Chapitre 31

Valentin se tient devant un public déchainé. Toute la soirée, les fans l'ont accompagné avec ferveur sur chacun des morceaux, entonnant même les plus récents.

Quand la foule lui dévoile des visages, il ne peut s'empêcher d'y lire les émotions qui les traversent. Il y a ceux qui rayonnent, ceux qui pleurent, ceux qui s'égosillent et ceux qui pétillent. Chacun d'entre eux lui renvoie les raisons pour lesquelles le métier qu'il a choisi est sa vocation.

Malgré sa joie de partager cet instant unique avec ceux qui le soutiennent et l'excitation qu'il réserve à la scène, il ne se sent pas comblé. Comme si son bonheur était incomplet.

Il a beau user de toutes ses forces pour rester professionnel, tout dans cette salle lui rappelle l'absence de celle qui n'a pourtant jamais quitté ses pensées. Les images de son premier concert à ce même endroit hantent son esprit. Sa main le démange au souvenir du contact de la sienne ce soir-là. Son cœur frissonne au souvenir de cet instant où leurs regards se sont croisés. Elle lui manque.

Le label, son producteur, son agent, les ingénieurs du son... Tous vont le détester pour ce qu'il s'apprête à faire.

Alors que la musique du prochain et dernier morceau prévu débute, il fait signe aux musiciens de s'interrompre et prend le micro. Une vague de courage inonde son cœur. Elle doit savoir. Peu importe qu'elle ne soit pas présente ce soir ; si le message doit lui parvenir, il l'atteindra.

« Il faut que je vous avoue quelque chose. Il y a environ un an, j'ai rencontré une personne extraordinaire. Le genre qui vous écoute et vous comprend sans vous juger. Le genre qui, quoi qu'il arrive, vous pardonne et sera toujours là pour vous. La meilleure amie que je n'ai jamais eue. »

Le silence dans la salle est palpable. Pendu à ses lèvres, le public absorbe chacun de ses mots.

« Si dans votre vie vous rencontrez une telle personne, surtout ne la laissez pas partir. Quand on a trouvé un trésor, on ne l'abandonne pas sur le bord du chemin au premier obstacle venu. On se bat pour lui. Parce que cette personne vaut la peine que l'on se batte pour elle, même si vous n'êtes qu'un idiot. »

Devant une assemblée médusée, Valentin se met à gratter les premiers accords de la chanson qu'il se prépare à révéler publiquement. Celle qu'il a écrite en une soirée, laissant son stylo inscrire les mots sur son carnet et laissant ses doigts composer la mélodie. Il aurait tant aimé qu'elle soit là et qu'elle l'entende. Il aurait tant aimé la lui chanter.

« Malgré ce que te dira le lapin blanc

Je sais que mon pays des merveilles est effrayant

Il n'est même pas si brillant

Mais ma vie elle est bien réelle

Malgré les spots et la scène

Malgré les flashs et la fame

Ma vie elle est bien réelle

Sans chenille qui parle, sans chat rayé ou chapelier

Et ça m'rend fou, je l'avoue

Ces deux mondes si difficiles à concilier

Pourtant ma voix c'est à toi que je la voue

Et même si ces paillettes me collent à la peau

Si je ne peux t'en préserver

Et même si vivre ici n'est pas de tout repos

Si je suis confronté à tout ce que je ne peux t'éviter

Je veux croire qu'entre nous rien n'est impossible

Laisse-moi un instant nous rêver invincibles

Faisons abstraction de nos différences

Cela apparaîtra comme une évidence

Je sais que mon pays des merveilles est effrayant

Que le tien est bien moins extravagant

Alors laisse-moi bâtir une île pour nos deux âmes

Mettons les voiles, partons loin des drames »

Au milieu de la foule, une jeune femme à la chevelure brune retire ses lunettes embuées par l'émotion. Elle n'a pas pu résister, elle est venue. Elle ne sait pas trop pourquoi, mais elle avait besoin d'être ici ce soir. Elle avait besoin de le voir.

Jamais Alice ne se serait attendue à une telle déclaration. Une explosion de sentiments difficiles à cerner s'empare d'elle. C'est fort. Bien plus fort que la musique qui s'échappe des enceintes. Trop fort pour qu'elle ne le garde en elle.

Il ne la voit pas. Il ne sait pas que parmi tous ces visages attentifs se trouve le seul qu'il voudrait apercevoir ce soir. Il ne se doute pas qu'elle entend chaque parole, que chaque note résonne dans sa poitrine et que chaque mot s'inscrit profondément dans son cœur.

⭐​⭐​⭐​

Le concert fini, Alice joue des coudes pour se faufiler jusqu'à l'accès qui mène aux coulisses. Quand elle atteint enfin la corde en velours rouge suspendue entre deux poteaux dorés, elle n'a pas le temps de la franchir qu'un agent de sécurité l'intercepte, rompant brusquement son entrain.

« L'accès est interdit, la somme-t-il en lui barrant le passage.

— Il faut que je voie Valentin.

— Qui ?

— Val. Il faut que je lui parle.

— Vous ne pouvez pas passer, mademoiselle. Vous le verrez à la séance de dédicace qui se tiendra juste à côté.

— Mais je dois le voir maintenant. »

Il doit sûrement la prendre pour une fan délurée, mais elle ne s'en préoccupe pas et cherche déjà un autre moyen d'aboutir à ses fins.

« Alice ! Tu es venue ! » s'exclame une voix enfantine derrière l'armoire à glace.

Ethan et ses parents font leur apparition, radieux.

« Elle est avec nous, indique Mme Ledoni au vigile.

— Si elle n'a pas de badge, elle ne peut pas passer.

— Je suis désolée, Alice, dit-elle, ennuyée.

— Vous savez où est Valentin ? leur demande-t-elle par-dessus la barrière.

— Il est dans sa loge, on vient de le voir. Je pense qu'il sera ravi d'apprendre que tu es là.

— Tu as vu ? s'enthousiasme Ethan. Il est amoureux. Et il l'a dit à tout le monde ! Tu vas lui dire que tu l'aimes aussi ?

— Je ne sais pas. À vrai dire, je n'ai pas vraiment réfléchi à ça. Et puis, à quoi bon, si je ne parviens pas à l'atteindre ? »

Elle aperçoit dans le regard d'Ethan une lueur dont elle comprend immédiatement la signification. Il vient d'avoir une idée et, quoi qu'elle fasse, il est déjà trop tard pour l'arrêter. Le veut-elle seulement ?

Le petit garçon s'approche du vigile et tire sur sa manche en lui offrant ses plus belles larmes de crocodile.

« J'ai perdu mes parents. » geint-il sous les yeux ébahis de ces derniers.

Il réussit étonnamment à attendrir le colosse qui détourne son attention vers lui.

Alice saisit alors l'occasion pour enjamber la corde et se mettre à courir. Jamais elle ne se serait crue capable d'un tel exploit délictueux.

« Hé ! tonne une voix derrière elle. Arrêtez-vous ! »

Devant son refus d'obtempérer, trois agents de sécurité aussi imposants que le premier se lancent à sa poursuite.

« Attrapez-la ! »

Elle parcourt les couloirs en essayant de s'orienter, à l'affût du moindre indice de la présence de l'artiste derrière l'une des portes qui s'alignent. Alors que ses chasseurs se rapprochent, elle désespère d'atteindre son but.

Alerté par les cris et les bruits de course, Valentin ouvre la porte de sa loge. À peine en est-il sorti qu'une tornade brune le heurte violemment, l'emportant dans sa chute. Les vigiles profitent de cet accident inopiné pour se saisir de la jeune femme.

« Alice ? s'étonne le chanteur en se relevant.

— Ne vous en faites pas, on va s'occuper d'elle.

— Non, laissez-la. Je m'en charge. »

Alors même qu'elle est encore maintenue par les agents de sécurité, ils échangent un regard électrifiant. Elle est relâchée à contrecœur par ses poursuivants, peinés par la manière dont se soldent leurs efforts.

« Entre, se contente-t-il de lui dire en lui indiquant la porte ouverte.

— Je suis désolée de vous avoir fait courir, messieurs, s'acquitte-t-elle avant de s'exécuter.

— Tu viens réellement de réussir à forcer le passage de la sécurité ? la questionne-t-il une fois qu'ils se retrouvent seuls.

— Disons que j'ai reçu l'aide d'un petit lutin qui s'est découvert un surprenant talent de comédien. »

Il rit doucement avant de plonger à nouveau ses yeux dans les siens. Sa présence le soulage, mais il n'ose s'avancer sur ce qu'elle signifie. Va-t-elle lui briser le cœur une seconde fois ?

« J'ai écouté ta chanson. » dit-elle simplement.

Elle reste immobile. Son regard ancré dans le sien, Valentin s'approche d'elle et lui prend les mains. Elle ne les retire pas, et ce contact lui donne un peu plus de contenance.

« Jamais je ne te demanderai de changer pour moi. J'apprécie celle que tu es et je n'ai aucune envie que tu deviennes une autre. Je tiens à toi, Alice. Et si ce que tu appelles mon monde ne te convient pas, je suis prêt à m'en éloigner assez pour qu'il ne t'affecte pas, si c'est pour être avec toi.

— Je ne peux pas imaginer un seul instant te demander d'arrêter ce qui te fait vibrer, ce pour quoi tu es fait. Je regrette ma réaction lors de cette soirée, tu sais, et j'y pense sans arrêt. En réalité, j'ai eu peur. Peur de ne pas y être admise, mais surtout peur de ne pas être assez bien pour toi. Tout était si nouveau, si soudain et je n'avais ni code ni repère pour m'en sortir.

— Tu es bien plus qu'assez bien. Je m'en veux de t'avoir infligé tout ça.

— Je veux bien croire que tu le penses, mais je ne suis pas sûre que tu saches ce que ça implique d'être avec moi. Tu pourrais trouver mille filles bien plus à l'aise que moi, qui ne te feraient jamais honte et seraient parfaites sur les photos.

— Peut-être, mais il n'y a que toi que je veux. Je n'ai pas besoin de mille autres filles.

— Mais...

— Arrête. Aucun de tes arguments n'arrivera à me convaincre de ce dont je doute que tu sois toi-même convaincue. Ça fait plus de deux mois que je ne t'ai pas vue et tu n'es pas sortie de ma tête un seul instant. Avant ce séisme, tout était parfait entre nous. Je ne veux rien t'imposer, mais je ne veux pas vivre un jour de plus sans que tu saches ce que je ressens. Je ne peux pas renier mon monde et tu ne peux pas renier le tien, soit. Mais qu'est-ce qui nous empêche de vivre dans le nôtre ? Celui où il n'y a que toi et moi qui comptons, celui où nous pouvons laisser le reste à l'extérieur. Je crois que ça vaut la peine d'essayer, Alice. Je crois que je t'aime. »

Il attend sa réaction, plein d'espoir. Ces mots ne lui ont pas échappé, non, il les pense réellement. Alice se fige, ne sachant quoi répondre. Tout s'emmêle dans sa tête, ses émotions, ses sentiments, ses sensations et la déclaration de Valentin. Dans ce brouillard de pensées, elle décide de délaisser son cerveau trop embrouillé pour consulter son cœur. Celui-ci ne lui inspire aucun mot, mais lui donne toutes les réponses qu'elle cherche.

Elle le regarde, s'avance et rompt la distance qui les sépare en posant ses lèvres sur les siennes. Une décharge parcourt leurs deux corps, les apaisant autant qu'elle les embrase. La main de Valentin se loge dans son dos pour l'approcher davantage de lui. La tendresse de leurs étreintes lui avait manqué.

« Ce que je ressens est si fort que j'ai l'impression qu'un incendie brûle ma tête comme mon cœur. Je n'ai pas ton talent pour manier les mots, mais je peux te dire une chose. Oui, je crois que ça vaut la peine d'essayer. »

Toujours contre lui, elle fixe le mur qui lui fait face.

« Je crois que je t'aime aussi. » murmure-t-elle presque.

Serrés l'un contre l'autre, armés de nouveaux espoirs et prêts à tout affronter ensemble, Valentin et Alice sont déterminés à faire de la collision de leurs deux mondes le plus beau des feux d'artifice.

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