Chapitre 24

Aujourd'hui, Alice a rendez-vous avec son mercenaire préféré. Il a beau être tombé d'un pont en étant sacrément amoché, il est la tête d'affiche de ce second film. Il devait être solidement doué en natation.

Avant de se rendre au cinéma, elle s'arrête au studio d'enregistrement de Valentin afin qu'ils fassent la route ensemble. Arrivée devant le bâtiment, elle lui envoie un message pour lui signaler sa présence. La façade est semblable à tout autre immeuble parisien. Seule une plaque discrète indique l'activité de l'entreprise qui se trouve derrière ces murs.

La réponse du chanteur ne tarde pas, mais ce n'est pas son téléphone qui la lui donne. La porte s'ouvre sur ce dernier, qui l'invite à entrer.

« Entre, j'ai presque terminé. Il me reste encore une prise à faire, ça ne te dérange pas de patienter ?

— Pas de souci, tu préfères que j'attende dehors ?

— Non, suis-moi. Je vais te montrer les coulisses de la préparation d'un album. »

Il la conduit jusqu'à une salle portant l'inscription "01". À l'intérieur, Alice est impressionnée par le design à la fois moderne et chaleureux des lieux et les équipements qui s'y trouvent. La partie régie est dotée d'une imposante table de mixage, d'ordinateurs et d'enceintes. Après lui avoir rapidement présenté l'ingénieur du son aux commandes de la console, Valentin entre dans la cabine qui se situe derrière la vitre.

« Tu es prêt ? » questionne le technicien.

Le chanteur lève le pouce en guise de réponse et la musique se met à résonner simultanément dans la régie et dans son casque. Il commence à chanter. C'est à ce moment-là que la magie opère.

Alice ne prête aucune attention à l'homme qui manipule des boutons et pianote sur son clavier à côté d'elle. Les yeux rivés sur Valentin et sans qu'elle s'y attende, elle se retrouve subjuguée par le spectacle. Elle en oublie presque de respirer.

Sous un éclairage propice, toute la beauté de l'artiste transparaît. Celle de sa voix si juste et si mélodieuse caressant les oreilles, celle de ses paroles si profondes et significatives et celle de son visage concentré aux traits pourtant si détendus.

À la fin de sa prestation, le sourire qu'il lui adresse à travers la vitre manque de lui faire rater un battement de cœur. Celui qu'elle lui renvoie maladroitement est plus crispé qu'amical.

« Beau travail. On a fini pour aujourd'hui ! »

La jeune femme reprend seulement ses esprits lorsque la porte de la cabine se referme et que Valentin apparaît de nouveau à ses côtés.

Que s'est-il passé ? Sur quelle planète s'est-elle absentée ?

« Impatiente de connaître la suite ?

— De quoi ? Ah oui, oui. Note que je ne sais pas par quel miracle j'ai réussi à survivre jusqu'ici, se ressaisit-elle. Mon petit cœur aurait eu du mal à tenir plus longtemps.

— Je crains que celui-ci ne l'épargne pas non plus. »

L'épisode de son égarement est très vite relégué au second plan pour qu'elle profite de sa soirée cinéma. Elle préfère ignorer cette curieuse réaction qu'elle ne saurait expliquer.

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Leurs billets en main, ils jettent leur dévolu sur une place de choix et s'y installent confortablement. Étant donné qu'il s'agit du troisième jour de projection du film et malgré son succès, le lieu n'est pas très bondé. Au grand plaisir de Valentin qui se permet de retirer son couvre-chef dès que la salle s'obscurcit. Il ne l'a pas avoué à Alice, mais cela doit faire une éternité qu'il ne s'est pas rendu dans un cinéma.

Les réactions de sa voisine de fauteuil sont tout aussi divertissantes que les images qui défilent à l'écran. Il s'amuse de ses grimaces alors qu'elle est plongée dans une scène de combat. Elle est aussi expressive que lorsqu'ils ont visionné le film précédent.

Sans qu'il s'en rende compte, il se laisse aller à ses pensées. Cette fille est fascinante. Elle est drôle et ne se complique pas la vie, ni ne s'embarrasse de rancunes inutiles. Tout a l'air si simple, avec elle. C'est une amie hors pair. N'est-ce pas, Valentin ?

Lorsqu'il reporte son attention sur l'écran, sa difficulté à comprendre le cours des événements lui indique qu'il en a détourné les yeux plus longtemps qu'il ne le croyait.

« Et vas-y que je te remets du suspens, râle Alice alors que le générique de fin débute.

— Déçue ?

— Le film était quand même incroyable. Ils réussissent à faire d'un scénario simple un chef-d'œuvre grâce à une mise en scène prodigieuse.

— Eh bien je suppose qu'il ne nous reste plus qu'à attendre la suite.

— On ira la voir ensemble, hein ?

— Promis. »

Sur cette promesse et en l'absence de scène post-générique, les deux amis se rendent chez Valentin. Non seulement par habitude, mais aussi par logique de proximité avec le cinéma. Alice savoure cette nouvelle soirée en compagnie de l'artiste. Malgré sa fatigue de fin de semaine, elle n'a aucune envie de rentrer chez elle.

« Tu m'as trouvé comment, en studio ? questionne son hôte en lui servant un verre d'eau.

— Tu étais bien, répond-elle prestement alors que le souvenir de sa réaction ressurgit dans son esprit.

— Bien ?

— Je veux dire, tu étais à fond dans ton texte et dans ton chant. C'était comme si tout le reste avait disparu. »

Enfin, surtout pour elle.

« C'est vrai, parfois c'est un peu la sensation que j'ai. C'est agréable, de se laisser porter.

— Et c'est comme ça que tu arrives à faire voyager les autres avec toi. »

Souhaitant éluder la conversation sur ce moment qui l'a troublée, son regard examine la pièce à la recherche d'un autre sujet de discussion. C'est un calepin négligemment posé sur la table basse qui retient son attention.

« C'est quoi, ça ?

— Un carnet. Mon carnet. J'y note des idées, des mots, des pensées... Ce qui me passe par la tête. Certaines phrases se transforment en chansons, d'autres sont destinées à ne pas quitter ce papier.

— Je peux regarder ?

— Oui, vas-y. C'est un peu brouillon, par contre. »

Alice parcourt les pages et savoure chaque mot tandis que leur auteur l'observe lire en silence. Il vient de la laisser s'immerger dans une partie plus qu'intime de sa vie. Qu'ils soient mélancoliques ou joyeux, ses écrits sont tous très personnels.

« Valentin, c'est... c'est magnifique. Ces émotions que tu fais ressortir, la justesse avec laquelle tu analyses tes sentiments, la vie, les gens, ta capacité à poser des mots, des beaux mots pour exprimer tout ça... C'est extraordinaire. »

Le silence revient après sa déclaration. Au lieu de répondre immédiatement, Valentin s'en imprègne, ses yeux plongés dans ceux d'Alice. Sans le vouloir, son regard trouble la jeune femme presque autant que les notes qu'elle vient de lire. La bouche entrouverte, son souffle se coupe un bref instant alors qu'elle le fixe également.

« Ce que tu viens de lire... Personne n'y a jamais posé les yeux. J'ai toujours voulu le garder pour moi. Peut-être parce qu'il s'agit de mon jardin secret ou peut-être par crainte de la réaction des autres, mais la tienne était juste... parfaite. J'ai l'impression que personne d'autre ne pourrait en être à la hauteur.

— À vrai dire, je n'ai pas trop réfléchi. Je me suis sentie transportée alors j'ai dit ce que je ressentais.

— Et merci pour ça. »

Ils échangent un sourire. Le même que dans le studio d'enregistrement, quelques heures plus tôt. Celui de Valentin doux et chaleureux, et celui d'Alice crispé et maladroit.

Si le chanteur quitte enfin la jeune femme des yeux après une éternité, cette dernière continue de l'observer distraitement.

« Je n'avais pas vu l'heure. Heureusement que l'on ne travaille pas demain, baille-t-il en s'étirant.

— Je vais peut-être...

— Tu veux dormir ici, ce soir ? propose-t-il spontanément. J'ai une chambre d'amis qui ne sert quasiment jamais.

— Je... hésite-t-elle. D'accord, bonne idée. J'avoue que je n'ai pas vraiment la motivation de rentrer. »

Elle se laisse tomber dans le lit confortable, contente de sa soirée, bien que légèrement troublée. Elle n'est pas au bout de ses peines, car au moment de fermer les yeux, ce n'est pas le mercenaire sans peur qui apparaît dans son esprit, mais, ô surprise, un chanteur au grand cœur. Elle le revoit en train de chanter, puis son sourire revient la perturber. Elle s'efforce de rappeler à son cerveau qu'il est temps de dormir, et non de faire une relecture de sa journée.

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