tout en frétillant et qui ne reste pas en place. Silencieux en solitaire, il piaille en groupe pour avertir ses congénères. Jamais il ne connaît de répit, de pause, il est infatigable. Il est résistant.
Je suis un Résistant, à l'image de cette espèce aviaire qui est l'une des seules à oser encore égailler les abords des grandes villes abandonnées.
J'aime bien ce surnom...
Celui qui trouve un de mes papiers, suite à sa lecture en cachette, le rejette discrètement comme si le contact lui brûlait les doigts. C'est ainsi. Jamais un lecteur n'ose le conserver car, surpris en possession d'une de mes proses, on le torturerait ou mieux, il serait tué sur place. Qu'il rejette mon papier, moi, ça m'arrange : le pli jauni et froissé aura ainsi une plus longue vie et un lectorat plus fort. Un écrit moins chanceux a été retrouvé sous mes yeux dernièrement par mes pourchasseurs : ils l'ont ramassé et flanqué illico dans un caisson de désintégration que certains ont au dos. Une petite gloriole de poussière s'en est échappé. Ensuite, je les ai vus donner par radio la position de leur trouvaille. Un écrit envolé ! Comme tant d'autres qu'ils détruisent. Pour me faire taire ! Mais qu'importe, il y a tant de nuits, jusqu'à ma fin, tant de jours, dans la pénombre, pour les semer au gré de mes déplacements.
J'ai ma réserve de papiers et de rubans dans une usine inaccessible pour eux, loin, profond, là où des gaz toxiques s'accumulent. J'y vais le moins souvent pour ne pas révéler ma cachette : un vieil entrepôt d'une grande maison d'édition. Le papier craque sous mes doigts et mes yeux admirent les piles de ce substrat de paroles et d'idées.
Car voilà : je ne compte pas m'arrêter ! Tel l'oiseau auquel ils m'associent : libre d'aller où je veux, sans attache, car je suis seul, je me faufile et me dissimule par mon plumage sombre. Jamais je ne me résignerai aux conditions qu'ils nous infligent, jamais. Malgré les menaces, les poursuites, le danger et la solitude. Je suis la voix qui parle contre eux... La seule.
Eux ... Ils se nomment Dogms. Ils sont apparus un beau jour, il y a tant d'années, des décennies... non des siècles ! Je perds mes notions de temps... j'y constate ma propre décrépitude.
Qui sont-ils ? On ne le sait pas et cela est un détail. Qu'ils viennent de l'autre bout de la galaxie, de l'univers adjacent ou de Mars, issu d'un monde parallèle, du monde des esprits ou simplement une engeance créé par manipulation génétique d'un psychopathe... Qu'importe ! Le résultat est là : les Dogms, une espèce non humaine, dirigent la Terre dorénavant.
Une oligarchie suprême où l'espèce humaine est cloîtrée dans des rôles d'ouvriers subalternes, considérée sans valeur et reléguée dans les sous-bassements des villes. Les dirigeants aliens sont tout là-haut, au sommet, au soleil, profitant des bienfaits du travail des humains et des ressources de notre planète.
Leur plan a été bien planifié et démontre une patience intemporelle. Ils ont manipulé l'histoire de l'humanité en engendrant des guerres fratricides entre les groupes sociaux, entre les pays, au nom des frontières, des richesses, des religions... Tous ces concepts qui n'existent plus pour les humains dorénavant.
Ensuite, ils ont causé des catastrophes naturelles avec leurs technologies, ravageant les deux-tiers de la planète. Disparues les frontières, les territoires et les régimes politiques ancestraux ! Dans leurs actions de destruction, ils ont été méthodiques : tous les sièges des gouvernements, les centres névralgiques des armées et les bases de défense sont rapidement devenus inutilisables, inertes, pris dans des gangues de roches fondues.
Les Dogms se sont alors révélés à l'humanité, dans toute leur laideur, pour offrir aux Terriens un choix déterminant : se joindre à eux ou mourir sur leur pauvre petite planète agonisante. Sans armée, sans chef, sans structure sociale, brisée, blessée et affamée, la population s'est rendue massivement sans honte, certains accueillants même l'envahisseur en sauveur de l'humanité.
Ils ont manipulés les humains, ils sont hautains, arrogants et sans pitié... Inhumains.
Comme pour un bétail, les vainqueurs les ont parqués.
Les humains survivants des guerres et cataclysmes, sont maintenant réduits en esclavage, nourris comme des bêtes, habillés en couleur selon les rôles et utilités, mis en cage la nuit dans des enclos, puis au matin, ils quittent et circulent par les bas-fonds pour aller travailler dans de gigantesques ateliers.
Pendant douze heures, ils triment dans des usines sur des postes répétitifs et indigestes, à faire une corvée à laquelle ils ne comprennent rien. Le soir venu, ils rebroussent chemin, sans énergie et le cerveau embrumé par des substances qu'on leur fait respirer ou manger pour mieux les contrôler. De plus, une puce électronique les suit, les espionne, les identifie comme un pion dont on doit tirer le maximum de productivité. Si le pion ne rapporte pas assez ou s'il donne des signes de réticence, de fatigue ou de maladie, il est mis de côté et abattu sans autre forme de réflexion.
Historiquement, l'espèce humaine est fière, indomptable, réagissant d'autant plus fortement que l'adversaire est coriace... C'est du moins ce que rapportaient tous les livres que je connaissais – avant qu'ils les brûlent avec tous les autres artefacts historiques et qu'ils construisent par dessus leurs cités. C'était au temps où je participais à l'épanouissement d'une société, d'une civilisation digne de ce nom. Les lettres représentaient ma spécialité, ma fierté : j'étais Secrétaire particulier.
Malgré tout, l'humanité a réagi. J'en ai vu, oui, comme au temps des Trois Grandes Guerres mondiales, des résistants à l'envahisseur. Ils se sont rebellés, nombreux sont morts. Ils se sont cachés, nombreux ont disparus. Maintenant combien sont-ils à se terrer comme moi ? Issus d'une société ultra automatisée, robotisée, confortable et numérique, rien ne les avait préparés à contrecarrer et à vivre de tels événements.
Surtout que les forces ennemies utilisent des armes méconnues des héros d'antan : désintégrateurs, barrières de champs de force antigravitationnelle, détecteurs bio-organique et lecteurs de pensées. Les humains sont de simples recrues dans ces domaines. Pourront-ils un jour posséder les outils et les armes pour reprendre le contrôle de leur planète ?
Pour moi, impensable de céder... Par patriotisme, par fierté des humains, par respect pour la liberté, par amour de la littérature. Penser que la lecture et l'écriture soient interdites dépasse mon entendement !
Seulement imaginer qu'après ma disparition, aucune pensée ne sera gravée ou consignée, peu en importe la teneur, m'est intolérable...inadmissible. Alors, de toute ma douleur, je noircis des feuilles avec des textes typographiques. J'écris, j'écris, sans trêve et sans repos. Dans la pénombre des nuits, du fond de mes terriers, j'écris.
Ce sont des appels à la liberté où je m'adresse aux véritables héritiers de ce monde :
« Terriens, réveillez-vous !
Levez-vous et suivez l'exemple de vos ancêtres, relevez la tête et rejoignez les rangs de ceux qui résistent. Je me fais la voix de vos aïeux et de vous-mêmes. J'écris pour vous réunir car je suis une voix du passé. Celui qui fut votre origine. Je multiplierai mes écrits de jour en jour, sans répit, pour vous rejoindre, vous atteindre.
Votre unique héritage est dans vos gènes et dans vos idées, ne le perdez pas ! Faites circuler l'idée de votre résolution, par un geste, un regard, un mot.
Vous savez que la lutte est possible, il vous faut juste un premier pas, un pas de côté, hors du sentier balisé par les Dogms. Dans le niveau zéro de toutes les villes, nous sommes nombreux à vous attendre pour grossir nos rangs et organiser nos gestes, nos ripostes. Car moi, je ne suis que la voix, celle qui crie sans trêve dans l'obscurité. Malgré toute leur science, ils n'ont pu me faire taire ! Et malgré leur répression, je continue. Au-delà de la mort, ils ne pourront étouffer ma voix car ses mots sont inscrits dans les mémoires...
Lisez, partagez puis faites un pas de côté.
Du côté de la pénombre et du secret. Du côté de mon appel.
Je suis la voix de la liberté, de votre liberté !
Ombragez vos pensées face à l'ennemi, mais demeurez alerte et analysez tout ce que vous pourrez de vos tortionnaires : leurs armes, leurs machines, leurs installations, leurs sources d'énergie. Ensuite, un grain de sable, un boulon de moins : sabotez les installations ! Faites le pas de côté et venez dans la pénombre !
Nous combattrons à l'ombre pour atteindre la lumière.
L'humanité n'a jamais accepté de chaînes. Avec le temps et des sacrifices, nous saurons la libérer, lui redonner une société où l'âme humaine ne sera plus sacrifiée au bûcher de l'envahisseur.
Vous me donnez le nom de Moineau, un oiseau libre qui vit en groupe avec les siens.
Que la devise de notre nouvelle civilisation soit liberté !
La révolte doit commencer !
LIBERTÉ ! »
Je me relis.. Est-ce de la satisfaction intellectuelle, ce grésillement que je ressens ? Peu importe... Je passe la nuit à retranscrire sans relâche le même texte. Au matin, je monte sur les toits et du haut des corniches je lance mes papiers un à un, les pliant en formes aérodynamiques qui flottent un instant sur les montées d'air tiède avant de porter leur messages plus loin. J'admire un instant ces lieux sur lesquels je superpose les images du passé de cette métropole, comme...
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- Zut ! Pas moyen de leur échapper !
"Siiiift"
Le rayon vert du drone me frôle l'épaule alors que je place rapidement mon sac, avec ma Royale, sur mon dos avant de filer vers le toit suivant, quelques feuillets encore dans les mains.
Avec témérité, je saute sur le toit suivant, laissant s'envoler de mes mains quelques feuilles, oiseaux blancs qui accompagnent mon élan. En bas, je discerne du coin de l'oeil la file d'humains qui s'allonge vers l'entrée du Métro Champ-de-Mars. Quelques visages pâles se tournent vers moi, tout là haut : de futurs lecteurs ? Je le souhaite. Je me rétabli sur le toit précaire de l'immeuble voisin et m'apprête à prendre mon élan pour le building suivant, le Vieux Palais de Justice, qui possède, je le sais, un escalier en bon état pour rejoindre la terre ferme.
"Siiift"
Je cours, je vole...
Je suis le Moineau, symbole de la liberté !
Je m'envole et je..
"Siiift"
Ah ! ce n'est pas vrai... Je suis touché.
Ma main s'ouvre, les dernières pages s'envolent. C'est l'image qui envahit ma vision.
« Ce n'est pas la fin » est ma dernière pensée logique et cohérente.
Je grésille et je m'éteins.
** ** **
Les quatre Patrouilleurs s'approchent de leur victime. Ils l'ont enfin eu ! Ce satané Moineau dont les écrits inondent les bas-fonds de la ville tous les matins. Une ombre, un fantôme, un être qui a pris son envol pour la dernière fois.
Ils vont pouvoir l'identifier car le rayon semble l'avoir frappé de plein fouet au torse.
L'un des Patrouilleurs s'empare du sac et y trouve une vieille machine à écrire et un tas de feuilles blanches, il a donc eu le temps de faire sa distribution matinale !
On retourne la forme humanoïde qui gît sur le toit du Vieux palais de Justice. En son ventre brille la plaie béante où des petites lumières scintillent, quelques arcs électriques frémissent, un grésillement faible s'échappe, puis plus rien. Il est inerte !
- Un ccyborg humain ! s'exclame avec stupeur le Chef de la patrouille, ses crêtes luisants de sueurs.
- Voilà donc la raison de l'inefficacité de nos détecteurs, constate l'un des soldats. Son implant n'est pas fonctionnel depuis la deuxième vague de notre règne.
- Un robot secrétaire de la vieille génération, admire le plus jeune des soldats en regardant la main pentactyle qu'il tient avec déférence dans sa main à trois doigts.
- Ssoldat Ssâg ! réplique le Chef. Un peu de retenu où je vous octroie le même ssort que cce robot !
- Oui, Chef, se reprend le soldat en fermant ses doubles paupières en signe d'obéissance.
Il ressent l'impact de l'afflux positronique qui s'immisce dans ses pensées. Il se concentre pour ne pas flancher et bloquer les pensées dissidentes qui rôdent en lui depuis un certain temps déjà. L'influx cesse, le chef est satisfait de son examen.
Ce dernier découpe la gorge du cyborg d'un coup d'ongle tranchant et récupère une pièce métallique.
- Vous trois : ramener le corps et sson bagage en bas, déclare-t-il en observant son butin. Pendant cce temps, je communique la bonne nouvelle au Ccentral et leur demande de patrouiller le ssecteur avec les drones, on ne ssait jamais, il y en a peut-être d'autre. Vous me ramassserez tous les tracts que vous verrez enssuite. Allez hop ! Embarquez-moi tout ça !
Deux des soldats transportent la dépouille en passant par les marches intérieures de l'immeuble. Le dénommé Sâag s'occupe du sac en les suivant.
En approchant du porche du rez-de-chaussée, éventré et encombré de blocs de béton, le soldat Sâag porte les yeux sur le mur au côté de celui-ci. Sur les blocs de pierre, un écusson est encore visible, il y voit des silhouettes d'animaux qu'il ne connaît pas et un texte gravé qu'il lit furtivement, en fronçant les crêtes, car il n'a commencé à apprendre à lire que récemment, en cachette avec une collègue : « Je... m..me s..ou..vi..ens ». Il reste sceptique devant ses mots qui représentent maintenant assez peu l'espèce terrienne qui n'a plus aucun passé face à la suprématie des Dogms.
Il voit que ces deux congénères peinent à sortir le corps et ne s'occupent pas du tout de lui. Il ouvre le sac qu'il transporte et y fouille plus à fond. Ce Moineau s'adonnait à un commerce d'écriture pour lequel il aura sacrifié sa vie. Quel mystère ! Dans une pochette de côté, Sâag trouve des manuscrits à l'écriture ronde et régulière ainsi que des copies de divers textes dactylographiés. Son double coeur se débat en contre-temps, il jette un œil apeuré autour de lui, avant de glisser les papiers dans le côté de son manteau réglementaire. Il referme le sac. Puis, il prend une pause et s'octroit quelques instants pour reprendre une contenance et surtout le contrôle de son esprit en fermant ses doubles paupières. Lorsqu'il émerge de sa pause méditative d'arrêt, son visage est plat et sec. Imperturbable et insensible : un Dogms.
Il rejoint ses acolytes dans la ruelle sombre alors qu'un appel du chef retentit :
« Ssoldats, changement de programme : on déssintègre tout ssur place. Je veux que cela ssoit fait à l'insstant. Exécution ! »
Les deux soldats qui peinent sur le corps depuis le toit vont déposer leur fardeau dans un coin extérieur du bâtiment, suivi de Sâag. Ensuite, l'un d'eux se retourne vers le jeune soldat en lui plaçant le désintégrateur entre les doigts :
- On s'est tappé le corps depuis le toit... La désintégration te revient SSSSâaag ! ricane-t-il en s'éloignant avec son collègue.
Sâag regarde le dispositif de désintégration. Dans une pièce de désintégration, isolée et hyperventilée, cette manœuvre est déjà une saloperie, alors en plein air, même dans un coin de mur comme ici, ce sera la catastrophe ! Il sera bon pour un triple nettoyage en rentrant, les poussières s'immisceront entre toutes les interstices de sa peau à plaquettes, causant des démangeaisons irritantes et incurables. Il endurera ainsi plusieurs jours de désagréments en plus des risées de ses congénères.
- Attends qu'on soit loin, hors de portée ! lui crie l'un des soldats. On t'attendra au coin de la rue !
Leurs sifflements moqueurs s'éloignent. Il ne les entend plus. Le silence s'installe. Sâag se retourne vers le corps du cyborg, abandonné contre le mur de coin. Inerte, sans vie, la gorge et le ventre béant. Celui que les pensées des humains appelaient le Moineau ! Il lui ont coupé les ailes ! Il s'accroupit près de lui, replace la redingote et le bonnet rouge, croise les mains - comme elles on l'air vraies, intriguantes avec ses deux doigts de surplus... Il vient pour déposer le sac près du robot, puis se ravise. Il le cache derrière un éboulis. Cette machine et ces feuilles blanches : quel danger ! Il a en sa possession les derniers écrits. Il n'aura qu'à les jeter dans le premier désintégrateur mural ! En éloignant ainsi les papiers du processus de désintégration, il évite ainsi les pires poussières qui lui reviendraient dessus, celles d'origine organique, celles qui empestent tant ! Il y aura bien sûr le manteau et les gants, qui semblent en imitation de laine, mais ce n'est que du synthétique ! Comme le Moineau lui-même.
Il ajuste le désintégrateur, vise le cyborg et appuie sur le commutateur. Une lumière bleue enfle au bout de son arme puis se propage subitement vers sa cible. Un contre-coup sur le cyborg, qui passe par plusieurs teintes de bleu, vert et jaune puis un bruit de chuintement retentit alors que le flux poussiéreux s'étire et fonce avec force vers Sâag. Le Dogms a ancré ses pieds griffus au sol et fermé hermétiquement toutes ses orifices. Il attend quelques instants que la poussière retombe puis ouvre une paupière : il ne reste plus du Moineau qu'un nuage blanchâtre et argenté qui scintille dans les rares rayons de lumière venant des ruelles verticales. Sâag lui-même se retrouve blanchi et légèrement brillant.
Voilà ! Le Moineau s'est envolé. « Je me souviens ».
En se secouant, il va rejoindre ses compatriotes. Lorsqu'il rejoint le reste de ses compagnons de Patrouille, ils lui portent un rictus méprisant mais continuent leur échange :
- ...qu'il n'ait été programmé pour transmettre les tracts qu'il composait automatiquement, dit l'un d'eux.
- Un cyborg si vieux ! Impossible ! Les programmes seraient rouillés !
- Mais tout ces hasards semblent un peu trop bizarre. Des oiseaux de liberté - Corbeau, Mouette, Chouette et autre volatiles - ont déjà été signalés dans une vingtaine de ville, parfois simultanément, et souvent après que l'on ait signalé leur désintégration.
- Des oiseaux qui reviennent de leurs propres poussières ! ricane celui qui prend les commandes de leur graviton.
Leur chef embarque à son tour et les toise sévèrement.
- Ssoldats, ssoyons fier car nous ssommes la première Patrouille à coincer un de cces oisseaux de malheur et à pouvoir en identifier la nature. Et ssi j'en juge par votre état Ssâag, ajoute-t-il avec un ricanement, il n'est pas prêt de revenir voler par ici. On croyait qu'il s'agissssait d'un groupe organissé, mais grâce à notre action d'aujourd'hui, nous ssavons maintenant qu'il ne ss'agit probablement que d'un vice de programmation d'un très vieux modèle. J'ai gardé sson implant, ajoute-t-il en montrant l'objet qu'il a retiré de la gorge du cyborg, on pourra peut-être les retracer.
Un drone arrive au-dessus de leur véhicule puis repart vers l'ancestral palais de Justice. Sa lumière éclaire un instant le vieux bâtiment. Sâag suit le trajet du rayon lumineux qui révèle un instant toute la majesté des lieux... Un Phœnix qui revient pour propager l'histoire des siècles passés. Les feuillets sur son flanc diffusent une chaleur intense.
- Les drones ne trouveront rien selon moi Chef, dit l'un des soldats. De tels cyborgs, il ne doit pas en subsister des masses. Et les humains n'ont sûrement rien remarqué.
- Vous avez bien raisson, cet oisseau n'aura pas eu la vie ssi prosspère car...
Sâag perd la suite du discours de son chef en portant son regard sur la foule humaine qui se déplace vers le métro Champs-de-Mars, alors que leur graviton prend de l'altitude pour gagner les étages supérieures.
Il aperçoit alors deux silhouettes qui quittent la file vers le métro et gagnent subrepticement l'abri des décombres dans le fond d'une ruelle...
Ils répondent à l'appel du Moineau.
Sâag, après avoir vérifié qu'il est bien le seul à avoir vu leur pas de côté, se permet un rictus, qui pourrait passer pour un sourire selon les critères humain, et demeure silencieux. Il n'avise pas son supérieur. Contrôlant ses vagues positroniques qui s'emballent, il se contente de poser sa main tridactyle sur la paroi translucide du graviton. Ce toucher froid l'aide à isoler ses pensées derrière une muraille aussi dense et inerte. Il a pris sa décision : il reviendra chercher le sac et l'intriguante machine qu'il contient lors de sa prochaine permission. Une perpective bien plus exaltante que d'arpenter les rues ensoleillées et barbantes de la surface de la cité Dogms. Peut- êtreque sa collègue avec qui il apprend à lire le langage humain voudra bien l'accompagner. Elle est si différente des autres...
« Je me souviens ».
** ** **
Troisième sous-sol de Paris.
La vieille dame aux multiples bâtiments légendaires, effondrés depuis des centaines d'années, est surplombée par les constructions des Dogms et ne vit plus des jours de lumières. L'Arc de triomphe ne surplombe plus que des ruines alors que le châssis de la Tour Eiffel soutient une partie d'un sous sol supérieur. Non loin de ses arches rouillées, au fond d'un atelier d'imprimerie oublié dans un ancien gratte-ciel aux fenêtres éventrées, un robot secrétaire s'éveille à la vie.
Il ignore encore qu'un autre oiseau de liberté a erré plus de deux cents ans dans cette cité oubliée et qu'il en sera l'héritier. Ils ont en commun un programme crée par un obscur scientifique littéraire, directeur responsable d'un projet expérimental d'écriture historique cybernétique.
Sous l'effet du signal d'un satellite qui tourne autour de la planète en un mouvement sans fin, sa puce se met à jour... et reçoit des siècles de mémoire. Les datas s'envolent vers son dispositif implanté dans son cou en un flot ininterrompu depuis tous les nuages mémoriels accumulés par les différents oiseaux dispersés dans les grandes villes : New York, Moscou, Pékin, Montréal, Sydney... ce sont les traces des vols des Mouette, Chouette, Aigle, Moineau et...
« Mise à jour complétée. Bonjour Condor ! »
Sa carcasse dénoue ses articulations sous son costume officiel, neuf mais poussiéreux. Son visage, et semblable à celui d'un humain, mais glabre et au tatouage remarquable sous le menton, observe un instant son environnement.
– Activation des consignes du prédécesseur, ordonne-t-il à voix basse.
«Décryptage en cours» lui répond une voix numérique dans son crâne.
Il reçoit l'historique, les actions et la bibliothèque littéraire du précédent Condor, ainsi que de tous les autres avant lui. En un temps record d'analyse, il acquiert la certitude logique de la nécessité de sa tâche dans cette époque de l'humanité.
Il brûle d'envie d'écrire, de propager l'histoire, de réagir à son milieu, d'observer les humains et de noter les évènements de la société dont il est issu. Il fera tout pour accomplir son rôle primordial de promoteur et de catalyseur de la société humaine.
Il se dégage alors de son atelier poussiéreux et arpente les pièces de l'édifice. Il restera insatisfait tant qu'il n'aura pas découvert une Remington ou une Olivetti.
Il reprend là où son prédécesseur a été stoppé.
C'est le Condor qui renaît de ses cendres, un autre des Phoenix de la Liberté.
** ** **
À l'abri d'un éboulement du Vieux Palais de justice de Montréal, un doigt recouvert de plaques rugueuses réussit avec difficulté à enclencher la dernière touche mécanique de la vieille Royale pour former un mot qui se détache en noir sur la feuille de papier jauni :
« LIBERTÉ ».
- Sâag, que veux dire ce mot ? Je ne te l'ai pas appris il me semble.
- Si tu peux me promettre de bien fermer ton esprit avec les autres, je vais te faire lire un texte qui devrait te faire comprendre.
- Je promets. Alors montre-moi.
Sâag prend une pause pendant laquelle il admire la lueur orangée des crêtes de la jeune Dogms :
- Biâk, que sais-tu de l'arrivée des Dogms ?
- Nous avons sauvé cette espèce de l'extinction. Allez, montre-moi ce texte !
Le doigt de Sâag pointe doucement vers le mur du Palais de Justice. Le texte de pierre y subsiste depuis une époque lointaine. D'une voix impérative, Sâag déclare :
- Se souvenir est une richesse que s'il est juste.
- Ce n'est qu'une inscription ! Ce n'est pas un texte !
- Mais sa signification est aussi importante que le mot que je viens d'écrire avec cette machine. Le passé existe et on doit s'en souvenir pour aller de l'avant. Pour affronter l'avenir.
- Les Dogms n'ont pas de passé, tu le sais bien, seule l'avenir compte, riposte Biâk en fronçant ses crêtes avec un air ingénu qui émeut davantage Sâag.
- Et tu m'as appris un langage et une écriture qui n'existeraient plus sans le souvenir.
- Tu as probablement raison, admet doucement la Dogms. Cette écriture est chargée d'un passé dont je ne me rendais pas compte jusqu'à ce que tu m'emmènes ici.
- C'est une histoire qui est liée à cette planète. Nous l'avons ignorée et détruite. Nous ne l'avons pas respectée...
- Res...pect..tée ? hésite la voix rocailleuse de Biâk.
- Oui, une notion qui permet la Liberté...
- Et ce cyborg que tu as désintègré, il avait les deux ?
- En quelque sorte.
Devant l'air sceptique de son amie, Sâag se décide à extirper du côté de son manteau, une mince feuille couverte de la typographie roulée du Moineau, l'un de ses nombreux message. Il l'étend devant eux, éclairant la page avec la lampe solaire qu'il a prise plus tôt près du tunnel de lumière.
- Laisse-moi te montrer...
Et c'est ainsi que, dans les ruines de l'antique métropole de l'Amérique du Nord, deux Dogms se penchent, épaule contre épaule, pour déchiffrer laborieusement le texte qui transmet les traces de l'histoire de l'humanité.
Ces feuillets, laissés par le Moineau pour témoigner du passé afin de redonner l'élan à la Liberté de l'espèce humaine.
« Je me souviens »
De la pénombre revenir à la lumière.
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