Chapitre 23
Valentin : J'ai un peu de temps, tu veux qu'on se voie ?
Alice : Je suis chez moi avec Jérémie, tu veux passer ?
Valentin : Je ne veux pas te déranger.
Alice : Non, passe. Je te le présenterai.
Valentin : Je suis en bas de chez toi dans 10 minutes.
Les présentations faites, Alice offre à ses deux amis les chaises du studio et s'assoit sur le lit. La taille du logement force la proximité, mais l'ambiance n'en est que plus conviviale.
« Et cette application dont tu m'avais parlé, tu en es où ? questionne Jérémie.
— Quelle application ? s'enquiert Valentin.
— C'est un projet sur lequel je travaille depuis le début de l'année, pour une association. Ça a été un peu laborieux un temps, mais j'en vois le bout.
— Et en quoi elle consiste, cette application ?
— Son but est de recréer du lien social avec les personnes isolées ou sans abri, mais aussi entre voisins d'un même quartier. Il y a la possibilité d'échanger des services ou de partager des activités et une messagerie pour discuter et faire des rencontres. Les fonctionnalités sont assez variées, par exemple les utilisateurs vont pouvoir faire les courses d'un autre, proposer des dons alimentaires ou encore du covoiturage. Là, je travaille sur l'espace où ils pourront être mis en relation avec des bénévoles ou d'autres associations, selon leurs besoins. Et puis, il y aura aussi la possibilité pour les commerçants et les professionnels de faire des dons matériels ou de rendre service. Tout ça localement.
— Et tu fais ça gratuitement ? C'est du travail de pro !
— Ça me permet de me sentir utile et de mettre mes compétences au service d'une bonne cause. Sans compter que ce sera chouette sur mon CV.
— Et comment tu crées ça ? Je veux dire, il doit y avoir plein d'étapes dans le processus.
— En effet, et ce qui est intéressant, c'est que ça mobilise des domaines de compétences différents. Au tout début, il faut définir l'objectif de l'appli, faire une liste de ce qu'on veut y mettre et avoir une idée des besoins des futurs utilisateurs. Après seulement, on peut créer le prototype. En gros, définir ce qu'il se passe quand on clique sur tel ou tel bouton. À ce stade, c'est surtout des fiches et des schémas. Le but est de rendre l'utilisation simple et facile. Ensuite, j'ai travaillé avec un designer pour toute la partie visuelle, ce qu'on appelle interface. Puis vient le moment de développer les fonctionnalités de l'appli. Donc ça va être du code, du code et du code, mais aussi des tests pour s'assurer que tout fonctionne. »
Valentin écoute avec attention, captivé par les explications de son amie. Il est frappé par la passion qui transparaît dans son expression, mais aussi par sa capacité à rendre accessible un discours pourtant technique. Elle est douée et elle aime ce qu'elle fait, ça se sent.
En croisant son regard, Alice craint d'être partie trop loin dans ses explications, ce qui a tendance à lui arriver quand un sujet l'anime. Avec cette interprétation, sa peur d'ennuyer ses interlocuteurs revient au galop. Lorsqu'elle se rend compte qu'elle s'est emballée, elle a tendance à se concentrer sur la probabilité que ce qu'elle raconte n'enthousiasme qu'elle et à douter de sa capacité à intéresser d'autres personnes.
« Désolé, je parle trop, je t'ai perdu, s'empresse-t-elle de s'excuser.
— Non, pas du tout. Continue, c'est super intéressant. On sent que tu es passionnée, c'est génial. C'est fou comme tu arrives à nous transmettre toutes ces infos avec des explications claires alors qu'en vrai, ça doit être bien plus complexe. »
Si elle n'a pas remarqué le regard aussi admiratif qu'intense de son ami, ce dernier n'a pas échappé à Jérémie.
À peine le chanteur a-t-il quitté les lieux pour retourner travailler qu'il se plante devant Alice.
« Il ne le sait peut-être pas, mais il est à fond sur toi, affirme-t-il, sûr de lui.
— Qu'est-ce que tu racontes ? Nous sommes juste amis. Il ne me voit pas autrement, et moi non plus.
— Crois-moi, je sens ces choses-là.
— N'importe quoi. Vous essayez tous de me caser avec lui, alors que notre amitié est juste formidable.
— Tant mieux. Au moins, je pourrai dire que je le savais quand vous vous mettrez ensemble.
— Je te présente mes excuses par avance pour la déception que je risque de te causer. »
Alice s'amuse des raccourcis que font ses amis, mais a bien peur de finir par s'en lasser. C'est l'une des plus belles amitiés qu'elle est parvenue à tisser par elle-même, sans qu'il s'agisse d'un camarade de classe qu'elle est forcée de côtoyer quotidiennement ou d'un ami d'ami. Elle y tient, et elle espère qu'il y tient au moins autant qu'elle. Alors, qu'est-ce donc que cette obsession à leur prêter des intentions qu'ils n'ont pas ?
⭐⭐⭐
Après une soirée de travail, Valentin a la surprise de trouver Stacy devant chez lui. Celle-ci n'attend pas qu'il lui propose d'entrer pour se le permettre.
« Que fais-tu ici ? Tu n'as pas reçu mon message ?
— Il faut que je t'avertisse, cette fille est une hypocrite et une profiteuse. Je sais que vous vous voyez toujours et je veux que tu fasses attention à toi.
— Je t'ai demandé d'arrêter de la harceler, pas de venir m'exposer ton opinion sur elle. Quant au fait que nous nous fréquentions ou non, ça ne te regarde pas le moins du monde.
— Elle te manipule, Valentin. Elle s'intéresse à toi uniquement pour ton argent et ta célébrité. C'est juste une groupie comme une autre.
— Tu ne la connais pas. Et la plus manipulatrice de vous deux, ce n'est certainement pas elle. Je ne te pensais pas capable d'autant de mesquinerie.
— Je suis capable de beaucoup pour toi, tu devrais en être touché.
— Je ne trouve pas ça le moins du monde touchant. Alors si tu tiens à ce qu'on garde un semblant d'amitié, arrête immédiatement de t'en prendre à Alice.
— Sinon quoi ?
— Sérieusement, il n'y a que les menaces qui peuvent fonctionner avec toi ? »
Il ne masque pas la déception qui se manifeste sur son visage. Même si ses sentiments ne sont plus les mêmes, il n'a pas cessé de l'estimer. Mais son comportement n'a rien de louable, et le fait qu'elle en vienne à attaquer personnellement son amie ne lui fait que perdre davantage de crédit à ses yeux.
« Ce n'est pas mon genre de me laisser faire quand on me prend ce qui...
— Ce qui quoi ? Ce qui t'appartient ? Mais je ne t'appartiens pas, Stacy. Je ne t'ai jamais appartenu. C'est donc ça, la vision que tu as de moi ? Un objet de ta possession ?
— Ce n'est pas ce que je veux dire, et tu le sais très bien.
— Au contraire, vu le visage que tu montres ces derniers temps, je suis plutôt persuadé d'avoir vu juste. Alors, sors de chez moi et laisse Alice en paix. Et moi aussi, si possible. »
En colère et blessée dans son ego, Stacy quitte l'appartement de son ex-petit ami en claquant bruyamment la porte. Pour elle, l'éloignement et le comportement de Valentin sont liés à cette fille. Elle lui a volé son petit ami et elle ne perd rien pour attendre. Tant pis si Valentin la déteste pour ça, elle doit dévoiler son vrai visage.
⭐⭐⭐
C'est d'ailleurs auprès d'elle que le concerné se confie sur cette entrevue non désirée, alors qu'ils déjeunent ensemble quelques jours plus tard.
« J'ai vu Stacy, l'autre jour.
— Oh.
— Je lui ai demandé d'arrêter de te harceler, mais elle ne s'est pas montrée très... réceptive.
— Pourtant, ça fait un moment que je n'ai pas reçu de message de sa part. Tu as dû te montrer persuasif.
— J'espère. J'ai l'impression de ne plus la connaître. Ou peut-être ne l'ai-je jamais réellement connue ?
— Chacun gère les ruptures à sa manière. Elle ne s'est peut-être pas encore remise de la vôtre.
— Je ne sais pas. En tout cas, elle agit comme si je lui devais encore fidélité, comme si j'étais à elle. Bref. Quoi qu'il en soit, n'hésite pas à me dire si elle recommence. Je n'aurai sûrement pas la même clémence. Tiens, ça rime.
— Ça sonne bien. Tu vas en faire une chanson ?
— C'est possible que ça m'inspire, répond-il avec un regard amusé.
— Qu'est-ce qui t'inspire, en général ?
— Difficile à dire... Je peux facilement m'inspirer de ce que je vis, de ce que je ressens, de ma manière de voir le monde. Sinon, c'est un travail d'observation et d'écoute. Les histoires de personnes qui traversent ma vie ou d'inconnus peuvent être une mine d'inspiration. Écrire me permet parfois d'extérioriser ce que je ressens, d'autres fois de faire passer un message. J'adapte ma source d'inspiration en fonction.
— C'est fou. Comme quoi, savoir chanter, ça ne suffit pas. En plus de savoir manier les mots, il faut aussi être doué d'une bonne intuitivité, d'une certaine sensibilité et puis posséder une bonne lecture de ses émotions. Tu dois le savoir, mais il n'y a pas tout le monde qui est capable de faire ce que tu fais. »
Il le sait. Même si parfois, il en doute. Avoir du talent et avoir confiance en soi, ça ne rime pas forcément.
« Au fait. Ça fait 3 semaines que je suis à Paris, maintenant, et je crois que j'ai besoin de me décharger. J'ai le droit de me plaindre des Parisiens, devant toi ?
— Je t'écoute.
— Avant toute chose, sache que j'apprécie beaucoup mes collègues. Mais ce sont tous des Parisiens pure souche, le genre qui utilise le mot "province" en étant limite condescendant. Et vu les clichés qu'ils ont, je m'étonne même qu'ils m'aient embauchée. Je te jure, j'ai entendu de ces absurdités ! Et ils y croient, les bougres. Par exemple, pour eux, la fibre et la 4G sont réservées à Paris. C'est limite s'ils ne m'ont pas demandé si je vivais dans une ferme. Et puis, parfois, c'est à peine si je les comprends. Ils parlent tous de brunch, d'afterwork, de call, de growth hacking, asap et j'en passe. Et c'est quoi cette manie de finir ses phrases par des haaannn interminables ? Ah oui et aussi, ils sont au bout de leur vie quand ils doivent attendre un métro plus de 4 minutes. 4 minutes. Chez mes parents, on n'a même pas un bus par heure. Et l'autre jour, j'ai dit au revoir au chauffeur en descendant du bus, les passagers m'ont trop mal regardée, j'ai cru que je l'avais insulté. Je ne te parle même pas du fait qu'ils ne sont pas foutus de connaître les villes en dehors de Paris alors même qu'ils prennent les autres Français pour des incultes sans musées et sans métro. Je ne sais pas où je suis tombée. Sauve-moi, s'il te plaît. »
Hilare, Valentin ne manque pas une goutte du monologue d'Alice. À quelques détails près, il trouve sa perception assez juste. Son désespoir d'avoir l'impression d'être tombé en pays ennemi est à mourir de rire.
« Je peux toujours en faire une chanson, si tu veux. » suggère-t-il.
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