L'Amertume de Tes Mots
[Attention: mentions de suicide dans ce chapitre!]
Mes yeux fixaient l'horizon avec désarroi. J'aurais voulu tout oublier et me réveiller au même endroit que quelques années plus tôt. Peu importaient la misère et l'insalubrité du lieu dans lequel je vivais, le jour où j'eus tout quitté, je savais que j'y avais laissé une partie de moi. Il n'y avait plus l'ombre d'un reflet sur mes lèvres ternies, ni le moindre espoir dans ces pupilles autrefois étincelantes de leur couleur topaze. J'aurais aimé être l'une de ces personnes insouciantes que je peux apercevoir dans la rue, anonyme et suivant le chemin d'une existence banale.
Oubliez-moi, je ne veux même pas rester l'ombre d'un souvenir.
Ne me pleurez pas, je ne le mérite pas.
Comment en suis-je arrivé là ?
La foule était en émoi face à ce portrait ravageur, ce bellâtre réputé pour être un briseur de cœurs. Il avait cet air pincé, froid et mystérieux qui attirait la gent féminine de toutes les contrées. Deux imposants gardes le précédaient, scrutant avec une attention toute particulière le moindre débordement, prêts à bondir sur la première furie échappée du lot. Derrière eux, l'acteur adulé daigna finalement se montrer, cachant ses délicates pupilles ambrées derrière d'épaisses lunettes noires. Son visage fin et délicatement rosé se refusa d'afficher le moindre sourire et se renfrogna dans cette perpétuelle mine boudeuse. De nombreuses photos de lui émergeaient des groupies enragées, accompagnées de stylos multicolores dans l'espoir d'y voir sa griffe apposée.
Le jeune homme ignora tout bonnement ce troupeau de pimbêches et monta dans le véhicule qui l'attendait, toujours accompagné de ses deux loubards. Une fois en « sûreté », il retira ses lunettes et soupira profondément d'un air désolé en s'essuyant le front qui commençait à s'humidifier. L'un de ses gardes lui tendit un brumisateur sorti de l'un des compartiments et lui servit un verre de jus de fruits.
« Merci Nozomi, dit l'acteur avec soulagement. Je suis content d'avoir terminé cette séance de dédicaces, j'ai l'impression de ne plus sentir ma main ! ajouta-t-il en secouant ses doigts endoloris.
- Donne. » lui dit le prénommé Nozomi en esquissant un sourire.
Délicatement, l'imposant protecteur prit la main du brun et la massa avec douceur, arrachant un soupir de soulagement au grand Nori Taika qui s'affala davantage dans son siège. Le grand blond aux yeux d'un bleu pâle le contemplait avec tendresse, comme s'il avait été son enfant.
« Tu devrais prendre un peu de repos, Nori, lui conseilla-t-il. Tu es exténué depuis un bon moment déjà. Comme convenu, j'ai pris toutes les dispositions nécessaires concernant le remplacement de Kazuo en tant que garde du corps, ce sera toujours ça de moins.
- Vous allez me manquer, les gars... dit Kazuo d'un ton songeur. J'ai vraiment aimé travailler avec vous. Toi, Nori, tu as été un chef au top et toi, Nozo', tu ne changes pas, toujours aussi sympa avec moi ! Mais maintenant, je dois voler de mes propres ailes...
- Je te souhaite de réussir dans tes projets, lui dit Nori avec un sourire des plus sincères. Je ne sais pas si je pourrai trouver une personne aussi formidable que toi. Dommage que tu n'aies été là que pour un court laps de temps. N'hésite pas à m'appeler si besoin ! De toute façon, on se reverra, pas vrai ?
- Evidemment ! D'autant plus que Nozo' est mon cousin, ce sera encore plus simple et ça m'évitera bien des procédures avant d'entrer en contact avec toi...
- M'en parle pas, grommela l'acteur en s'accoudant sur le rebord de sa fenêtre. Si seulement les gens pouvaient m'oublier, ne serait-ce qu'un instant...
- Tu es victime de ton propre succès, il va falloir t'y faire... lui conseilla Kazuo.
- Je crois... Que je ne m'y ferai jamais. » répondit Nori avec nostalgie.
Cette dernière réplique provoqua un lourd silence sur les trois amis de longue date, ramenant un sujet de conversation qu'ils avaient pourtant tenté d'éviter ces derniers temps : le malaise de Nori depuis son entrée dans le monde du show business. D'une nature plutôt réservée, l'acteur ne s'était jamais ouvert à quiconque par le passé et s'était renfermé sur lui-même. Il aimait cette vie si simple qu'il avait à l'époque. Non, c'était pire que ça, il la regrettait amèrement. Cette simple pensée lui nouait les entrailles lui rappelant qu'il n'y avait pas de marche arrière possible.
Le jeune homme avait tout abandonné du jour au lendemain lorsque la chance unique au monde de sortir de ses problèmes financiers lui était apparue. Il avait alors épousé cette actrice réputée pour le luxe et avait perdu tous ses amis. Rapidement repéré par le producteur de son épouse, sa célébrité semblait être née du jour au lendemain, ayant charmé bon nombre de fans. Réalisant qu'il n'éprouvait aucun sentiment pour sa femme, ayant uniquement été attiré par son argent, il s'était rapidement séparé d'elle après seulement quelques mois de mariage. Depuis ce jour, le beau brun semblait avoir préféré la solitude d'après les médias bien qu'il ait entretenu une relation secrète durant quelques mois avec Nozomi pour combler un certain manque d'affection.
« Parfois, je me dis que j'étais mieux dans mon appart miteux, tout seul comme un con... C'était la belle vie, on me faisait pas chier au moins ! Le soir je rentrais, personne ne m'attendait alors je pouvais jouer sur l'ordi tout en mangeant des nouilles instantanées !
- Personne ne t'empêche de le faire... fit remarquer Nozomi.
- Non, là, j'ai un cuisinier qui me prépare des repas bien trop raffinés pour moi ! J'suis pas comme ça, moi ! J'aime les choses simples !
- Commande-lui des nouilles instantanées ce soir, fais-toi les apporter dans ton bureau et mange les devant un bon film ou un jeu vidéo... Je suis sûr que tu te sentiras déjà mieux après ça. Après ça, on ira boire une petite bière au bistro du coin tous les trois.
- Hum... »
Le soupir de Nori parut afficher une certaine lassitude dans le ton employé cependant, un mince sourire s'étira sur ses fines lèvres, prouvant à Nozomi que son idée était bonne. Il désirait ardemment rentrer chez lui après cette épuisante séance de dédicaces mais son manager en avait décidé autrement et lui avait ajouté un ultime rendez-vous pour cette fin d'après-midi. La star du moment devait affronter une dernière fois les médias pour une interview demandée par un magazine régional plutôt en vogue chez les jeunes. Cependant, le jeune homme ne s'attendait pas à une telle surprise lorsqu'il pénétra dans la salle aménagée pour l'occasion au sein des locaux de cet hebdomadaire.
Les yeux exorbités et la bouche-bée, Nori s'était immobilisé devant son interlocuteur. Jetant un regard accusateur à Nozomi, ce dernier répondit de manière négative, assurant qu'il n'y était pour rien.
« Mon frère n'y est pour rien, dit calmement le journaliste, alors pas la peine de lui jeter ce regard noir. En vérité, je ne voulais pas faire cette interview parce que je n'avais vraiment pas envie de revoir ta tronche de petit con et de petit frimeur de merde. J'ai juste réussi à empêcher que Kyo m'accompagne car, je te le rappelle, que c'est lui qui a le plus souffert du sale coup que tu nous as fait.
- Je ne veux pas lui parler, lâcha froidement Nori en se détournant. On rentre à la maison ! Tout de suite !
- Oui, en voilà une bonne idée ! Fuis une nouvelle fois tes responsabilités comme tu l'as si bien fait deux ans plus tôt !
- Je suis désolé Nori, mais tu ne peux pas faire marche arrière, le réprimanda Nozomi en le retenant. Tu n'es plus un gamin ! Je pense que vous êtes suffisamment matures pour vous comporter en tant qu'adultes réfléchis !
- Il a raison, lâcha finalement Kuro dans un soupir dédaigneux. Si je n'obtiens pas cette interview, ils me mettront à la porte, c'est certain et je ne peux pas me le permettre alors s'il le faut, je te ligoterai à cette chaise pour t'obliger à me répondre et si tu refuses de nouveau, alors je raconterai au grand public tout ce que tu n'aimerais pas dévoiler. Tu vois où je veux en venir ? »
L'acteur ferma les yeux un instant, le temps de réfléchir. Son garde lui maintenait toujours le bras avec fermeté en le fixant avec insistance de ses pupilles céruléennes. Kuro devait probablement en faire de même dans son dos, craignant pour son poste qu'il avait dû obtenir après bien des épreuves difficiles. Cependant, l'acteur se demandait si le sort de cet individu l'intéressait à ce point ? Il pouvait fuir s'il le désirait et tout simplement rire de son geste mais il ne s'en sentait pas capable. Il perdrait très probablement le soutien de son jumeau et risquerait de s'attirer les foudres de Kyo si ce n'était pas encore le cas. Que Kuro le déteste, c'était une évidence et il s'en fichait éperdument. Cet individu se prenait pour le nombril du monde. Le temps avait fini par lui montrer qu'il avait eu tort et que finalement, Nori avait eu raison de lui. Cette simple pensée fit sourire le brun à la grande surprise de Nozomi qui, cependant, ne fit aucune remarque. Cette interview allait lui montrer qui était le meilleur, désormais.
Se retournant finalement, le brun accepta de faire face à Kuro. L'immense blond n'avait guère changé après ces deux années de séparation. Son visage enfantin était toujours emprunt de cette même naïveté et ses grands yeux bleus pétillaient toujours de cette même force qu'autrefois. Le jeune homme esquissa alors un large sourire pour remercier silencieusement son ancien ami et lui indiqua de s'asseoir près de lui. Sans se faire attendre, le journaliste lui posa les questions qu'ils avaient griffonnées sur un calepin. Son écriture aussi était toujours la même, semblable à celle d'un élève de primaire, arrondie et passablement déformée. Nori se demanda même comment il était capable de se relire. Il se souvint alors que son autre ami, Kyo, était beaucoup plus soigné que lui : ses lettres fines se rapprochaient d'une écriture féminine et qu'il lui avait toujours été agréable de la relire. Un soupçon de nostalgie traversa alors le bel acteur qui regretta silencieusement que Kyo ne soit pas là bien que d'un autre côté, c'était préférable pour lui.
« Maintenant, le photographe va prendre quelques clichés de toi, là-bas, lui indiqua Kuro en montrant le fond de la salle.
Le photographe en question terminait tout juste d'installer ses projecteurs ainsi que son appareil.
- Kuro... osa alors Nori la gorge nouée.
- Ton interview sera disponible dans le numéro de la semaine prochaine, annonça alors le blond en ignorant le brun en se relevant.
- Kuro, pourquoi est-ce que Kyo n'est pas là ? » demanda alors l'acteur en le retenant par la manche.
La question eut l'effet d'une douche froide sur le géant. Son visage jusqu'alors emprunt de son éternelle naïveté s'était transformé dans une expression indéchiffrable, un mélange de colère et de remords probablement. Comment osait-il ? se demanda alors Kuro avec douleur. Sèchement, il retira son bras de la poigne de son ancien ami puis se tourna vers lui, le toisant avec mépris et fureur à la fois.
« Tu es bien culotté de me poser une telle question ! tonna le blond. Je ne veux pas que Kyo te revoie, tout simplement ! Et tu oses me demander ça ? Après tout le mal que tu lui as fait ? T'es même encore pire que ce que j'avais pensé jusqu'alors. Franchement, tu me fous la gerbe ! Espèce d'enfoiré, va ! »
Nori se garda bien de répondre à Kuro et se ferma à cette fulgurante envie de laisser sa colère exploser. Silencieusement, il rejoignit le photographe qui l'attendait et l'installa sur un petit siège juste devant une toile à fond blanc. Cependant, le brun sentit bien durant toute la séance photos que Kuro le lorgnait avec méfiance, espérant le voir bientôt quitter les lieux et de ce fait, leur vie à Kyo et lui.
Son attente ne fut pas longue car rapidement, le photographe se tourna vers lui avec un grand sourire, indiquant qu'il avait terminé et contemplant ses clichés d'un air triomphant. Nori s'empressa de quitter son siège puis attrapa sa veste en rejoignant Nozomi. A ce moment, Kuro le rattrapa et le plaqua contre le mur peint de noir en le maintenant par le col. Son air était des plus menaçants, si bien que le garde se sentit contraint d'intervenir mais il fut aussitôt repoussé par son jumeau qui insista pour dire ce qu'il avait sur le cœur :
« Je ne te préviendrai pas deux fois : approche de Kyo et tu es un homme mort ! »
Nozomi obligea son frère à relâcher sa victime et le fit passer devant lui pour quitter les lieux en se tournant vers son frère. Un regard chargé de reproches tomba alors sur le journaliste qui défia son jumeau du regard malgré tout :
« Et tu comprendras aussi que je ne te laisserai pas t'en prendre à lui, lâcha alors Nozomi avec froideur. Ce n'est pas parce que tu fais partie de ma famille que je serai plus indulgent avec toi. Cette fois, j'ai été gentil mais la prochaine fois, je te ferai bouffer le macadam, compris ?
- C'est une menace ? aboya Kuro furieux.
- Exactement. »
Après lui avoir jeté un regard à glacer le sang, Nozomi rejoignit son protégé dans le couloir et l'emmena loin de son ennemi.
Durant le trajet, Nori resta silencieux, le regard vague fixé sur le décor urbain défilant autour de lui. Ses pensées s'étaient tournées vers son passé, bien avant les paillettes et les projecteurs... Un passé à la fois simple et calme. Esquissant un léger sourire que Nozomi jugea de niais, il songea à Kyo. Pourquoi maintenant après deux années sans le voir ? Le simple souvenir de ses cheveux turquoise ainsi que de ses yeux dorés lui donnaient du baume au cœur. Kyo n'était encore qu'un gamin à l'époque mais depuis, il était sûrement devenu un homme. Il avait ces épiques crises de colère mais cela n'atténuait en rien la douceur de son visage fin lorsqu'il était calme. Il aimait faire croire à tous qu'il était dur mais au fond de son cœur, il avait ses faiblesses, ses souffrances... Tant de choses qu'il avait osé confier à Nori à cette époque.
« Tu ne le reverras pas, affirma alors Nozomi avec sévérité.
- Et pourquoi donc ? demanda Nori frustré d'avoir été dérangé alors qu'il rêvassait.
- Parce que tu ne dois pas le faire, répondit le blond d'un ton sec peu coutumier avec son protégé. Je suis désolé de te dire ça mais je suis d'accord avec Kuro : n'interviens plus dans leurs vies, tu leur as suffisamment fait de mal. Et puis je ne veux pas devenir l'ennemi de mon petit frère par ta faute.
- Ce n'est pas ton petit frère, c'est ton jumeau, grogna Nori d'un ton boudeur.
- Mais je suis né avant lui, alors il est mon petit frère. Ne change pas de sujet : je t'empêcherai de revoir Kyo.
- Dis-moi... Est-ce que tu l'as vu ces derniers temps ? demanda alors Nori en ignorant les menaces de son garde.
- Kyo ? Bien sûr, je le vois presque tous les week-ends puisque Kuro m'invite souvent à manger chez eux.
- Est-ce qu'il a changé ? Si je ne peux pas le voir, alors j'aimerais au moins savoir ce qu'il devient.
- Hum... réfléchit alors Nozomi. Non, c'est toujours le même gamin stupide. Comme tu le sais déjà, il est maintenant photographe dans le même journal que Kuro. C'est d'ailleurs lui qui a réussi à le faire entrer. Ils s'en sont bien sorti tous les deux...
- Est-ce que... Est-ce que... hésita Nori alors que la question lui piquait la langue.
- L'un comme l'autre sont célibataires si c'est ça qui te chagrine et ce, depuis ton départ, lâcha alors Nozomi d'un air frustré. Et non, ils ne sortent pas non plus ensemble, ajouta-t-il tandis que Nori ouvrait la bouche pour parler. Pourquoi est-ce que ça t'intéresse encore ?
- Tu ne le devines donc pas ? demanda le brun avec un sourire forcé.
- Oublie-le, il y a plein d'autres personnes qui feraient beaucoup pour toi.
- Tu parles de ces groupies folles furieuses ? Tu sais bien...
- Je ne parle pas d'elles, ces personnes sont bien plus proches que tu ne le penses... Ah ! s'exclama soudain le blond. On est arrivés ! Je dois rencontrer le nouveau garde ce soir, je te le présenterai d'ici demain, je pense. »
Nozomi coupa court à la conversation et sortit du véhicule qui s'était arrêté devant la maison. Il se pencha ensuite pour tendre la main à son supérieur pour l'aider à sortir comme s'il avait eu peur qu'il ne tombe puis, après l'avoir raccompagné dans le hall dans un silence troublant, le garde s'éloigna de son protégé, le laissant seul face à ses souvenirs douloureux.
Comme convenu, Nori sortit de son sac une boîte de nouilles instantanées – qu'il avait achetée sur le trajet du retour dans une supérette – et l'emmena dans la cuisine pour la préparer lui-même, sous le regard choqué de son cuisinier qui avait du mal à accepter que son maître mange de tels plats. Des nouilles, il aurait très bien pu lui en préparer des fraîches avec de meilleurs ingrédients !
Ignorant le regard interdit du domestique, Nori attrapa des baguettes dans un tiroir puis quitta la cuisine tout en se léchant les doigts. Mollement, il se retira dans sa chambre. Il alluma l'ordinateur, y inséra son jeu vidéo préféré – un jeu de combats en l'occurrence – puis dévora son repas avec avidité. Nozomi avait raison, les choses simples étaient les meilleures. Quittant finalement sa partie après quelques heures de jeu, le Taika se dirigea vers les réseaux sociaux qu'il n'avait pas consultés depuis un petit moment déjà. Parcourant sa page personnelle – volontairement sous une fausse identité pour protéger sa vie privée – il remarqua avec surprise un détail sur sa page : « Vous connaissez peut-être... Kyo Fubuki, un ami en commun » juste à côté d'une autre suggestion qu'il connaissait bien et qui n'était autre que Kuro Arashi.
Visiblement, la page avait été créée récemment car auparavant, le brun n'avait jamais réussi à le retrouver sur le site. Sa photo de profil noua l'estomac de Nori : il s'agissait de lui et de Kuro, sur une plage visiblement. Parcourant le reste des informations, l'acteur comprit rapidement que son ancien ami n'avait verrouillé aucune information, même ses photos étaient publiques. On y retrouvait de nombreuses photos de lui et de Kuro, leurs vacances ensemble au bord de la mer, l'anniversaire de Kyo avec quelques anciens amis que Nori avait perdus de vue. Poursuivant son inspection, il s'aventura ensuite sur la page de Kuro qui était elle aussi accessible. La sienne était beaucoup plus ancienne. Dans ses souvenirs, le Taika se rappelait que le blond avait créé son compte bien avant qu'ils ne vivent tous les trois ensemble.
Là aussi le jeune homme parcourut les nombreux albums photos dans lesquels on retrouvait très souvent Kyo. Puis ce fut le choc total lorsqu'il tomba sur un album intitulé « Nous deux... ». L'image d'illustration était une photo de Kyo qui esquissait un sourire si doux qu'il donna la nausée à l'acteur qui dut plaquer sa main sur sa bouche un instant avant de cliquer. A ce moment, le beau brun eut l'impression d'entamer une chute de plusieurs étages lorsqu'il tomba sur des clichés de Kyo et Kuro s'embrassant puis un commentaire de Nozomi un peu plus bas : « Je suis content pour vous, vous le méritez bien après tout ce qu'il s'est passé ! ». Furieux, Nori jeta un œil dans sa liste de discussion instantanée et y repéra Nozomi Arashi en ligne. Se jetant sur son clavier, il s'empressa de lui écrire malgré la faible distance séparant leurs chambres : « Viens dans ma chambre tout de suite, il faut qu'on parle ». Après avoir répondu un simple « OK », le concerné entra dans la pièce d'un air endormi en se frottant les yeux. Vêtu uniquement d'un caleçon blanc faisant ton sur ton avec sa peau incroyablement pâle, il s'étira en baillant bruyamment puis se tourna vers l'écran en grimaçant.
« Fais chier... Je pensais que tu n'utilisais plus ton compte... grommela-t-il simplement à la grande surprise de Nori qui resta interdit. Pas la peine de me regarder comme ça, tout est dit, non ?
- Tu m'as dit qu'il n'y avait rien entre eux, tu m'as... tu m'as menti ! balbutia Nori désorienté.
- Pas la peine d'en faire tout un plat ! C'est Kuro qui m'a fait jurer de ne pas t'en parler !
- Il est con ou quoi ? s'emporta alors le brun. Il ne veut pas que je le sache et il exhibe toutes ces photos sur internet ? Il le sait pourtant que j'ai un compte et que je risque de les voir !
- Alors il l'a peut-être fait exprès pour être sûr que tu arrêtes de tourner autour de Kyo, j'en sais rien moi ! Je ne me mêle pas de leurs histoires ! Ah et cesse donc de comporter comme une femme !
- Je ne fais que m'attacher à ce qu'il me reste de lui puisque je n'ai pas le droit de l'approcher...
- Si ça peut te consoler, ces photos sont anciennes, ils se sont séparés il y a quelques mois. Et puis les photos de Kyo sont trompeuses sur sa page, elles ont toutes au moins deux ans parce que depuis cet incident, il est défiguré. Je doute que tu le désires autant à présent... »
Nozomi fixa un instant Nori qui resta silencieux et renfrogné dans une mine indéterminable. Il paraissait morose, ce qui fit soupirer le blond. Ce dernier s'approcha de lui et le força à quitter son siège. Le maintenant par les poignets, il l'entraîna vers le lit en baldaquin juste derrière eux... Le garde savait qu'il devrait l'oublier mais cette fois, il avait été incapable de résister. Nori, quant à lui, semblait désorienté et se laissa faire malgré sa réticence initiale.
*
« Ce gars... Il me fait flipper, j'sais pas pourquoi... »
Nori regardait d'un air consterné le remplaçant de Kazuo alors que Nozomi s'apprêtait à le présenter, le matin suivant. Bougonnant un juron, l'Arashi s'écarta de lui puis rejoignit son nouveau coéquipier en tapotant légèrement son épaule en souriant. L'individu était légèrement plus petit que le blond mais sa carrure était presque aussi imposante que la sienne. Ses longs cheveux sombres aux légers reflets pourpres semblaient ne renvoyer aucune lumière et ses yeux marqués de cernes étaient vairons : l'un était couleur émeraude tandis que l'autre était turquoise. Une longue cicatrice marquait la partie gauche de son visage partant de son front et rejoignant sa lèvre supérieure. Son attitude semblait neutre mais l'aura émanant de lui n'était guère rassurante. Kazuo était beaucoup mieux, songea Nori avec amertume.
« Voilà ! Je te présente Hiromasa ! Il a longtemps été videur dans une boîte de nuit et a été le garde du corps d'une célébrité dont j'ai oublié le nom pendant cinq ans. Enfin, tu peux parler aussi, lâcha-t-il en donnant une bourrade à son nouvel acolyte.
- Hum... Bien, comment dire ? Comme l'a dit Nozomi, je m'appelle Hiromasa et j'ai trente-sept ans. Je suis divorcé et j'ai deux enfants à peine plus jeunes que vous : l'un a vingt ans et l'autre dix-neuf. Comme vous pouvez le voir, ils sont tout deux majeurs donc rien ne m'empêche de vous suivre peu importe les déplacements. J'ai tout de suite postulé pour la place parce qu'avant toute chose, j'admire votre talent d'acteur alors ce sera un plaisir de travailler pour vous et d'empêcher ces furies de vous arracher les cheveux, ajouta-t-il en tentant de détendre l'atmosphère.
- Bien, on verra comment se déroule ce premier mois mais sachez déjà qu'au moindre faux pas, vous serez renvoyé. En vérité, j'aurais préféré que vous m'annonciez que vous n'aimiez pas mes films mais je ferai avec. A titre d'information, je ne signe pas d'autographe pour la famille ni pour les amis.
- A vrai dire, je crois que mes deux fils vous détestent, s'exclama Hiromasa avec un sourire éclatant. Quant à mes amis, ils ne sont pas de ce genre.
- Ah... » lâcha Nori quelque peu vexé.
Cet individu avait quelque chose de perturbant mais Nori ne parvenait pas à déterminer ce malaise que lui procurait la simple présence de Hiromasa. Malgré tout, il passa le « test » comme aimait l'appeler Nori. L'homme s'intégra rapidement dans l'équipe et semblait tout aussi efficace que son prédécesseur.
Un soir, Nori suggéra à ses deux gardes d'aller dîner au restaurant comme il avait l'habitude de le faire auparavant lorsque Kazuo était encore parmi eux. La nouvelle fut acceptée de bon cœur, chacun se demandant ce qu'il aimerait manger mais Hiromasa prit la parole avant les autres, leur suggérant de dîner au restaurant dans lequel son fils aîné travaillait. Nori et Kuro acceptèrent volontiers et leur ami s'occupa de réserver pendant que les autres se préparaient à l'étage.
Lorsqu'ils arrivèrent sur place, un jeune homme accueilli les trois amis en souriant et leur demanda s'ils avaient réservé, ce fut Hiromasa qui prit alors la parole :
« Oui, j'ai réservé au nom de Hiromasa Fubuki ! lança-t-il en souriant.
- Ah oui ! Suivez-moi ! »
Nozomi contempla l'endroit avec satisfaction. Le lieu était chic et cosy, la décoration simple mais très jolie. Les tables de bois sombre étaient toutes recouvertes de nappes blanches impeccablement repassées. Un petit bouquet vert, rose et blanc décorait chacune d'elles et de grands rideaux beiges séparaient certaines tables des autres. Le sol était dallé ocre et de nombreuses appliques crème éclairaient la grande pièce. De grandes portes vitrées donnaient sur une vaste terrasse extérieure assez faiblement éclairées par des lampes de jardins ainsi que des bougies à chaque tablée. Les serveurs étaient tous vêtus de manière élégante : chemisier blanc, nœud papillon rouge, pantalon à pinces noir et tablier blanc. La salle était quasiment bondée et de nombreuses discussions animées suivirent les trois nouveaux amis jusqu'à leur table. Ayant pris soin de mettre une perruque – de longs cheveux noirs attachés par une lanière de cuir – Nori passait inaperçu au milieu de la foule qui ne fit même pas attention à eux.
Arrivés à la table, Nozomi tira une chaise pour son supérieur et l'invita à s'asseoir, cependant, ce dernier resta debout, le regard ébahi et rivé sur Hiromasa. Ce dernier le contemplait avec surprise, craignant avoir commis une bêtise.
« Fu... Fubuki ? répéta niaisement Nori sous le choc.
- Ah... soupira le blond. Tu ne m'as donc pas écouté ? Hiromasa s'est présenté en tant que garde et il s'est avéré être le meilleur. Tu n'as rien dit à son sujet lorsque je t'ai remis son dossier, j'en ai conclu que ça ne te dérangeait pas.
- Mais tu me connais pourtant ! Je ne regarde pas ce genre de paperasse ! s'exclama le brun sous le choc.
- Je t'en prie, sois un peu plus discret... le réprimanda Nozomi en le forçant à s'asseoir lorsqu'il vit de nombreuses personnes se tourner vers eux.
- Qui... Qui... balbutia Nori d'une voix faible.
- Le père de Kyo, tu ne m'as même pas posé de question !
- Mais c'était une évidence !
- Je pensais que tu l'avais oublié ! s'exclama Nozomi en se rendant compte qu'il avait parlé plus fort qu'il ne l'avait espéré.
- Vous connaissez mon fils ? demanda Hiromasa à voix basse. C'est ça qui vous perturbe ? Mais vous savez, ça fait des années que je ne l'ai pas vu. Aucun risque qu'il n'apparaisse ici pour me rendre visite ! »
Le sourire de Hiromasa blessa sincèrement le Taika qui avait espéré un instant que cet homme aurait pu l'aider dans sa quête. Toutes ses attentes s'effondrèrent et firent place à la morosité. Le père de Kyo le remarqua et le regarda avec un certain désarroi.
« Je ne savais pas que vous connaissiez mon fils et il me semble que cela vous gêne, j'en suis sincèrement désolé, déclara Hiromasa mal à l'aise.
- Je crois que je... commença Nori en tentant de se redresser.
- Hey ! s'exclama une voix à côté d'eux. Je suis content de te voir, papa ! »
Nori se figea sur place, tandis que ses entrailles se nouaient et menaçaient de lui faire renvoyer son précédent repas. Lentement, il leva les yeux vers le nouveau venu : de taille moyenne, il était vêtu comme tous les autres serveurs du restaurant. Ses grands yeux étaient dorés et son visage fin, ses longues mains délicates tenaient un crayon, prêtes à prendre note du repas de la tablée de son géniteur. Son sourire était lumineux et ses longs cheveux turquoise étaient noués d'un lien noir dans son dos. Seule une petite natte fine revenait sur l'une de ses minces épaules. Il lui ressemblait à un point que c'en était déstabilisant.
« Ah... Je vous présente mon fils aîné, Kyuso, expliqua soudain Hiromasa le teint légèrement empourpré. Comme je vous l'ai dit plus tôt, je n'ai plus aucun contact avec Kyo depuis de nombreuses années mais Kyuso, lui, ne m'a jamais abandonné. Vous verrez, c'est un garçon adorable !
- Papa, je t'en prie... dit alors la douce voix grave du garçon qui rougit légèrement. Dites-moi plutôt ce que vous prendrez pour le dîner ?
- Tu sais, Kyuso, ce sont des amis de Kyo, raconta Hiromasa sans mesurer l'impact de ses paroles.
- Hiromasa, ça suffit, lâcha Nozomi avec froideur en constatant la mine décomposée de Nori en face d'eux.
- Vous vous sentez mal ? demanda Kyuso. Je vais vous chercher un verre d'eau si vous voulez.
- Non... Je crois que je vais vomir...
- Ha ! Ha ! Laissez, laissez, je vais l'accompagner ! »
Avant même que Nozomi ne puisse répliquer, le serveur avait déjà entraîné Nori au loin. Hiromasa fit signe à son coéquipier de ne pas bouger tandis que le blond sentait sa nervosité augmenter d'un cran.
L'acteur sortit finalement des toilettes en s'essuyant la bouche puis fit face à Kyuso qui le toisait d'un air peu aimable. C'était comme si son enthousiasme s'était soudain envolé, son agréable sourire laissant place à un air... dégoûté ?
« C'est donc toi, Nori Taika ? Je t'ai reconnu quand vous êtes entrés. Après tout, on te voit partout, pas vrai ? Tu as l'air choqué, c'est peut-être ma ressemblance avec mon petit frère qui te crève les yeux ? En vérité, j'aimerais le faire pour de vrai ! T'es un bâtard, une sale enflure ! Mon père n'a peut-être plus aucun lien avec Kyo mais moi, j'en ai toujours et je refuse de laisser quelqu'un lui faire du mal quand bien même il s'appelle Nori Taika ! Tu me fous la gerbe !
- Beau discours... lâcha Nori en gardant son sang-froid. Et tu comptes faire quoi maintenant ? Me péter la gueule ? Mais je t'en prie, tu ne serais pas le premier !
- Tu as abandonné mon frère et tu t'es enfui comme un voleur ! cracha Kyuso.
- Je l'ai fait parce qu'il me l'a dit pour que je puisse prévenir les secours !
- Oui et après ça, tu as disparu dans la nature alors que, je te le rappelle, ces types étaient venus pour toi ! Tout ça pour quoi ? Pour une de leurs nanas que tu aurais baisée ? Mon frère n'avait pas à payer pour ça !
- Je ne veux pas jouer la victime mais j'ai aussi pris pour mon grade, grommela Nori en posant la main sur son estomac. Ils m'ont pratiquement éventré... Je ne pouvais plus revenir en arrière... »
« Nori ! Sauve-toi pendant qu'il en est encore temps ! Dépêche-toi ! Appelle les secours ! »
L'appel déchirant de Kyo avait comme déchiré le cœur de Nori. Cependant, ce dernier dut fermer les yeux sur ce déluge de violence et fuir pour prévenir les secours. Il plaquait sa main sur son ventre tandis qu'un liquide chaud s'écoulait sur son pantalon. Il titubait mais la peur semblait lui avoir donné des ailes et, rapidement, il s'arrêta face à une grande avenue le long de laquelle passait une ambulance. Peu avant leur passage, le brun s'effondra à genoux puis face contre terre. Dans un coup de freins strident, le véhicule s'arrêta et s'affaira autour de Nori qui arrivait tout juste à parler, le souffle court. Son corps était meurtri et couvert d'hématomes. De ses lèvres éclatées et boursouflées, il parvint cependant à échapper quelques mots :
« Kyo... Sauvez... Kyo... Ils vont le tuer ! »
Il vit alors un ambulancier passer un coup de fil mais n'entendit rien de la conversation. Les hommes l'allongèrent sur un brancard sous le regard ébahi des passants puis le jeune homme sombra dans le néant.
Lorsque le jeune homme quitta l'hôpital, il voulut se rendre au chevet de son ami mais il tomba en premier sur Kuro qui le menaça ouvertement de ne pas approcher son protégé qui était au plus mal. Nori se souvenait de cette fureur qui avait fait briller son regard et de la forte poigne qui l'avait alors fait suffoquer et, en désespoir de cause, il abandonna l'idée de retrouver Kyo : tout était de sa faute. Lorsqu'il passa devant l'accueil, le Taika surprit une conversation entre Kuro et un médecin. Il semblait vraiment mal à l'aise. Nori en profita pour se faire discret et ne perdit pas une miette de leur conversation.
« Je ne peux vraiment pas payer pour l'instant... Vous ne pouvez pas faire ça ! Je ferai mon possible pour vous payer le mois prochain ! Je travaillerai très tard et je pourrai payer cette somme !
- Je suis désolé, monsieur mais si vous voulez que cette opération se fasse, vous devrez payer ce que vous nous devez depuis son arrivée. Voyez si vous n'avez pas un proche qui puisse vous dédommager mais dans notre cas, nous ne pouvons retarder davantage les premiers paiements. »
Lorsque Kuro sortit l'air malheureux du hall pour prendre l'ascenseur puis disparut rapidement. Le médecin, quant à lui, discutait avec une infirmière qui venait de lui confier un dossier. De manière fulgurante, Nori se jeta sur lui au point de lui faire échapper un cri de surprise.
« Il faut que je vous parle, c'est au sujet de Kyo Fubuki... »
Après une longue discussion, Nori s'empressa de quitter l'hôpital et se retira chez lui. Le soir suivant, sa future femme était alors absente, en tournage à des milliers de kilomètres de leur demeure. Il entra dans la chambre et détacha un tableau de valeur puis déverrouilla la porte du coffre-fort et en sortit un gros paquet de billets de banque puis referma précautionneusement le tout. Cet argent appartenait à son épouse mais après lui avoir fait du charme, celle-ci avait consenti à lui donner le code d'accès au coffre, lui indiquant qu'il pouvait se servir durant son absence. Elle n'aurait sûrement pas été d'accord qu'il l'utilise dans ce but mais elle n'en saurait rien. Riche qu'elle était, elle ne prenait même pas la peine de faire ses comptes. C'était tout juste si elle pensait à fermer les portes à clé en sortant de chez elle.
Le lendemain, un médecin entra alors dans la chambre du blessé et annonça aux deux amis que l'opération aurait lieu ainsi que tous les soins en centre par la suite car tout avait été correctement réglé. Tous deux furent terriblement surpris mais le docteur refusa de leur donner l'origine de ce lourd paiement...
« Tu joues la victime et le bienfaiteur en même temps, grommela Kyuso les bras croisés. Mais rien ne peut me prouver que tout cela est vrai.
- Pour les blessures, si, dit Nori en dévoilant une longue cicatrice sur son ventre. Mais j'admets que pour le reste, je ne peux rien prouver. Mais si ce n'est moi alors qui aurait pu ?
- Je n'en sais rien... reconnut Kyuso en plein doute.
- J'aime ton frère, dit alors Nori soudain animé d'un nouvel espoir, d'une nouvelle passion. Je l'aime à un point que tu ne peux imaginer. Des personnes comme Kuro ou Nozomi veulent m'empêcher de le revoir mais je me battrai jusqu'au bout pour ne serait-ce que le voir quelques instants !
- Il refusera de te voir... soupira Kyuso.
- Je t'en prie ! Tu es mon seul espoir de le revoir ! Passe-lui le message, s'il te plait ! le supplia Nori d'un air désemparé.
- Je vais essayer, consentit finalement Kyuso, mais je ne te garantis rien.
- Est-ce... Est-ce qu'il me déteste ? demanda Nori avec une boule au ventre.
- Je n'en sais rien, ça fait des lustres qu'il ne parle plus de toi. En fait, il n'a plus parlé de toi suite à cet incident.
- Merci, Kyuso. »
Lui jetant un dernier regard dédaigneux, le duo quitta les sanitaires pour rejoindre la grande salle tandis que Nozomi arrivait, l'air inquiet. Kyuso avait reprit son visage bienveillant et esquissa un sourire éclatant au blond en le rassurant que leur ami me sentait désormais mieux.
Mais il avait tort parce que l'anxiété commençait déjà à le ronger de l'intérieur.
Le lendemain, suite à une nuit mouvementée, Nori avait finalement trouvé le sommeil à l'aube et dormait à poings fermés lorsque la porte s'ouvrit brusquement, réveillant finalement l'acteur dans un sursaut mémorable. Nozomi le regarda d'un air désolé puis le tendit le téléphone en lui disant que quelqu'un voulait lui parler, un producteur d'après ses dires.
Nori ronchonna, fâché d'avoir été coupé de son sommeil pour si peu, d'autant plus que quelques minutes plus tôt, il rêvait de ses retrouvailles avec Kyo... Le brun fit signe à son garde de se retirer d'un geste de la main puis plaqua le combiné contre son oreille.
« Allô ? dit-il d'une voix endormie.
- Nori ? demanda son interlocuteur. Je te réveille ?
- Qui est-ce ? grommela le Taika quelque peu agacé. Evidemment que vous me réveillez, il n'est même pas huit heures !
- Nori, continua la voix en ignorant l'énervement de l'acteur. C'est moi, Kyuso ! J'ai dû me faire passer pour un producteur vu que c'est Nozomi qui a décroché. J'ai eu mon frère au téléphone hier soir et il m'a dit qu'il acceptait de te voir. Tu devras le retrouver dans le parc au centre-ville d'ici dix heures. Ne te fais pas accompagner par Nozomi, il gâcherait tout. C'est mon père qui viendra avec toi, il est au courant de toute l'histoire. Trouve un prétexte pour y aller uniquement avec lui, d'accord ?
- D'a... D'accord... balbutia le brun décontenancé. Je serai là-bas à l'heure. Merci... Kyuso...
- Et je te préviens, ne joue pas au con avec lui sinon, je me chargerai personnellement de ton cas, compris ? De toute façon, mon père t'aura à l'œil même s'il restera éloigné de vous. »
A la grande frustration de Nori, le frère de Kyo ne prit même pas la peine de le saluer et lui raccrocha au nez. Son cœur sembla alors s'emballer et se mit à battre à une allure effrénée. Il allait revoir Kyo après deux années... Comment réagirait-il ? Les Fubuki semblaient tellement imprévisibles qu'il s'attendait à tout. Son angoisse lui noua la gorge et lui oppressa la poitrine. Plaquant une main contre son torse, il s'efforça de retrouver son calme malgré les tremblements qui persistaient. C'était de la peur mélangée à de l'excitation. Il s'était tant démené pour tenter de le retrouver mais jusqu'à présent, Kuro et Nozomi s'étaient toujours mis en travers de son chemin pour l'empêcher d'atteindre son but. Désormais, il avait un atout de son côté : Hiromasa qui était finalement détaché de la famille Arashi et qui ne risquait pas de se laisser influencer par l'un d'entre eux.
« Où est-ce que tu vas ? demanda Nozomi avec méfiance tandis que Nori entrait dans le hall.
- Je sors prendre l'air, répondit l'acteur. Hiromasa m'accompagne alors je n'ai pas besoin de toi. J'aimerais discuter un peu avec lui, histoire d'apprendre un peu à se connaître.
- Je viens avec vous, lâcha le blond d'un ton tranchant.
- Nozomi, dois-je te rappeler qui donne les ordres ici ? répliqua aussitôt le brun d'un ton plus sec qu'il ne l'avait voulu.
- Tu n'as pas à douter de mes capacités à protéger Nori, ajouta Hiromasa d'une voix sombre. Je pense avoir suffisamment fait mes preuves depuis mon arrivée.
- A tout à l'heure, Nozomi. Nous passerons te prendre pour le repas de midi. »
L'Arashi n'eut pas le temps de répondre que ses deux amis avaient déjà quitté la maison. Il était furieux d'être ainsi mis à l'écart mais d'un autre côté, il se méfiait. Hiromasa devenait gênant pour lui, plus qu'il ne l'avait imaginé au départ. Avant de le recruter, il était persuadé que Nori ne cherchait plus à se rapprocher des Fubuki car il ne semblait même plus s'intéresser à eux mais ces derniers jours avaient prouvé le contraire. D'un autre côté, il avait eu la confirmation que son coéquipier n'était pas en contact avec Kyo depuis bien longtemps et qu'il ne cherchait pas à le retrouver. Un père indigne qui aurait pu révolter des personnes comme les membres de la famille Arashi, tous très proches les uns des autres et accordant une valeur inestimable aux liens du sang.
Le trajet s'effectua dans un calme perturbant. Hiromasa semblait perdu dans ses pensées et peu désireux d'entamer la conversation. Cependant, craignant de se laisser surpasser par ses émotions, Nori brisa le silence d'une manière assez maladroite :
« Kyo risque de ne pas apprécier de te revoir, lâcha-t-il sans le moindre tact. Je sais qu'il t'en veut énormément.
- Et toi alors ? bougonna Hiromasa sans prendre la peine de le regarder. Dois-je te rappeler tout ce qu'il a subi par ta faute ? Qu'il en a été défiguré ?
- Je t'ai déjà expliqué l'histoire, je me sens suffisamment coupable... Dis-moi, ton vrai but ne serait pas d'essayer de le retrouver ?
- En partie mais j'ai peur que ça lui fasse un choc de nous voir les deux. Nous sommes des traîtres à ses yeux.
- On verra, nous sommes arrivés. »
Deux fois que Nori entendait dire de Kyo qu'il avait été défiguré suite à cette agression dont il avait la malheureuse victime. Que lui était-il arrivé ? Lorsqu'il quitta le véhicule, le Taika tremblait comme une feuille malgré tous ses efforts pour paraître imperturbable mais Hiromasa ressentit parfaitement bien son malaise. Ce dernier lui indiqua qu'il attendrait à l'entrée du parc, laissant Nori s'occuper seul de ses affaires, toujours coiffé de sa longue chevelure noire pour masquer son identité.
Plongeant ses mains dans ses poches pour masquer son anxiété, le jeune homme avança d'un pas peu assuré jusqu'au centre du parc verdoyant. Le ciel était gris mais les allées sablonneuses entourées de fleurs variées comme des roses, des lys, des pots de fuchsia, du chèvrefeuille dont le parfum vint caresser les narines envieuses des passants ou encore des pois de senteurs. De grands saules pleureurs bordaient une petite étendue d'eau ainsi que quelques cerisiers dont les fleurs avaient laissé place à des fruits. De nombreux bancs bordaient le chemin et étaient parfois occupés de vieillards lisant le journal ou encore de parents accompagnant leurs jeunes enfants qui s'amusaient sur la petite aire de jeux composée de balançoires, d'un toboggan et autres objets plus insolites.
Puis soudain, le corps de Nori se raidit : appuyé sur une petite barrière en bois et lui faisant dos, un jeune homme à la chevelure turquoise semblait occupé à regarder une famille de canards. Le cœur du brun sembla manquer un battement et sa démarche déjà mal à l'aise sembla alors mécanique et plus maladroite que jamais. Il voulu tendre le bras pour l'effleurer mais n'en eut pas le courage. Sa voix brisée, cependant, parvint à émettre quelques sons.
« K... Kyo ! » lâcha-t-il tandis que sa gorge semblait le brûler plus que jamais.
L'interpellé se redressa légèrement mais ne se détourna pas pour autant. Un soupir sembla s'échapper de ses lèvres tandis que ses doigts agrippaient avec force la petite barrière. Cette réaction fut aussi douloureuse pour Norique s'il avait reçu un coup de poignard dans le dos. Pourquoi refusait-il de le regarder ?
« Nori... Je... Je t'avouerai que je n'avais pas très envie de venir mais Kyuso a insisté. Mon père n'est pas avec toi ?
- Il est resté à l'entrée du parc, répondit le brun avec douleur.
- Je ne suis pas sûr de pouvoir te pardonner, reprit alors Kyo d'une voix triste. Non pas pour les raisons pour lesquelles Kuro te déteste aujourd'hui car je suis heureux d'avoir pu t'aider à fuir ce jour-là mais parce que tu n'es jamais revenu après cette histoire. Je me suis dit que tu avais entendu ce qu'il m'était arrivé et que, par dégoût, tu ne voulais plus me revoir. J'ai espéré chaque jour que tu m'écrirais ou bien que tu viendrais me voir mais je me suis trompé. Tu étais devenu célèbre et tu te fichais bien de quelqu'un comme moi...
- Ne dis pas de conneries ! » s'emporta Nori ce qui surpris Kyo qui se détourna finalement.
Il avait l'air fâché mais cela n'enlevait rien à la tristesse lisible sur son visage. Défiguré, il l'était bel et bien : une longue cicatrice marquait sa joue droite tandis qu'une épaisse mèche venait masquer son œil gauche borgne. Son unique pupille dorée valide semblait le toiser avec hauteur, le transpercer de toutes ses forces avec une violence inouïe.
« Et là, je ne te dégoûte toujours pas ? » aboya Kyo avec rage.
Nori baissa les yeux puis un fin sourire se dessina sur ses lèvres. Finalement, il releva la tête et osa affronter le regard accusateur.
« Tu n'as pas changé, Kyo. Vraiment, dit le Taika d'une voix douce. Je t'ai cherché pendant deux ans et à chaque fois que je pensais pouvoir t'atteindre, Kuro ou Nozomi me mettaient des bâtons dans les roues. Je me souviens même de m'être battu contre Kuro une fois. Heureusement, Kazuo était là et l'a empêché de continuer. Je crois que s'il l'avait pu, il m'aurait broyé les os... Il tient à toi, j'en suis conscient mais je refuse de...
- Laisse-tomber, Nori, tonna Kyo avec froideur sans le lâcher du regard. Je n'ai pas envie de te croire, tu m'avais promis que tu ne me laisserais pas tomber et si ça avait été le cas, même Kuro n'aurait pas pu t'en empêcher. Je sais à quel point il tient à moi, sinon, on ne serait pas sortis ensemble à deux reprises. La première fois, je suis sûr que tu ne t'en es même pas rendu compte puisque c'était à cette période où tu nous as tout simplement ignorés. Tu es égoïste, Nori et je vois que tu es toujours le même. La célébrité t'est montée à la tête au point que tu en as oublié les valeurs fondamentales de la vie. Oublie-moi, ça vaut mieux pour nous deux, j'ai déjà tiré un trait sur notre passé. Adieu. »
Abattu, Nori ne put répondre quoi que ce soit au Fubuki qui passa à côté de lui sans même lui adresser le moindre regard. Le jeune homme aux cheveux turquoise plaqua soigneusement la capuche de son manteau kaki sur la tête – car il détestait ces regards curieux se posant sur ses blessures comme s'il avait été une bête de foire – et s'en alla en direction de la sortie du parc, là où son père devait probablement l'attendre. Encore une personne qu'il n'avait guère envie de retrouver.
Des larmes vinrent perler au coin des yeux du brun qui ne put contenir des sanglots bruyants secouant son corps tout entier. Il lui semblait que l'on venait de lui arracher une partie de son être tant il souffrait. La froideur de son ancien compagnon l'avait transpercé, brûlé à vif. Jamais le Taika ne l'avait vu ainsi depuis toutes ces années qu'ils se connaissaient et cela lui avait comme arraché le cœur au creux de sa poitrine mortifiée. Son souffle était court et chaque bouffée d'air lui oppressait les poumons, comme une asphyxie. Il voulait courir au devant de lui et lui dire ce qu'il avait sur le cœur mais ses jambes refusèrent de lui obéir et se dérobèrent sous lui, le faisant tomber à genoux. Le pire dans cette histoire était que Kyo lui avait fait prendre conscience à quelle point il était minable, pitoyable.
Incapable d'exprimer ce qu'il ressentait de vive voix, l'acteur sortit un petit carnet orange de son sac bandoulière ainsi qu'un stylo puis commença à écrire. Il ne savait pas pourquoi il avait entrepris de faire ça mais il savait qu'il devait le faire. Ce n'était pas un moyen d'expier ses fautes mais au moins, il partirait la conscience tranquille.
Après avoir griffonné quelques pages, brun arracha ces dernières puis rangea son matériel avant de se redresser. Il était malheureux, brisé mais convaincu. Alors, d'un pas décidé, il s'avança dans le parc en direction d'un banc sur lequel son garde du corps ainsi que son ancien ami discutaient. Visiblement, leur conversation semblait assez calme, Hiromasa avait probablement réussi à convaincre son enfant de sa sincérité en lui faisant part de ses regrets. Lorsqu'ils virent Nori vers eux, Kyo s'apprêta à lui crier de partir mais son air accablé l'empêcha de s'exécuter. Le Taika tendit les feuilles à ce dernier puis s'enfuit en courant. Hiromasa voulut le rattraper mais avant qu'il ne puisse l'atteindre, son supérieur était déjà monté dans la voiture et s'était éclipsé. Rapidement, il retrouva son fils qui paraissait atterré. Le regard interrogateur que son père lui lança alors indiqua qu'il attendait des explications.
« Papa, il faut absolument qu'on rejoigne Nori. J'ai peur qu'il ne fasse une bêtise. »
Alarmé par l'attitude angoissée de son enfant, Hiromasa se redressa d'un trait et s'empara de son téléphone mobile. Cependant, le numéro qu'il composa – celui de Nozomi – le renvoya aussitôt vers la messagerie, indiquant que l'appareil était éteint ou fors de portée du réseau. Attrapant son fils par le poignet, il l'entraîna en direction de la demeure du Taika.
Comme tu le sais, je n'ai jamais su trouver les mots justes pour dire ce que j'avais sur le cœur. C'est pour cette raison que je vais utiliser ces quelques pages pour te faire part de ce que je ressens.
En vérité, je m'attendais à une telle réaction de ta part mais comment puis-je t'en vouloir ? Tu as eu raison sur toute la ligne, je ne suis qu'un sombre idiot, un incapable. Je m'en veux tellement de t'avoir fait tant souffrir mais sois convaincu d'une chose : peu importent les blessures marquant ton visage, tu demeures toujours cet être que j'ai toujours désiré et que je désire encore davantage aujourd'hui après tant d'attente. Tu es un être merveilleux, ne l'oublie jamais.
Les larmes aux yeux, Nori passa la porte d'entrée de sa maison avec douleur tout en espérant que Nozomi serait absent. Par chance, personne ne semblait avoir remarqué son retour.
Peut-être que tu as raison, j'aurais pu trouver un autre moyen de t'atteindre plus tôt, à l'hôpital par exemple. J'ai été lâche, j'étais terrifié à l'idée de savoir ce qu'il t'en avait coûté de me sauver la vie, ce jour-là. Je suis minable, je te l'accorderai.
Passant devant la gare, Hiromasa et Kyo parvinrent à y trouver un taxi disponible et lui demandèrent de les conduire jusqu'à la maison. Kyo regretta amèrement d'avoir dit des paroles aussi injustes à son ancien ami, il s'en voulut de ne pas l'avoir écouté alors qu'il s'était donné tant de mal pour le retrouver ce jour-là.
Je voudrais que tu saches à quel point je suis désolé pour tout le mal que je t'ai fait. Je suis désolé de ne pas avoir été à la hauteur et de ne pas faire le poids face à Kuro qui a tant pris soin de toi. Tu mérites beaucoup mieux que moi, même si c'est puéril de ma part de te dire une chose pareille qui est également si véridique.
Nori regagna sa chambre et ouvrit en grand les battants de la porte-fenêtre donnant sur le petit balcon. Une fois arrivé là, il prit une profonde inspiration puis contempla le panorama citadin autour de lui. De grandes maisons similaires à la sienne se cachaient derrière d'imposants buissons épais dans le but de préserver leur intimité. Le Taika remarqua d'ailleurs qu'il n'avait jamais pris la peine de connaître ces individus mais selon lui, la seule personne qui comptait était Kyo.
Il n'y a pas une seule seconde sans que je pense à toi. J'ai l'impression d'étouffer dans cette solitude qui est mienne. Elle m'envahit et me projette dans de sombres pensées. Je me sens seul, Kyo et ton absence me fait souffrir cruellement, plus que je ne veux bien te le montrer.
Le ciel était gris et pourtant, les oiseaux continuaient à gazouiller paisiblement dans les arbres aux alentours. Quelques passants allaient et venaient, vaquant à leurs occupations quotidiennes. Des vies simples dont Nori rêvait tant depuis plus d'un an déjà. Lentement, il enjamba la barrière métallique blanche tandis qu'un air frais et léger vint caresser son visage.
Je pensais que la célébrité m'aiderait à vivre mais bien au contraire, elle m'a fait couler lamentablement dans les méandres d'un cauchemar sans fin. J'ai pensé que l'argent pouvait faire le bonheur mais je m'étais trompé, je préfère de loin renoncer à tout ce luxe et vivre sous un pont si je peux le faire avec toi. Cependant, j'ai compris que tu n'étais pas prêt à me pardonner et je ne te demande pas le faire après ce que je vais te dire là. Si l'on me retire la seule attache à la vie qu'il me reste, alors autant me débarrasser une bonne fois pour toutes de cette existence lourde et intenable. Je ne comprends pas comment on peut aimer être ainsi adulé par des hordes de groupies hystériques, je ne veux pas que d'autres que toi ne puissent m'atteindre car je ne veux appartenir qu'à toi. Je sombre dans la folie depuis un moment déjà, j'aimerais tant que les gens m'oublient et ignorent la star que j'ai été mais je ne peux même plus sortir de chez moi sans que l'on me harcèle. J'aimerais pouvoir revenir en arrière et aller à la supérette du coin pour faire nos courses, compter l'argent qu'il nous reste en fin de mois pour voir si on peut se permettre ce restaurant ou non, j'aimerais avoir un petit boulot même s'il est éprouvant et rentrer chaque soir chez moi l'esprit tranquille. Mais tu vois, Kyo, même ces plaisirs les plus simples me sont interdits. Alors, arrivé à ce stade-là de mon existence, je juge que plus rien ne m'est indispensable, encore moins cette pitoyable vie. Je ne compte pas t'importuner davantage car d'ici quelques heures, de toute façon, je ne serai plus en mesure de le faire. J'espère qu'un jour tu trouveras la force en toi de me pardonner et où que je sois, je t'en serai reconnaissant, mon Amour. Je t'aime Kyo. Je t'aime de toute mon âme bien qu'il soit puéril d'achever cette lettre par des mots aussi enfantins mais j'ai besoin de te le dire, même si ce n'est de vive voix. Et comme tu me l'as dit un peu plus tôt :
Adieu.
« NORI ! » hurla une voix en contrebas.
Les jolies prunelles ambrées se tournèrent vers le bas, reconnaissant entre mille ce visage autrefois si lumineux et qui, cette fois, semblait rongé par l'appréhension. Abandonnant cette si douce vision, le brun se tourna alors vers le ciel qu'il avait alors décidé de rejoindre.
Mes yeux fixaient l'horizon avec désarroi. J'aurais voulu tout oublier et me réveiller au même endroit que quelques années plus tôt. Peu importaient la misère et l'insalubrité du lieu dans lequel je vivais, le jour où j'eus tout quitté, je savais que j'y avais laissé une partie de moi. Il n'y avait plus l'ombre d'un reflet sur mes lèvres ternies, ni le moindre espoir dans ces pupilles autrefois étincelantes de leur couleur topaze. J'aurais aimé être l'une de ces personnes insouciantes que je peux apercevoir dans la rue, anonyme et suivant le chemin d'une existence banale.
Oubliez-moi, je ne veux même pas rester l'ombre d'un souvenir.
Ne me pleurez pas, je ne le mérite pas.
Comment en suis-je arrivé là ?
Un autre éclat de voix de voix se fit entendre, cette fois, il s'agissait de Nozomi qui était accompagné de Kuro et Kazuo. Tant de personnes que le jeune homme avait fait souffrir se trouvaient là, juste en-dessous de lui alors qu'il était sur le point de commettre l'irréparable. Tous l'appelaient et ce qui apporta un peu de baume au cœur à Nori fut de voir que même Kuro s'était joint à eux pour tenter de le retenir mais le pensait-il sincèrement ?
Quelques personnes curieuses s'étaient approchées et constatèrent avec horreur que la star du moment cherchait à mettre un terme à ses jours. Tant de rumeurs avaient couru à son sujet, tant de mauvaises langues avaient déversé leur venin sur lui pour apaiser leur jalousie et tout ça pourquoi ? Pour que ce stupide acteur ne se jette du haut de son balcon ? Il les entendait ces punaises parler à son sujet, certains supposant qu'il avait des problèmes d'alcool ou de drogue tandis que d'autres songeaient plutôt à un surmenage ou à un amour perdu.
Des larmes coulèrent le long du visage pâle reflétant la lueur du soleil ayant décidé de faire une brève apparition pour ses derniers instants. Quelque part, Nori se sentait soulagé parce que cette chaleur apaisait sa douleur. Il ignora les visages emprunts de chagrin de ses amis ainsi que les appels déchirants de Kyo. Au loin, une sirène retentit annonçant la venue des secours, ces individus qui allaient intervenir pour ramasser ses restes sur le pavé. Pitoyable comédien ! Même lors de sa dernière heure, il n'arrivait pas à se montrer digne et se contentait de pleurer bêtement sa condition que tant de personnes enviaient...
« Je suis tellement désolé de vous avoir fait du mal, Kyo, Kuro, Nozomi... »
Tandis que le Taika se penchait légèrement en avant pour contempler une dernière fois le seul être qu'il n'avait jamais aimé, des bras puissants s'enroulèrent autour de sa taille et le forcèrent à regagner le balcon avant qu'il ne puisse sauter. Furieux, l'acteur se débattit avec violence mais l'individu le maîtrisa sans peine, ses grands yeux vairons rivés sur lui avec peine. Ce simple regard suffit alors à le faire culpabiliser mais sa souffrance ne s'était pas atténuée pour autant, il lui manquait un détail crucial pour s'en sortir et ce détail s'était envolé telle une feuille sous l'effet de la bise automnale. A cet instant précis, Nori comprit ce qui l'avait tant perturbé le jour de leur rencontre : ses yeux. Ils ressemblaient tant à ceux de Kyo...
« Espèce d'imbécile ! tonna Hiromasa en reprenant son souffle. Ne recommence plus jamais une connerie pareille ! Tu n'imagines pas la trouille que tu m'as fichue, j'en suis encore tout retourné ! Et j'ai le vertige en plus, tu réalises ? Va rejoindre Kyo avant que les flics ne t'embarquent. Ils vont te prendre pour un dégénéré façon alors profite... »
L'humour pince-sans-rire de Hiromasa laissa le Taika quelque peu pantois qui hésita un instant avant de se redresser, les yeux ruisselant de larmes. Il lui en voulait mais d'un autre côté, son sourire fut réconfortant, comme si une nouvelle étape de sa vie allait débuter, pleine de promesses et d'espoir.
« Prends la porte de derrière, tu y retrouveras Kyo. Je vais essayer de les retarder un peu, lâcha l'homme en écoutant d'une oreille attentive les secours s'empresser de rejoindre l'étage. Et un dernier conseil, vend cette foutue baraque, fous ta bordel de carrière en l'air et offre toi le plus miteux de tous les apparts que tu trouveras sinon, je t'assure que je te botterai le cul comme jamais personne ne l'aura fait auparavant, compris ? »
Epris d'un petit rire nerveux, Hiromasa aida le brun à se relever et le poussa vers une porte qui lui permettrait d'éviter les policiers dont les ordres retentissaient déjà dans le couloir.
Il était là, à deux pas de moi, et son radieux visage affichait le plus beau des sourires, plus étincelant que jamais. J'avais tout juste le temps de le contempler avant que l'on ne m'emmène loin de lui mais cette fois, je savais que ce n'était pas pour longtemps et qu'on se retrouverait très bientôt et qu'à ce moment, je serais en mesure de lui dire tout ce que j'avais sur le cœur, tous les deux dans notre appart' miteux.
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