Chapitre 22
« Bienvenue dans mon humble demeure !
— Eh bien, moi qui m'attendais à une villa.
— Il faut dire que c'est difficile à trouver en plein Paris. »
Alice pénètre dans l'appartement à la suite de Valentin. Bien qu'il soit grand pour une personne vivant seule, il reste simple. Il serait presque impersonnel sans les trois cadres photo alignés sur une commode du salon.
L'un représente une famille de trois enfants avec un homme et une femme. La petite fille qui y figure partage les traits d'Ethan. Sur un autre, la femme de la première photo tient dans ses bras un petit garçon au sourire édenté. Alice les identifie comme étant Valentin et sa mère. Le dernier, plus récent, représente le chanteur et son neveu.
« Je te sers à boire ? J'ai du sirop de cerise, du coca, de l'eau fraîche ou de la bière. Qu'est-ce que tu préfères ?
— Du sirop de cerise ?
— Tu ne connais pas ?
— Bien sûr que si, c'est délicieux ! J'ai toujours cru être la seule à en acheter.
— Il faut croire que non.
— Va pour le sirop de cerise, alors.
— Et alors, raconte, comment s'est passée cette première semaine de stage ?
— Ça va, il y a une bonne ambiance. L'équipe est sympa et les projets sont intéressants. Ils m'ont très vite intégrée et ils n'ont pas peur de me donner des tâches plus difficiles.
— Génial ! C'est quoi comme boîte ?
— Une startup qui a lancé une plateforme digitale pour que les personnes qui sont dans l'incapacité de voyager puissent faire du tourisme à distance. Pour l'instant, ils se concentrent surtout sur Paris, mais ils cherchent à s'étendre à d'autres grandes villes de France.
— Je n'en avais jamais entendu parler, mais c'est une super idée. Et tu y fais quoi, là-bas, comment se passent tes journées ?
— Je fais partie de l'équipe des développeurs. Chaque matin, nous avons une réunion où nous faisons un point sur l'avancée du projet et le chef nous répartit les tâches pour la journée. Sinon, c'est du codage la plupart du temps et parfois des tests pour vérifier que ça fonctionne. Et toi, tu as bientôt fini les enregistrements ?
— Pas encore, nous avons pris un peu de retard. Je te ferai écouter la maquette quand je la recevrai.
— Tu as réussi à y caser tes créations ?
— J'ai essayé, j'en ai obtenu plus que sur l'album précédent, mais ce n'est pas encore ça. Dès que le style jure un peu trop avec ce qu'ils attendent, ils refusent mes propositions.
— Et tu ne peux pas changer de label ?
— Ce n'est pas si simple, j'ai signé un contrat.
— Pas cool...
— Je me dis que ce n'est pas si grave. Je garde quand même une certaine liberté de création lors des enregistrements ou quand je chante sur scène. »
Alice a posé ses valises à Paris il y a une semaine. Elle a trouvé un studio dans une résidence étudiante pour les deux prochains mois de son stage. Valentin lui a immédiatement proposé qu'ils se voient, ce qu'elle a accepté avec joie.
⭐⭐⭐
Comme promis, le chanteur se transforme en guide touristique le temps d'un week-end. Après la visite de son appartement, il lui offre un tour des monuments parisiens. Bien caché sous sa casquette et ses lunettes de soleil peu justifiées par le ciel couvert, il lui fait arpenter les rues de la capitale. En deux jours, ils parcourent presque autant de kilomètres à pied qu'en métro pour aller de la tour Eiffel à l'Arc de Triomphe, de la cathédrale Notre-Dame de Paris à la basilique du Sacré-Cœur de Montmartre et des jardins du Luxembourg au Musée du Louvre. Si Alice ne tombe pas amoureuse de la ville et est frappée par ses côtés peu attirants, elle apprécie les efforts de son ami pour lui démontrer le charme et les richesses de Paris.
En haut de la tour Eiffel, elle est forcée de reconnaître que le paysage, bien que trop urbain à son goût, possède quelque chose de fascinant.
« D'accord, ça ne vaut pas ton lac. Mais ce n'est pas si moche, non ?
— Il y a sûrement pire ailleurs, commente-t-elle, les yeux fixés sur la vue.
— C'est le seul compliment auquel je vais avoir droit ? »
Elle laisse échapper un petit rire en se tournant vers lui.
« C'est pas si mal. Et puis, tu es plutôt doué, comme guide.
— Merci, c'est toujours un plan de carrière à envisager si jamais mon album ne fonctionne pas.
— Si tu veux mon avis, ils viendraient plus pour toi que pour parfaire leur culture historique des ponts de Paris. Tu risquerais de créer des émeutes.
— Peut-être pas à ce point, quand même, pouffe-t-il.
— Ça t'arrive souvent de créer des attroupements ?
— Ça peut arriver, mais c'est rarement ingérable. Le plus souvent, c'est quand les gens savent où je suis et m'attendent à un endroit. Quand je dois me rendre à un évènement, par exemple. En général, je suis accompagné d'agents de sécurité qui peuvent les contenir en cas de débordement. Mais à part pour calmer l'ardeur de certains fans, ils ont rarement à intervenir. Ce qui est un peu plus pénible, en revanche, c'est quand ça se produit alors que je ne m'y attends pas. Au zoo, par exemple.
— Attends, mais c'est pour ça que...
— Oui. J'ai même dû me changer après, parce qu'avec les réseaux sociaux la nouvelle de ma présence pouvait circuler très vite. Je ne voulais pas gâcher la journée d'Ethan, mais il fallait aussi que je le protège.
— Je comprends mieux. Ça doit être épuisant pour toi de te faire reconnaître dès que tu sors de chez toi.
— Après, j'ai beau être connu, je suis loin d'être une star internationale. Je n'ai pas besoin d'un déguisement très travaillé pour me balader en paix, heureusement.
— Au rythme où tu vas, prépare-toi à embaucher des gardes du corps à plein temps.
— Je n'en suis pas encore là. Ça me gênerait beaucoup trop que des personnes me suivent partout où je vais.
— C'est peut-être mieux s'il s'agit de personnes que tu as engagées pour ça et pas d'individus aux intentions étranges.
— C'est pas faux. Bon, qu'as-tu envie de faire, ensuite ?
— Je t'avoue que je suis un peu fatiguée par tout ce sport que tu m'as fait faire. Ça te dit qu'on rentre et qu'on se pose un peu ? Et pourquoi pas regarder un film ?
— Ça me va. »
⭐⭐⭐
Deux verres de sirop de cerise et une pizza posés sur la table basse, Valentin et Alice sont absorbés dans le film d'action sur lequel ils ont porté leur choix. Un mercenaire s'est vu confier la mission périlleuse de sauver le fils d'un puissant mafieux qui a été enlevé. Malgré ses exploits, la scène finale les surprend avec la mort inattendue du héros.
« Impossible, il ne peut pas mourir !
— Il vient quand même de se prendre une balle et de tomber d'un pont, là.
— Ils sont horribles de nous faire ça.
— La suite sort au cinéma dans deux semaines. Tu veux qu'on aille la voir ?
— Il faut absolument que je la voie. Il en va de ma survie personnelle.
— Ça semble important.
— Ça l'est. C'est même de la plus haute importance. »
De retour dans son studio, Alice envoie une sélection de photos de son périple parisien à ses amis. Elle se garde bien de leur partager le selfie qu'elle a pris avec Valentin, s'apparentant davantage à un concours de grimaces qu'à un shooting professionnel. Le cliché lui fait esquisser un sourire. Sa déception de devoir faire son stage à Paris s'est bien vite envolée. Elle s'est même totalement dissipée après ce week-end. Son amitié avec Valentin n'a jamais été aussi simple et vivifiante. Elle a bon espoir que son séjour dans la capitale se révèle riche en souvenirs.
Une notification d'un numéro inconnu apparaît subitement à l'écran. Son contenu est pour le moins surprenant.
??? : Bravo, tu as réussi ton plan. J'avais deviné tes intentions depuis le début. Mais tu crois vraiment qu'il va rester intéressé par toi ? Bientôt, il ouvrira les yeux et il comprendra son erreur. Il mérite mieux que toi. Tu n'es pas au niveau, nounou.
Alice relit le message sans comprendre. Que signifie-t-il ? Qui peut bien lui envoyer ça ? À sa troisième tentative de déchiffrage, le mot "nounou" attire son attention et l'éclaire sur l'identité de son mystérieux interlocuteur. Stacy. Elle décide de l'ignorer, considérant qu'elle est sûrement blessée par sa rupture, et qu'elle lui a dit ce qu'elle avait à dire. Rien ne sert d'envenimer la situation. Et puis, que répondre à ça ? Elle n'a aucun plan machiavélique en préparation et encore moins en cours de réalisation.
⭐⭐⭐
Mais les jours suivants, les messages se font plus nombreux et plus véhéments. Alice hésite à en parler à Valentin. Elle n'a finalement pas à le faire puisqu'un soir son téléphone vibre alors qu'elle est en train d'éplucher des pommes de terre destinées à se transformer en frites pour agrémenter une nouvelle soirée film. La notification éclaire l'écran sous le nez du concerné. Il fronce les sourcils en apercevant la première phrase.
« C'est quoi, ça ? "Arrête de faire l'innocente, tu avais tout prévu", lit-il en écarquillant les yeux.
— Elle ne signe jamais, mais je suppose que c'est Stacy.
— Elle t'a envoyé d'autres messages comme celui-ci ? Depuis combien de temps elle fait ça ? Pourquoi ne m'en as-tu pas parlé ?
— J'allais le faire, mais je ne voulais pas t'embêter avec cette histoire. Ce n'est rien de bien méchant.
— "Sale garce, ne crois pas que tu as gagné". Tu trouves que ce n'est rien de bien méchant, ça ? Jamais je ne l'aurais crue capable d'un coup pareil.
— Elle devait beaucoup tenir à toi.
— Ce n'est pas une raison pour t'envoyer de telles horreurs. Je ne sais pas si c'est de l'affection ou de la possessivité maladive. Comment a-t-elle eu ton numéro, d'ailleurs ?
— Je n'en ai aucune idée.
— Je suis tellement désolé que tu fasses les frais de tant de méchanceté. Je pensais que m'expliquer avec elle suffirait et qu'elle avait compris qu'il était inutile de s'acharner. Tu devrais la bloquer, je vais régler ça. »
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